Du sang et des larmes (PV Alexia) (TERMINÉ)

11 jours après le couronnement
Après un long entretien avec la reine, Sofia et moi avions été chargés de la gestion des blessés civils. Je me tenais devant l’équipe hétéroclite que nous étions parvenus à rassembler : nos disciples, cinq paladins, des guérisseurs civils dont Hellany Boscatelli et ses cinq apprentis, des élèves de dernière année de Sélion, quelques fonctionnaires pour gérer le rapatriement des blessés, et deux prêtres… pour les morts.
-          Tout d’abord je remercie chacun d’être ici. Certains sont volontaires, d’autres suivent les ordres qu’ils ont reçu, dans tous les cas votre présence est indispensable. Je suis Alecto Leckard et voici le docteur Sofia Esperanza Álvarez.
Je ne la présentais pas comme ma femme, après tout ce n’était pas une soirée mondaine, et elle était médecin avant d’être épouse.
-          Voici l’organisation à laquelle nous avons réfléchi : Sofia et son apprenti Gaëtan s’occuperont de la chirurgie lourde. Hellany, si tu es d’accord, Sofia aurait besoin de quelques-uns de tes apprentis pour les sutures, nettoyage du matériel, désinfection des plaies, suivi post opératoire, etc… Tu seras en charge avec les autres des blessures non mortelles, et tu auras l’aide des élèves de Sélion.
Hellany hocha la tête, elle avait de l’expérience, je savais qu’elle et ses apprentis seraient efficaces, ils n’avaient pas trop mal géré l’épisode des éthéristes. Et contrairement à moi, elle saurait rapidement parler aux étudiants pour les mettre en confiance.
-          Les paladins traiteront les cas les plus graves et se chargerons dans les moments calmes cas de corruptions, malédictions, etc… Maria vous aidera pour les diagnostics.
Maria était un vampire. Comme il faisait jour, elle portait un long manteau noir et son capuchon était rabattu sur son visage voilé de blanc. Même ses mains étaient gantées et ses yeux clairs étaient la seule partie visible de son corps. A force de travailler avec elle, j’en oubliais que mon apprentie semblait étrange pour la plupart des gens. Certains paladins la regardaient de travers… d’ailleurs certains semblaient mal à l’aise avec moi également… Je les ignorais et poursuivit.
-          Quant à moi, je serais en charge du triage des blessés, assisté par Ejaz le jour et Maria la nuit. Nous utiliserons un code de couleur : vert pour les cas qui peuvent attendre, jaune pour les blessures graves non mortelles, rouge pour les priorités et blessures mortelles, noir pour les morts et les cas désespérés.
Certaines figures virèrent du malaise à l’indignation. Foutus lumineux incapables de voir la vérité en face. La petite infirmière de l’académie aussi semblait choquée. Je continuais d’un ton ferme.
-          Je ne sais pas ce qui nous attends, mais il y aura très probablement des morts. Je suis conscient qu’aucun guérisseur n’aime perdre un patient… et nous feront tout pour que cela n’arrive pas, mais mieux vaut vous préparer à l’idée. Nous avons deux prêtres qui se chargeront du salut des âmes. Nous avons ordre de bruler les corps au cas où il y aurait des nécromants dans les rangs ennemis. Les crémations auront lieu dans la cour.
Je posais un regard calme sur l’assemblée.
-          Est-ce qu’il y a des objections, questions ou suggestions ? Si certains d’entre vous sont inquiets concernant mes compétences ou celle de ma disciple Maria, je serais également heureux de vous rassurer à ce sujet.

Alexia n'aimait pas être le centre de l'attention. La petite renarde préférait de loin être dans l'ombre de grande personne comme Marinn, agissant simplement, mais apaisant les corps et les esprits de ceux qui en avaient besoin. Aussi, lorsqu'on lui avait annoncé qu'un médecin bien plus compétent qu'elle prendrait le relais durant l'attaque, elle s'était sentie soulagée. Surtout en apprenant que ce médecin était Alecto Leckard. La douce renarde ne faisait pas attention aux rumeurs qui couraient sur ce médecin appartenant à la famille Leckard. Beaucoup prétendaient qu'il menait de sombres expériences, tout ça, car il appartenait à une famille à la réputation très sombre, mais rien n'avait jamais été prouvé. Ce qui était sûr en revanche, c'était qu'il avait la réputation d'être le meilleur médecin de la ville. Dans la situation actuelle, il serait un atout de taille pour l'académie qui allait bientôt se transformer en hôpital de fortune.

Alors que la réunion se terminait, la jeune renarde fronça légèrement les sourcils devant son appellation. Aucun cas n’était désespéré et il était de leur devoir de sauver tous ceux qui viendraient vers eux durant les conflits. Cependant, elle ne prononça aucun mot et laissa les différents membres de la nouvelle équipe médicale se disperser un peu partout. La jeune renarde s'approcha finalement du légendaire médecin, prenant son courage à deux mains pour lui adresser la parole. Elle ne s'était pas fait remarquer et portait les mêmes habits qu'à son habitude. Une longue robe bleu et blanche moulant légèrement ses formes, mais pas trop, pour ne pas être vulgaire. Elle s'arrêta à quelques pas du grand médecin et prononça, mal à l'aise.

-P...Pardonnez-moi, sir... Leckard. Où... Où souhaitez-vous me voir durant les soins au patient? J'ai... Enfin... J'ai cru avoir remarqué que... Que vous n'aviez pas nommé mon nom.

Elle rougit légèrement lorsque ce dernier se tourna vers elle, intimider par la présence de cette légende de la médecine. Elle serra légèrement ses mains derrière son dos, résistant à l'envie de tourner les talons pour avoir osé lui adresser la parole. Cependant, l'attaque sur la cité l'obligeait à mettre de côté sa gêne habituelle. Elle n'en restait pas moins l'infirmière de l'école. L'infirmerie lui appartenait en quelque sorte et elle n'avait pas l'intention de laisser Alecto l'écarter des blessés, même s'il était un grand médecin. Ce n'était pas parce qu'elle manquait de puissance qu'elle ne pouvait pas être utile.

-De plus, que voulez-vous dire par cas désespérer. S... Sauf votre respect, il n'existe que des solutions et les blessés... Enfin... comptent sur nous.

Elle avait parlé avec son coeur, refusant de voir des malades et des blessés abandonner sous prétexte que leur cas était trop dur à soigner. Elle avait étudié la médecine et les sorts de guérison pour pouvoir aider son prochain. Part pour écarter les cas un peu trop graves comme il semblait vouloir le faire.

Je me retournais pour voir la jeune infirmière de l'académie m'aborder timidement. Je lui rendit un sourire qui se voulait rassurant.
- Mademoiselle Oniarth, oui, je ne vous ai pas oubliée, c'est simplement que j'ignore où vous seriez la plus utile. Enfin, c'est votre infirmerie donc je compte déjà sur vous pour aider les autres à s'installer au mieux puisque vous connaissez les lieux et le matériel en réserve. Le directeur m'a également expliqué que vous contrôliez une partie de la magie de l'académie dans cette zone, pouvez-vous me dire comment cela fonctionne ? Cela pourrait être utile si nous avons des patients un peu... agités.
Par cet euphémisme je pensais à des cas de blessés atteints de corruption ou de domination mentale qui pouvaient facilement être un danger pour les médecins. Je prévoyais de gérer ces cas moi même, mais quelques renforts pouvaient être utiles.
- Pour votre affectation, et bien, tout dépend de là où vous êtes le plus à l'aise. J'ai vu que vous aviez fait du bon travail avec Caïn... même si vous manquez un peu de puissance et d'attention aux tissus...

 Je m'arrêtais un moment en songeant à mon neveu qui était seul quelque part dans un autre plan, je ne savais toujours pas si j'étais triste ou soulagé de le savoir là-bas.
- ... merci d'avoir pris soin de lui.
Je me repris rapidement et poursuivis comme si de rien était.
- Peut-être pouvez-vous me parler de vos autres qualités Alexia, vous avez une spécialité ?
Je répondis ensuite avec calme et pédagogie à sa dernière question.
- ...ce que je veux dire par cas désespéré ? Et bien par exemple, si vous soignez quelqu'un quand l'âme a été détruite ou qu'elle a déjà quitté le corps, cela ne sert pas à grand chose, à moins de vouloir faire de la nécromancie. La magie permet beaucoup de choses, mais tout a un prix. Vous connaissez le principe d'affliction n'est-ce pas ? Et bien je considère également qu'un cas est désespéré à partir du moment où les soins requis sont tels qu'ils pourraient mettre en danger la vie du soigneur. Imaginez un patient à qui on a arraché plusieurs membres ou bien qu'il manque des organes. Un débutant serait impuissant ou bien se viderait de toute son énergie en risquant sa propre vie. Un guérisseur expérimenté pourrait sans doute sauver ce patient sans subir de conséquences graves, cela demanderait cependant une énergie considérable qui aurait pu être autrement consacrée à sauver plusieurs autres personnes.
L'exemple était cru, mais c'était l'occasion de tester les nerfs de cette jeune guérisseuse pour voir où j'allais la placer.
- C'est évidemment un dilemme moral. Et je me réserve ces décision parce que je sais qu'elles sont difficiles à prendre pour la plupart des gens.

Alexia était légèrement intimidé par la prestance dégagée par l'homme devant elle. À vrai dire, il n'était pas si charismatique, mais les rumeurs autour de lui et sa réputation avait de quoi intimidait beaucoup de personnes. Cependant, elle ne put s'empêcher de souffler légèrement devant l'attitude douce du soigneur. Bon, elle ne se ferait pas engueuler et il l'avait même remercié pour avoir soigné Cain. Elle hocha légèrement la tête devant cette réponse, songeant malgré tout qu'elle avait simplement agi pour le bien d'un étudiant. Elle ne méritait certainement pas de se faire remercier pour si peu. Cependant, elle se crispa légèrement devant la remarque du médecin légendaire sur ses capacités. Oui, elle n'était pas aussi douée que beaucoup d'élèves qui finissaient leur étude à l'académie. Elle n'y pouvait rien, sa magie était ce qu'elle était. Elle faisait pourtant des efforts et s’entraînait dure pour gagner en efficacité. Malheureusement, depuis le départ de Saeline c'était plus compliqué pour elle de faire progresser ses compétences. D'ailleurs, elle n'en avait pas parlé à Marinn, mais elle avait promis à Saeline de s'occuper de sa grossesse et de son accouchement. C'était le moins qu'elle puisse faire pour cette femme.

Finalement, Alecto lui demanda ce qu'elle savait faire et ses spécialités. Ses joues se teintèrent de rouge alors qu'elle réfléchissait à sa réponse. Elle savait faire un peu de tout, Saeline l'avait bien formé aux arts magiques et le reste, elle l'avait apprise elle-même dans les livres. Certes, elle n'avait pas été formée par un grand guérisseur comme Alecto, mais elle se débrouillait tout de même. Aussi, elle répondit, d'un ton toujours hésitant.

-Et bien, je... Je maîtrise la magie de soin et je suis plutôt bonne pour apaiser les souffrances. Mes professeurs.... disaient de moi que j'étais la meilleure de ma classe dans cette discipline. Je... Je sais aussi créer des crèmes et... Et des potions de toutes sortes. Je peux aussi recoudre une blessure. Enfin. Je... Je sais être utile et j'apprends vite!

Elle avait soufflé la dernière phrase pour éviter qu'il ne la prenne pour une incompétente et qu'il l'écarte des soins à venir dans l'académie. Elle voulait aussi faire honneur à Marinn qui l'avait nommé à ce poste et lui avait fait confiance. Elle prenait son travail au sérieux et comptait bien le montrer. Malheureusement pour elle, lorsqu'il commença à parler de membre découpé et d'organe en moins, son visage blanchit légèrement alors que son regard s'agrandit de terreur. Pendant une seconde elle s'imaginait la scène et son regard s'humidifia sous le coup de l'émotion alors que sa respiration monta crescendo. Elle souffla, plus pour elle même que pour Alecto en serrant ses mains sûres fort que les jointures devinrent blanches.

-Je.... Je.... Je.... suis sûr que ça ne sera pas si grave. P...Personne ne mourra et nous rentrerons tous chez nous.... En un seul morceau.

Cette phrase avait des allures de supplique alors que la douce renarde était envahie par une tristesse et une terreur sans nom en imaginant la scène, si bien que des tremblements commencèrent à la parcourir. Ça devait être pathétique à voir, mais elle ne s'était jamais imaginé vivre une telle chose. Elle n'était qu'une enfant n'ayant jamais vécu la guerre, la famine ou la mort. Tout ça... C'était trop pour elle. Si bien qu'elle sentit lentement le monde autour d'elle d'obscurcir alors que le début d'un état de choc semblait s'abattre sur elle.

Cette infirmière avait certainement de la bonne volonté et des compétences dont nous avions évidemment besoin. Mais à peine évoquais-je des blessures graves qu'elle commença à paniquer. Je tirais une chaise alors qu'elle murmurait en essayant de se convaincre que tout allait bien se passer. Elle n'était pas loin de malaise, je la fis assoir avant qu'elle ne tombe et je lui parlais pour qu'elle ne perde pas conscience.
- Ca va aller Alexia, tout va bien se passer, d'accord ? Regardez moi, racontez-moi, qu'avez-vous fait ce matin ?
Je posais une main à la jointure de ses clavicules et l'autre sur son épaule tout en continuant à lui parler et à la regarder dans les yeux pour qu'elle pense à autre chose. Je ralentis son rythme cardiaque et sa respiration, régulait la pression dans ses veines et relaxais ses muscles pour qu'elle se calme. En général, réguler les symptômes physiques agissait également sur les émotions. J'attendis patiemment qu'elle retrouve ses esprits en la faisant parler de choses inintéressantes comme ce qu'elle avait mangé à midi. Quand elle eut retrouvé ses esprits, je pris une autre chaise pour m'asseoir en face d'elle et revint aux choses sérieuses. J'espérais qu'elle n'allait pas défaillir à nouveau.
- Désolé d'avoir été aussi brusque tout à l'heure, je suis tellement habitué à tout cela que j'en oublie à quel point cette situation est terrible. Je suis convaincu que vous seriez utile, mais vous n'êtes pas obligée de supporter les choses pour lesquelles vous n'êtes pas prête, vous comprenez ? Vous êtes sûrement compétente dans votre travail, mais il n'y a aucune honte à admettre que vous n'êtes pas faite pour la médecine de guerre. Si vous n'êtes pas sûre que vous tiendrez le coup, j'aimerais le savoir maintenant. Je dois connaître vos limites, et vous aussi.
En général un soigneur paniqué n'aidait pas beaucoup de monde, je ne pouvais pas me permettre de gérer une infirmière en même temps que les patients.
- Visiblement, vous n'êtes prête pour aller "au front" pour ainsi dire, pas de codes rouges pour vous. Pour commencer vous pourriez veiller à ce que nous ayons toujours des potions en stock et préparer celles en plus dont nous aurons besoin au fur et à mesure. Vous assisterez aussi Hellany sur les codes verts, et jaunes si elle juge que vous êtes à l'aise. Cela vous conviendrait ?

Alexia ne pouvait s'imaginer une situation plus dramatique que celle décrite par Alecto Leckard. Elle n'avait jamais connu la guerre, elle n'avait jamais connu de réel cas grave. Le peu de cas très grave qu'elle avait traité était en compagnie de Saeline. Et cette elfe avait un talent naturel pour soigner tout type de blessure. Ainsi, la jeune renarde n'avait jamais été confrontée à une situation comme celle-ci. Elle n'avait jamais imaginé pouvoir perdre des patients ou risquer la vie de ceux qui étaient blessés pendant cette guerre. Pourtant, au fond d'elle même elle le savait. La guerre était une horreur et il y aurait forcément des morts. Cependant, lorsqu'elle imaginait ses morts, elle revoyait une image terrifiante qui lui glaçait le sang. Elle revoyait cette nuit-là, dans la maison de sa mère. La douleur... Le sang... Ses images tourbillonnaient dans son esprit à une vitesse fulgurante, la faisant trembler comme une feuille et lui donnant la nausée. Elle se retenait à grande peine de ne pas rendre son déjeuner lorsqu'Alecto déposa doucement une main sur son épaule et la faisait asseoir. Trop troublée pour comprendre que ses questions avaient simplement pour but de la calmer, elle répondait comme un robot la voit encore trouble.

-J'ai.... J'ai... J'ai mangé une... Une salade pour déjeuner... puis j'ai préparé quel...ques potions. J'ai p... Préparé l'infirmerie pour les patients et j'ai pas...ssé une élève en examen. La petite Audrey, elle... Elle est charmante comme tout et elle s'inquiète pour son père qui.... travaille trop. Et...

finalement, à force de discuter de sujet qui étaient inintéressant pour le médecin, elle se calma lentement. Elle sentait ses muscles se détendre et sa respiration reprendre un rythme normal. Elle reprit doucement ses esprits et croisa le regard froid du docteur, comprenant qu'elle venait de perdre son sang froid devant celui que la reine avait désigné pour prendre en charge les blessés. Malgré la honte qui enserrait son coeur, elle se força à sourire légèrement en se levant lentement, prenant appui sur la chaise pour éviter de s'écrouler. Après une telle dose d'adrénaline, elle pouvait sentir la faiblesse s'emparer légèrement de ses membres et de son esprit.

-Je suis désolé, je.... Je ne sais pas ce qui m’a prise.

Elle se força à sourire en sachant très bien ce qui lui était arrivé. Étrange n'est-ce pas? Savoir que la personne qui avait la santé mentale des élèves entre les mains était probablement celle qui avait le plus besoin de voir ce genre de personne. Cependant, elle secoua légèrement la tête devant sa proposition. Au fond, elle savait qu'elle pourrait être utile. Elle devait juste parvenir à contrôler ses émotions pour ne pas céder devant les événements à suivre. Elle refusait de se voir confiner à des tâches de simple assistante alors qu'on lui avait confié la charge de l'infirmerie et la santé des élèves de l'académie.

-Je peux gérer les cas qui se présenteront à nous... Tous. Je sais que j'en suis capable et je.... Je ne peux pas rester à de simple tâche d'assistante. Je suis l’infirmière de cette école et je la défendrais et accomplirais mon devoir.

Alexia avait doucement levé la tête vers le docteur. Malgré son ton hésitant et timide, on pouvait lire la détermination dans son regard. Elle se refusait à baisser les bras et à laisser des événements du passé l'empêcher d'avancer. La guerre serait horrible pour tous, elle devait faire avec. Peut-être qu'elle grandirait ainsi et deviendrait à son tour une médecin reconnue.

Après ce qui venait de se produire, je n’étais pas vraiment convaincu qu’elle puisse affronter n’importe quelle situation. Je sondais le regard déterminé de la jeune infirmière en essayant de me rappeler de ma situation à son âge. J’avais été « simple assistant » pendant plus de cinq ans auprès de mon maître, il commençait juste à me laisser prendre en charge des patients... Puis il y avait eu ces campagnes isthumiennes et les champs de bataille. Je m’étais retrouvé à court de magie devant une jambe en charpie, et mon maître m’avait tendu une scie à amputer. J’avais déjà vu beaucoup de choses et je connaissais l’odeur du sang, mais quand les dents de la scie entamèrent l’os et que l’homme hurla, j’avais bien failli défaillir. J’avais fini et recousu d’une main tremblante avant de quitter la tente en courant. Sofia était venue me chercher le lendemain matin, elle qui avait travaillé toute la nuit sans faillir. J’avais honte, mais elle me montra l’homme que j’avais soigné la veille, et voir qu’il était toujours en vie m’avait redonné le courage de me remettre au travail. Peut-être qu’Alexia allait passer par cette phase, peut-être que c’était nécessaire… Je décidais de lui laisser une chance de faire ses preuves.  
-          Soit. C’est votre infirmerie. Si vous pensez avoir la trempe d’une médecin dites-moi le poste que vous voulez au lieu de me demander où j’aimerais vous voir travailler.
Tant qu’elle ne gênait personne et se rendait utile, elle pouvait bien faire ce qu’il lui plairait. Je me levais en frottant la barbe de mon menton.
-          Je vous laisse y réfléchir. En attendant, pourriez-vous me faire visiter les lieux et m’expliquer les pouvoirs que vous avez sur cette zone via la magie de l’Académie ?

Malgré sa détermination, le médecin ne semblait pas être convaincu par son plaidoyer. Qui pouvait lui en vouloir, elle avait presque perdu connaissance à la simple évocation de blessé grave qu'elle devrait peut-être abandonner. Cependant, elle ne voulait pas être reléguée au dernier plan sous prétexte qu'elle était un peu fragile. Elle avait étudié les arts médicaux dans le but de sauver des vies et d'aider tous ceux qui auraient besoin d'une main tendue. Ce monde était peut-être égoïste et elle n'avait aucune volonté de le changer. Mais elle ferait tout pour aider ceux qui réclament son aide. C'était sa philosophique. Certaines personnes pourraient dire qu'il s'agissait d'une philosophie puérile digne d'une enfant qui ne connaissait pas le monde, mais Alexia pensait surtout que le monde se porterait bien mieux si plus de personnes comme elle existaient.

Finalement, Alecto lui demanda un peu sèchement où elle voulait être finalement. Le ton de sa voix semblait indiquer qu'il perdait patience, ce qui eut pour effet de la tendre encore plus, faisant fondre sa confiance en elle comme neige au soleil. Elle hésita quelques secondes avant de souffler, d'une voix tremblante d'hésitation.

-Je... Je resterais à l'infirmerie pour soigner les élèves et les blessés qui demanderont une... Attention particulière. En cas de besoin, je p... Pourrais vous fournir ce dont vous avez besoin en termes de médicament.

Elle était toujours aussi douce et timide dans ses réponses, mais elle hocha lentement la tête devant sa question et se leva lentement pour lui montrer les différentes armoires de l'infirmerie. Elle n'allait certainement pas lui mentir sur les pouvoirs de l'aronde. Trop de choses étaient présentement en jeu pour se permettre d'être suspicieuse avec les potentielles alliées qui acceptaient de venir à l'académie.

-L'Aronade me permet de remplir toutes les armoires des médicaments dont j'ai besoin, s’ils sont de puissance faible ou modérer. Elle me permet aussi d'obtenir les ingrédients dont j'ai besoin d'une simple pensée. Je peux aussi modifier l'infirmerie à ma convenance et créer des boucliers autour de moi et de certains élèves en cas d'attaque... Même s'ils sont moins puissants que ceux du corps enseignant.

Alexia n'avait jamais comprise pourquoi le grade que l'on occupait dans l'académie déterminait la puissance des boucliers. Mais elle n'était pas directrice de l'établissement. Il y avait sans doute une raison parfaitement logique à cela. De toute façon, elle n'avait jamais été attaquée par qui que ce soit depuis qu'elle était devenue infirmière. Qui pourrait lui en vouloir avec tout ce qu'elle faisait pour cette école et ses élèves.

-Voulez-vous savoir... Autre chose?

Je ne voyais pas vraiment la différence entre le poste que j'avais proposé et celui qu'Alexia venait de me décrire, et puis je ne voyais pas bien ce qu'elle entendait par 'attention particulière'. Peu importait, je décidais de la laisser faire ce qu'elle imaginait. Mais c'était vrai, la timidité de cette petite infirmière m'exaspérait légèrement. Je songeais qu'il me fallait habituellement plus que cela pour me faire perdre mon flegme, mais ces dernières semaines avaient été éprouvantes. Je n'avais pas encore totalement récupéré de mon exil extra-planaire, j'avais dû négocier avec Alrost, discuter avec la reine et m'occuper des affaires de familles qui n'avaient rien de simple en ce moment. Pourtant, je devais réussir laisser tout cela de côté pour le moment et me concentrer sur le rôle que j'avais à jouer dans cette guerre. Il fallait que je tire le meilleur de chaque médecin que j'avais sous mes ordres, et j'avais visiblement un peu de chemin à faire pour mettre la demoiselle Oniarth en confiance. Au moins il y avait en elle une étincelle de détermination, c'était déjà ça.
Les pouvoirs qu'elle avait dans l'académie étaient intéressants. Je savais que l'infirmerie pouvait être modifiée et qu'elle avait probablement des boucliers, mais j'ignorais que l'Aronade lui donnait accès à des médicaments et ingrédients bruts, voilà qui attirait sérieusement mon attention. Je demandais à Alexia de m'excuser un instant et j'appelais l'une de mes disciples.
- Ejaz! 'ahdir li 'ashyayiy min fadlika!
Ejaz entra peu après dans l'infirmerie avec une caisse remplie de fioles, de grimoires, et de choses diverses qu'elle posa sur un lit. Sa peau matte la faisait souvent passer pour une istumienne, mais ses origines étaient plus au sud encore.
- Huna ya sayd. Lança-t-elle.
- Shukraan lika.
Ma disciple nous laissa après avoir salué Alexia d'un signe de tête. J'ouvris un de mes grimoires et recopiais une liste d'ingrédients. La plupart étaient difficiles à trouver, mais si l'aronade pouvait me les procurer, nous pourrions fabriquer un petit stock de potions majeures... Je tendis la liste à l'infirmière et j'essayais de me montrer plus agréable.
- On vous a confié un grand pouvoir Alexia et nous aurons vraiment besoin de vous pour l'utiliser. Pourriez-vous par exemple faire apparaître ces ingrédients là ?
Que nous ayons aussi des boucliers était une bonne chose, qu'ils soient entre les mains d'une jeune mage inexpérimentée l'était un peu moins. Je doutais cependant que le directeur accepte de m'en donner le contrôle, il ne me restait donc qu'à proposer un peu d'entraînement à Alexia. Peut-être que parvenir à arrêter quelques attaques finirait par allumer une petite flamme de courage en elle.
- Il est aussi possible que nous ayons besoin de ces boucliers à un moment ou à un autre. J'imagine que vous n'avez pas eu beaucoup d'occasions de les utiliser jusqu'ici...  Je peux vous aider si vous voulez vous entraîner à les contrôler.

Alexia avait apparemment réussi à convaincre Alecto en quelque sorte. Cependant, les choses n'allaient pas forcément s'arranger. La petite infirmière n'était pas très imposante et avait beaucoup de difficulté à s'affirmer en général. Elle ne manquait pas de talent et elle était une personne sensible à l'écoute des autres et de leur souffrance. Aussi, elle occupait parfaitement son rôle d'infirmière dans l'académie de Targatt. Son grand coeur, sa compassion et sa douceur étaient ainsi au service des jeunes étudiants qui venaient bien souvent la voir pour parler de problèmes de coeur, familial ou professionnel. Cependant, une jeune femme de son tempérament n'était pas une très bonne idée sur un champ de bataille. Surtout au milieu des cadavres que laisseront sans doute derrière eux les armées démoniaques qui déferleront bientôt sur la cité.

Malgré tout, Targatt avait besoin de tous les soigneurs disponibles et malgré son jeune âge ainsi que son manque de puissance, on ne pouvait nier le talent de la jeune renarde, surtout pour une personne de son jeune âge. Elle n'avait après tout que 21 ans. À cet âge, la plupart de ceux occupant sa profession ne sont que de simples apprentis. Malgré tout, elle avait tout de même insisté pour occuper une place centrale dans la guerre à venir. Elle voulait venir en aide à ceux qui en auraient besoin et surtout s'assurer que les autres médecins ne fassent pas n'importe quoi. Elle avait entendu trop de rumeurs sur des médecins dépouillant et profanant des cadavres, amputent et préférant laisser les mourants sur place, plutôt que de les traiter. Elle s'assurait que ce ne soit pas le cas.

Finalement, il changea de sujet après les révélations de la jeune femme sur les pouvoirs donnés par l'académie. Elle sursauta légèrement et regarda la femme qui semblait suivre ses ordres. Elle était étrangère, probablement d'un royaume du sud pour être exacte. Cependant, elle n'avait aucun préjugé et lui sourit gentiment, même si elle ne comprenait pas la langue étrange dont elle parlait. Elle aussi était une étrangère en quelque sorte, puisqu'elle était arrivée en Targatt à l'âge de 2 ans seulement. Elle chassa cependant rapidement ses pensées devant la liste d'ingrédients demandée. La plupart étaient rarissimes, mais elle pointa tout de même une armoire au fond de l'infirmerie.

-Certains ingrédients sont dans cette armoire, mais l'aronade ne permet que de faire apparaître des ingrédients communs. Désolé.

Elle baissa piteusement la tête, même si au final ce n'était pas de sa faute. De plus, les armoires étaient enchantées pour que les ingrédients ne s'altèrent jamais et se remplissent automatiquement d’ingrédient et d'objet commun. Il s'agissait déjà d'un formidable sortilège qui permettait à la jeune femme de ne manquer de rien en général. De plus, en cas de famine, elle pouvait tout à faire nourrir les habitants de l'académie grâce à certaines racine et plante particulièrement nutritive. Ce n'était pas particulièrement savoureux, mais au moins même en cas de siège personne ne mourrait de faim. Quant à sa deuxième question, elle secoua une nouvelle fois la tête.

-Le bouclier est conçu pour me protéger, moi. Il peut s'étendre à un ou deux élèves, mais pas à des civils. Vous devriez demander aux directeur et professeur de l'académie. Ils possèdent un bouclier bien plus puissant que le mien.

Au final, Alecto semblait s'être fait une fausse idée du pouvoir de l'aronade. Il avait été conçu pour donner des pouvoirs en fonction du poste occupé. Forcément, une infirmière n'en recevait que peu. Le bouclier, même concentré sur elle même, ne pouvait protéger que faiblement. Il était conçu pour se protéger des attaques d'un apprenti magicien. Un mage expérimenté en viendrait facilement à bout, alors que dire des démons qui pourrait attaquer l'académie. Après quelques secondes de silence, elle demanda d'un ton hésitant.

-Est-ce que je peux faire autre chose pour vous, sir Leckard?

Elle avait beaucoup à faire pour préparer l'infirmerie et pour être honnête, cette conversation commençait à lui donner un sérieux mal de tête. Elle se sentait surveillée et oppressée par cette personne qui semblait avoir des attentes qu'elle ne pouvait pas combler. D'ailleurs, l'idée fugace qu'il exige de Marinn qu'il lui cède l'infirmerie lui vint à l'esprit, mais elle la chassa aussitôt. Ça n'arriverait pas, Marinn ne lui ferait jamais ça... N'est-ce pas?

Voilà qu'après avoir peut-être sous-estimé cette petite infirmière, je me retrouvais à sur-estimer les pouvoirs qu'on lui avait confié. Je secouais la tête en riant de mon erreur.
- Ah, j'aurais du m'en douter ! Si l'académie pouvait se procurer tout cela aussi facilement, elle n'aurait guère besoin de faire payer les inscriptions ! N'est-ce pas ?
Je jetais rapidement un œil au contenu de l'armoire en réfléchissant tout haut.
- Nous avons déjà de la chance d'avoir tout cela sous la main, nous devrions pouvoir tout de même en faire quelque chose... régénération sanguine, cicatrisation rapide, anti-douleur, calmants, et autres... et puis si l'administration nous dédommage je peux toujours rapatrier une partie de nos stocks...
Je chassais de la main ces problèmes invisibles et me retournais vers Alexia.
- J'imagine que les professeurs auront d'autres chats à fouetter si nous sommes attaqués. Mais ne vous inquiétez pas pour notre défense, je m'en chargerais... et puis les paladins ne devraient pas être en reste non plus...
L'infirmière avait toujours l'air aussi intimidée par ma présence. Ce n'était pas si étonnant en soi, pour certains le simple nom des Leckard inspiraient la crainte. J'imaginais bien Brann en jouer, mais moi cela ne m'amusait pas vraiment. L'air pathétique de la jeune fille me faisait un peu pitié... je lui accordais la libération qu'elle avait l'air d'espérer.
- Ce sera tout, merci pour toutes ces informations Alexia. Si vous pouviez juste veiller dans les prochains jours à ce que chaque équipe ait un espace qui lui convient, ce serait parfait. Je vais m'installer dans la salle de recherche, si vous n'y voyez pas d'inconvénients.