Trouver tes ailes [Lùthien/Yea]

Repère des paladins, Le Cercle, Environs un mois après l'attaque des démons
Portant des vêtements simples, un long manteau et un capuchon rabattu sur son visage, Lùthien se faufilait entre les paladins, les soigneurs et les civils. Elle avait sans mal appris où se trouvait maintenant le nouveau quartier général des paladins, si on pouvait appeler ainsi les bâtiments délabrés qu'ils occupaient dans l'ancien quartier éthériste du cercle. Elle comptait y trouver Yearius qui ne se montrait plus que rarement au palais ces temps ci.

Les gardes du corps de la reine se seraient probablement étranglés en voyant leur Reine se promener dans le cercle sans escorte, mais l'elfe n'en avait cure. Elle avait tout de même activé le bouclier du trône pour se protéger des imprévus, le champs de force magique formant comme une seconde peau.
Avisant un escalier, l'elfe se dirigea vers les étages, supposant que les officiers du paladinat y avaient pris leurs quartiers. Elle fut cependant rapidement arrêtée par un jeune homme qui montait la garde, le gamin ne devait pas avoir plus de 15 ans.

- Vous ne pouvez pas aller par là, madame. Dit-il avec morgue.

Lùthien n'avait plus l'habitude qu'on se permette de lui donner des ordres.

- Appelle ton supérieur. Lâcha-t-elle.

Le gamin tenta de soutenir son regard autoritaire mais il céda rapidement. Il appela une femme qui se trouvait non loin de là. La paladine qui se présenta faisait encore partie de l'escorte royale quelques semaines auparavant et reconnût l'elfe sans mal.

- Majest...

L'elfe l'interrompit en posant un doigt sur ses lèvres, alors que le gamin ouvrait de grands yeux. Elle ne voulait pas causer un chahut ou devoir se retrouver à faire un discours improvisé pour expliquer sa visite à la petite foule qui occupait les lieux.

- Je veux juste parler avec Yearius.

La paladine hocha la tête en silence et la guida la reine jusqu'à ce que Lùthien imaginait être la chambre de Yea, ou bien un bureau. La femme frappa à la porte.

- Maître, quelqu'un désire vous voir.

Yearius avait travaillé très durement pour arriver à ce résultat. Le nouveau quartier général des paladins faisait peine à voir, mais dans ce quartier délabré ils ne pouvaient avoir mieux. Le grand bâtiment qu'ils occupaient et qu'ils avaient réparé rapidement était un ancien grand magasin, déserté par ses occupants. Depuis que Yearius avait conclu son entente avec les anciens Etheristes, les paladins reprenaient lentement du terrain sur les différents gangs de la cité. Ce n'était jamais facile et beaucoup de paladins étaient blessés au cours des affrontements. Mais aucun n'avait été tuer. Les Etheristes avaient rejoint l'ordre paladin et avaient été dispersés entre les différentes divisions de l'ordre pour qu'ils soient tous utiles. Mais aussi pour qu'ils puissent être réellement intégrés. S'il se contentait de mettre les Etheristes ensemble en permanence, il ne développerait jamais le sentiment d'appartenance primordial dans l'ordre paladin.

Il n'avait pas parlé avec la reine depuis leur face-à-face, il y avait maintenant plusieurs jours. Tout avait été dit et Yearius devrait bientôt rapatrier ses derniers paladins pour gagner en puissance dans le cercle. Les paladins étaient maintenant soixante lames en plus des soigneurs et des non-combattants. Ils n'étaient pas encore une grande armée, mais ça ne serait tarder selon lui. La reine n'avait pas voulu l'écouter et lui donner ce qu'il réclamait. Soit. Il l'aurait d'une autre façon. Et lorsqu'il sera une force non négligeable, il pourra commencer le sinistre travail qui serait le sien. La lumière sauvera les bons et les justes. Le reste du monde périra dans les flammes.

Alors qu'il était plongé dans ses pensées, l'un de ses paladins entra en lui jetant un regard nerveux. Elle lui dit que quelqu'un voulait le voir et ajouta à mi-voix qu'il s'agissait de la reine. Le regard de Yearius se ferma comme une huitre et il hocha la tête en faisant signe aux quatre paladins présents dans la pièce. Ils comprirent ce qu'ils avaient à faire. Lorsque la reine passa la porte cette dernière se referma derrière elle et l'elfe se retrouva face à 4 lames pointées vers elle, toutes tenues par un paladin qui la fixait un silence. Aucune agressivité n'était perceptible dans leurs yeux, mais comme des soldats, ils obéissaient aux ordres et protégeaient leur chef.

-Majesté.

Ce fut le seul mot prononcé par Yearius d'un ton trahissant son déplaisir de la voir ici. Les 4 paladins firent un pas en arrière en rengainant leurs lames, pour laisser finalement passer la reine. Son neveu était debout devant un bureau recouvert de parchemin. Il portait l'armure de l'ordre qui le définissait comme le maître de cette dernière et fixait la reine d'un regard noir. Il n'avait pas encore digéré ce qu'elle lui avait dit et les actions qu'elle avait entreprises. Son regard était encore rempli de haine là concernant et concernant ses actions. Yearius regarda ses hommes et leur indiqua d'un mouvement de la main de quitter la pièce. Le message était passé, il n'hésiterait pas à la tuer si elle commençait à vouloir les arrêter. Maintenant, si elle désirait lui parler seul à seul, elle le pouvait. Lorsque la pièce se vida entièrement, laissant la tante et le neveu ensemble, Yearius dit d'une voix cassante.

-Comme vous pouvez le voir, j'ai réussi la première étape. Mes hommes sont de plus en plus nombreux et les habitants du cercle commencent à retrouver l'espoir. Mais vous n'êtes pas ici pour parler de cela, je le sens. Alors faite vite. J'ai du travail devant moi et votre présence me dérange, majesté.

Il avait une nouvelle fois craché ce titre comme s'il s'agissait de la pire des insultes. Il croisa les bras et la fixa glacialement. Qu'allait-elle lui dire cette fois? Qu'elle ordonnait aux paladins de se rendre? Qu'elle voulait leur retour pour protéger ses miches? Peut-être qu'elle allait encore lui parler des avantages des compromis qu'elle avait concédés? Elle pourrait bien dire ce qu'elle voulait, pour Yearius, c'était du vent. La reine ne valait guère mieux que les politiciens de pacotilles avec lesquelles elle s'était liée.

Lùthien fut stupéfiée en se voyant accueillir de façon aussi cavalière. Les mêmes paladins qui devaient la protéger hier se permettaient de dénuder leurs épées devant elle aujourd'hui, alors même qu'ils recevaient encore leur solde de la couronne. Sa surprise fit rapidement place à la colère, elle serra les poings mais se retint et ne bougea pas devant les paladins, se demandant si Yearius allait même accepter de la recevoir. Heureusement, les épées retournèrent rapidement au fourreau et les paladins quittèrent la pièce.

L'accueil de Yearius fût encore plus tranchant que le fil des épées de ses paladins. Le dureté de son ton fit naître à nouveau la rancœur chez l'elfe. Mais elle se souvint des conseils d'Alexia, si elle voulait renouer avec son neveu, elle devait baisser les armes. Alors qu'elle inspirait lentement pour lâcher prise, l'elfe réalisa que sa colère cachait l'immense tristesse de voir sa relation avec son neveu s'être dégradée à ce point. Ses yeux s'embuèrent légèrement alors qu'elle se détournait du demi-ange, incapable de soutenir ce regard qu'elle ne reconnaissait plus. Comment en était-ils arrivés là ? Chacun avait sa part de responsabilité sans doute, mais Lùthien savait que c'était à elle de faire le premier pas pour réparer le mal qu'ils s'étaient fait l'un à l'autre. Baisser les armes, enlever son armure, oublier son ego.

- Je suis désolée Yea... murmura-t-elle.  Je suis là parce que...  je suis venue m'excuser pour la dernière fois. Elle releva légèrement la tête.  Je t'ai traité comme n'importe laquelle des forces en présence alors que tu es presque de la famille pour moi. J'ai cherché à faire rentrer l'Ordre dans mes plans et quand tu as refusé je me suis mise en colère au lieu d'écouter vraiment ce que tu avais à dire... J'étais fatiguée ce jour là, tu le sais, et... Quand tu m'as annoncé que les paladins partaient... je... j'ai juste eu peur de me retrouver seule. Mais au fond, je sais que l'Ordre a sa place ici.

Lùthien marqua une pause. Admettre ses faiblesse n'était jamais facile. A force de les masquer, cependant, elle avait laissé Yearius la considérer comme égoïste et corrompue. Il devait comprendre qu'être reine ne la rendait ni parfaite, ni toute-puissante, et qu'elle faisait de son mieux.

- Je sais que tu es occupé, tout comme moi, mais je crois que nous avons encore beaucoup à nous dire. Le temps ne sera pas un problème si tu acceptes de venir avec moi...

Yearius connaissait les pouvoirs de sa tante qui lui permettait de jouer avec le temps en voyageant entre les plans. Ils pouvaient bien passer des heures ailleurs et revenir alors que quelques minutes seulement s'écouleraient dans leur plan. L'elfe tendit sa main blanche au paladin pour l'inviter à la rejoindre, mais aussi pour signifier sa volonté de renouer leur amitié.

- S'il te plait... Souffla-t-elle alors que l'espoir se mêlait dans son cœur à la crainte qu'il refuse et qu'elle le perde pour toujours.

Yearius avait été plutôt froid et tranchant avec cette femme qui se prétendait reine de Targatt. Avec raison. Elle avait cherché à en faire un pantin et lorsqu'il avait refusé en disant que le peuple avait besoin de lui, elle était entrée dans une colère noire en le menaçant de devoir couper la solde des paladins et en les traitant comme n'importe quelle milice privée. En clair, les paladins seraient mis au même niveau que les vulgaires mercenaires engagés par certains nobles pour leur protection. Yearius avait été hors de lui en entendant une telle chose et était partie en claquant la porte. Lui qui croyait trouver une oreille attentive et une aide véritable venant de sa tante. Il se rendait maintenant compte maintenant qu'elle n'avait plus rien de sa tante adoré. Elle était une politicienne de bas étage et aux yeux du paladin, sa tante était morte en montant sur le trône.

Pourtant, cette dernière était maintenant présente devant lui. Elle était venue le voir, sans doute pour lui faire connaître son opinion sur les agissements de paladin et la réponse avait été très clair. Aux yeux de Yearius, elle n'était rien. Si elle tentait de s'interposer. Reine ou pas. Elle mourrait. Tout simplement. Plus jamais le demi-ange ne plierait l'échine devant qui que ce soit. Jamais. Il avait assez donné par le passé et il était temps pour lui de devenir ce qu'il aurait toujours de l’être.

Alors qu'il s'attendait à devoir l'insulter et recevoir ses critiques sur ses agissements, il fut très surpris de la voir... S'excuser. Elle s'excusait de son attitude la dernière fois qu'ils s'étaient vue et de tout ce qui s'était passé. Le regard du demi-ange s'agrandit de surprise en sentant bien la tristesse qui s'était emparée de la reine alors qu'elle continuait. Il se sentait mal à l'aise et sa colère était tombée. Car pour la première fois, depuis qu'elle était reine, elle ne se cachait pas derrière son masque de majesté. C'est moi qui commande. Et si vous n'êtes pas heureux, cassez-vous. Yearius soupira longuement devant sa demande... Lui parler seul à seul. Une partie de lui, sans doute enfantine, se rappelait de bons moments passés avec sa tante, voulait la croire. Croire qu'ils pouvaient travailler ensemble et que la reine avait simplement fait une erreur. Mais le paladin blessé lui avait plutôt envie de la renvoyer dans son palais en crachant sur ses excuses. Après tout, si elle avait accepté la demande de Yearius en commençant ils n'en seraient pas là.

Finalement, c'est le neveu qui prit le dessus dans les pensées du maître de l'ordre et il tendit très lentement sa main à Luthien. Il n'avait pas dit un seul mot, mais dans son regard brillait l'envie de voir qu'il avait eu tort de la juger aussi rapidement. D'un mouvement de la main, il se débarrassa de ses armures et de ses armes qui disparurent, sous l'enchantement d'un sort d'invocation qu'il avait justement appris... De Luthien. Il saisit la main de sa tante et disparue dans un plan qu'il ne connaissait pas. Lorsqu'il apparut, il vit une grande forêt et une nature sauvage l'entourant. Il n'avait apporté ni ses armes ni ses armures, pour donner une chance à Luthien de s'expliquer. S'il se sentait agressé, il redeviendrait vite le chevalier qu'il était. Mais c'est sur un ton doux et étrangement hésitant qu'il demanda.

-De quoi voulais-tu me parler?...

Il n'avait pas encore accepté ces excuses, car il ne savait pas si elles étaient réelles. Peut-être était-ce simplement une manœuvre pour le manipuler? L'espace d'une seconde, il eut envie de faire apparaître un cercle de vérité sous les pieds de Luthien, mais il se retint. Ça ne serait que mettre de l'huile sur le feu et il voulait croire qu'il y avait encore de l'espoir pour sa tante.

Lùthien retenait son souffle devant le regard hésitant de son neveu, et quand il enleva finalement son armure pour prendre sa main, elle ne put retenir un léger soupir de soulagement. L'elfe avait maintenant espoir de parvenir à un dialogue sincère avec Yearius. Il avait accepté de sortir de son rôle et d'abandonner comme elle son armure. Mais tout restait à faire pour renouer leurs liens.

- Je crois que je n'ai pas fini de m'expliquer... Répondit Lùthien avec un sourire triste avant d'entraîner son neveu en direction de la lisière de la forêt. Il n'avait pas l'air de se souvenir, mais ils étaient déjà venu ici, longtemps auparavant... L'elfe continuait de parler en marchant d'un pas mesuré.

- J'ai beaucoup réfléchi aux raisons qui m'ont poussée à être aussi... autoritaire avec toi. Les elfes vivent généralement selon une hiérarchie stricte basée sur l'âge et le rang. Je suis peut-être reine ici mais je salue encore mes maîtres à genoux. Si tu avais été un elfe de nos cités, jamais tu n'aurait été ne serais-ce qu'autorisé à ouvrir la bouche devant un de nos dignitaire. C'est pourquoi Aewiel n'a pas compris que tu te permette de me parler comme tu l'as fait. Et c'est peut être son regard qui m'a poussé à reproduire un ordre que j'ai pourtant souvent contesté... pour ne pas perdre la face.

Lùthien jeta un oeil à son neveu, se retenant de lui dire tout de même à quel point elle s'était sentie insultée par ses paroles. Elle se força à concentrer son attention sur ce qui avait pu le mettre en colère contre elle à ce point. Certes, il était déçu de certains de ses choix politiques, mais qu'il puisse presque se retourner contre elle pour cette raison... Au final, ce que Lùthien comprenait, c'est qu'elle ne comprenait plus vraiment Yearius. Elle soupira, agacée contre elle-même.

- J'ai raté quelque chose, je ne t'ai pas vu grandir, et changer. Après le coup d'état, j'ai décidé de rester à l'académie... Il fallait qu'il reste quelqu'un pour veiller sur ces élèves, pour leur donner un peu de  lumière et d'espoir. Mais... c'était un déchirement de ne pas pouvoir être là pour toi et pour Saéline, de rester sans rien faire en sachant que vous et les autres vous battiez contre la tyrannie... Tu as connu la guerre, l'exil, tu as pris de lourdes responsabilités... Et pourtant nous n'avons jamais parlé de tout ce que tu as traversé ces dernières années...

Le ton de l'elfe s'était teinté de tristesse et de regrets. Yearius avait dû souffrir de tout cela, il ne pouvait pas en être autrement. Mais tout deux avaient voulu faire comme si rien ne s'était passé, comme si tout pouvait redevenir comme avant, et c'était seulement aujourd'hui que Lùthien réalisait le fossé que le silence avait creusé entre eux.

- J'ai l'impression que je ne te connais plus vraiment, et j'en suis peinée...  Quelque part en chemin, nous sommes devenus étrangers l'un pour l'autre. Je t'ai proposé de venir ici parce que je veux rattraper ce temps perdu, j'ai encore l'espoir que nous arriverons à nous comprendre.

Ils arrivèrent à la lisière des bois et débouchèrent sur une étendue herbeuse qui formait une colline. Au sommet se trouvait un vieux temple en ruine aux colonnes de pierres blanchies par le temps. Au-delà du temple, la colline se terminait en falaise abrupte et la vue s'ouvrait sur une impressionnante chaîne de montagnes. Yearius devait se souvenir maintenant. C'était là que Lùthien lui avait appris à utiliser ses ailes quand sa forme angélique s'était manifestée. Le demi-ange en avait probablement un bon souvenir, il était d'un enthousiasme débordant lors de ses premiers essais. L'invocatrice aussi avait été ravie de transmettre les connaissances qu'elle avait acquises en chevauchant les créatures volantes les plus diverses. Mais jusqu'à ce que son vol soit parfait, elle n'avait cessé de s'inquiéter pour Yearius. Elle prenait toujours mille précautions de peur qu'il ne soit blessé, en faisant peut-être parfois un peu trop. Elle songea qu'au fond, aujourd'hui encore, elle avait peur de le laisser voler de ses propres ailes.

Yearius avait longuement hésité avant d'accepter la supplique de la reine à son encontre. Il n'avait aucune réelle raison d'accepter cette main tendue après tout ce qu'elle avait fait contre lui, contre le peuple et contre la lumière. Le mal avait gagné en ville et c'était uniquement de sa faute. Une partie du demi-ange en voulait mortellement à la reine d'avoir agi de cette façon, sous prétexte de vouloir apporter la paix en Targatt. Surtout que la paix ainsi apportée était toutes relatives. Les nobles et les riches étaient en paix, pas les miséreux et les pauvres du cercle. Pas ceux qui ont été persécutés par Drake et par ces lois stupides. Elle avait pardonné, au lieu de punir sévèrement les coupables. Elle avait même nommé chancelier un homme qui avait été dans l'ombre Drake. Il était haut juge! Avait-elle oublié que c'était cet homme qui avait condamné tous ces innocents et déclaré les paladins criminels? Était-elle simplement stupide ou s'en fichait-elle?!

Dans tous les cas, il lui en voulait encore de tous ses choix et était devenu son ennemi. L'ennemie de cette reine démente qui plongeait lentement Targatt dans les ténèbres et la folie. Cependant, elle venait de s'excuser et d'admettre au moins une partie de ses fautes. Une partie minime. Mais c'était déjà beaucoup pour Luthien. Il s'en doutait. Ce fut ce qui pencha la balance et lui fit tendre la main. L'enfant qu'il n'avait jamais cessé d'être au fond souhaitait plus que tout retrouver sa tante et pouvoir redonner un avenir à cette cité. À une époque, il avait sincèrement pensé que le bien et le mal pouvaient coopérer. Aujourd'hui, il voyait simplement que le mal ne pouvait rester en ville. Les races maléfiques devaient être au minimum encadré. Au pire, simplement exterminé.

Lorsque le paladin apparut dans cet étrange endroit, il ne le reconnut pas immédiatement. Luthien l'entraîna dans la forêt et commença par lui expliquer ses raisons de le traiter aussi durement. Il avait entendu parler du traitement sévère des elfes et il n'avait jamais compris cette façon d'agir. Cependant, il n'était pas de cette race et même si sa mère était un elfe, elle était surtout une rebelle parmi son propre peuple. Aussi, il n'avait pas vraiment été élevé dans la tradition elfique et il se contentait de respecter le choix de cette race. Mais Targatt était une cité principalement humaine et il se contenta de répondre froidement.

-Je comprends mieux pourquoi ma mère a quitté ce peuple froid et austère. Je ne suis pas un elfe et je ne dois le respect qu'à ceux qui le méritent. Je comprends ce que tu ressens, mais tâche d'éviter ce genre de malentendu à l'avenir et rappelle bien à Aewiel de ma part qu'elle est maintenant dans une cité humaine, avec ses propres coutumes. Si ça ne lui plait pas, elle est libre de partir.

Peut-être était-ce méchant et sec de sa part. Mais il ne comprenait pas ce manque d'adaptation de la part de sa tante. Elle était pourtant une femme sage et intelligente. Elle devrait pourtant comprendre ce vieux dicton qui dit "À Rome, on fait comme les romains". Elle était une elfe respectueuse de sa race et de ces traditions, mais elle était aussi la reine d'une cité où toutes les races étaient acceptées et qui était majoritairement humaine. Elle, ainsi que sa clique d'elfes devaient se rentrer ça dans le crâne au plus vite. Sans quoi, les choses ne feraient qu'empirer et Yearius briserait définitivement le cordon. Il n'avait pas l'intention d'être muselé sous prétexte que les elfes préféraient museler les jeunes pour laisser les aînés parler.

Puis finalement, ils arrivèrent devant un temple en ruine que Yearius reconnut presque immédiatement. Ses yeux s'agrandirent de surprise et il s'immobilisa en fixant le lieu. Il se souvenait très bien de ses moments joyeux avec sa tante. Elle lui avait tant donné, lui avait tant appris et grâce à elle il était devenu un homme bon et juste. Sa mère et sa tante l'avaient presque élevé à deux à vrai dire, puisque sa tante avait souvent été présente dans les plus beaux moments de sa jeune vie. Il s'approcha du temple et caressa un large bloc de pierre en se souvenant qu'il avait l'habitude de s’asseoir sur celui-ci en écoutant Luthien, un grand sourire aux lèvres. Des étrangers... Oui... En quelque sorte. Le temps avait suivi son cours et pendant que Luthien était resté sagement dans l'académie, Yearius avait organisé la résistance et prit de lourdes responsabilités, surtout à son âge. Il soupira longuement et finit par dire d'une voix plus douce.

-Pour cela, il faudrait que j'arrive à comprendre ce qu'est devenue ma tante. Tu fais des choix que je ne comprends pas, tu donnes tout le pouvoir à nos ennemis et tu mets de côté le peuple et ceux qui t'étaient vraiment fidèles jusqu'à maintenant. Je n'ai pas changé, tante Luthien. Je suis devenu un adulte pendant cette guerre. Je ne regarde plus le monde avec les yeux d'un enfant naïf qui croit que la paix est possible, mais avec ceux d'un homme qui a vécu la guerre et qui sait de quoi est capable l'homme. J'aimerais que tu m'expliques pourquoi tu as fait cela... Pourquoi refuses-tu que je venge la mort d'Astoria, pourquoi as-tu donné tout le pouvoir au juge qui a condamné ma propre mère ainsi que les paladins à l'exil, pourquoi as-tu accepté de te séparer du pouvoir pour le donner à un Leckard ? Pourquoi tolères-tu encore que des vampires et des Yamilos se baladent en ville ? Et pourquoi refuses-tu de voir tout le bien que j'apporte ici ? Réponds-moi sincèrement et je verrais ensuite si je veux vraiment rattraper le temps passé. Ou si comme je le crains, ma tante est morte en devenant reine.

Il se retourna et déploya d'un coup ses ailes avant de prendre son envol. Il atterrit avec agilité sur le bloque de granite en fixant sa tante, alors que ses ailes immaculées venaient s'enrouler légèrement autour de lui. Il n'était plus l'enfant qui avait peur de voler trop haut, mais un homme qui voulait le meilleur pour l'avenir de la cité. Ou elle le comprenait et lui montrait qu'il y avait encore du bon en elle. Ou elle lui démontrait qu'elle n'était qu'une politicienne de bas étage et alors ça serait la fin de leur famille. Saeline allait bientôt donner naissance à un demi-elfe et Luthien pourra se retrouver une nouvelle nièce pour le remplacer. Sa mère aura une fille pour le remplacer et il sera libre de voler de ses propres ailes et de montrer à tout ces misérables, la signification du mot justice.

Yearius se permit un sermon sur les coutumes Targatiennes. Lùthien aurait eu bien des choses à répliquer à cela. Notamment que si il avait su les combats que ces elfes avaient menés pour protéger ce monde des forces d'outre-terre, il aurait réalisé à quel point ils méritaient son respect. Mais elle sentait que son neveu était encore trop sur la défensive pour que cela soit d'une quelconque utilité. Et se contenta de passer à autre chose.

- Aewiel et les autres sont ici uniquement parce que je leur ai demandé leur aide... Mais ne t'inquiètes pas, je leur rappellerais que chacun à Targatt a droit au respect quel que soit son âge.

La tirade suivante de Yearius, sa conclusion acerbe et ses questions accusatrices frappèrent Lùthien de plein fouet. Elle ferma les yeux tant il était douloureux pour elle de voir que les décisions qu'elle avait murement réfléchies étaient jugées aussi sommairement par son neveu. Elle avait déjà essayé de lui expliquer les raisons stratégiques de ses choix, mais il y restait hermétique. Peut-être étais-ce parce qu'il raisonnait plus avec son cœur qu'autre chose. Lùthien avait vu dans ses yeux cette lumière, celle de la colère, celle de la vengeance...  Peut être étais-ce le moment de lui raconter pourquoi elle avait déjà vu cette lumière dans son propre regard.

- Je suis toujours ta tante, je n'ai pas changé non plus... peut-être que tu ne comprends pas mes décisions parce qu'il y a une partie de moi que je ne t'ai jamais montrée... parce que tu étais trop jeune.

L'elfe alla s'asseoir en tailleur sur un autre bloc de pierre non loin de Yearius et poursuivi.

- Targatt n'est pas la première ville que je dirige... Tu sais que j'ai épousé un mortel il y a longtemps, il se trouve qu'il était le duc de Feynol. Je t'ai peut-être déjà raconté que lui et les enfants que nous avons eus ont été tués... Mais ce que je ne t'ai jamais dit, c'est ce qui s'est passé ensuite.

Elle marqua une courte pause.

- Les seigneurs voisins profitèrent de l'occasion pour tenter de s'emparer de nos terres, nos chevaliers et moi sommes parvenus à les défendre in extremis.

Plongée dans ses souvenirs, Lùthien gardait les yeux baissés sur ses mains triturant un lacet de cuir qui pendait de sa ceinture.

- Une fois de retour au château, je réalisais l'absence de mon aimé et du rire de mes enfants. J'avais grandi parmi des immortels. Je savais que la mort existait, je l'avais déjà vue, mais je n'avais pas imaginé qu'elle pouvait frapper ceux que j'aimais... Je découvrais le deuil, la souffrance... la violence de la colère. Et ne sachant pas ce qu'elle était, j'ai cédé à la haine. J'ai fait rechercher les assassins et les commanditaires, qui n'étaient autre que les barons qui nous avaient attaqués, et je les ai tués...

L'elfe releva son regard vers l'horizon, préférant ne pas voir tout de suite comment son neveu allait juger ses actes passés.

- J'ai pensé naïvement que les choses en resterait là. Mais les héritiers des barons n'attendirent pas longtemps avant poursuivirent l'objectif de leurs pères, qui était de s'allier pour prendre le duché de Feynol et se partager ses richesses et ses terres. Comme j'avais repoussé leur premier assaut, ils demandèrent l'appui de l'armée royale. Le roi n'hésita pas longtemps quand ils racontèrent qu'une sorcière avait séduit le duc de Feynol pour mieux s'emparer de ses fiefs. Puis qu'elle l'avait tué, lui et les seigneurs voisins, révélant ainsi sa nature maléfique... C'était si crédible aux yeux de ceux qui abhorraient  la magie sous toute ses formes...

L'elfe soupira légèrement.

- Il y eut donc d'autres batailles qu'il serait trop long de décrire. Toujours est-il que j'ai fini par perdre et je me retrouvais en fuite sur les terres ravagées par la guerre, l'inquisition à mes trousses. Ils étaient évidemment arrivés dans le sillage de l'armée royale et relancèrent la chasse aux sorcières dans toute la région. Je m'étais réfugiée dans un petit village près de ma forêt natale... mais ils retrouvèrent rapidement ma trace et diffusèrent leur odieuse propagande. La populace y succomba rapidement, avide de trouver un responsable à ses malheurs. Ainsi, les villageois que j'avais sauvés de la famine quelques années plus tôt me chassèrent avec leurs fléaux, leurs torches et leurs fourches sous le regard satisfait des inquisiteurs. Je n'eus d'autres choix que de courir me réfugier derrière les portes de Lindolin, ma cité à laquelle j'avais tourné le dos des années auparavant. La plupart de mes poursuivants furent perdus dans la bois par les enchantements des elfes. Un certain nombre parvinrent à nos portes, mais ils furent accueillis par les flèches de nos archers. Aucun ne devait survivre, c'était le prix pour que Lindolin demeure secrète.

- Je me suis longtemps débattue avec ma conscience pour savoir si tout cela était ma faute. Les pauvres bougres endoctrinés abattus à nos portes, les gens brûlés pour sorcellerie, les chevaliers qui se sont entretués...  Je me demandais sans cesse comment j'aurais pu éviter tous ces morts... "et si j'avais écouté mes aînés ?", "et si j'étais arrivée assez tôt pour sauver ma famille ?", "et si j'avais évité la guerre ?", "et si j'avais renoncé à la vengeance?"...

Lùthien se retourna enfin vers son neveu.

- Parmi les leçons que j'ai retenues de ces quelques décennies, et des suivantes... c'est que parfois le prix de la vengeance est trop élevé... Les décisions que j'ai prises pour Targatt font partie des plus difficiles que j'ai eu à faire de ma vie, mais jamais je n'ai eu autre chose en tête que l'intérêt de Targatt et de ses habitants. Pour répondre à ta première question, des représailles contre Wilhelmine causeraient trop de morts, c'est aussi simple que ça.

Yearius avait pris place sur l'un des gros blocs de calcaire près de temple, fixant sa tante d'un regard qui en disait long sur son état d'esprit actuel. Il n'était pas fermé à ce que la reine avait fait, mais il était déçu qu'elle ait préféré se cacher et se soumettre à leurs ennemis. Il n'en connaissait pas les raisons et pour être honnête il n'en avait rien à faire. Si la reine ne pouvait pas faire respecter l'ordre et la justice dans sa propre cité, qui pourrait donc le faire. Même si une partie de lui aimait l'idée qu'il se soit trompé depuis le début, il n'y croyait pas vraiment. Il ne croyait pas que sa relation avec sa tante puisse redevenir ce qu'elle avait déjà été. Ils avaient maintenant tous les deux des responsabilités et visiblement ils avaient pris des chemins différents.

Cependant, il avait promis de l'écouter jusqu'au bout et ne passa aucun commentaire lorsqu'elle lui annonça qu'il ne savait pas tout sur elle. Il se retint de lui dire qu'il n'était plus un enfant et écouta attentivement la suite de ses paroles. Luthien n'était pas une menteuse. Et c'était pourquoi Yearius sentit son coeur se serrer lorsqu'elle énonça ce qu'elle avait vécu. Lorsqu'elle décrit avec précision les sentiments qui l'avaient assailli, il se reconnut presque parfaitement. La colère. La tristesse. Et cette vengeance qui le consumait lentement. Il fut tellement pris dans l'histoire, qu'il se surprit à se sentir satisfait en apprenant que certains avaient été tuer par les elfes. Cependant, cette histoire lui laissa un gout de cendre entre les dents.

Il comprenait maintenant ce que sa tante essayait vainement de lui dire. Ils avaient abandonné leurs rôles respectifs pour redevenir la famille qu'ils avaient si longtemps été. Il se souvint du lien si fort qu'il l'avait uni à sa tante par le passé. À une époque, il la suivait partout dans l'académie et se sentait presque mieux dans ses bras que dans ceux de sa mère adoptive. Il avait oublié tout cela avec la guerre et avec les responsabilités qu'ils avaient endossées. Comme si ce qu'il avait vécu avait chassé les bons souvenirs pour ne laisser que les plus mauvais.

Yearius ne répondit pas. Il descendit lentement de son perchoir en gardant la tête basse et en serrant les poings. Il aurait voulu lui dire tout ce qu'il pensait, lui dire ce qu'il ressentait en détail, mais c'était impossible. Sa gorge était comprimée par l'émotion et il ne savait pas comment surmonter une telle chose. C'était comme si après des mois de lutte dans le noir, on finissait par voir la lumière et par comprendre qu'on était dans l'erreur depuis le début. Il avait été si stupide... Maintenant que la guerre était loin derrière eux et qu'il avait eu le temps de méditer sur ses actions, il avait bien compris la futilité de ses actions.

-Luthien...

Il murmura ce simple nom d'une voix étouffée avant de se précipiter sans prévenir sur la reine de Targatt. Mais cette fois, il n'avait aucune intention néfaste à son encontre. Au contraire. Le jeune demi-ange se jeta dans ses bras et la serra contre lui avec force, comme lorsqu'il n'était qu'un enfant, les yeux brillants d'espoir pour l'avenir. Des larmes coulèrent sur ses joues alors qu'il murmura en tremblant contre sa tante.

-Pardonne-moi! Je n'aurais jamais du dire tout ce que j'ai dit. Je sais que tu fais de ton mieux et tu es si importante pour moi...

Le maître des paladins était redevenu l'enfant qu'il était avant la guerre. Tout le stress et l'émotion des dernières semaines éclatèrent comme un barrage et le firent éclater en sanglots contre sa tante. Tout le mal qu'il avait fait sous le coup de la colère, tout ce qu'il avait dit. Il avait même insulté la femme qu'il aimait en lui tordant presque un bras pour qu'elle rejoigne sa cause. Mais comment avait-il pu être aussi stupide et néfaste envers ceux qu'il aimait! Il resta de longues minutes contre sa tante, sentant lentement le poids des semaines, de la colère et des doutes s’apaiser en lui. Il se reprit finalement et recula lentement en essuyant ses larmes. Étrangement, ça faisait du bien de laisser les écluses céder parfois. De cesser de jouer à celui qui est au-dessus de tout et qui ne ressent rien. Après tout, même s'il était un demi-ange, il ressentait tout de même des émotions et n'était pas insensible à tout.

-Si tu crois que c'est le mieux pour tout le monde... Alors ça me va... Il... Il y a eu assez de morts.

Il n'était pas difficile de sentir que cette phrase était amère entre les lèvres de Yearius, mais il faisait des efforts pour l'accepter. Il avait déjà compris ce principe fort simple. Mais le comprendre était une chose, l'accepter en était une autre. Il ne parviendrait jamais à apprécier Wilhelmine et Edouard. Pas plus que tous ceux qui avaient plongé Targatt dans les ténèbres. Mais il pourrait sans doute faire l'effort de pardonner, pour le bien de tous. Il n'avait pas abandonné ses idées, mais finalement, peut-être que la régulation et le contrôle étaient une solution meilleure que la simple extermination.

Lùthien regarda son neveu qui semblait agité par de multiples émotions. Il finit par se retourner brusquement vers elle, mais il n'y avait pas d'agressivité dans son regard. L'elfe resta quelques secondes interdite alors que Yearius l'étreignait et que ses émotions refoulées ressurgissaient, comme si un barrage se brisait et laissait les eaux tout emporter sur leur passage. Sa tante prit dans ses bras ce garçon qui était maintenant plus grand qu'elle, et caressa doucement ses cheveux dorés jusqu'à ce qu'il soit calmé. Il finit par s'excuser et à accepter la décision de sa tante, avec regret cependant, d'après ce que Lùthien percevait.

- Je sais que la situation n'est pas facile pour toi... Dit-elle en essuyant les quelques larmes qui restaient sur les joues du demi-ange. Si c'est ce dont tu as besoin, je peux prendre le temps de t'expliquer chacune décisions que j'ai prises. J'ai fait les choix qui me semblaient les meilleurs, j'essaye de ne pas reproduire les erreurs que j'ai faites... J'en ferais peut-être d'autres, seul l'avenir nous le dira. Mais... oui, je veux ce qui est le mieux pour Targatt... et je veux aussi ce qui est le mieux pour toi. Je ne serais jamais ton ennemie.

L'image des épées des paladins pointée vers elle un peu plus tôt traversèrent l'esprit de la reine. Elle avait bien failli le devenir, dans l'esprit de son neveu en tout cas.

- Tu as peut-être cru que je me détournait de la lumière... Mais si je perds vraiment mon chemin, tu l'as dit, ce sera écrit sur ma peau... Si jamais ce jour arrive, demain ou dans des siècles, s'il te plaît Yearius, si tu te soucies encore de mon âme, baisses ton épée et aides moi à retrouver la voie de Nanrak.

Les mots de Lùthien, déterminés et sincères, avaient presque la gravité d'un testament. Elle reprit lentement.

- Il y a plusieurs conceptions du bien, et plusieurs manière de servir la lumière. Certains chemins sont plus simples à comprendre que d'autres. Je suis sûre que tu trouveras le tien. Je te parles de cela aussi parce que... depuis que j'ai eu vent de tes activités dans le cercle, je m'inquiètes pour toi. Je ne sais pas vraiment les circonstances qui ont mené à ces exécutions mais... Je tenais à te dire que ce n'est pas parce que tu es un soldat que tu dois être un bourreau.

Yearius avait honte d'avoir éclaté en sanglot et de s'être jeté dans les bras de sa tante de cette façon, mais pour une fois il avait cédé. Il sentait qu'il était devenu un adulte, beaucoup trop vite. Beaucoup trop rapidement. Sa mère l'ignorait, car elle était occupée ailleurs et même s'il souriait en prétendant que cette femme qui l'avait élevé depuis le berceau avait le droit au bonheur, voir qu'il avait été délaissé de la sorte au profit de cette nouvelle relation avec un sorcier lui faisait mal. Mais comme d'habitude, il avait préféré tout prendre sur ses épaules et faire taire ses véritables sentiments. Il ne sentait pas qu'il avait le droit de lui reprocher son attitude et malgré son âge, il avait choisi d'agir en adulte. Il n'avait même pas l'âge d'être majeur en Targatt et pourtant il était déjà fiancé et il commandait un ordre de chevalerie. Peu de personnes de son âge auraient pu rester parfaitement calmes tout en prenant d'aussi grandes responsabilités. Yearius ne faisait pas exception à cette règle.

Il se calma finalement après quelques minutes de larme et sa tante lui sourit aimablement en essayant les larmes restantes sur son visage avec une certaine tendresse, comme lorsqu'il était encore un enfant. Il songea alors que Luthien devait encore le voir comme un enfant. Après tout, chez les elfes, on ne devenait réellement un adulte qu'à ses 200 ans. Avant cela, on était un gamin aux yeux de cette race immortelle qui avait vécu bien des guerres par le passé. Il comprenait en un sens les réactions de Luthien qui le traitait encore de cette façon, mais il voulait être traité comme un adulte. Ou pas. C'était là tout le problème. Yearius était fier de ce qu'il était devenu, mais son passé comme simple étudiant sans histoire lui manquait un peu. Au fond de lui, une partie de son être rêvait d'un endroit tranquille ou il pourrait élever une famille et vivre simplement, sans avoir à se consacrer à cette quête de lumière. C'était sans doute égoïste, mais qui ne rêvait pas un jour de voir toutes ses responsabilités s'évaporer ?

-Je sais que tu veux ce qu'il y a de mieux Luthien... Pour moi, comme pour la cité. Mais c'est difficile à accepter... Accepter de savoir que ceux qui ont fait tant de mal vont pouvoir vivre paisiblement au nom de cette paix que tu chéris tant.

Il n'avait pas été impoli ou insultant, mais il ne souhaitait pas lui mentir. Il n'apprécierait jamais tous ceux qu'elle avait nommés et laissés tranquille. Il se tiendrait sans doute loin d'eux et ne leur parlerait qu'en cas de besoin. Voilà ce qu'il ferait. Il se détendit encore un peu en soupirant, sentant la tension finalement quitter son corps. Il reprit place sur le bloc de calcaire en faisant disparaître ses ailes et en adoptant une position plus confortable. Mais avant de quitter les bras rassurants de sa tante, il murmura.

-Je préférais mourir que de savoir que j'ai été incapable de t'empêcher de sombrer.

Voilà. Maintenant que c'était dit, Yearius se sentait plus serein. Plus calme. Comme quoi, il suffisait peut-être de discuter calmement pour que chacun reconnaisse ses erreurs. Ses fautes et pardonne. En tout cas, Yearius avait envie d'aller de l'avant avec Luthien et de l'aider à reconstruire Targatt. Cependant, elle devait encore accepter de laisser une place aux paladins pour cela. Yearius refusait que l'ordre redevienne un simple symbole parmi d'autres comme avant. Il ne voulait pas que les paladins deviennent de vulgaires soldats comme les protecteurs. Il voulait aider Luthien, mais pas en faisant n'importe quoi. Et non pas comme de vulgaires pions du gouvernement. Alors que Luthien reprenait la parole pour lui confier ses craintes, le visage de Yearius s'assombrit.

Est-ce qu'il aimait tuer? Non, bien sûr que non. Il détestait cela et l'évitait lorsque c'était possible. Mais parfois, la mort d'un individu était la meilleure solution. Il était capable de pardonner à un voleur qui avait agi pour se nourrir, mais pas à une race maléfique ou à un sorcier qui agissait par plaisir ou simplement par appât du gain. Certains êtres nocifs devaient être exterminés pour le bien de Targatt et les paladins étaient présents pour cette raison dans le cercle. Ils étaient présents pour ramener l'ordre et envoyer un message à tous les rapaces qui profitait de la misère pour ce faire de l'argent. La lumière revenait en Targatt et ses ennemies seraient punies.

-Non, ma tante. Je déteste tuer et j'ai mal aux coeurs en repensant à tous ceux que j'ai transpercés de ma lame. Mais je ne puis pas laisser des êtres maléfiques parcourir la cité à leur aise en profitant de la misère et de la faiblesse pour accroire leurs pouvoirs. C'est impossible. Dans le cercle, actuellement, je suis à la fois juge, jury et bourreau. Ça ne me plait pas, mais puisque les pouvoirs en place sont incapables de protéger ses gens, je me dois de le faire. En attendant que les protecteurs puissent revenir et surtout, regagne l'estime du peuple qu'ils ont perdu. Tu comprendras que ses gens ont presque tous perdu des gens, que ce soit à cause des démons ou des protecteurs eux même. Ils ne comprennent pas qu'ils ont agi en suivant les ordres. Alors beaucoup réagiraient avec violence en voyant des soldats de Targatt ou de la grande armée revenir dans le cercle. Du moins, pour l'instant.

Il soupira une nouvelle fois en regardant sa tante dans les yeux. Son travail n'était pas facile, elle avait hérité d'une cité au bord de l'implosion qui se relevait encore difficilement de la récente guerre contre les démons. Tous les puissants en avaient profité pour se positionner, mais le peuple était comme toujours perdant aux finals. Il secoua doucement la tête et il ajouta, pour finir.

-Nous sommes des guérisseurs, des chasseurs de mage noir et des chevaliers. C'est ce que nous sommes, tous ceux qui m'ont suivi ainsi que moi-même. À toi de voir si tu souhaites nous avoir à tes côtés pour la suite. Lorsque les pouvoirs en place pourront reprendre le cercle, je partirais. Lorsque ce sera le cas, pourquoi ne pas travailler ensemble? Les protecteurs, s'ils sont bien encadrés, pourront faire un bon travail et assurer la protection de la population dans son ensemble. Mais lorsqu'ils tombent sur des cas un peu trop épineux, des cas qui relèvent d'une puissance qui les dépasse ou d'une magie noire, tu n'auras qu'à faire appel à nous. Qu'en dis-tu? Les paladins seraient à ton service et tu pourras nous considérer comme une sorte d'unité spéciale. Les protecteurs continuent d'assurer la loi normalement et lorsqu'ils tombent sur un cas un peu trop épineux pour eux ou sur un mage trop puissant, ou même versé dans les arts obscurs, nous serons là. Qu'en dis-tu, Luthien?

Pour donner plus de poids à ses paroles, Yearius usa de sa magie liée à la lumière pour faire apparaître devant Luthien l'image d'un ange immense avec plusieurs paires d'ailes dans son dos. L’apparition semblait porter un casque cachant son visage et porter un marteau de juge à la main et une épée dans l'autre. La créature de lumière, même si elle était fictive et immobile, inspirait tout de même le respect. Luthien s'en doutait peut-être, mais Yearius avait fait apparaître l'image la plus claire qu'il avait de son père biologique. Luthien ne devait pas oublier qui il était et la raison pour laquelle il se battait. Qu'elle déteste les anges, ou qu'elle les adore, elles ne pouvaient nier que ses créatures étaient liées aux biens et à la lumière. En aucun cas, Yearius, qui descendait de l'un des anges les plus puissants de ce monde, ne ferait volontairement le mal ou n'agirait que dans son propre intérêt.  

Lùthien savait que la situation était difficile à accepter pour Yearius, mais il semblait enfin comprendre que certains choix étaient nécessaires, et il lui montrait qu'il souhaitait la soutenir. Le rôle d'unité spéciale pour les paladins pouvait convenir à la reine. Yearius avait changé si souvent d'avis ces derniers temps qu'elle n'était pas sûre qu'il ne propose pas quelque chose de différent plus tard. Mais elle lui montra tout de même qu'elle approuvait cette idée là.

- D'accord.

L'image de l'ange se trouvait entre eux. Lùthien savait que Yearius vivait dans l'ombre irradiante de son père, l'Archange de la Justice. Pour elle, la place des anges était au paradis comme la place des démons était en enfer, même si elle se considérait plutôt comme associée à leur lumière. Elle remarqua que la figure céleste générée avait pris les traits de Raguel... Le sang et la lumière de cet ange coulait dans les veines de Yearius, mais pouvait-il se dire père alors qu'il n'avait jamais été là pour élever son fils ? L'image de ce père, et la mission qu'il lui avait confié devaient être importantes pour le demi-ange, mais Lùthien ne comptait pas les mettre entre elle et lui. Comme pour montrer cette intention, elle passa le bras à travers l'illusion de lumière et tendit la main au paladin pour serrer la sienne et sceller leur entente.

- Peut-être que l'ordre a besoin d'une certaine indépendance par rapport au gouvernement... ou peut être que c'est toi qui en a besoin vis-à-vis de moi et Saéline... J'accepte ta décision quelle qu'en soit la raison. Peut-être aussi que tu as besoin de trouver par toi-même la voie qui est la tienne, celle que ton père voulait pour toi... ou une autre.

Il était important pour Lùthien de suggérer à Yearius que même s'il était à moitié ange, il gardait aussi un peu prise sur sa vie. En tant que descendante d'elfes aussi vieux que les anges eux-mêmes, sinon plus, la reine connaissait le poids écrasant de la volonté de ceux qui connaissaient les arcanes du monde. Mais elle savait aussi qu'on pouvait négocier en partie son destin.

- Sache que si tu as besoin, je suis là pour en parler.

Lùthien baissa un peu la tête.

-  Yearius... je crois aussi que si je voulais te garder à mes côtés au palais c'est parce que... Tu es aujourd'hui ce que j'ai de plus proche d'un fils... et... J'avais choisi de ne pas refonder de famille parce que j'avais trop peur de la perdre à nouveau. Mais, sans m'en rendre compte je me suis attachée à toi... plus que je ne l'aurais cru. Je crois que c'est aussi pour ça que j'avais envie que tu participe plus directement à mon règne... C'est peut-être trop tôt pour toi en fin de compte, ou bien ce n'est pas vraiment ce que tu veux. Mais...  Quand les traîtres reposeront dans leurs tombes et que tout sera oublié, quand nous verrons Targatt glorieuse à nouveau et que du haut d'un siècle, nous pourrons contempler ce que nous aurons construit... Ce jour là, j'aimerais que tu sois avec moi, Yearius.

Lùthien regardait son neveu d'un air un peu triste, parce qu'alors il aurait sûrement perdu celle qu'il aimait aujourd'hui.

- Mais, c'est à toi de décider... Et puis, je sais que tout cela est lointain pour toi. Alors revenons à maintenant.

Ce fut au tour de la reine d'user de magie pour illustrer ses propos. Elle s'assit en tailleur à même le sol et fit émerger de la terre une version miniature de la cité de Targatt qu'elle contempla un moment.

- Les vrais coupables sont morts aujourd'hui pour la plupart... ceux qui restent sont les opportunistes qui se sont engouffrés dans leurs sillages. Je ne travaille avec eux que par nécessité, parce que je me soucie du peuple de Targatt et je veux leur épargner les querelles des puissants dont ils n'ont que faire...

La populace avait besoin de sécurité et du retour de l'ordre dans les quartiers, mais la était de mise vis à vis des autorités publiques. Pour avoir été protectrice pendant des dizaines d'années, Lùthien connaissait bien le cercle et ses rouages, mais elle n'avait pas été sur le terrain depuis longtemps.

- Tu as raison en ce qui concernait la réputation des armées dans le cercle. Ces quartiers ont toujours été plus ou moins une zone de non-droit régie par ses propres règles. La garde n'y a jamais été très appréciée, mais c'est bien pire aujourd'hui... Cela fait longtemps que je n'y ai pas mis les pieds... donc j'aimerais avoir ton avis concernant la manière de ramener un peu d'ordre. Nous avons perdu tellement d'effectifs avec les guerres qu'il va falloir recruter et former massivement. Je me disais que cela aurait du sens de former les habitants du cercle eux-mêmes plutôt que de leur imposer des patrouilles de jeunes bourgeois fraîchement diplômés... mais cela prendra du temps de former des forces fiables. En attendant, je dispose d'un détachement de 500 soldats de la Grande Armée. Etant donné qu'ils ont tout de même défait les démons à nos portes, j'espère que leur réputation en a été un peu redorée... Mais si la situation est aussi tendue que tu le dis, ce sera délicat de les faire intervenir directement...

Yearius avait plongé son regard dans celui de la reine en souriant légèrement. Il était soulagé de s'être vidé le cœur et de pouvoir enfin s'exprimer clairement. Luthien aussi semblait soulagé de savoir que cette querelle avec son neveu était terminée. Au final, tout ceci n'avait été qu'une question de malentendu. Maintenant qu'ils avaient réussi à se parler calmement sans devoir protéger leurs positions respectives, ils pouvaient espérer arriver à un compromis. D'ailleurs, malgré l'image de l'ange qui se trouvait devant elle, Luthien tendit la main en entendant sa proposition. Elle lui dit simplement qu'elle était d'accord et pour sceller leur nouvelle entente, Yearius fit disparaître l'image et sourit en serrant la main de sa tante. Il était heureux de pouvoir retrouver sa tante, non plus comme une potentielle ennemie, mais comme une membre importante de sa famille. Après tout, elle l'avait presque élevé au même titre que Saeline. Il n'avait jamais eu de père, mais il avait eu deux mères pour compenser.

Cependant, alors que le demi-ange s'approchait d'elle, Luthien lui avoua qu'elle avait surtout cherché à le garder près d'elle par... amour? En quelque sorte sans doute. Elle lui avouait qu'elle le voyait un peu comme un fils et malgré lui les joues du demi-ange rougirent, car au fond il pensait exactement la même chose. Il n'avait pas agi ainsi pour se rebeller contre Saeline et Luthien. Au contraire, il était malheureux de savoir que la relation avec les deux femmes qui l'avait élevé s'était dégradée à ce point. Sa tante lui en avait voulu et sa mère n'était sans doute pas en reste, ayant appris sa façon d'agir. Il serra délicatement la main de sa tante et sourit avec émotion.

-C'est pareil pour moi, Luthien. Tu as été... Comme une seconde mère pour moi. Et, lorsque ce moment viendra... Je serais à tes côtés. Je le suis déjà et je ne compte pas t'abandonner une seconde fois. Après tout. Je suis un peu ton fils.

Il sourit sincèrement et rigola de bon coeur en lâchant la main de sa tante. Il se sentait mieux, apaisé par ce qu'il venait de dire. Cependant, sa tante revint rapidement sur des sujets beaucoup moins joyeux. Notamment tous ceux que Yearius jugeait responsables des actes horribles perpétrés par l'ancien roi. Selon Luthien, tous les survivants n'étaient au final que des opportunistes s'étant engouffrés dans la brèche. C'était peut-être vrai. Mais pour Yearius, cela ne retirait en rien les crimes infâmes qu'ils avaient commis contre Targatt et ses habitants. Les laisser courir et gagner était un crime infâme. Mais... Au fond, il comprenait le souhait de sa tante. Il y avait eu assez de morts et elle ne voulait pas d'une nouvelle guerre civile. Elle voulait une paix durable pour la cité et malheureusement, pour ça, il devait y avoir des sacrifices. Le demi-ange détourna les yeux et serra les poings en grommelant.

-Si nous avions tué ces puissants lorsque l’occasion s'était présentée, nous n'en serions pas là... Il ne mérite pas tout ce qu'ils ont. Ce... Ce n'est pas juste pour leurs victimes!

Il garda la tête basse en essayant de contenir sa haine de tout ceux qui avaient ainsi joué avec la vie d’autrui par simple caprice et appât du gain. Peu de personnes aujourd'hui agissaient par simple bonté d'âme ou pour des convictions nobles. Non, la plupart se contentaient d'agir parce que c'était une façon pour eux de devenir puissant et important. Des rapaces qui étaient prêts à accepter n'importe quelle offre pour le simple plaisir de devenir enfin quelqu'un. Il ne pardonnerait jamais à ceux-là d'avoir abusé de la situation pour ce faire une place de choix, mais il finit par laisser tomber.

-Mais si c'est ce que tu veux... Soit. Mais je t'avertis Luthien. S'ils font un seul pas de travers, je ne retiendrais pas mes coups.

Maintenant que ce sujet de conversation était terminé, Luthien avait l'avis de Yearius sur la question. Il ne tenterait plus rien contre eux, par respect pour sa tante qui avait toujours eu de bonnes idées. Mais il ne permettrait aucun abus de leur part et la moindre infraction les conduirait à une mort certaine. Le demi-ange n'était pas un admirateur des tribunaux et autres instances de justices. Ces endroits étaient tout aussi corrompus que n'importe quelle administration de la cité. Il valait mieux pour tout le monde agir dans l'instant et punir sévèrement ceux qui le méritait.

Finalement, elle lui avoua ne pas connaître la situation du cercle et lui demander son avis. Yearius se crispa lorsqu'elle lui avoua vouloir faire intervenir des soldats de la grande armée en Targatt. Ne trouvait-elle pas que Wilhelmine en avait assez fait? Elle était partie de Targatt, ne pouvait-elle pas laisser la cité tranquille et s'occuper de ses propres affaires?! Il n'eut pas besoin de dire ce qu'il en pensait, la simple haine dans son regard en disait long sur son avis concernant la grande armée. Il ne pouvait même pas imaginer que ses soldats aux rabais puissent être d'une utilité quelconque dans la cité. Exception fait des ravages qu'ils causeront, des victimes innocentes et des violes qu'ils perpétreront. Non, il valait mieux laisser Targatt s'occuper de ses problèmes. Enfin, c'est ce qu'il aurait pensé avant. Mais rapidement, la haine quitta son regard et il ferma les yeux de longues secondes pour ce calmer. Méditer sur la situation et retrouver sa paix intérieur. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas méditer ainsi, mais il devait ce calmer et prendre du recule. Pour le bien de tous.

-Effectivement... Dans cette situation ses soldats te seront utile. Mais ne les gardes pas trop longtemps. Le temps que nous puissions redonner une force armée digne de ce nom à Targatt. Ensuite, nous devront nous débrouiller seul. Je ne crois pas que la vice-reine soit le genre de personne qui offre son aide gratuitement. Enfin, tu comprend ce que je veux dire...


Luthien devait être fière de lui. Après tout, il venait de montrer qu'il était capable de mettre sa haine et sa colère de coté, pour le bien de tout. N'était-ce pas une preuve qu'il n'était plus un enfant et qu'il était près à prendre ses responsabilités? Malgré sa rancune, sa presque mère avait raison. Il ne servait à rien de faire couler le sang et de déclarer une nouvelle guerre à la vice-reine. Cela ne servirait qu'à créé plus de haine et de rancune. Pour la première fois, il laissa la justice de coté pour prendre en compte le bonheur et le bien de tous. Parfois... Luthien avait sans doute raison. Il valait mieux laisser tomber la justice au profit de la paix.

-Malheureusement, je ne vois pas, non. Créer une milice pourrait donner le pouvoir aux mauvaises personnes et... pour recruter des protecteurs dans les populations les plus pauvres, il faudrait que la confiance revienne. Ce qui n'est pas gagné... Peut-être devrais-tu envoyer les protecteurs au moins dans le quartier pris par les paladins et tenter de regagner la confiance du peuple? Enfin, pour la situation actuel. Je crois que j'ai une idée. Les soldats de la grande armée pourraient ce rendre utile et, sous tes ordres, nettoyer la vermine du cercle et permettre à la loi et l'ordre de reprendre ses droits. Ça pourraient être une solution. Mais ils devront faire attention à ne pas faire de victime collatéral. Évitons de faire monter la grogne du peuple.

Son idée avait du bon et il sourit légèrement en songeant que pour une fois, Luthien serait sans doute fier de lui. Plutôt que de laisser ses émotions prendre le dessus, il avait analyser froidement la situation pour n'en retenir que le meilleur. Luthien avait dit vrai. Ce venger de la vice-reine ne conduirait qu'à plus de mort. Le pardon était sans doute la meilleure solution. Et il savait que sa propre mère approuverait cette voie. Il ne servait à rien d'encourager un nouveau massacre, sans un sens comme dans l'autre.

Lùthien soupira lorsque Yearius sembla s'emporter à nouveau. Oui, il y avait une part d'injustice en ce qui concernait les victimes des guerres civiles. Certes, il faudrait à un moment juger les crimes de guerres pour lesquels on disposait de preuves. Mais plus qu'une vengeance sanglante pour punir les coupable, la nouvelle reine aspirait à réparer le mal qui avait été fait, ressouder les familles, honorer les morts et refermer les blessures. Elle ajouta une dernière chose avant d'aborder la question du cercle.

- Yea... s'il te plait, ne fais rien sans m'en avertir. Je les garde à l'œil tu sais, et si faux pas il y a, ne doute pas que je serais la première à agir.

Comme elle s'y attendait, son neveu n'était pas ravi à l'idée de revoir les étendards de la Grande Armée à Targatt. Ils avaient tout deux une vision bien différente de la Grande Armée, Yearius avait vu les méfaits de soldats poussés dans une guerre civile, Lùthien avait vu les rangs disciplinés par les longs mois d'entraînement sous les ordres de Wilhelmine. La Vice-reine avait probablement veillé à montrer son armée sous son meilleur jour, mais Lùthien ne pouvait pas s'empêcher d'en avoir plutôt une bonne opinion, surtout après la victoire de cette même armée face aux infernaux. Heureusement, Yearius parvint à se raisonner cette fois, et à proposer un avis censé.

- Tu imagines bien que je ferais sans la Grande Armée si je le pouvais mais nous n'avons guère le choix. Je suis d'accord pour dire que cela ne doit pas trop durer, mais pas pour les raisons que tu avances. Wilhelmine a déjà trop obtenu de Targatt pour être en position de lui refuser une aide militaire. Le problème est plutôt que la Grande Armée est bien trop fidèle à sa fondatrice et qu'elle pourrait finir par se croire en terrain conquis.

Lùthien en profitait pour expliquer à Yearius les subtilités stratégiques de la situation, en espérant que ce serait ainsi qu'il finirait par s'assagir. Par ailleurs, elle hocha pensivement la tête en écoutant son avis sur le cercle? Yea n'était pas un grand stratège mais sa remarque relevait du bon sens et de la connaissance du terrain, c'était le genre d'avis qu'elle voulait entendre. Elle avait jusque là envisagé de faire intervenir la grande armée dans le cercle pendant que les protecteurs gardaient leur positions dans les quartiers aisés. Mais il était bien plus logique de ramener les protecteurs dans le cercle pour tenter de renouer une confiance qui pourrait persister par la suite.

- Pour ce qui est du cercle, oui, tu as raison, je peux placer une partie des soldats de la grande armée dans les quartiers intérieurs afin de détacher des protecteurs dans le cercle et reconstruire plus de proximité avec la population. Le reste des soldats pourra préparer le terrain pour le protectorat en cas de besoin d'une intervention plus... musclées disons.

Elle était rassurée de voir que son neveu était capable de réfléchir et de se montrer un peu plus raisonnable. L'elfe posa la main sur l'épaule de Yearius.

- Merci Yea... Tu as encore beaucoup à apprendre mais je suis déjà fière de ce que tu es devenu, tu sais ? Je suis sûre que nous ferons ensemble de belles choses pour cette cité.

Elle le prit encore une fois dans ses bras et soupira.

- Pour tout t'avouer, je suis un peu lasse de tout cela et j'aimerais aussi... juste passer un moment avec toi. Si tu veux bien...

Elle recula avec un petit sourire et invoqua son hippogriffe favoris, comme lorsqu'elle l'entraînait à utiliser au mieux ses ailes d'anges.

- Le premier au lac ?