Dernière épreuve

Professeure assistante. Camelia n'aurai jamais ne serait-ce qu'osé rêver d'obtenir un tel emploi. Elle va désormais pouvoir partager ses connaissances, son expérience.

Elle va pouvoir guider ces jeunes adolescents, on pourrait même dire ces enfants, sur la voie des éléments. Elle va pouvoir travailler, gagner sa vie sans devoir vendre ses charmes à qui n'est pas rebuté par son stigmate. Enfin, la vie recommence à lui sourire. Cette blessure, qui lui a pourri la vie pendant longtemps, ne l'empêchera pas de travailler, d'atteindre le bonheur cette fois.

Une dernière formalité,cependant, se dresse entre elle et l'épanouissement. Une formalité sans intérêt, sans importance pour bien des gens. Pour elle, cependant, il s'agit d'une source d'angoisse. Pour tout dire, elle n'a pas passé une nuit sereine depuis qu'elle a reçu cette convocation, qui traîne encore sur la table de son logement de fonction.

Camelia lance un regard sur la missive, dont le titre est encore bien visible. Entretien médical d'entrée. Cette épreuve a lieu aujourd'hui, à la première heure.

Pour celui-ci, contrairement à l'entrevue avec la vice-directrice, Camelia ne prend pas la peine de faire attention à sa tenue. Elle reste présentable, certes, son nouveau rôle ne lui permettrait pas de se laisser aller après tout, mais n'est pas sur son trente et un.

L'ancienne danseuse se rend donc à l'infirmerie, portant une robe bleue au décolleté un peu trop plongeant pour son rôle, même si loin de faire catin. Elle frappe à la porte et attend patiemment.


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Camelia n’a pas le temps de se calmer que la porte s’ouvre. Une jeune femme à la chevelure blanche la regarde avec un sourire. L’ancienne danseuse ne peut s’empêcher de cligner des yeux. Cette femme est éblouissante en ce début de matinée, au sens premier du terme. Les rayons du soleil parfaitement réfléchis sur sa chevelure, sur sa robe de la même couleur et sur ses dents sont suffisants pour éblouir toute personne non préparée, telle l’était la patiente. Encore éblouie, elle répond finalement à l’infirmière.

— Oui, c’est bien moi. Enchantée.

La professeure assistante suit sans un mot la petite infirmière dans la pièce. Ses yeux courent le long de la salle qu’elles traversent avant d’arriver dans une petite chambre. Camelia entend la porte se fermer derrière elle mais n’y prête pas attention, elle se contente de regarder la magnifique vue sur le parc de l’académie.

— Ne vous inquiétez pas. C'est un examen de routine. Je veux juste m'assurer que vous soyez en bonne santé. Ensuite, je l'indiquerai dans votre dossier médical de façon à pouvoir faire une suivie avec vous ou avec les autres médecins de la ville en cas de problème. Vous pouvez vous coucher.

La patiente se retourne vers la blanche, son visage palissant à nouveau au fil de l’explication. Est-il réellement possible qu’elle reste en activité ici ? Elle n’y croit pas. Elle sait, elle sait que lorsque sa blessure sera réellement visible son emploi sera révoqué. Elle sait que sa carrière dans l’éducation ne durera pas plus tard que cette entrevue. Pourtant, elle ne fuit pas, elle ne refuse pas l’obstacle et s’accroche à l’infime espoir qu’elle puisse se tromper.

L’infirmière lui tourne le dos, tandis qu’elle parle, et Camelia est persuadée que c’est pour ne pas la gêner lorsqu’elle se dénude afin d’effectuer la visite dans de meilleures conditions. Elle ne garde donc qu’une bande de tissu, qu’elle avait attachée pour maintenir sa poitrine, et ses dessous lorsqu’elle répond enfin à Alexia.

— Je n’ai pas été malade. Et je n’ai pas été récemment blessée… Mais… J’ai une blessure… A la hanche gauche.

Ce faisant, elle se tourne pour montrer la cicatrice. La chair soudée au tissus partant du côté gauche de sa taille et descendant jusqu’au milieu de la même cuisse, avec à un endroit un creux où la chair n’a jamais repoussé, au niveau de sa hanche.

— J’ai aussi des difficultés à respirer depuis le jour de cette cicatrice, même si j’arrive à ne pas le montrer en général.

La femme déglutit en espérant qu’elle ne va pas se faire renvoyer désormais. Son destin repose entre les mains de l’infirmière.


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Camelia repère la surprise dans le regard de l’infirmière, la direction vers laquelle ce dernier est tourné et le choc que le visage doux affiche. Elle se retient de soupirer devant cette réaction si prévisible, même si elle doit admettre qu’Alexia fait preuve de plus de retenue que certains hommes, soi-disant aguerris, qu’elle a rencontrés. Ce petit bout de femme se reprend rapidement et commence rapidement à donner ses consignes.

Bien évidemment, la nouvelle professeur obéit sans broncher à la consigne qu’elle reçoit. Elle s’allonge et observe l’autre faire ce qu’elle a à faire. Elle voit les doigts de l’infirmière se poser sur sa hanche, surprise par l’audace de la demoiselle de toucher cette blessure là où tant ont tournés de l'œil.

— Non… Pa…

La phrase qu’elle stoppe n’est autre qu’une supplique. Elle ne souhaite pas être soignée, ou plus précisément elle souhaite garder une marque visible de ce souvenir qu’elle ne veut absolument pas oublier. Elle a réussi à se retenir à temps pour entendre la suite de la phrase de la soigneuse, celle qui parle d’opération, de chirurgie.

Camelia, n’ayant jamais eu contact avec une telle magie, déglutit et retient son souffle. Elle souhaite voir ce qu’une guérisseuse magique est apte à effectuer. Elle voit la jeune femme se nouer les cheveux, elle récupère la potion tendue et la boit en analysant les différents outils que la petite infirmière a déjà sorti.

Pendant sa boisson, une phrase, un aveu de faiblesse de la part de l’infirmière la fait se détendre plus sûrement que toute autre chose qu’Alexia aurait pu lui dire.

— J’en… Suis heureuse… Je souhaitais garder un souvenir visible, une cicatrice même après que le mal soit soigné…

Finalement, Camelia se dévêtit entièrement suite aux instructions de la petite blanche. Sa tenue, désormais, éveille en elle quelques souvenirs de son errance, quelques instants de répit trouvés dans les bras tendres de femmes aussi douces que cette infirmière.

Elle doit admettre, avec l’espoir que le rose ne monte pas à ses joues, que sa collègue rabat leur caquet à chacune d’elles en termes de compassion et de beauté. L’ancienne danseuse se laisse donc aller en toute confiance entre les mains, pas si expertes, de son infirmière du jour.

Bien évidemment, avant que la potion ne fasse effet, Camelia reçoit cette question, la question que toute personne ayant conservé le contenu de son estomac lui pose à chaque fois qu’elle montre sa hanche. Un sourire douloureux et nostalgique se forme sur son visage, alors qu’elle replonge dans ces souvenirs doux-amers.

— Nous étions à l’auberge, avec mon mari et le reste de notre troupe d’artistes. Nous étions en train de faire une grande représentation, dans un autre pays que celui où on avait l’habitude, pour fêter notre mariage, à Izmir et moi.

Elle déglutit pour se laisser le temps de se durcir face à la réminiscence de l’épreuve.

— Le soir, la nuit, alors que je dormais, il m’a réveillé. Il faisait chaud. L’air était sec et je ne voyais pas devant moi, tant il y avait de fumée. Les flammes… Les flammes étaient partout….

La simple mention de cet incendie la fait trembler à nouveau, mais elle continue. Une fois qu’elle commence à raconter cette histoire, elle ne peut pas, non, elle refuse de s’arrêter.

— J’étais tétanisée, mais il m’a secoué. Il m’a fait sortir de la chambre, j'étais encore en nuisette. On était à l’étage, il m’a fait descendre les treize marches en vitesse, presque en me poussant… Il ne restait que deux marches, il ne lui restait que deux marches. Quelque chose à craqué au-dessus de moi. Il… Il m’a poussé, il s’est jeté sur moi pour m’éloigner…

Une larme commence alors à perler, alors que la pudeur empêche ses sœurs de la rejoindre.

— Un madrier lui est tombé dessus. Je, ça aurait dû être moi! Il… Il m’a dit, demandé… Il m’a demandé de vivre pour lui… J'ai senti un choc sur ma tête et… Je me suis réveillé plus tard… J’ai vu le ciel à travers les restes du plafond. Ce qui m’avait assommé, je suis tombé dessus et c’est ça qui m’a brûlé…

Elle montre finalement sa blessure.

— Là, c’est la nuisette que j’ai reçu pour notre mariage. Elle n’a été utilisée, portée, qu’une seule fois.

Ensuite seulement, la jeune femme se mure dans un mutisme douloureux.


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Tout au long de son histoire, Camelia regarde attentivement l’infirmière. Il lui semble impossible que cette dernière soit insensible, et pourtant. Ce petit bout de femme ne réagit d’aucune façon, elle se contente de regarder la danseuse se livrer ainsi avant de, simplement, poser une main douce sur l’épaule de la patiente et lui offrir un sourire empli de compassion.


Camelia ne peut que rester pantoise devant tant de bonté affichée, il ne lui vient pas à l’esprit que cette personne puisse simplement se jouer d’elle.

Une première phrase sort finalement des lèvres de la douce demoiselle, qui froisse l’assistante professeur.

— Je crois que tu n’as pas compris. Je veux être soignée. Je veux vivre pour lui. Je NE VEUX PAS l’oublier. Pour ça, j’ai besoin d’une marque. Il ME FAUT une marque de la vie qu’il a donné pour moi.

Suite à la suggestion de l’infirmière, malgré son agacement pour les paroles précédentes, Camelia tourne la tête. Au début de l’opération, elle ne sent pas le scalpel qui s’enfonce dans des chairs désensibilisées, puis elle s’endort, d’un sommeil sans rêves,à la suite du sort dont elle est la cible.

Deux heures plus tard, elle ouvre finalement les yeux sans s’être rendue compte que c’est suite à l’impulsion de l’infirmière.Elle remue et pousse un gémissement, tandis qu’une de ses mains se porte naturellement à sa hanche, source de cette douleur qui la fait gémir. Elle tourne, dans le même temps, la tête vers Alexia qui vient de lui poser une question.

— Assez… Mal. Ma hanche fait mal et… J’ai l’impression d’avoir mal dormi… Tu… Tu as fini ?

Si l’infirmière ne l’en empêche pas, elle se rend compte que la boursouflure de sa hanche est différente, trop petite pour être celle de sa brûlure originelle, mais présente tout de même. Ses paupières clignent une fois, elles laissent aux larmes le temps d’apparaître et de commencer à rouler à nouveau sur le visage de Camelia.

— Tu… Merci… Merci beaucoup…

Elle tente de se relever et pousse un petit couinement, la douleur de sa hanche se fait en effet plus intense avec son mouvement. Pourtant, elle termine son mouvement et attrape une main d’Alexia dans les siennes.

— Vraiment… Merci… Merci…

Elle regarde autour d’elle avec un soupir de soulagement. Sa cicatrice est là mais, enfin, son calvaire est terminé. Elle peut désormais vivre pleinement cette vie qu’il lui a offerte et c’est grâce à Alexia. Enfin pas seulement. Cette vie qui est désormais la sienne lui est possible grâce à son maître, qui cherchait si longtemps sa cité du savoir, grâce à Val qui lui a parlé de Targatt, sa ville natale, de Dame Kubilay qui lui a permis d’avoir ce poste et enfin d’Alexia qui l’a soignée. Elle est reconnaissante envers chacune de ces personnes pour lui avoir permis de retrouver une aptitude convenable.

C’est donc le sourire au lèvres qu’elle pose une dernière question à l’infirmière.

— Dis… Tu peux me passer ma flasque s’il te plaît ?


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Camelia serre les dents sous la petite douleur qu’elle ressent après cette opération rondement menée. Elle ose poser une question à l’infirmière douce et pure, une question qui crée une réaction différente de ce à quoi la professeur s’attendait.

Elle refuse. Elle lui refuse sa boisson, le moyen de se désaltérer ? La jeune professeur regarde, incrédule, le personnel soignant qui lui apporte finalement un verre d’eau. Elle se tait, mais n’en pense pas moins. Ce n’est pas suffisant pour elle, elle estime qu’il lui faut sa boisson pour réellement se désaltérer.

Avec un sourire légèrement factice, Camelia récupère le verre et le vide d’une traite.

— Dis… Je suis un peu fatiguée… Je vais… Dormir un peu maintenant…

Camelia ferme les yeux et s’endort pendant quelques heures, avant de finalement se réveiller, s’habiller et partir après s’être excusée du dérangement.

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