La revanche de l'espoir

Mémoires d'Alecto Leckard, fragments
Nous étions quatre frères : Japet, Crios, Drake, et moi, Alecto. J'ai connu la mort assez jeune, celle de mes parents puis de mes deux premiers frères. Peut-être que côtoyer la faucheuse a fini par me donner envie de la combattre et à fait naître en moi ma vocation.
Mère est morte en couches en me donnant la vie. Père m'a toujours répété que je n'y était pour rien mais je crois en avoir gardé une culpabilité latente.
J'ai été élevé dans le strict respect des valeurs des Leckard : honneur, fierté, pouvoir, retenue, discipline... Mon éducation comportait les disciplines classiquement enseignées aux nobles, la lecture, écriture, les langues, l'histoire, l'escrime, plus quelques spécialités familiales plus occultes.
Vers mes 8 ans. Japet est tombé malade, je voulais comprendre ce qui lui arrivait, je voulais l'aider. Je savais lire depuis peu mais je déchiffrais chaque livre que je trouvais sur le corps humain, je posais des questions aux médecins et aux mages qui se succédaient à son chevet. C'étaient les meilleurs de Targatt mais aucun d'eux ne parvint à vaincre la maladie, trop magique pour les médecins, trop biologique pour les mages. Japet mourut en quelques semaines.  N'ayant jamais connu Mère, la mort était restée pour moi un concept abstrait. Avec Japet, je compris. Je vis le corps inerte, la veillée funèbre, les pleurs, je sentis son absence.
J'étais trop jeune pour pratiquer la magie mais Père m'autorisait à regarder Drake et Crios s'entraîner. Un jour ils m'emmenèrent dans les sous-sols. Ils avaient prévu de s'entraîner à la nécromancie et comptaient me donner la frousse de ma vie au passage. Il est vrai que j'ai été tétanisé quand j'ai vu un des cadavres se lever. Mais étrangement, la peur céda rapidement la place à la curiosité, voir à une certaine fascination. Une idée émergea dans mon esprit.

- Est-ce que je peux étudier les morts ? Voir ce qu'il y a dedans ? Demandais-je.

Mes frères étaient surpris, mais ils haussèrent les épaules et me laissèrent faire et mener mes expériences à chaque fois que nous descendions dans les caves. Ils s'amusaient juste parfois à réveiller le cadavre que je m'appliquais à disséquer.
Père est tombé malade lui aussi et, progressivement, il a commencé à perdre l'esprit, il ne nous reconnaissait plus vraiment. J'avais 11 ans, il m'appelait parfois Japet, j'avais alors l'impression d'être un fantôme... Un soir, dans un éclair de lucidité, il nous a demandé de mettre fin à ses jours. Drake était pour, Crios était contre, je pensais naïvement que nous allions trouver une solution ensemble. Le lendemain, Père était mort. Crios a accusé Drake d'avoir tué père et l'a provoqué en duel. Je ne voulais pas que mes frères se battent, je ne voulais pas perdre l'un d'eux.  Je n'avais que 11 ans mais je voulais arrêter Crios, raisonner Drake... au moins les empêcher de se battre à mort. Je n'ai pas pu, on m'a enfermé seul dans ma chambre d'où je ne pouvais voir ce qui se passait. J'ai essayé de forcer la serrure et même tenté des formules magiques que je ne maîtrisait pas... je ne récoltais que des brûlures sur mes doigts. De longues heures s'écoulèrent pendant lesquelles je restais assis dans un coin. Quand la porte s'ouvrit enfin, je vis se dessiner la haute stature de Drake, vêtu de noir. Crios était mort. J'étais déchiré entre la joie de voir ce frère en vie et la souffrance de savoir l'autre mort, et je ne savais vers lequel des deux tourner ma colère. Drake s'approcha et je levais vers lui mon regard perdu.

- Pourquoi ? Pourquoi devait-il mourir ? demandais-je sur un ton de reproche.

Alecto... Me répondit Drake sans prendre la peine de se mettre à ma hauteur. Crios est mort parce qu'il n'a pas réfléchi et parce qu'il était le plus faible de nous deux, c'est tout. Je ne l'ai pas forcé à se battre... Le destin voulait que ce soit moi qui guide cette famille, et je te promet que personne ne servira mieux les Leckard que moi. Maintenant, change toi et tiens toi bien, toute la famille est déjà là.
Comme un zombi, je laissait le valet de chambre me vêtir en habit de deuil. Puis nous rejoignîmes la veillée funèbre pour prendre nos place dans la pièce feutrée remplie de candélabres où reposait maintenant Crios à côté de Père. Sous le regard lourd de Drake, je n'osais pas pleurer.
Après ces événements, ma relation avec Drake changea. Il n'était plus vraiment mon frère, il était le patriarche désormais. Il agissait avec moi comme l'aurait fait Père avant lui. Il s'assurait que j'étais bien éduqué, me donnait les meilleurs précepteurs, mais je le voyais peu. Son nouveau rôle l'occupait souvent, et je guettais la moindre attention qu'il m'accordait. Je grandissait dans son ombre, j'admirais son charisme et son autorité, j'étais fasciné par ses pouvoir grandissants. J'endurais sans broncher l'entraînement sévère qu'il m'imposait en espérant un jour marcher dans ses pas. Mais chaque nouveau jour me montrait que je n'en serais probablement jamais capable. Je me souviens m'être dis un jour que si j'avais été l'ainé de Drake, le destin m'aurait probablement supprimé, comme les autres car j'étais faible.
L'entrée à l'académie fut pour moi salutaire. J'aurais probablement passé toute ma vie à espérer voir dans le regard de Drake une lueur d'intérêt pour moi, ou je me serais résigné à être le plus inutile des Leckard. La bibliothèque m'offrit l'opportunité de replonger dans le sujet qui m'attirait depuis longtemps : le corps humain et les subtiles mécanismes qui tracent la frontière entre la vie et la mort. Si je suivais principalement les cours de magie noire et de magie élémentaire, disciplines pour laquelle j'avais des affinités naturelle, je me mis à suivre certains cours de magie blanche, pour les cours de soins notamment. Je découvris à cette époque que mon nom engendrait respect, crainte ou méfiance selon les individus. Mais je n'étais pas solitaire et en relations avec les autres j'appris à montrer qui j'étais au delà de mon nom.
Un jour, un mage guérisseur spécialisé dans la magie organique fut invité à l'académie : Abu Ejaz Hakim ben Abd As-Slam al-Shykh, Maître Hakim, père d'Ejaz et fils de Abd As-Slam. Il donna un cours exceptionnel auquel j'assistais. A la fin du cours, une des apprenties du mage nommée Sophia vint me parler, elle me dit que j'étais doué et que je devrais demander au Maître de devenir son élève.
Cette éventualité ne m'avait pas effleuré l'esprit, je n'avais alors pas assez d'ambition. Mais au moment où elle me suggéra l'idée, cela devint une évidence. Les encouragements de Sofia m'aidèrent à trouver le courage de faire ma demande au maître. A ma grande surprise, il accepta immédiatement, il avait probablement observé chacun des étudiants pendant le cours. Ainsi, j'avais rencontré le même jour celui qui allait me mener à ma vocation de soigneur et celle qui allait bien plus tard devenir ma femme.
Avant de partir avec mon nouveau maître, je devais cependant obtenir l'accord de Drake. Ce ne fut pas facile, et Maître Hakim vint en personne négocier avec le patriarche des Leckard. Drake me donna dix ans pour achever mon apprentissage, après quoi je devais revenir à Targatt et mon devoir envers la famille primerais à nouveau sur celui envers mon maître.
Hakim travaillait de manière itinérante, nous intervenions dans les hôpitaux, sur les champs de batailles, dans les campagnes, chez les rois... chacun nous payait à l'aune de sa reconnaissance. Elevé dans un carcan élitiste valorisant l'ascension personnelle, je découvrais dans ce métier le plaisir de rendre service à autrui. Le seul domaine dans lequel j’aspirai à m'élever était celui de la connaissance et j'appris autant que je pu, comme une éponge : médecine de guerre, chirurgie, pathologies magiques et physiques
Sophia et moi travaillions souvent ensemble, nous devinrent proches, amoureux. Hakim nous maria dans le désert du Ténénré. La vie continua quelques temps dans notre petite troupe, Sophia donna naissance à notre fille Tryanna. Puis un jour vint le temps de retourner à Targatt. Hakim et moi avions donné notre parole à Drake, je ne pouvais parjurer. Et puis je commençais à avoir le mal du pays et à 7 ans, il était temps que Tryanna commence à recevoir une vraie éducation. Sophia aurait préféré rester avec notre maître, je parvins à la convaincre... Plus tard, je me demanderais souvent si j'avais eu tord de prendre cette décision.
Retrouver ma ville et ma famille me toucha plus que ce que j'avais imaginé. Les enfants de Drake avaient bien grandit et je me réjouissait en pensant que ne serais maintenant plus l'oncle lointain dont ils oubliaient régulièrement l'existence. Tryanna pourrait maintenant aussi avoir une famille. Sophia et moi ouvrîmes un clinique non loin du manoir Leckard pour continuer à pratiquer notre métier. Mon nom n'aidaient pas vraiment à attirer la clientèle. Mais nos compétences finirent par être reconnues. Les gens de Targatt vinrent nous consulter et je fraternisais avec les autres soigneurs de la cité. Quand à Drake, il sembla accepter celui que j'étais devenu puisqu'il me fit par la suite admettre au sein des Grées, le conseil des principaux membres de la famille.
Sophia aurait voulu que notre fille partage notre vocation, mais Tryanna préférait passer son temps fourrée au manoir des Leckard pour s'entraîner avec les enfants et petits-enfants de Drake. Quand elle eut l'âge, elle choisit d'entrer au protectorat. Elle était forte et talentueuse, j'étais fier d'elle. Mais nous avions besoin de transmettre nos connaissances à la génération suivante et nous prîmes quelques disciples, dont la petite-fille de mon maître que je me devais d'accueillir comme une sœur.
Pendant des années, je me consacrais à mon métier et à ma famille. Je prenais soin d'eux, je soignais ceux qui en avaient besoin, je rendais service... J'essayais aussi à l'occasion de calmer les plus vindicatifs de mes cousins, mais je faisait confiance à Drake pour mener le navire. Quelque part, je devais continuer de croire naïvement que malgré sa violence, il faisait ce qu'il y avait de mieux pour nous, comme il me l'avais promis. Ou bien peut-être que toutes ces années il influençait subtilement mon esprit... je ne le saurais jamais.
Je n'ai pas vu son ambition grandir. Ou plutôt, tout s'est fait de manière progressive. A mesure qu'il avançait ses pions, il nous semblait de plus en plus évident que le pouvoir devait revenir aux Leckard et que Targatt s'en porterait mieux. Je ne pensais cependant pas qu'il irait aussi loin. Faire un coup d'état était une chose, le faciliter en faisant appel à des démons en était une autre. Il était allé trop loin. Je me retrouvais à remettre sur pieds son petit-fils Caïn victime de possession, à soigner les blessures de la maltraitance que Drake lui infligeait. Bien trop tard que je réalisais l'influence que mon frère avait pris sur Tryanna. Je tentais en vain de la convaincre de renoncer au poste de capitaine de la garde royale que Drake lui offrais. Je lui proposais de partir avec Sophia et moi, elle me traita de lâche.
Je ne supportais pas de rester les bras croisés devant l'établissement du régime Tyrannique de Drake. Comme les Leckard sont peu créatifs dans leurs manières de régler leurs problèmes, je pensais au meurtre. J'élaborais un virus mortel capable de stopper Drake. Ironiquement, c'est la maladie de Japet qui m'inspira cette arme, à moitié biologique, à moitié magique. Mais je ne parvins pas à passer à l'acte. Je ne pouvais me résoudre à assassiner mon dernier frère. Je tentais en vain de lui faire réaliser qu'il avait fait une erreur, il se contenta de m'ignorer. Alors par faiblesse, par amour, par principe, je me résignais à lui rester fidèle.
Comme le destin aime jouer des tours, le virus que j'avais créé à l'attention de Drake se retrouva dans le corps de son assassin Alrost, qui avait aussi tué ma fille dans une attaque visant à destituer mon frère.
Drake, étant mort, l'avenir de la famille reposait maintenant sur les épaules de notre jeune héritier Caïn. J'espérais pouvoir le guider vers un chemin différent de celui de son grand-père, mais je craignais qu'il ne suive déjà cette voie malgré lui. Après tout il avait déjà tué plusieurs membres de sa famille, son oncle et sa propre mère. Lors de la cérémonie d'initiation de Caïn, je n'avais pas bien compris ce qui s'était passé, rester conscient lors de la présence d'énergies démoniaques me demandais des efforts démesurés. On m'expliqua juste après que Caïn avait pris une forme astral et « fait brûlé sa traîtresse de mère devant son bâtard de petit frère ». J'étais horrifié, la dernière fille de Drake était déjà considérée comme morte par la plupart des membres de la famille, mais moi je voyais encore la petite fille qui courait en jupons dans les couloirs du manoir Leckard... Elle n'avait pas mérité ça, et son deuxième fils non plus. J’engageais immédiatement des hommes pour allez discrètement récupérer le petit frère, s'il était encore en vie, et le ramener sur un petit domaine agricole que je possédais.  Le gamin se nommait Abel, il avait de graves brûlures mais il était en vie. Je le soignais, le rassurais sur sa propre sécurité, et répondit à ses questions sur ce qui s'était passé. Je lui dit que c'était le démon qui habitait son frère Caïn qui avait tué sa mère. C'était une demi-vérité, mais après tout c'était bien le sang démoniaque des Leckard qui provoquait chez Caïn de tels débordements de violence. En rentrant à Targatt, je me demandais si le feu qui brûlait dans le sang de notre lignée pourrait un jour s'éteindre.

Alecto est un homme assez grand, bien que plus petit que son frère Drake, et d'une carrure respectable. C'est quelqu'un de discret et patient, qui sait nuancer sa présence selon les circonstances. Il sait se faire oublier, comme doit le faire un médecin qui pénètre dans le foyer de son patient. Il porte des vêtements sobres mais de qualité, ses cheveux grisonnants coupés courts et sa barbe parfaitement taillée, un style plutôt classique. De loin, on pourrait le prendre pour quelqu'un de banal, une personne simple, calme, aux yeux doux et parfois un peu tristes. Mais c'est dans les relations humaines que la présence d'Alecto se révèle. Quand on vient lui demander conseil, sa voix posée rassure, son sourire sincère et bienveillant inspire confiance. Quand il travaille, chacun de ses ordres et se ses gestes sont sûrs et précis, son regard se fait perçant et sa concentration reflète l'étendue de ses connaissances. C'est face au défi que son regard ocres se met à scintiller.

Une personne ignorant qu'Alecto est issu de la lignée des Leckard le décrira de prime abord comme un homme avenant quoiqu'un peu discret, respectant les convenances, faisant attention aux autres, ayant une conversation charmante et un agréable soupçon d'humour. Ceux qui savent qu'il est un membre des Leckard s'imaginent souvent que ce comportement cache un piège ou une forme de manipulation. En général, Alecto ne s'en offusque pas et s'efforce de rester lui-même. Après tout la mauvaise réputation des Leckard a quelque fondement, la plupart d'entre eux ont de sombres tendances dues à de lointaines origines démoniaques.

Toutefois Alecto tranche par sa gentillesse et son regard tourné vers les autres, des qualités acquises en dehors de la famille mais qu'il essaye tant bien que mal de transmettre aux Leckard, à qui il reste dévoué malgré sa différence. Si la plupart des gens de sa famille le perçoivent comme un faible, il viennent tout de même chercher auprès de lui de la bienveillance, de la sagesse, et même parfois du réconfort. Alecto n'est pas exempt des traits de sa lignée, il ressent comme les autres des émotions violentes et des pulsions inavouables mais il est parvenu à les canaliser à travers son métier, il combat la maladie et la mort chaque jour comme il combat les tendances de son sang. Mais quand sa fascination pour la mort l'emporte, il s'enferme dans son laboratoire pour s'adonner à des expérimentations étranges ou mortelles sur des rats, des cadavres, voire des morts-vivants. Mais il s'interdit de nuire à tout être humain, en respect du serment d'Hippocrates qu'il a prêté en devenant le disciple du médecin Hakim. Son expérience de soigneur l'a amené à développer un sang-froid à toute épreuve et il est capable de garder des réactions mesurées et réfléchies dans les situations les plus critiques.

Les récents événements mettent cependant Alecto à l'épreuve. Il doit faire face à un triple deuil, celui de son frère Drake Leckard, tyran et ancien Roi, de son  neveu Ladon, et de sa propre fille Tryana, tous tués par Alrost et Adhil. Une colère a faire saigner ses gencives appelle en lui la vengeance. Mais une autre part de lui souhaite la fin des cercles vicieux qui entretiennent la violence des Leckard. Il considère le sang démoniaque comme une sorte de malédiction qui confère la puissance mais pousse à l'autodestruction de sa famille. Il aimerait que les Leckard quittent la voie des ténèbres, et cessent d'être perçus comme des monstres. A commencer par Cain, le nouveau chef de famille, qu'Alecto espère guider afin qu'il ouvre un nouvel avenir aux Leckard.

Sophia: femme d'Alecto, elle maîtrise aussi bien que lui les magies de soin, mais excelle en chirurgie et herboristerie. Elle a la peau mate, de longs cheveux noirs bouclés et de grands yeux pairs. Sophia a le sang plus chaud qu'Alecto et s'emporte facilement.

Gaëtan : Disciple de Sophia, c'est un garçon discret spécialisé dans la magie reconstructrice.

Maria : Disciple d'Alecto, Maria est une vampire. De par sa nature, elle a essuyé de nombreux refus d'autres soigneurs avant d'être acceptée comme disciple par Alecto. Elle est spécialisée dans les rituels de soin, la lutte contre les malédictions et corruptions magiques.

Ejaz Ben Hakim : fille du maître Hakim, Ejaz est une femme fière et déterminée, elle porte cheveux les courts et de nombreux tatouages traditionnels. Elle est venue parfaire son apprentissage de guérisseuse à Targatt et se spécialise dans les sceaux et amulettes de protection.

William et Léonard : Deux jeunes frères diplômés de l'Académie avec des résultats moyens et cherchant un travail tranquille. Alecto et Sophia les ont embauché comme hommes à tout faire dans leur petite clinique. Ils assurent le transport des patients, la sécurité, le ménage. Ils ont une fâcheuse tendance à l'oisiveté, qu'ils compensent par une gentillesse naturelle.