Philosophie à la salle des professeurs [Flashback, terminé]

Lùthien avait accepté la charge de professeur en études des créatures et invocation, mais n'avait pas encore donné ses premiers cours. La préparation s'avérait plus compliquée que ce qu'elle imaginait, pratiquer une discipline est une chose, l'enseigner est une autre. Qui plus est, elle ne pouvait reproduire à l'Académie le type d'enseignement qu'elle avait elle-même reçu, les mortels n'auraient ni le temps ni la patience nécessaire, et puis chaque élève démontrera probablement une approche différente de la discipline... Elle s'évertuait donc à définir la pédagogie adéquate en lisant tout ce qui passait à sa portée.

Ce jour là, elle était installée dans la salle des professeurs sur une vaste table en bois massif. Devant elle s'étalait divers ouvrages tels que "Le manuel de l'invocateur", "Indroduction to the others realms", " Et creatores creaturae " et même "Les plans pour les néophytes"...  Ainsi que des serviettes en cuir remplies de feuillets et estampillées "études des créatures et invocation" qui contenait les archives de ses prédécesseurs.  C'était le début de l'automne et à travers les hautes fenêtres à carreaux on pouvait voir une pluie fine tomber sur la pelouse arborée du parc. Il faisait frais, Lùthien avait allumé un feu dans l'âtre de la grande cheminée de pierre et sirotait tranquillement du thé en parcourant les divers ouvrages. Le loup à la fourrure rousse, son familier Kyukon, venait de temps en temps fourrer son museau sous ses doigts en quête d'attention, et Lùthien le grattait distraitement derrière les oreilles.

Un homme entra dans la pièce en faisant grincer la lourde porte sculptée. Kyukon tourna immédiatement la tête pour jauger le nouveau venu avant de se recoucher aux pieds de sa maîtresse. L'homme était un brun ténébreux vêtu de noir portant une queue de cheval. Lùthien fronça un sourcil en voyant la rapière et les dagues qui complétaient l'ensemble, il fallait tout de même être un peu paranoïaque pour se promener tout en arme dans une école. Lùthien fouilla dans sa mémoire, elle avait déjà vu cet homme quelque part, oui, à la réunion des professeurs, se rappela-t-elle, c'est le professeur de magie noire, il a le physique de l'emploi en tout cas.

- Bonjour professeur, salua-t-elle cordialement, Lùthien Nylaathria, professeur en études des créatures et invocation. Veuillez me pardonner, mais je crois votre nom m'a échappé.

Chad soupira longuement en regardant sa classe sortir en murmurant entre eux. Tu parles d'une bande de morveux. Aucun n'avait l'envie de maîtriser l'art de la magie noire. Une bande de gamins qui ne songeait qu'à manquer les court. Sans parler de ceux qui avaient beaucoup plus leur place dans une classe de magie blanche. Une fois, sa classe entièrement vide, le mage noir s'appuya sur son fauteuil et alluma sa pipe d'un claquement de doigts, regardant sa classe maintenant vide d'un regard froid. Il prit ainsi de longues inspirations, profitant de l'effet des herbes brûlées et du gout pour se détendre après ses longues heures de cours.

Tu parles d'une nouvelle vie...

Oui. Lui qui avait quitté les rangs de la lune sanglante pour commencer une nouvelle vie avait espéré mieux... Clairement mieux. Si l'envie de faucher une vie n'était plus présente et le dégoutait, il ne pensait pas qu'il passerait maintenant ses journées à donner des cours à une bande de gamins incapables de rester concentrés plus de 10 minutes. La magie noire était probablement la magie qui demandait la plus grande concentration et maîtrise de soi vu son action corruptrice. On pouvait se servir de la magie élémentaire de façon émotive, même si ce n'était pas conseillé. Seulement la magie noire était très différente.

La magie noire est profondément liée à la nature maléfique des choses. Si selon Chad aucune magie n'est en soi bonne ou mauvaise, l'énergie qu'elle canalise en revanche l'était clairement. Ainsi pour user correctement de magie noire il fallait être capable d'une totale maîtrise de soi pour ne pas être entraîné dans les ténèbres. Malheureusement, peu d'élèves avaient la maîtrise demandée pour cet art obscur. Seul quelque élève avait le talent pour cela.

Après une dizaine de minutes, le sorcier se leva et quitta la classe de magie noire en verrouillant magiquement la porte. Toujours sa pipe à la main il se dirigea vers la salle des professeurs. Cette salle n'avait rien de spécial, mais n'étant pas un directeur il n'avait pas la chance d'avoir un grand bureau pour travailler. Ainsi il devait souvent se rendre dans cette pièce pour prendre des notes sur ses élèves et préparer ses nouveaux cours. Sans parler du temps qu'il perdait dans cette pièce. Il lui arrivait même de s'endormir sur l'un des fauteuils de la salle.

Alors qu'il ouvrit la porte, son regard froid tomba sur une jeune femme qui semblait assise devant la grande table qui occupait la pièce. Le regard de Chad se baissa sur le renard qui semblait le fixer et remarqua finalement plus en détail la jeune femme... Qui n'était probablement pas si jeune. Elle avait une beauté exotique et de longues oreilles pointues. Une elfe. Chad ne put s'empêcher de sourire légèrement, lui qui avait toujours eu un faible pour ses femmes énigmatiques à la beauté qui n'avait rien d'humain.

-Chad Daragonne. Professeur de magie noire, ravi de vous voir.

Il la contourna sans la lâcher des yeux. Seulement le sourire qu'il affichait ne gagnait pas ses yeux qui restaient froids envers elle. Chad n'était pas quelqu'un de très expressif de base. Ce n'est pas qu'il ne ressentait pas d'émotion, seulement des années à faucher des vies et à porter un masque sentimental avaient atrophié sa capacité à montrer ses émotions. À force de vouloir rester froid et distant, il était presque incapable de montrer à nouveau un sourire sincère. Ainsi il s'assit à la même table que l'elfe en alluma à nouveau sa pipe d'un claquement de doigts.

Vous êtes nouvelle, je crois. Vous vous plaisez dans notre académie depuis votre arrivée?

Il s'agissait d'une question plutôt banale en soi, mais le professeur de magie noire était plutôt curieux d'entendre son avis. Peut-être était-ce aussi qu'il caressait l'idée dans un coin de sa tête de pouvoir l'apporter dans un coin avec lui. Seulement si cette idée flottait probablement quelque part, elle était lointaine. Ainsi il se présentait surtout comme un collègue s’intéressant à une consœur. Les assassins de la lune sanglante avaient un sens de la fratrie très fort, ainsi même si les collègues de Chad n'étaient pas des frères et soeurs de sang, ils étaient des personnes avec qui le mage noir devrait apprendre à travailler. Aussi bien commencer rapidement.

- Oui, je viens de prendre mes fonctions. Je découvre de nouveaux lieux - comme ici - mais l'académie m'est plutôt familière. J'ai servi le Protectorat pendant quelques temps donc je connais la maison, j'ai même conservé mon appartement de fonction. Elle écarta une mèche de cheveux clairs de son visage en souriant. On pouvait difficilement imaginer Lùthien en soldat d'élite en regardant son joli minois et ses manières charmantes, mais de fines cicatrices sur ses bras dénudés prouvaient qu'elle ne mentait pas.

- C'est surtout le métier qui va me dépayser, je n'ai pas encore trouvé comment j'allais mener mes cours exactement... J'ai découvert que les bases de la discipline m'étaient si évidentes que je ne parvenais pas à les expliquer... d'où mon retour aux ouvrages de référence, dit elle désignant les piles de livres. Mais je pense que tout cela me plait. Elle regarda un instant la bruine par la fenêtre avant de revenir à la conversation. Du thé ? Servez-vous je vous en prie.

L'elfe observa le visage éteint du mage noir, une question lui brûlait les lèvres depuis la réunion de début d'année : pourquoi diable vouloir enseigner la magie noire à des étudiants ? Elle avait pensé poser la question à la directrice mais n'en avait pas encore eu l'opportunité. C'était peut être le moment d'obtenir des réponses... mais Lùthien ne voulait pas questionner de but en blanc la légitimité de son collègue, et choisit plutôt de continuer la discussion sur un ton plus convenu.

- Et vous, enseignez-vous depuis longtemps ? Le métier vous plait ? Demanda-t-elle, vous avez l'air d'avoir eu une rude journée...
Chad tira une bouffée sur sa pipe et l'elfe se retrouva entourée d'un nuage de fumée âcre. Elle n'avait rien dit jusque là mais le tabac l'insupportait, elle chassa la fumée d'une main et toussota. Si le mage avait un peu de savoir-vivre, il éteindrait rapidement son brûle-gueule.

Chad écouta attentivement les réponses de l'elfe à ses questions. Elle avait donc fait partie des protecteurs de la cité? Une combattante? Elle ne ressemblait pas à une protectrice, mais les elfes étaient bien sûr très différents des humains. Cette jeune femme au visage doux et au corps svelte pouvait potentiellement faire des ravages. Un sourire éclaira le visage du mage lorsqu'elle lui proposa du thé. Chad se servit volontiers sans lâcher sa pipe pour l'instant. L'un de ses péchés mignons était cette boisson chaude au gout particulier. Il ne consommait que très rarement de l'alcool, alors il buvait ce qu'il pouvait. Une vieille habitude de son passé. Les assassins qui se saoulaient régulièrement avaient tendance à mourir très jeunes...

Et bien vu votre expérience, l'académie a gagné un professeur d'exception.

En la voyant tousser et essayer d'éloigner la fumée d'un mouvement d'une main, le mage éteignit sa pipe et la rangea doucement dans l'une des poches de son manteau. Il avait tendance à oublier que la plupart des autres personnes n’appréciaient pas la saveur et l'odeur délicate du tabac brûlé. C'était dommage pour eux, selon lui ils manquaient quelques choses. Enfin, ce n'était pas à lui de dire aux autres comment vivre leur vie.

Il haussa un sourcil cependant en entendant sa question. Si sa journée avait été dure? Non... Pas plus qu'une autre à vrai dire. Il aurait bien sûr aimé passer ses nuits à la bibliothèque et cette obligation de donner un nombre précis de cours l'énervait au plus haut point. Enfin... Ce n'était pas le plus important. Il attrapa la tasse de thé fumante qu'il venait de se servir et reporta son attention sur l'elfe aux longs cheveux blonds.

J'enseigne depuis quelques mois. Je remplace l'ancien professeur. Une vampire qui se serait enfuie.

Il haussa les épaules comme pour s'excuser de ne pas avoir plus de détail. Il savait seulement que cette vampire était sulfureuse à sa façon et qu'elle avait simplement disparu.

Une rude journée? Pas vraiment. Une journée normal à essayer de montrer à des gamins désorganisés l'art obscur de la magie noire.

Il prit une longue gorgée du breuvage chaud en attendant de voir ce qu'elle répondrait à cela. Il ne connaissait pas grand-chose à l'invocation. Il savait tout juste invoquer un petit serpent, ce qu'il faisait parfois. Il ne connaissait donc rien de l'enseignement de cette matière, peut-être pourrait-elle lui en dire plus.

Lùthien haussa les épaules en entendant parler de sa prédécesseure, les vampires se complaisaient dans ce genre de grandiloquence. Quand Chad ramena la sujet de la magie noire dans la conversation, Lùthien ne put retenir plus longtemps ses questions. Elle ne voyait décidément pas comment enseigner la magie noire pouvait être une bonne idée. Elle avait vu de ses yeux les crimes commis à Targatt et se demandait maintenant si ce n'était pas entre les murs de l'académie que la cité formait les instruments de sa propre destruction.

- Hum... Pardonnez-moi ma franchise mais n'est-il pas un peu... irresponsable d'enseigner cette discipline à des apprentis ? Elle se redressa dans son fauteuil. Il faut que vous compreniez mes aprioris Chad... Pour nous, j'entends les elfes, entrer en contact avec des énergies négatives est disons... extrêmement mal vu. C'est une tare, une maladie pouvant entraîner une altération de notre nature. Par ailleurs, je ne suis plus protectrice mais je me soucie toujours de la sécurité de cette cité, et l'idée que certains penchants puissent être encouragés dans notre académie m'inquiète. Elle se tut un instant. Cependant, mes réticences concernant la magie noire s'accompagnent en vérité d'une grande ignorance. Peut-être pourriez-vous m'aider à me forger une opinion plus précise sur le sujet, professeur, et me dire si vous pensez que mes craintes sont justifiées ?

Chad haussèrent les sourcils en regardant l'elfe qui se tenait devant lui. Il était clair qu'elle n'approuvait pas ses paroles... Ou bien sa simple présence. Il ne pouvait pas vraiment le dire, vu qu'il n'avait jamais été très près des elfes et des races qui étaient proches de l'ordre en général. Bien sûr, il y avait quelques exceptions, comme cette professeur de magie blanche qui avait toujours été très aimable avec lui... Mais comme avec tout le monde à vrai dire.

Irresponsable? Je ne crois pas. Laissez-moi vous expliquez. Certaines personnes naissent avec un don dans certaines magies. La magie noire en fait partie. Il serait idiot d'empêcher ses jeunes élèves de comprendre leur propre magie. N'êtes-vous pas d'accord? Nous sommes des professeurs, notre devoir est de leur apprendre notre art. Le mien c'est la magie noire. Vous, c'est la magie de l'invocation.

Il se leva et lui tourna le dos, observant la vie dehors, par la fenêtre de la salle. Elle avait raison sur un point, beaucoup de criminels étaient des mages noirs. Seulement, elle semblait oublier quelques choses.

La magie sous toutes ses formes n'est qu'un outil. Nous pouvons nous en servir pour faire le bien comme le mal. Parfois, un peu de magie blanche peut faire beaucoup de mal et inversement, un peu de magie noire peut faire beaucoup de bien.

Il avait prononcé cette phrase des centaines de fois. Il s'agissait presque d'un code pour le sorcier. La magie noire n'était pas forcément mauvaise. Une magie n'était ni bonne ni mauvaise. Seule la façon de l’utiliser faisait du mage un être maléfique ou non.

D'ailleurs, vous qui avez été une protectrice, vous devez avoir remarqué que l'invocation est particulièrement appréciée des criminels. Surtout pour se téléporter et invoquer des créatures maléfiques. Je comprends vos inquiétudes, mais j'essaie de former mes jeunes élèves sans les pousser dans une carrière criminelle.

L'atmosphère entre les deux professeurs s'était refroidie. J'y suis peut-être allée trop franchement... j'espère qu'il ne sortira pas vexé de cette discussion... il est probablement las de devoir se justifier, ce que je peux comprendre... Mais j'ai besoin de savoir où je met les pieds et à qui j'ai affaire. Mon jugement est biaisé, je le sais. Concernant la magie des ombres, j'ai vu beaucoup de mal et peu de bien...

Les propos du mage noir étaient sensés. Lùthien acquiesça lorsqu'il évoqua les côtés sombres de sa propre discipline. Il n'avait pas tord, une invocation malintentionnée, ou simplement incontrôlée, pouvait faire des ravages.

- Il est vrai que ce que ma discipline peut s'avérer aussi dangereuse que la vôtre.  C'est pourquoi il y a des choses que je me garde bien d'enseigner, et même de pratiquer. Certaines portes ne doivent pas être ouvertes, et je m'assure qu'elles restent scellées.

Certains sorts devaient rester secrets pour Lùthien. De la même manière, elle ne pensait pas que toutes les capacités étaient bonne à exploiter. Après tout, c'était un élève de Talmar, Cain Luxerier, qui avait failli mener Targatt à sa perte autrefois. L'histoire bégaye, mais les humains ont la mémoire courte. Lùthien garda cependant ces genre de pensées pour elle, elle ne voulait pas paraître condescendante.

- Peut-être est-il préférable que les jeunes mages sachent maîtriser leurs dons plutôt que d'errer sans guide... ou peut-être pas, ajouta-t-elle dans un murmure.

Lùthien était également modérément convaincue de la neutralité morale de la magie. Elle n'avait cependant pas tranché la question, la fin et les moyens, la déontologie contre le conséquentialisme. C'était un vieux débat philosophique qui n'avait pas trouvé de réponse définitive.

- Votre thèse concernant la neutralité de la magie est intéressante. Mon opinion est que la magie à l'état pur n'est ni bonne ni mauvaise, pas plus que ne le sont la terre ou l'eau. Mais les sortilèges que nous utilisons pour exploiter ses forces sont le fruit de l'intelligence humaine et sont imprégnés de l'intention de leurs créateurs. On peut couper du pain avec un sabre, le sabre n'en reste pas moins fait pour tuer. Reste à savoir ensuite s'il existe une violence légitime au nom de laquelle brandir ce sabre : la survie ? le plaisir, la vengeance, le pouvoir ou la justice... ? Peut-on tuer un homme pour en sauver cent ? Les livres des sages semblent bien inutiles une fois qu'on a du sang sur les mains...

Lùthien se tut soudain, surprise les mots qui étaient sortis de sa bouche et agitée par des émotions contradictoires. Elle se rendit compte que depuis le début de la conversation, il n'était peut-être pas question du bien et du mal et de l'intérêt de la cité mais de ses propres peurs et de ses doutes. C'était ses mains à elle qu'elle fixait.
J'ai tué. J'ai tué par vengeance et je ne regrette rien. Qui suis-je pour donner des leçons de morale ?

Chad ne put s'empêcher de sourire devant les commentaires de sa collègue. C'était bien une elfe. Ils étaient sages certes, mais ils étaient incapables de voir la magie noire d'une autre façon qu'un crime contre la nature. À l'entendre, tous les mages noirs sont des assassins et des psychopathes en puissance. Remarque, elle n'avait peut-être pas totalement tort. Lui même avait fauché de nombreuses vies par le passé, ayant servi une confrérie d'assassin pendant de nombreuse année. Il n'était peut-être pas le mieux placé pour dire ainsi que la magie noire pouvait être utilisée à bon escient. Devant le commentaire de l'elfe sur les magies qu'elle cachait à ses élèves, le professeur de magie noire ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Cacher ainsi des sortilèges à ses élèves?

En cachant ainsi des sorts à vos élèves n'avez-vous pas peur qu'ils les apprennent autrement? Par des moyens moins recommandés. Même qu'ils perdent le contrôle de leur magie? Nous devons apprendre ce que nous savons à nous élève. Ce qu'ils en font ensuite n'est pas de notre ressort.

Venait ensuite l'opinion sur la neutralité magique. Elle n'y croyait évidemment pas. Les elfes... Derrière leur beauté exotique se cachaient des êtres ne jurant bien souvent que par la lumière. Quel dommage... Ils ne voyaient pas que l'art de la sorcellerie était bien plus demandant que toute autre magie. Il fallait savoir se contrôler pour éviter la corruption, mais si on y arrivait on atteignait une puissance sans égale. Il pouvait bien sûr essayer de la convaincre plus en détail, mais se contenta de soupirer, déployant l'une de ses ombres près d'elle.

Nous pouvons tuer un homme dans bien des situations. Est-ce juste? Personne ne peut vraiment le dire. Est-ce juste lorsqu'un soldat en tue un autre? Est-ce juste lorsqu'un assassin tue une victime qui ne lui avait rien fait? Est-ce juste de voir quelqu'un mourir de maladie? On ne peut pas vraiment le dire. Au final on doit seulement apprendre à passer l'éponge et à se tourner vers l'avenir.

L'ombre qui s'était déployée s'arrêta près de la femme qui semblait plonger dans ses pensées et caressa son bras avant de se rétracter. L'ombre était dure et semblait tranchante, mais elle n'était pas morte seulement en la touchant. La magie noire n'était pas plus mauvaise que l'être humain. Elle pouvait blesser, mais aussi aider.

Que notre énergie soit mauvaise ou bonne, ce sont nos actions qui définissent ce que nous sommes. Le passé n'est plus pris lorsqu'on tourne la page. Je vous mentirais en disant que j'ai toujours agi pour le bien commun. Bien sûr que j'ai agi pour moi dans certains cas et j'ai déjà pris une vie. Seulement aujourd'hui, je suis professeur et j'essaye de montrer à mes élèves que la magie est un don qui fait de nous des êtres supérieurs. Nous devons en être dignes.

Il s'approcha à nouveau de sa collègue et la regardante. Il ne fallait pas être un expert en magie spirituelle pour deviner qu'elle était troublée. Un ancien soldat si ses paroles étaient exactes. Peut-être était-elle hantée par ses actions. Le sorcier ne put s'empêcher de penser qu'elle lui ressemblait là-dessus. Lui aussi était hanté par ce qu'il avait fait...

Lùthien frissonna lorsque l'ombre effleura son bras, rien de spécial ne s'était produit mais elle n'aimait pas qu'on envahisse son espace personnel. Je ne sais pas ce qu'il cherche à montrer avec ça mais ce n'est certainement pas comme ça qu'il gagnera ma confiance.

- Je vois, dit Lùthien quand Chad eut fini de parler. Je crois que nos opinions divergent sur de nombreux points... Mais enfin, comme vous le dites ce sont nos actions qui nous définissent, pas nos opinions.
L'elfe se contenta de cette réponse passe partout pour clore la discussion, elle en avait assez entendu. Plus Chad parlait, plus Lùthien se disait qu'ils n'avaient pas la même vision du monde. Contrairement à Chad, Lùthien se sentait responsable de ce que ses élèves allaient faire de son apprentissage, il était pour elle impensable de leur apprendre des magies interdites, comme ouvrir des passages vers les enfers ou d'autres lieux pouvant menacer le plan terrestre. Ensuite, à force d'erreurs et de désillusion, elle s'était tout de même forgée une certaine idée de la justice. Elle était devenue assez sage pour comprendre que la vengeance était vaine, mais elle ne croyait pas que l'oubli et le pardon pouvait la remplacer aussi facilement. La vengeance était une sentence émanant de la colère de la victime, il fallait à la place la justice : un châtiment prononcé au nom des lois que les peuples se fixent pour pouvoir vivre ensemble. Au final pour Lùthien, c'était la justice qui faisait la différence entre un meurtre et une exécution. Et pour elle l'assassinat resterait toujours un meurtre injustifiable.

Au nombre des désaccords, la dernière affirmation de Chad était la cerise sur le gâteau " la magie est un don qui fait de nous des êtres supérieurs", cent-cinquante ans auparavant, Lùthien aurait explosé devant une telle affirmation. Ce serait donc un un pro-mage, un élitiste pensant que sa vie vaut plus que celle d'un sans-magie? Non chaque vie a de la valeur, et ce n'est certainement pas la puissance magique d'une créature qui détermine son mérite ou ses qualités.

Au-delà de tout cela, une chose avait retenu l'attention de l'elfe et déclenché quelques picotements dans son échine. Le sorcier l'avait avoué au détour d'une phrase : il avait déjà tué. Et à ce sujet, il en avait trop dit ou pas assez. L'elfe resservit du thé dans les deux tasse et but en silence avant de reprendre d'un ton détaché.

- Vous êtes arrivé ici depuis peu, puis-je vous demander quelles étaient vos précédentes occupations ?

Chad reprit volontiers le thé que lui proposait sa collègue, sans chercher à éviter ses questions ni son regard lourd. En fait, son regard avait changé lorsqu'il avait précisé qu'il pensait que les mages étaient supérieurs au non-mage. Un elfe qui croyait à l'égalité de tous les êtres vivants? C'était curieux ça. Pourtant, pour le sorcier il s'agissait d'une évidence. Les sans-magies leur étaient inférieures. Sans magie, il devait se contenter d'agir comme... Des êtres humains normaux. Lui-même avait appris à agir sans sa magie, mais se voyait mal vivre sans ce petit coup de pouce constant. Principalement lorsqu'il devait se battre. Les opinions différaient parfois, mais il était sûr que sur ce point l'elfe serait en accord avec lui. Enfin. Ce n'était pas très grave.

Cependant, devant sa question il haussa légèrement les sourcils. Que pouvait-il dire? Qu'il assassinait au nom d'une confrérie crainte de tous en Hesandre? Bien sûr que non. Cependant, il ne pouvait pas raconter n'importe quoi. Il était un bon menteur, mais mentir à un elfe était généralement une très mauvaise idée. Ils avaient un don pour dénicher les mensonges... Alors le professeur de magie noire lui donna une demi-vérité.

J'étais une lame à vendre en Hesandre. Il n'aime pas les mages, mais les nobles sont prêts à payer une petite fortune pour que des mages déciment les rangs de leur ennemie, lors des nombreuses guerres seigneuriales qu'il se livre régulièrement.

Un petit sourire légèrement provocateur flottait sur ses lèvres alors qu'il savourait toujours le thé devant lui. Était-il quelqu'un de provocateur? Pas vraiment, mais il aimait bien parler de cette histoire devant les mages appréciant un peu trop les sans-magies. Surtout qu'il n'avait pas menti sur ce point. Il avait bel et bien décimé une armée seigneuriale de quelques centaines d'hommes avec sa magie. Bon, il avait presque perdu connaissance et avait mis des jours à s'en remettre vu la dépense en énergie, mais il l'avait fait. Si ce n'était pas une preuve de leur infériorité...

Finalement, il était peut-être temps de lui poser quelques questions. Le sorcier songea qu'il était en droit d'en savoir un peu plus sur elle après toutes ses questions.

Puis-je savoir ce que vous-mêmes faisiez avant de devenir professeurs de cette académie? Vos mains sont propres, ou avez-vous déjà pris une vie?

Étrangement, il avait prononcé ses paroles sur le ton de la conversation, comme s'il conversait sur le beau temps.

Un mage mercenaire...

Lùthien soupira imperceptiblement, elle n'aimait pas le sourire sur le visage de Chad.

Les hommes d'Hesandre sont déjà assez doués pour s'entretuer, ils n'ont pas besoin que des mages viennent leur fournir des armes supplémentaires. Oui, les mortels sont faibles, mais cela ne nous donne pas le droit de les tuer comme bon nous semble. Un mage qui tue de simples mortels pour de l'argent, c'est comme... un enfant qui s'amuse à torturer ses chiens...

Le mage noir reprit la conversation sur un ton faussement détaché, il lui retourna sa question, y compris le questionnement implicite qu'elle avait posée concernant la moralité du passé du sorcier. Lùthien n'avait pas grand chose à cacher, elle assumait ce qu'elle avait fait, même si certains souvenirs étaient lourds à porter. Elle lui répondit d'un ton sobre, presque militaire.

- Comme je vous l'ai dit, j'ai fait partie du protectorat, donc j'ai inévitablement été confrontée à quelques cas de légitime défense. Avant cela, j'ai servi dans l'armée elfique régulière sous les ordres du général Aldaril Eressar, en appui thaumaturgique à l'infanterie. Cela signifie au front. Donc oui j'ai eu du sang sur les mains, et pas que sur les mains d'ailleurs....

Quelques fragments du passé assaillirent Lùthien : ses bottes qui glissent dans les entrailles de ses ennemis et de ses amis, des effrits lançant des déluges de feu, des soldats à l'esprit écrasés qui se retournent contre leurs frères et sœurs, des organes arrachés par les télékinésistes qui s'envolent comme des nuées d'oiseaux...

Lùthien se leva et tourna le dos à Chad, prise d'une légère nausée. Le thé ne suffirait pas à faire passer ça. L'elfe n'hésita qu'un instant avant de prendre une flasque dans la poche de sa veste. Contrairement aux assassins, les soldats buvaient. Question d'esprit de corps. L'elfe pris une gorgée. Ce n'était pas de la gnôle de soudards mais un alcool de plantes eflique aux vertus plus apaisantes. Elle laissa le parfum se répandre dans son œsophage, puis tendit le flacon délicatement ouvragé à Chad, qui refusa d'un signe. Elle haussa les épaules et posa la flasque sur la table au cas où il changerait d'avis.

- Nous avons combattu peu d'humains... plutôt des orcs... des drows... diverses créatures des ténèbres... Mais j'ai tué des hommes, quand j'étais plus jeune, avant l'armée. Les raisons étaient  plus... personnelles. Je n'en suis pas particulièrement fière et peut-être agirais-je autrement aujourd'hui, mais... je ne regrette pas vraiment. Conclut-elle d'un ton égal en s'asseyant en amazone sur le bord de la table.

Elle regarda le mage en face d'elle et son regard se fit légèrement plus perçant quand il s'arrêta sur les dagues et la rapière du sorcier. Ces objets semblaient faire partie de lui, il ne devait pas s'en séparer souvent... mais ils ne collaient pas avec le profil d'un mercenaire.

- Belle lame, fit-elle en désignant la rapière de la tête. Plutôt une arme de ville, vous deviez être aussi un bon duelliste... vous n'avez pas écumé que les champs de bataille, vous deviez aussi accomplir des missions plus... discrètes. Lùthien s'interrompit et secoua la tête. Désolée, vieille habitude, je n'avais pas l'intention de faire de cette conversation un interrogatoire, ne vous sentez pas obligé de répondre. D'ailleurs je ne suis pas sûre de vouloir savoir.

Chad continuait de boire tranquillement en attendant la réponse de l'elfe qui souhaitait en savoir plus sur lui. Bien sûr, il n'aimait pas dévoiler ce qu'il avait fait, mais il le faisait parfois. Il ne cherchait pas le pardon, qui de toute façon ne viendrait probablement jamais. Les assassins de la lune sanglante étaient des tueurs nés pour la plupart. Certains vivaient la vie de faucheur plus mal que d'autres, mais tous restait soudés. Ils savaient tous que s'il le ne faisait pas d'autre le ferait. D'autant plus que les personnes qu'il fauchait étaient pour la plupart des connards de première. Enfin... Certain. Pas tous. Chad, eut une image fugace de la jeune femme qu'il avait presque tuée, serrant son ventre de façon protectrice. Il détourna les yeux quelques instants en chassant cette image. Il l'avait épargné, c'était déjà très bien venant d'un assassin.

Une protectrice qui avait déjà tué? Voilà qui était étrange. Il savait qu'elle était protectrice, mais il ne l'imaginait pas avoir du sang sur les mains. Une femme aussi svelte et qui semblait si fragile... Il ne pouvait pas s'empêcher de songer qu'il s'agissait d'une femme au final. Oui, il était légèrement sexiste sur les bords. Ce qui était stupide puisque la lune sanglante comptait nombre de femmes talentueuses qui fauchaient des vies de façon aussi efficace que leur frère. Les préjugés avaient les peaux dures.

Une militaire de longue date donc. Qui plus est dans l'armée elfique. Donc... Vous avez principalement affronté des mages noirs. Je comprends mieux vos préjugés...

Oui, préjugé. Il lui faisait ainsi comprendre que même s'il comprenait parfaitement sa façon de penser, il ne l'approuvait pas. Seulement, il n'était le plus sage des hommes. Il ne lui ferait certainement pas la morale. À voir son teint devenu légèrement blanchâtre, elle devait avoir eu son lot d’expérience traumatisante. Au fond de lui, le mage ressentit une certaine compassion pour elle. Elle semblait être sur le point de rendre son déjeuner sur le sol... Il fronça légèrement les sourcils en se rappelant avoir réagi de la même façon à de nombreuse reprise en repensant à certains moments sanglants.

Est-ce que tous ceux qui avaient vécu ce genre d’expérience ressentent aussi cette... détresse? En la voyant boire dans sa flasque et lui tendre, il refusa poliment et se sentit obligé d'ajouter.

Avec le temps, on finit par oublier...Je crois.

Bon, c'était faux, mais c'était ce que les gens normaux faisaient non? Il se rassurait? Enfin... Il n'avait aucune expérience dans ce genre de relation. Les membres de la lune ne parlaient jamais de leur sentiment ou de leur histoire. Ils avaient une mission à accomplir et agissaient sans se poser de question... Tout simplement. Il soupira devant son dernier commentaire. Des orcs... Des drows... Il voyait le genre.

Que des monstres des ténèbres quoi.

Il secoua légèrement la tête. Lui-même n'avait rien à voir avec ses choses. Les drow après tout ressemblaient à certains mages noirs, mais les orc... Même lui savait qu'ils n'étaient que des bêtes sanguinaires. Cependant, il n'ajouta rien de plus. Il la fixait, lui qui était maintenant assis en amazone sur la table. Drôle de façon de se comporter pour un militaire. Ils n'étaient pas censé être... Discipliné?

Ce n'était qu'un détail, vu la question qu'elle posa ensuite. Il baissa la tête sur sa rapière et ne put s'empêcher de sourire légèrement. Oui... Cette épée était devenue comme une compagne avec le temps. Il ne s'en séparait pour ainsi dire presque jamais. Il se sentait en sécurité ainsi armée. Cependant, il était vrai que c'était plutôt un attirail de bandit que de soldat.

Je faisais ce qu'on me demandait. Mais vous avez raison. J'ai rarement mis les pieds sur un champ de bataille. Cependant, c'est derrière moi et j'évite d'y penser.

Voilà. Il n'en dirait pas plus sur cette partie de sa vie. Il n'avait pas l'intention de tout lui dire non plus, déjà que cette autre elfe ne le lâchait pas...

Pendant que l'elfe parlait, son familier Kyukon s'agitait sous la table et jappait doucement. Perdue dans ses pensées, Lùthien l'ignorait.

- Je comprends.  Je ne sais pas si on peut oublier. La guerre est finie depuis cent ans et il y a des choses que je n'oublie pas. Les souvenirs s'estompent, les émotions se détachent, on peut réinterpréter son histoire encore et encore, se pardonner parfois... mais certaines choses restent. Et parfois ce sont les souvenirs auxquels ont tient qui se dissipent avant les autres. Enfin... je ne sais pas s'il en va de même pour les humains...

Lùthien s'interrompit, le loup avait sauté pour poser ses pattes antérieures sur la table et venait fourrer son museau sous ses doigts.

- D'accord, d'accord... Dit-elle doucement au grand renard. J'ai eu la mauvaise idée d'appeler un familier qui préfère le régime de son plan d'origine, expliqua-t-elle à Chad en souriant.  Elle ferma les yeux un instant et leva  sa main gauche devant elle, paume vers le ciel. Kyukon la fixait, au aguets. De sa main droite, elle fit apparaître un gros fruit vert aux reflets dorés qui ressemblait vaguement à une pomme ou une tomate. Elle lança le fruit à Kyukon qui l'attrapa au vol avant de s'installer dans un coin pour le déguster jalousement. Lùthien reprit sur un ton plus léger.

- Vous savez, je n'ai pas été soldat toute ma vie. Je suis aussi une voyageuse, une musicienne, une magicienne... J'ai vu les horreurs que la magie était capable de produire, mais aussi les choses les plus merveilleuses qui soient.  
Lùthien joignit ses mains et souffla dessus. Son sourire se fit espiègle. Dans un battement d'ailes, un oiseau au plumage bleu et vert surgit entre les doigts de l'elfe. Sa tête au regard cristallin était couronnée d'une huppe évanescente et sa queue se prolongeait en de longues plumes irisées comme celles d'un paon.

- C'est une de mes préférées, dit elle en admirant la créature perchée sur son bras. Et vous professeur Daragonne, existe-t-il une créature que vous avez toujours rêvé de voir ?

Le ton de la conversation avait perdu un peu de sa tension. Bon... Finalement, ce nouveau professeur n'était peut-être pas si mal. Elle lui expliqua que la guerre s'était déroulée il y a plus de cent ans, mais qu'elle n'arrivait pas à tout oublier. Cent ans... Elle avait donc un certain âge. Oui... Une elfe immortel. Ce simple fait lui fit penser que ses recherches sur l’immortalité n'avançaient pas. Il aurait bien aimé être un elfe. De cette façon, il n'aurait pas à passer son temps libre à chercher une légende pour lui permettre de ne pas sentir les années s'abattre sur lui, comme c'était le cas pour ses semblables.

Puis, rapidement, il retourna à ses préoccupations du moment en voyant l'étrange créature ressemblant à un renard. Il sourit légèrement. Il devait avouer qu'il s'agissait d'une sublime créature. Lorsqu'il était plus jeune, il avait un faible pour les loups et les créatures poilu dans le même genre. Cette créature extraplanaire était sublime, bien que légèrement étrange. Lui même ne savait pas invoquer d'aussi belle créature. Il arrivait à peine à invoquer un gros serpent, ce qu'il faisait parfois pour s'amuser.

C'est vrai qu'il est joli.

Puis, elle joignit les mains et fit apparaître un magnifique oiseau qui vint se poser sur son bras. C'était en effet... de la très belle magie. Il ne pouvait pas en faire malheureusement. Ses flammes étaient agressives et ses ombres étaient... Des ombres. Sans parler du fait qu'il était un sorcier, la magie noire n'était pas "jolie". Elle était efficace.

Elle lui demanda ensuite s'il avait une créature préférée. Il se surprit à y penser sérieusement. Après tout, cet elfe était plutôt sympathique. Il avait beau être une personne très tournée sur elle même sur certains points, il n'était pas une personne antisociale. Ainsi, il pouvait bien prendre la peine de réfléchir à la question sérieusement. Il finit par sourire en repensant à son animal fétiche et replongea à une époque lointaine ou il n'était aussi... noir. Une créature que sa propre mère faisait apparaître parfois pour parcourir de longue distance.

Je ne suis pas un grand admirateur des animaux généralement. Mais oui, il y a une créature que je rêve de pouvoir invoquer moi-même. Un hippogriffe. Malheureusement, je ne suis pas assez talentueux dans cet art pour en faire apparaître un moi-même.

Il haussa les épaules en rigolant légèrement. Il commençait à légèrement se détendre. Il était toujours froid avec les personnes qu'il ne connaissait pas ou n’appréciait pas. Bon, il était peut-être un peu antisocial... Mais juste un peu dans ce cas.

Lùthien sourit en entendant la réponse du mage.

- Les hippogriffes sont fascinants c'est vrai. La pulsions imprévisibles du griffon alliée au sang-froid de la jument apprivoisée...

L'elfe saisit le codex Et creatores creaturae et feuilleta les pages jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait. Elle regarda autour d'elle puis se pencha pour regarder à travers la fenêtre. Il pleuvait toujours.

-J'en aurait invoqué un mais ni le lieu ni le temps ne se prêtent à l'exercice... Dommage... Cela fait longtemps que je n'en ai pas croisé... L'invocation d'un hippogriffe n'est pas si difficile. Ce n'est pas une convocation extraplanaire, les hippogriffes vivent dans le même plan que nous, bien que ce soit dans des régions reculées. Cependant les hippogriffes sont intelligents, la principale difficulté est donc d'en trouver un qui vous accepte comme maître.

Lùthien posa le codex ouvert à la page "hippogriffes" devant Chad pour qu'il puisse lire les détails du sortilège d'invocation.

- Parfois, la persévérance et le travail font mieux que le talent. Peut-être qu'un jour vous pourriez y arriver... Elle s'interrompit pour réfléchir un instant et reprit d'un ton enthousiaste. Ah, tout cela m'inspire... Si j'ai des élèves assez avancés j'organiserais une initiation à la voltige ! L'elfe descendit de la table avec une petite pirouette qui fit s'envoler l'oiseau bleu, puis elle poursuivit en parlant pour elle-même. Cela fait une éternité que je n'ai pas volé, il me faudra un peu d'entrainement avant cela... et il y aura quelques contraintes logistiques, le protectorat devra être au courant, on ne peut pas survoler la ville n'importe comment... Qu'en pensez-vous Chad, dit elle en retournant soudain vers le mage son regard bleu qui scintillait comme celui d'une enfant.

Chad ne put s'empêcher de sourir devant la candeur de l'elfe. Il était rare de les voir aussi expressifs et ça avait quelques choses de charmants. Comme quoi, il restait un peu d'humains en lui pour être touché par ce genre de chose. Il hocha la tête devant sa réponse, oui il s'agissait de créature fantastique. Il se souvenait parfaitement de la dernière fois qu'il en avait vue un. Sa mère pouvait en invoquer un comme familier et se déplaçait souvent par les airs sur de grandes distances grâce à lui. Il s'en souvenait comme une créature qui avait toujours été douce avec lui alors qu'il n'était qu'un gamin. Il s'agissait d'une créature farouche avec ceux qu'ils ne connaissaient pas. Peut-être la créature était-elle ainsi avec lui, car il était le fils de sa maîtresse. Il n'avait jamais posé la question en fait.

oui. Nous ne pouvons exceller dans tout, mais je suis sûr que je pourrais y arriver un jour.

Il avait parlé doucement en regardant la jeune femme faire un bon pour se dégager de la table et elle atterrit agilement sur ses jambes. Chad hocha lentement la tête pour lui donner raison et se souvint de quelques choses qu'il savait invoquer. Il ferma les yeux et sembla se concentrer quelques secondes avant de faire apparaître ce qui ressemblait à une petite chauve-souris qui lança un petit cri aigu avant de se poser sur l'épaule du mage noire. Elle semblait fixer l'elfette en restant contre Chad. Il avait appris à invoquer cette petite créature alors qu'il n'était qu'un élève de Talmar. Il savait que c'était la même depuis tout ce temps puisqu'il l'avait dressé. Lorsqu'on n'avait aucun ami, on s'occupait comme on pouvait.

je crois, que le protectorat ne verra pas de mal à voir le professeur d'invocation se balader sur le dos d'une créature volante au-dessus de la cité. Après tout, vous ne seriez pas la première à le faire.

Il fronça les sourcils. C'est vrai qu'elle s'inquiétait sur la magie noire. Mouais... Il devrait peut-être essayer de lui parler un peu. De la rassurer pour éviter qu'elle ne se plaigne envers la directrice qui pourrait venir l'emmerder.

Même si je suis un sorcier, j'aime mes élèves et j'aime la magie pour ce qu'elle a de plus beau comme de plus obscure. Même si j'aimerais qu'il soit capable de se concentrer plus de quelques minutes sur un sujet aussi sensible. Vous êtes la bienvenue si un jour vous souhaitez admirer l'une de mes leçons.

L’elfe sourit en voyant la petites chauve-souris invoquée par le mage, une roussette hybride. Il n’était pas si mauvais en invocation, en tout cas il avait quelques bases. Lùthien réfléchit à la proposition de Chad. C’était bien la première fois qu’elle rencontrait un mage noir qui semblait chercher à montrer qu’il n’était pas si noir que cela. La démarche l’intriguait.

- Mes « préjugés » sur la magie noire sont malheureusement basés sur de nombreuses observations. Mais la vie devient rapidement ennuyeuse lorsque l’on reste campée sur ses positions, n’est-ce pas ? Je viendrais donc voir à quoi ressemblent vos cours de magie noire…

L’elfe caressa l’oiseau bleu qui était revenu se percher sur son épaule et poursuivi avec un sourire étrange. Lùthien n’aimait pas mener une vie monotone et au bout de quelques siècles d’existence, elle avait appris que pour vivre de nouvelles expériences, il fallait un peu pousser le destin.

- Mais rendons cela plus intéressant encore professeur Chad Daragonne. Je vous propose un pari : si un jour vous parvenez à me faire apprécier la magie noire, je vous transporte au royaume des hippogriffes pour trouver votre âme sœur ailée et je vous enseigne à l’invoquer. Enfin, si cela vous intéresse…

Elle n’avait pas grand-chose à gagner dans ce pari, si ce n’est un camarade de vol avec qui faire la course de temps à autre, et un prétexte pour retourner voir les hippogriffes dans leur milieu naturel. Elle rêvait d'y retourner depuis quelques temps. Le pays des hippogriffes était un mélange de collines, de forêts, et de roches affleurant entre les buissons. Les créatures ailées nichaient en haut des collines et se nourrissaient d’herbe, de fruits sauvages et de gibier. Lùthien avait visité cet endroit sauvages où personne ne s’aventurait jamais. Elle était restée plusieurs semaines pour observer les hippogriffes et tenter d’en apprivoiser un. Ce qu’elle était parvenue à faire grâce à beaucoup de patience.

Chad hocha lentement la tête en soupirant. Il était vrai que la magie noire avait une certaine réputation. Une réputation qui était justifiée dans un sens. Les sorciers étaient rarement des personnes tournées vers les autres. Lui même ne pensait que rarement aux autres, il ne pensait qu'à lui. Après tout, la vie était bien trop courte pour commencer à se soucier de chaque pécore qu'il croisait. Cependant, il devait faire un effort de ce côté-là et le savait pertinemment. Enfin... Ce n'était pas forcément le sujet.

Oui, vous avez sans doute raison. Enfin, j'ai hâte de vous voir en classe. Vous pourrez peut-être apprendre un ou deux trucs.

Il rigola et la regarda avec un certain amusement dans le regard. Ce n'était pas méchant comme commentaire, simplement légèrement moqueur. Après tout, les elfes et la magie noire ne faisaient que rarement bon ménage. Ils étaient tellement lumineux dans leurs façons de faire. Il se promit cependant de faire de son mieux pour qu'elle ne perde pas totalement son temps.

Lorsqu'elle parla du pari, le sorcier ne put s'empêcher de sourire de toutes ses dents. Voilà un défi qui était intéressant. Il refit rapidement le compte des sortilèges de magie noire qu'il possédait. Il trouverait probablement quelques choses dans le futur. Il hocha la tête et rigola.

J'accepte avec plaisir. Je trouverais quelques choses pour vous plaire, j'en suis sûr.

Il sourit légèrement et se leva dans le but de quitter la pièce. Il devait retourner dans sa classe pour finaliser le cours de magie noire pour les élèves en dernières années de magie. Il inclina légèrement la tête dans la direction de l'elfette en souriant avant de quitter la pièce et ajouta.

Ce fut un plaisir de vous croiser. J'espère que vous aurait bientôt le temps de venir nous voir en classe. Vous êtes la bienvenue lorsque vous le souhaiterez.

Lùthien avait besoin de temps pour créer des liens de confiance avec de nouvelles personnes, et elle n'était pas prête de faire confiance à Chad pour l'instant, mais elle se surprit à apprécier cette relation naissante avec le sorcier. La légère rivalité qu'elle avait instaurée en lançant son défi l'amusait.

- Nous verrons bien si vous y arriverez ! Si cela ne me plait pas, ce sera toujours une très bonne occasion de comprendre comment briser vos sorts. Ajouta-t-elle sur un ton railleur. En tout cas le plaisir fut partagé, je ne manquerais pas de vous rendre visite. A bientôt Chad.

Une fois le mage parti, l'oiseau bleu se percha sur l'épaule de Lùthien et se mit à chanter une mélodie cristalline. C'était ce que l'elfe préférait chez cette créature. Elle s'assit doucement et matérialisa un luth entre ses mains. L'oiseau voleta pour se percher sur le manche de l'instrument et poursuivi son chant. L'elfe commença à jouer accords et arpèges pour accompagner les trilles, dialoguant avec le soliste aux plumes irisées. Elle joua longtemps, regardant par la fenêtre la pluie qui tombait toujours. Quand la nuit tomba, l'oiseau disparut dans un battement d'ailes et Luthien regagna ses appartements, Kyukon sur ses talons.