L'oeil et la couronne

L'oeil et la Couronne

Le haut-prêtre avait attendu presque deux semaines après le carnage de la petite armée de morts pour se manifester auprès de la Reine. Il était évidemment de coutume pour chaque émissaire officiel, d'un pays étranger ou de la Foi, de saluer le souverain qui acceptait sa présence sur son sol. Toutefois, rares étaient ceux qui tardaient autant. Mais d'une part, Cephas était une personne qui aimait faire les choses au bon moment, qui ne se précipitait pas avant que tous les éléments soient en sa possession, le plus possible du moins. D'autre part, bien qu'il soit naturellement respectueux de tous, il restait avant tout un homme du peuple et qui, par voie de conséquence, avait parfois du mal à se conformer aux usages strict de l'étiquette. On n'aurait toutefois pas pu dire qu'il s'agissait de manque de respect, mais tout simplement d'un tempérament naturellement spontané.

Aussi, bien que la Reine ait spécifié l'attendre dès la première audience du lendemain, il ne se présenta qu'en toute fin de matinée. Il n'y avait pas de raison valable à cela, il aurait tout aussi bien pu se contraindre à s'éveiller aux aurores. Toutefois, il avait été happé dans une lecture des plus divertissantes dans un recueil de poèmes qui, ensemble, contaient un amour naissant entre deux adolescents des plus... naïfs il fallait l'avouer. Malgré tout, il n'avait pu se résigner à couper sa lecture et avait fini le recueil tendis que les premiers rayons du soleil caressaient le sommet des collines aux abords de la lande bordant la cité.

Tombant de sommeil, il avait donc dormi quelques heures avant de se rappeler du rendez-vous avec le Royauté.

Pour l'occasion, il s'était mis sur son trente et un. C'est-à-dire qu'il avait mis la seule robe de prêtre en sa possession. Celle-ci n'était pas première jeunesse et était même plutôt usée à certains endroits. On discernait toutefois un violet un peu délavé, des motifs bleu nuit et des coutures entrelacées tirant sur les doré et l'argenté selon leur positionnement. Un capuchon retombait sur ses épaules mais il n'avait pas pris la peine de le mettre.

Le symbole de Jaben pendait sur sa poitrine car, comme tout prêtre digne ce nom, il ne s'en départissait jamais. Toutefois contrairement à la majorité des prêtres de Jaben qui, disait-on, étaient chétifs et blafards -probablement à force de passer leurs journées dans les bibliothèques à l’abri du soleil, Cephas avait la carrure aussi développée que celle d'un bucheron et le teint typique des classes "inférieures".
Sa tignasse noire et sa barbe lui donnaient davantage l'air d'un paysan que d'un prêtre. seuls ses yeux aux iris multicolores laissaient entrevoir le lien divin qu'il entretenait avec le dieu de la connaissance et de la magie.

Cephas entrait donc en fin de matinée dans la salle d'audience et s'inclina une fois parvenu à la distance réglementaire. Il marqua un temps d'arrêt tendis qu'on l'annonçait. Il se redressa en esquissant un sourire tendis que son regard tombait sur la souveraine.

"Cephas, Haut-prêtre de Jaben et nouveau gouverneur spirituel désigné pour représenter l'Hayili au sein de votre cité. Je suis ravi d'avoir enfin le plaisir de vous rencontrer en personne."

La reine devait avoir déjà entendu parler lui pour ses interventions dans les cités de Melghir et Arakis où il avait aidé les mages à stabiliser les flux telluriques qui avaient été mis à mal par les portes ouvertes par les démons et par leur seule présence.
Il reprit, tendis que son regard s'ancrait dans le sien avec bienveillance.

"On m'a dit grand bien de vous. En d'autres circonstances, j’aurai eu plaisir à converser avec vous de votre perception des religions et de la place de la foi dans cette cité, du désespoir latent que je perçois un peu partout et des solutions merveilleuses à votre portée pour y palier. Je vous aurai assuré de nos intérêts communs sur le plus long terme et nous aurions ri d'anecdotes aussi intrigantes que ridicules. Toutefois, je crains que nous soyons tous deux pris par le temps."

Le ton était à le mesure de la personne qu'elle avait face à elle : doux, spontané et franc. Il n'était pas homme à se faire mielleux, pas même face aux "grands" de ce monde. Après tout, même eux voyaient leur destiné être régis par des choses qui les dépassaient. Tous étaient régis par les mêmes lois. Bien que Jaben soit connu pour avoir tendance à les enfreindre. Un fait qui, habituellement, plaisait aux mages humains. Les elfes et créatures foncièrement traditionalistes avaient bien souvent plutôt tendance à s'en méfier. Toutefois, Cephas avait hâte de savoir à quel degré de chacun de ses traits la souveraine actuelle se situait.

Le haut-prêtre jeta un sort de distorsion du son, faisant en sorte que les personnes en-dehors de la reine, perçoivent les sons si distordus qu'ils ne comprennent rien à ce qui se disait. Simple mesure de précaution, il n'avait jamais aimé les cours. Bien qu'il lui soit déjà arrivé d'en user pour asseoir certaines de ses positions, ce n'était, en l’occurrence, pas le moment de jouer à cela.
Il reprit sur le même ton que précédemment.

"Comme vous le savez déjà, l'armée de morts a été soulevée par un prêtre de Björ, interdit de culte par votre prédécesseur."

Il présumait simplement que ses services de renseignements et du protectorat avaient pu faire leur travail convenablement. Cette information n'en était pas véritablement une mais ça posait le cadre. Bien que si ses services avaient été réellement compétents, Kira aurait déjà du être appréhendée. Cependant, que tel ne soit pas le cas jouait en sa faveur.

"Le jeune Kardey a du vous faire part de son désarroi devant l'horreur de cette attaque  qui nous a tous choqué. Le Temple et les fidèles pris pour cible prioritaire, ainsi que tous les malheureux qui ont eu la malchance de tomber sur les morts..."

Les sourcils du prêtre se froncèrent alors que grondait encore en lui une sourde colère. Par uniquement du fait des morts mais aussi et surtout parce que c'était le Temple et l'Hayili entiers qui avaient été dévoyés par ce geste inconsidéré d'une prêtresse qui semblait-il, était bien plus capricieuse que le dieu qu'elle servait. Malheureusement, ces choses-là arrivaient... Certains prêtres interprétaient à tort les volontés de leur déité tutélaire et leur vouaient des actions qui, pour certaines, ne servaient pourtant pas leurs intérêts sur un long terme. Or, si une chose était certaine, c'était bien que les dieux, du fait de leur nature éternelle, ne voyaient pas les choses à court terme. Exception faite des plus vindicatifs éventuellement mais ce n'était pas le cas de Björ pour ce que Cephas en savait. Tout portait à croire que la prêtresse avait outrepasser ses prérogatives.
L'aura du prêtre était demeurée calme malgré sa colère, bien que l'atmosphère avait paru légèrement plus fraiche.

Cephas secoua doucement la tête.

"Je suis en mesure de vous aider à mettre un terme à tout cela une fois pour toutes." conclut-il simplement.

Lùthien avait accepté la demande d'audience du nouveau haut-prêtre. Elle avait cependant veillé à ce que l'audience soit publique. Elle savait en effet qu'en politique chacun avait des positions publiques et d'autres plus confidentielles. Et le sujet de la religion étant épineux à Targatt, elle souhaitait d'abord connaître les positions officielles du prêtre avant d'envisager avec lui d'autres types de relations. Avec les récents événements, elle n'avait guerre eu le temps de récolter beaucoup d'information à son sujet.

L'arrivée relativement tardive du prêtre avait permis à un certain nombre de curieux de la cour de s'assembler pour assister à l'introduction de cette nouvelle figure religieuse dans le petit monde des hautes sphères targatiennes. L'annonce de son nom et titre fut donc suivi d'un bruissement de chuchotements et de froissement de robes.

- Le plaisir est partagé, excellence. Répondit la reine eflique.

Les premières paroles de Cephas firent plutôt bonne impression sur la souveraine. Mais cette impression changea très rapidement dès le moment où elle se rendit compte qu'un sort avait été lancé. C'était évidemment un total manquement au protocole et tous les gardes royaux de la salle étaient sur le qui-vive. Quand Cephas commença à parler de l'attaque du temple, Lùthien dû faire appel à tout son sang froid pour garder un air impassible. Pour oser aborder un sujet aussi délicat en pleine audience publique, ce prêtre était soit dangereux, soit stupide. Et comme il semblait en savoir un peu trop sur le nécromancien présumé responsable, la reine penchait pour le premier.

Quand le prêtre se tut. Les gardes dissipèrent son sort sur un ordre télépathique de la reine. Celle -ci se leva en regardant le haut-prêtre de son regard bleu et froid, puis déclara l'audience close avant de sortir avec sa suite.

Cephas de son côté put faire la rencontre de deux gardes royaux qui l'invitèrent cordialement à les suivre. Bien sûr, si il refusait, ils lui feraient comprendre subtilement que son avis n'entrait pas vraiment en considération. Une fois loin des oreilles indiscrètes, ils l'informèrent cependant qu'il allait être reçu par sa majesté en privé. Après un peu de marche dans les longs couloirs du palais, il fut donc introduit dans le grand bureau royal. Lùthien l'attendait, encadrée de ses gardes qui restaient immobiles le long des murs.

- Je vous écoute.

L'oeil et la Couronne

Cephas ne fut guère surpris en sentant la gène et la tension se répandre dans l'assemblée comme une trainée de poudre, et notamment parmi la garde royale de la Rein alors qu'il avait lancé ce sort, inoffensif certes, sans en demander l'autorisation au préalable. Pourquoi l'aurait-il fait d'ailleurs ? La magie appartenait à tous et chacun était libre d'en user quand il le souhaitait. Il serait cependant de mauvaise foi de ne pas reconnaitre que sa petite taquinerie était du plus mauvais gout dans une cité qui avait déjà été maintes fois attaquée. Toutefois, comme n'importe lequel de ses comportements, il avait agi à dessein et en ayant parfaitement conscience de ce qu'il pouvait risquer.

Il n'était pas sot au point de croire qu'il pourrait lancer un sort dans une telle enceinte sans en payer le prix en quelque sorte. Après tout, il s'agissait ni plus ni moins que d'une provocation. Bien entendu, il aurait préféré avoir le temps de bavarder autour d'un thé ou d'un verre d'alcool. Mais il avait dit vrai : le temps risquait de manquer. Non pas qu'ils soient à la minute bien entendu, ni même à la journée sans doute, quoi que. Mais il connaissait assez les souverains pour savoir que les décisions qu'ils prenaient mettaient un certain temps à être suivis d'effets. Aussi, en faisant part d'une urgence, il s'assurait d'avoir une écoute plus attentive et potentiellement donc, également une réaction plus rapide. Quand au risque de vexer la reine, disons simplement qu'il comptait là-dessus dans une certaine mesure.

Cephas avait toujours été quelque peu taquin et, puisqu'il faisait valoir l'urgence, il devait donc découvrir plus rapidement encore à quel souveraine il avait affaire. Bien entendu, le fait que Kardey ait une attirance pour elle, et même quelque sentiments naissant laissaient penser qu'elle n'était pas le même type de monstre que son prédécesseur. Mais il savait également que toute personne de pouvoir pouvait se révéler être un monstre, d'une manière ou d'une autre. Ce n'était par ailleurs pas systématiquement un mal. C'était parfois même une nécessité. Cependant, ces questions n'étaient pas de ressort et il se contenterait donc de sa petite taquinerie pour en déduire le type de personnalité qu'il avait en face. C'était là que résidait l'agréable surprise car, contre toute attente, il ne fut ni attaquer ni ne dut subir de dissipation de magie divine. Il faut dire que pour ce dernier cas, sa nature différait sans doute trop de la magie profane si bien qu'il était relativement rare de voir quiconque en possession du savoir requis pour ce faire. Ce qui l'arrangeait cela allait sans dire.

La Reine l'écouta froidement et, une fois que le sort eut été dissipé, l'enjoignit à la suivre jusqu'à un lieu plus privé. Parfait. Il avait face à lui une personne, a priori, doué d'un semblant de retenue et de bonne intelligence.
Cephas emboita le bas aux gardes sans se faire prier et observa les lieux de la même manière que l'aurait fait un touriste tendis qu'il traversait de vastes couloirs jusqu'à destination.

Le haut-prêtre adressa un sourire bienveillant à l'elfe qui l'invitait à reprendre où il s'était arrêté. Toutefois, l'expression de son regard devint plus sérieuse tendis qu'il repassait en revue l'entretien qu'il avait eu avec Kira.

"Le prêtre qui a relevé tous ces morts est une vieille vampire, prêtresse de Björ comme vous devez vous en douter. Colérique, arrogante, vindicative et fanatique. Et soyez assurée que j'évalue et soupèse chacun des mots que j'emploie."

C'était les qualificatifs les plus fidèles qu'il avait trouvé pour qualifier le comportement et la personnalité de la prêtresse. Le ton, bien que toujours aussi serein, et presque doux en un sens, se fit un peu plus froid, signe latent de son ressentiment envers la vampire dont il était question.

"Le mobile est des plus simplistes : une contestation de l'interdiction de ce culte. Par ailleurs, c'est le seul dieu hayiliste qui a été banni de la sorte. Bien que je pense qu'il s'agissait surtout, à l'époque, d'une manière de calmer les peurs inhérentes à la situation que connaissait la cité avec la première invasion des démons et les nombreux morts qu'ils avaient fait déjà à l'époque... Nier la mort n'est pourtant qu'une solution palliative et dont les effets sur le moyen ou long termes sont plus problématiques que salvateurs... Quoi qu'il en soit, elle, de son côté, ne voit rien que plus qu'une insulte. Ca a fait naitre chez elle un profond sentiment d'injustice et elle s'est mise en tête de réparer l'affront que la cité, notre temple inclus, aurait infligé au dieu de la mort."

Il marqua une courte pause avant de poursuivre avec un sourire un peu triste.

"Les morts, hayilistes ou non, le resteront. Ils ne méritaient pas cela. Toutefois, il est de mon ressort de tirer des leçons de ce qu'il s'est passé afin d'éviter que ça se reproduise."

Cephas prit un instant, le temps d'ajuster son discours, d'employer le vocabulaire le plus adapté, sans que la reine ne se sente commandée puisque ce n'était pas son intention. De son point de vue, ils avaient tout à gagner à travailler de concert pour donner à la cité la lumière qu'elle mérite. Oh, dans le cas de Cephas, cela passait par la religion certes, mais avant tout par la connaissance et la recherche du meilleur trait des espèces mortelles douées d'intelligence : la curiosité.

"Au risque de vous contrarier davantage, il se pourrait que j'ai déjà pris les devants afin de jauger la marge de manœuvre que nous avons." Il se mit pourtant à sourire d'un air radieux. "Je connais donc le moyen parfait pour que vous puissiez la capturer sans qu'elle ne fasse aucun dégâts à qui ou quoi que ce soit."

Et bien oui, son piège était déjà prêt. Il ne lui manquait plus qu'un maigre concourt de la part du gouvernement. C'était du gagnant-gagnant. Il entreprit d'expliquer.

"Je pense que vous conviendrez que Björ n'est pas le dieu le plus dangereux. Toutefois, ses prêtres, bien que rares, restent parmi les plus utiles puisqu'ils aident à préparer les corps selon différentes rites, en plus d'accompagner l'âme du défunt, où qu'il doive aller. Ils garantissent, à leur niveau, l'accompagnement adéquat à la persistance du cycle naturel de la vie et de la mort."

Cephas s'interrompit dans ses explications, songeant qu'il avait commencer à digresser. Il se recentra sur le sujet qui les intéressait.

"Réhabiliter le culte de Björ pour l'autoriser dans la cité permettrait à la fois de rétablir l'équilibre du Temple en interne et prouverait que le pouvoir de Sa Majesté n'est guère impressionné par une pseudo démonstration de force en plus de dénoter une sagesse à faire qui est juste."

Son sourire s'élargit un peu tendit qu'il continuait.

"La prêtresse m'a assuré qu'elle renoncerait à poursuivre son entreprise de vengeance puérile si tel était le cas. Mais le plus important c'est que la réhabilitation la poussera à accepter ma propre requête, à savoir, qu'elle se rende dans le temple à la rencontre des fidèles."

Bien qu'il ne se départisse pas de son sourire, son regard multicolore sembla s'assombrir, devenant plus inquiétant.

"Ce faisant, elle sera donc prisonnière du Temple et incapable de faire le moindre mal. Votre gouvernement n'aura qu'à l'appréhender et récolter les lauriers pour une arrestation faite en silence et sans verser la moindre goutte de sang."

Il restait réticent à vendre un être de son propre panthéon, mais le fait que ses actions décrédibilisent toute leur religion, tous dieux confondus continuait à l'agacer au plus haut point. De plus, il aurait été suicidaire de faire confiance à une telle créature qui n'hésitait pas, par fanatisme, à évoquer un abus de pouvoir politique pour une faute telle que la cité mériterait la destruction. Oui, elle devait être stoppée. Mais quitte à ce qu'elle le soit, autant faire en sorte que le Temple puisse profiter de son éviction. Le panthéon évoquait l'équilibre cosmique de toute f=chose, de toutes les forces présentes. Le fait d'interdire certains cultes revenait à nier les forces symboliquement représentées par la déité qui en faisait les frais. Ici, il s'agissait de nier la mort, son immuabilité. C'était naturel d'avoir peur de la mort mais cette peur ne devait pas contrôler qui que ce soit.

Lùthien écouta avec attention les déclarations de Cephas. Avant même qu'il l'avoue, Lùthien avait compris qu'il avait rencontré la coupable. C'était évident, même les renseignement n'avaient pas autant d'informations. Il lui confirma donc les informations désignant la coupable comme une prêtresse de Björ.

L'attitude de Cephas était ambigüe dans cette affaire. Il était vrai que s'il était totalement complice, il n'avait aucune raison de venir se rendre et livrer la criminelle. D'un autre côté, s'il était vraiment son adversaire, pourquoi avait-il autant tardé pour venir collaborer avec la justice ? La reine songea qu'il avait ses propres intérêts dans l'histoire... à commencer par la réhabilitation de Björ qui semblait lui tenir à cœur malgré les méthodes démontrées par la nécromancienne. Lùthien réfléchit longuement avant de finalement formuler sa réponse à la proposition de Cephas.

- Votre plan a ses avantage. Et quelques problèmes. Pour commencer, il repose sur le double jeu que vous jouez... et donc sur la confiance que je dois vous accorder quant au parti que vous allez trahir. A défaut d'avoir le temps de construire une certaine confiance entre nous , Cephas, je propose de laisser la magie séparer le vrai du faux.

Lùthien fit apparaître sous leurs pieds à tout deux une zone de vérité. Paradoxalement peut-être, c'était Drake qui avait généralisé le recours ce type de sort. Mais la reine devait avouer qu'elle le trouvait fort utile, surtout dans un contexte où elle devait rapidement nouer de nouvelles alliances pour consolider son règne. Elle poursuivit.

- Le deuxième problème de votre plan est que la plupart des gens, jusqu'à mon premier ministre, ne voient aujourd'hui dans le culte de Björ que l'apologie du meurtre, de la profanation et de la nécromancie. Une position favorable à Björ venant de ma part serait nécessairement mal interprétée et sujette à controverse. Etant donné les récents événements, nous pouvons déduire soit que Björ a effectivement les intentions qu'on lui prête, soit qu'il choisi très mal ses serviteurs, et les deux cas sont difficilement défendables. Je suis certaine que vos arguments sont meilleurs que ceux de sa prêtresse et je suis prête à les considérer sérieusement, cependant, changer une loi ne changera pas l'opinion publique du jour au lendemain. Et étant donné que j'ai délégué le pouvoir législatif au sénat, changer la loi prendra également un certain temps. Ce qui m'amène au troisième problème, à savoir le fait que la réhabilitation de Björ est pour moi bien moins urgente que l'arrestation du danger public que représente cette nécromancienne.

Elle réfléchit à nouveau un instant.

- Cependant, s'il s'agit simplement de piéger notre adversaire, et s'il faut une preuve pour la convaincre, je peux rédiger un édit royal réhabilitant Björ, mais rien ne pourra être rendu public... Sinon... vous pourriez simplement nous dire comment retrouver cette prêtresse.

Lùthien parlait calmement, mais elle souriait peu et son regard était aussi tranchant que le bleu de ses yeux. Elle avait l'impression que derrière le sourire du prêtre, il y avait plus qu'il ne laissait paraître.

L'oeil et la Couronne

Les elfes étaient décidément dénués du moindre enthousiasme. C'était la conclusion à laquelle Cephas était arrivé après en avoir rencontré de toutes sortes. Et tous partageaient cette espèce de caractère hautement sérieux en toute circonstance, dépourvu du sens de l'humour et, hormis pour certaines connaissances, pour de rares membres de cette espèce, la plupart étaient incroyablement lassants. A moins que ça ne soit Cephas qui s'ennuyait rapidement. Toujours est-il que le haut-prêtre restait,bien malgré lui, plutôt enthousiaste. Il faut dire que Kira n'était pas plus qu'une épine dans sa chaussure. Évidemment il s'attendait à de la méfiance de la part de la reine et n'oubliait pas qu'elle devait sans doute préserver les apparences. Il se surpris à se demander à quel point elle se laissait aller avec Kardey et une étincelle amusée brilla un instant dans ses yeux tendis qu'il se reconcentrait sur ce qu'elle était en train de dire.

Le prêtre esquissa un sourire tendis qu'elle estimait qu'il était un traitre potentiel.

"Vous vous méprenez sur un point. Je pourrai être un traitre si seulement j'avais prêté serment. Et si j'avais engagé ma parole sans la tenir, ça ferait de moi au pire, un menteur, et non pas un traitre."

Il était toujours aussi détendu. Visiblement, qu'on puisse le prendre pour un traitre potentiel ne le gênait absolument pas.

"Je n'ai prêté aucun serment, pas même à Jaben bien que je le serve avec plaisir. Ce n'est donc ni à vous ni à cette prêtresse que j'en ferai. En cela, vous pouvez donc être rassurée, je ne saurai être un traitre."

Il jouait certes sur les mots et savait très bien où elle voulait en venir. Mais les mots avaient tous leur importance. Tant d'ailleurs que certaines formes de magie en découlaient directement comme c'était le cas du draconique ou du sombre verbe qui étaient, chacun à leur manière, plus bien que de simple langages.

"Que pourriez-vous craindre de moi au final ? Pour répondre à cette question, employez votre logique et votre raison en revenant aux faits. Je suis haut-prêtre de l'Hayili. Le temple de Targatt a perdu en 10 ans plus de fidèle dans votre cité que partout ailleurs. On m'a envoyé ici évidemment pour réhabiliter auprès de la population comme du pouvoir, non pas le seul culte de Jaben, mais bien le panthéon hayiliste en entier. Ce sont des faits dont on a du vous informer. Or, une prêtresse d'un dieu de ce même panthéon a attaqué le temple hayiliste et la population de Targatt. N'est-ce pas là où convergent nos intérêts communs ? J'évince un prêtre qui outrepasse clairement ses prérogatives comme les intentions de Björ. Non que je les connaisse, mais le dieu de la mort n'est pas connu pour être un enfant capricieux en mal de reconnaissance. Il y a donc bien peu de chances qu'il ait réellement demandé à ce vampire d'attaquer la cité. Enfin, Targatt est instable politiquement depuis déjà plusieurs années et vous n'avez survécu aux attaques des démons que grâce à l'arrogance dont ils ont fait preuve en n'envoyant que poignées des leurs, parmi lesquels, aucun démon majeur. Aussi, vous avez besoin d'une victoire qui puisse entièrement vous revenir et montrer à la population comme à vous-mêmes que vous êtes apte à gouverner, c'est-à-dire à guider et protéger votre peuple. Qu'une armée de morts, mineure qui plus est, ait pu pénétrer aussi facilement la cité est le signe flagrant -pour tous- que Targatt est faible actuellement. Stopper cette prêtresse n'est que le strict minimum. Il est évident que vous avez besoin d'appuis. J'aurai me charger du vampire et sa sa horde seul. Ca aurait fait quelques dégâts,matériels et humains, mais compte tenu du passif de la cité, je n'aurai eu qu'à m'excuser de ces nouvelles pertes en prétextant la dangerosité de cette dernière et à part un peu de ressentiment à mon encontre par votre personne, je n'aurai pas eu grand chose à craindre. Au finale, tout ce que l'on aurait retenu c'est que le nouveau haut-prêtre a rétabli l'ordre que le gouvernement était incapable de garantir."

Il marqua une courte pause, laissant la reine elfe réfléchir un instant à tout ce qui venait d'être dit. Non que ça soit si compliqué que cela. Simplement, la réflexion de la reine semblait être biaisée par... parle passif de la cité lui-même notamment, et par la peur latente qu'il lui semblait percevoir en elle, d'une manière diffuse. Cephas avait donc expliciter les choses en revenant aux basiques de la réflexion : les faits et les intérêts de chacun. Connaissez les deux et vous aurez prévoir les actions de tout un chacun. Il conclut tout de même, par soucis d'être parfaitement clair.

"Je vous propose une alliance."

D'ordre politique comme spirituel. Bien entendu, étaler tel qu'il l'avait fait les faiblesses de la cité ne serait sans doute pas pour le servir. Pourtant, seul l'ami parlait avec franchise même aux rois ou aux reines. Il n'avait pas été condescendant pour un sou, se contentant d'énoncer des faits et l'autre voie qu'il aurait pu suivre.

Une zone de vérité apparut sous les pieds de Cephas qui l'examina avec attention tendis qu'elle continuait à énoncer ce qu'un esprit étriqué considérait comme un "problème", avant de sourire de nouveau.

"Il semble que là encore, vous vous mépreniez sur les dieux. Ils sont certes révérés par certains, craints et vénérés pour d'autres, car surpuissants mais ils n'en demeurent pas moins des créatures comme tout un chacun. En quoi leur serait-il impossible de se tromper ou de se faire usurper ? Les dieux comme toutes les créatures du multivers ne sont pas infaillibles. Elles sont simplement moins facilement faillibles. Le ressentiment que vous semblez nourrir à leur encontre vient simplement de votre croyance biaisée selon laquelle les dieux devraient être "parfaits". N'est-ce pas là transposer vos espoirs sur eux ? Le peuple n'attend-il pas de vous la même chose en fin de compte ?"

Bon sang, Kardey avait-il eu la moindre influence en matière de religion dans cette cité. Depuis le temps qu'il y était, qu'avait-il fait tout ce temps pour que même la Reine ignore des choses aussi basiques ? Peut-être faudrait-il que Cephas soit plus sévère avec lui en fin de compte car il y avait clairement un profond souci. Il considéra la reine un instant avant de soupirer.

"Vos second et troisième problèmes n'en sont que parce que vous acceptez qu'il en soit ainsi. Vous auriez les moyens de faire qu'il en soit autrement mais ces considérations ne relèvent pas de ma compétence. Je n'oserai pas dire à un souverain, quel qu'il soit, comment il devrait agir. Aussi, je me contenterai d'accepter votre acte de foi."

Il lui sourit en désignant le cercle de vérité. Ce n'était en effet, pour lui, qu'un acte de foi. La personne qui le lançait ne pouvait en réalité être certaine à 100% que le sujet n'y avait pas résisté, ou ne l'avait pas détourné. C'était souvent le cas en matière de magie d'ailleurs, une meilleure connaissance et maitrise d'un sort pouvait très bien se retourner contre le lanceur. Il en était de même des sorts de vérité.

Oh, Cephas devait reconnaitre qu'ils étaient fort utiles pour démêler le vrai du faux dans la majorité des cas en matière judiciaire. Toutefois, il était aisé de ne montrer qu'une partie de la vérité. Ce que l'on montrait ou disait n'en demeurait pas moins véridique. On pouvait également manipuler la personne dans le cercle de sorte que "sa" vérité ne soit pas "la" vérité. Pour Cephas en tout cas, il aurait eu tôt fait de rendre le sort inactif, ou inefficace sans même qu'elle ne s'en aperçoive. Pour cette raison justement, il considérait que, soit la reine le sous-estimait -il était tout de même un haut prêtre du dieu de la magie lui-même-, ou qu'elle faisait un acte de foi en l'enjoignant à coopérer encore davantage qu'il ne le faisait déjà. Bientôt elle lui demanderait de finir nu si ça continuait ! Enfin, Cephas étant d'une nature plutôt conciliante et pédagogue, il préféra prendre l'emploi de ce sort pour un encouragement et le signe qu'elle n'était pas dénuée de toute foi.

"Laissez moi donc vous montrer plutôt que de vous conter."

D'un geste de la main, un miroir apparut en lévitation devant Luthien. Il ne reflétait pourtant pas le reflet de l'elfe mais montrait les rues de Targatt, plus précisément du cercle. On semblait voir par les yeux de Cephas qui marchait en tenant le crâne d'un nécrophage entre ses mains, suivant une fine fumée vers sa destination : la cachette de la prêtresse dont l'image apparut finalement alors que le haut-prêtre venait d'entrer dans son antre.

La reine put alors assister à l'ensemble de l'entretien qu'il avait eu avec elle. Il aurait pu modifier quelques formulations pour passer plus aisément pour une personne de confiance auprès de la reine mais il considérait le gain potentiel comme ne valant pas le risque qu'elle le découvre un jour. Aussi, Luthien put assister comme si elle y était, à l'entrevue entre les deux prêtres, et donc, vérifier les raisons pour lesquelles Cephas avaient fini par considérer Kira comme une personne à abattre, dans tous les cas de figure.

Lùthien laissa le prêtre parler, il y avait de nombreux points sur lesquels elle n'était pas d'accord, notamment l'interprétation qu'il donnait de sa critique de Björ. Cephas ne comprenait visiblement rien à sa vision des choses et ne cherchait pas à la comprendre, comme s'il savait tout bien mieux qu'elle, y compris ses propres pensées. L'elfe ne comptait pas parler davantage pour quelqu'un qui ne savait pas écouter. Quant au cercle de vérité, Lùthien savait très bien qu'il n'était pas infaillible. Mais la suffisance marquée de Cephas lui donnait par contre une indication concernant sa puissance magique, une information utile pour quelqu'un comme Lùthien qui n'avait pas souvent eu affaire à des prêtres et à la magie divine.

L'elfe regarda ce qui semblait être le souvenir de Cephas. La conversation était en substance ce que le prêtre avait déjà raconté... Il ne faisait que confirmer ses dires. Mais il ne semblait toujours pas comprendre le problème que Lùthien voyait dans son comportement. La nouvelle reine passait son temps à essayer d'empêcher les mages les plus puissants de faire "justice" par eux-mêmes, et Cephas prétendait que les autorités n'auraient rien eu à lui reprocher s'il avait combattu sans en informer personne ? Non, il était temps de le remettre à sa place.

- Comme vous l'avez dit avec éloquence, la décision concernant Björ ne vous revient pas. Si vous voulez me montrer votre bonne foi, pourquoi ne pas me donner la prêtresse directement ? Si cela peut vous aider à vous décider sachez que, serment ou non, vous n'êtes pas au dessus des lois, éminence. Appelez-ça comme vous voudrez, mais négocier avec une ennemi de la cité sans en référer aux autorités s'appelle ici de la haute trahison. Avouez qu'il s'agit d'une très mauvaise manière de débuter votre négociation avec moi, n'est-ce pas ?

La reine allait poursuivre mais elle sembla soudain distraite par quelque chose. Elle leva la main pour faire signe à Cephas d'attendre tout en fixant le vide quelques secondes, apparemment en proie à une réflexion intense. Puis elle donna quelques ordres en elfique à un de ses gardes qui sortit rapidement. Elle fixa le prêtre un instant avant de reprendre.

- Je sais très bien pourquoi vous êtes là... Et ce que je crains c'est que votre attachement à votre mission - ou à autre chose - ne vous fasse oublier votre place, comme aujourd'hui. A vous qui aimez la précision sémantique, je rappellerais qu'une alliance se fait entre égaux, ce que nous ne sommes pas. Ce que vous n'avez pas compris non plus, c'est que ce n'est pas avec un vulgaire chantage pour arrêter une criminelle que vous obtiendrez de moi les moyens de soutenir la foi Hayiliste. Je pensais qu'un servant de Jaben aurait des propositions plus subtiles que celle-là. Pour l'instant, vous n'avez gagné qu'une visite de nos cachots. Maintenant, donnez-moi une bonne raison de ne pas vous renvoyer aux Primats au profit de quelqu'un de plus compétent et respectueux, et expliquez-moi en quoi vous pourriez être utile à cette cité.

L'oeil et la Couronne

Cephas laissa la reine faire sa crise d'autorité comme les plus jeunes s'arrogent la liberté vis-à-vis de leurs aînés une fois parvenus à un âge presque raisonné. Avec bienveillance, il ne l'interrompit en rien, se contentant de sourire aimablement, les yeux pétillant toujours de malice. Lorsqu'elle eut terminé, le prêtre se contenta de croiser les mains devant lui, le plus sereinement du monde.

De sa voix calme et contenue, il entreprit de répondre à l'ensemble de son questionnement, légitime en un sens bien que maladroit.

"Tout d'abord, c'est aussi parce que je connais vos lois et mon rôle que j'ai fait le choix de ne pas procéder moi-même à une arrestation qui vous aurait dépossédé de votre pouvoir décisionnel et aurait sapé votre autorité. C'est par égard pour nous tous que je ne l'ai pas fait. De plus j'aurai mis en danger vos concitoyens ce à quoi je n'ai pas pu me résoudre, de toute évidence, puisque je me tiens devant vous sans elle."

Il marqua une courte pause avant de poursuivre.

"Il n'y a de haute trahison que si l'action menée avait consisté en une extrême déloyauté à l'égard de son pays, de son chef d'État, de son gouvernement ou de ses institutions. Or, d'une part, je ne suis pas citoyen de la cité, et d'autre part, mon institution n'est pas liée à votre royauté. Les cultes ne le sont jamais mais il est logique de coopérer avec les souverains. Cependant, de la même manière que les éthéristes n'ont pas été les vassaux de feu votre prédécesseur, je ne vois pas de raison de prétendre être le vôtre. Je vous remercie par ailleurs de ne pas me confondre avec le jeune Kardey qui peine encore à trouver sa place au sein du clergé."

Cephas lui sourit avec respect et prévenance. Il reprit sur le même ton.

"Il me semble que même si les négociations avec vous échouaient, je vous ai déjà apporté énormément d'informations utiles. Qu'il s'agisse de la localisation de la prêtresse, de son identité, de son mobile et même du fait qu'elle aura probablement déjà exhorté d'autres prêtres de sa connaissance, positionnés hors de vos murs, à poursuivre son œuvre si l'affront n'était pas lavé."

Le prêtre décroisa les mains, son regard se faisant pensif tendis que sa main gauche venait lisser sa barbe courte dans un geste réflexe.

"Il était sans doute présomptueux de ma part de croire qu'un aussi jeune pouvoir pourrait dépasser les soucis protocolaires pour se soucier des retombées sur sa population. Comme vous avez vous-même pu le constater à la lumière de mes souvenirs de l'entrevue avec Kira, elle est déterminée à créer des troubles. Elle-même ou par d'autres extrémistes, tant que subsistera l'affront dont elle pense que leur dieu est victime. Or, il va de soi qu'une réhabilitation du culte de Björ aurait certes pour effet de permettre au panthéon d'être de nouveau uni comme je le souhaite, mais surtout, permettrait de prévenir et d'éviter un nouveau bain de sang."

Les yeux multicolores vinrent se planter dans ceux de la Reine sans aucune animosité mais avec sérieux cette fois-ci. Elle ne voyait pas plus loin que le bout de son nez et se souciait davantage de son manque de charisme que d'assurer ses fonctions. Toutefois, c'était là l'erreur la plus commune chez les souverains nouvellement couronnés. Il ne doutait pas qu'elle saurait s'imposer sans faire de crise d'autorité dans le futur. Cependant, ça lui demanderait des efforts et du travail. Sur elle-même notamment... Avec les bons conseils, Cephas supposait qu'elle pourrait devenir la Reine que Targatt espérait. Mais en l'état actuel des choses, elle était tel un marchand qui dilapidait son or aux quatre vents.

"Par ailleurs, un édit royal proclamant que Targatt, en tant que cité libre, autorise tous les cultes à être présents à condition que les rites ne soient pas contraires aux lois en vigueur -comme le meurtre de masse par exemple- permettrait tout à la fois de prévenir les prochains débordements des dévots de Björ et d'autoriser les éthéristes, dont vous et vos paladins êtes proche je crois, à agir selon vos lois. Car je n'ai trouvé nul document attestant la levée officielle de l'interdiction de culte qui les avait frappé quand votre prédécesseur était au pouvoir.

Ainsi, il s'agirait d'une forme qui conviendrait mieux à ses attentes, et les 'qu'en dira-t-on' qui l’inquiétaient tant seraient mineurs voire inexistants.

"Je subodore toutefois que, s'agissant de ma propre opinion, et l'idée n'émanant pas vous, vous la refuserez donc également sous de vains prétextes."

C'est qu'elle avait davantage d'égo que de charisme, ce qui contribuait à la faire passer pour une affreuse soupe-au-lait. Il réprima un soupire, songeant que malgré les années, elle n'aurait peut-être pas la sagesse d'admettre avoir surréagi. Avait-elle assez de calme et de sang-froid pour juger une situation en elle-même et non le porteur du message ? L'avenir proche le dirait. Il croisa de nouveau les mains devant lui, inclinant légèrement la tête sur le côté dans le signe évident d'une interrogation.

"Vous êtes libre de m'enfermer si vous le souhaitez. Par égard pour votre personne, je ne vous ferai pas l'affront de m'éclipser. Quant à me renvoyer auprès des primats, vous le pouvez également. Vous ne serez pas la première à ne pas apprécier le manque de courbettes. Cependant, les primats me connaissent. Tout comme il savent pour mon grand sens de l'humour et mon amour pour les choses non conventionnelles. Pour autant, dans leur infinie sagesse, ils ont malgré tout jugé que j'étais le plus apte à gérer le temple dans cette cité, et à accompagner votre pouvoir sur le chemin de la grandeur alors même que votre nature d'elfe laisse entendre de prime abord que vous seriez, comme vos semblables, d'une nature peu aimable, froide, rigide et condescendante."

Il n'y avait nulle condescendance, ni froideur, ni agacement dans ces paroles. Il ne faisait qu'énoncer les a priori les plus communs sur les elfes, et communément admis et intégrés par la communauté magique comme humaine. Ce n'était nullement un jugement de valeur, il ne faisait que souligner le fait qu'elle répondait maladroitement à tous les critères en question. Avant qu'elle ne puisse prononcer le moindre mot pour l'envoyer paître, ou le mettre en cellule, il conclut son propos.

"N'est-ce pas justement nos différences qui nous prédestinent à faire, ensemble, de magnifiques choses pour cette cité ? Vous refusez l'idée d'un pacte car nous ne serions pas égaux. Je comprends qu'en tant que souveraine vous soyez, de fait, au-dessus des autres. Du moins, est-ce le cas pour vos concitoyens. Cependant, le fait d'avoir changé de strate, d'être passée de citoyenne à reine, fait-il forcément de vous une "meilleure" personne, telle que nul autre ne puisse vous être d'aucun secours ou qu'aucun autre avis ne vaille la peine d'être considéré ?"

La question n'avait rien d'ironique. A celle-ci, certains souverains lui avaient répondu par l'affirmative sans sourciller. Il souhaitait simplement lui faire prendre conscience que ce n'était pas car les avis, les idées et autre considérations, ne lui parvenaient pas dans la forme ou le respect qu'elle souhaitait, que tout était bon à jeter. Seuls les enfants étaient aussi absolus. Cephas sourit doucement à la Reine.

"Je sais que mes prochaines paroles vont me faire jeter en prison, pourtant, elles témoignent de mon égard pour votre personne..."

Il regrettait presque déjà ce qu'il allait dire mais, pour le bien de leurs relations futures, et face à une personne telle que Luthien, il préférait jouer carte sur table.

"J'imagine qu'il ne serait ni anodin, ni risible, qu'un souverain nouvellement nommé, puisse éprouver une forme d'appréhension à exercer ses fonctions et à trouver sa juste place dans l'exercice de l'autorité. La charge est lourde en plus d'être ingrate. Je ne dis pas que c'est votre cas. Cependant, ce ne serait pas honteux. Et comme toute personne en proie au doute, je ne saurais que vous conseiller de vous confier à des personnes de confiance. Des personnes qui demeurent davantage loyale envers Luthien qu'envers la reine. Suffisamment du moins pour oser la conseiller. Si de telles personnes existent dans votre entourage, vous gagneriez à lâcher la bride. Parfois, une simple confession à cœur ouvert auprès d'un ami permet de remettre les choses en perspective et de repartir du bon pied."

Cephas inclina brièvement la tête en attendant de savoir ce qu'elle allait faire. En vérité, si des prêtres de Björ menaçaient encore la cité, il restait une personnes les plus puissamment armée pour les empêcher rapidement de nuire et remonter jusqu'à eux avec facilité.

Cephas s'entêtait à se considérer au-dessus de la loi et restait campé dans ses positions. Il se répétait encore, brandissant la menace d'autres prêtres de Björ qui pourraient s'adonner à de nouvelles atrocités. Et se jouait d'elle avec une impertinence qui flirtait avec l'insulte en suggérant qu'elle était froide, peu aimable, et refusait d'écouter ses arguments. De son côté Lùthien estimait que le rôle d'une reine n'était pas d'être aimable et qu'elle se montrait plutôt compréhensive vu la situation.
Lùthien fixa le regard coloré du Haut-prêtre alors qu'il suggérait qu'elle n'était probablement pas sûre d'elle. Elle plissa légèrement les yeux comme un félin. Il était vrai qu'elle doutait parfois d'elle même. Elle devait se démener pour parvenir à relever la cité, cela ne se faisait pas sans heurts et sans échecs et elle ignorait si son règne serait un succès. Pourtant elle savait dans quelle direction elle voulait avancer. Mais il était vrai que si elle avait des alliés, elle avait peu d'amis vraiment capables de comprendre ses desseins. En un sens, les paroles de Cephas lui rappelaient qu'elle avait intérêt à faire de lui un allié.
Alors qu'ils parlaient, un garde vint glisser quelque mots à la reine. Les services de renseignement observant l'échange entre la souveraine et le haut-prêtre n'avaient pas manqué de transmettre directement les informations divulguées par Cephas au personnel chargé de l'enquête sur la nécromancienne. Chad avait ainsi pu confirmer la piste qu'il était en train de suivre et la prêtresse fanatique avait enfin pu être localisée. Les détails fournis par le prêtre permettaient également de connaître le meilleur moyen de la combattre.
- C'est vrai, vos informations sont utiles, et je compte les mettre à profit immédiatement. L a suite de nos négociations attendra donc au moins la chute de cette prêtresse fanatique.
La reine se leva pour sortir mais s'arrêta un instant à la hauteur de Cephas.
C'est vrai, je peux être rigide. Je n'aime pas qu'on me force la main, et j'ai du mal à rire quand des vies sont en jeu. Mais je vais réfléchir à vos propositions.
Elle s'éclipsa pour aller préparer l'assaut sur le repère de la vampire, presque avec enthousiasme. Pour chasser les criminels, elle savait comment s'y prendre. C'était simple : traquer, capturer, sanctionner. En comparaison, les négociations politiques étaient de vrais casse-tête qui abîmaient ses nerfs plus que les batailles qu'elle avait à mener.
Une fois la reine sortie. Deux gardes conduisirent Cephas dans une chambre du palais tout à fait correcte. On ne l'informa guère plus sur son sort. S'il sortait de sa chambre, un garde se contenterait de le suivre et ne l'arrêterait que si il cherchait à quitter l'enceinte du palais. Cephas fut donc logé et nourri comme 'invité' jusqu'au lendemain. S'il avait entre temps laisser traîner ses oreilles dans les couloirs près du mess de la garde ou simplement interrogé son gardien, il apprendrait certainement que la nécromancienne et ses sbires avaient été vaincus, mais que l'alerte n'était pas encore levée.
Dans l'après-midi, une fonctionnaire à l'air indifférente vint le chercher et le conduisit devant la Grande Chambre de Justice où l'attendaient une assemblée présidée par le procureur et la reine. Cette dernière avait laissé aux juges le soin de d'évaluer le comportement du haut-prêtre. Ils avaient trouvé que sa façon de négocier la délation de la prêtresse pour des motifs politiques manquait de subtilité, mais n'y voyaient aucun délit significatif. En revanche le comportement de Cephas dans la salle du trône représentait selon la loi un crime de lèse-majesté demandant réparation. Ce fut donc la sentence annoncée par le procureur.
- Vu l'article 10 de la Constitution de la cité de Targatt, nous avons le dit Cephas déclaré dument et convaincu de lèse-majesté, pour réparation de quoi, le condamnons à faire Amende Honorable, l'audience tenante, tête nue et à genoux, dire et déclarer à intelligible voix que, mal avisé, il a en salle du trône usé de magie envers le public sans autorisation, ce dont il se repend et en demande pardon à la Reine et à la cour.
Cephas fut donc invité à s'agenouiller devant la reine et à prononcer ses excuses publiques. Si jamais il refusait, il serait par trois fois sommé de s'exécuter après avoir été informé qu'un refus impliquerait un châtiment plus sévère.

L'oeil et la Couronne

Le haut prêtre inclina brièvement la tête à la sortie de la reine et il soupira en voyant des gardes se profiler devant lui et l'inviter à les suivre mais obtempéra. Cette Reine était décidément des plus mal avisée et avait le don de faire perdre du temps à tout le monde. Non pas que Cephas ait eu d'autres rendez-vous de prévu, hormis avec cet étrange façonneur qu'il avait trouvé et l'envoyé des dieux avait grande hâte de s'entretenir avec lui. Bien plus de se devoir répondre d'un pseudo méfait devant une assemblée de grattes-papier inutiles qui se gaussaient du peu de pouvoir qu'ils croyaient avoir et, par là, dépourvus du moindre intérêt.

Comprenant rapidement qu'on allait le faire en plus poireauter jusqu'au lendemain, au minimum, il s'assit en tailleur au centre de la pièce et prit de longues inspirations. Cephas se plongea dans un état méditatif avancé lui permettant d'entrer plus facilement en communion avec Jaben comme avec les quelques personnes utilisant le "même" réseau si l'on pouvait dire. L'arrestation de Kira ne lui avait fait ni chaud ni froid. Au moins, avec les bonnes informations, quelques corps de la cité parvenaient à avoir un semblant d'utilité. C'était pour ainsi dire le seul bon point de ce gouvernement fantoche. Un point dont Cephas n'était même pas certain de pouvoir leur en attribuer le mérite.

Lorsqu'on vint le chercher, c'est un haut-prêtre en lévitation, des symboles et lignes apparaissant et s'effaçant autour de lui au fur et à mesure, le tout formant comme un dôme de contemplation tendis que l’œil qu'il portait à sa poitrine brillait fortement.

Il rouvrit les yeux qui irradiait de la même lueur divine que le symbole. Se remettant en position verticale, il mit fin à sa lévitation en revenant au sol, le dôme disparaissant en quelques secondes, laissant aussi réapparaitre ses yeux multicolores. Il suivit la femme jusqu'au théâtre et fit face aux bouffons de la reine. Le haut-prêtre se permit un sourire amusé à l'énonciation de sa "sentence".

Le haut-prêtre croisa les mains devant lui, le plus calmement du monde.

"Bien. Commençons donc par l'aspect légal. A moins que votre Reine soient de celles qui refusent à un accusé de se défendre, je prendrai donc le soin de répondre à vos accusations."

Ceci dit, si l'on en croyait les rumeurs, certains détenus n'auraient effectivement pas droit à un procès ce qui en disait long sr cette elfe qui se pensait droite mais faisait tout de travers. Cependant, pour aujourd'hui, il se concentrerait sur lui.

"Vous partez du postulat selon lequel nul n'est censé ignorer la loi. Or, cela nécessite d'abord que votre Constitution et les textes de loi en vigueur soient facilement accessibles par tous et affichés dans des zones dédiées. Or, le texte intégral, et plus particulièrement cet article 10, n'est affiché nulle part et aucun étranger tel que moi n'y a donc accès puisque tout est concentré dans la Grande bibliothèque. Lorsque j'ai souhaité aller visiter celle-ci dans l'académie, on m'a gentiment fait savoir que je devais d'abord obtenir une autorisation de la direction pour y avoir accès. Or, n'étant là que depuis quelques jours, et occupé comme je l'étais à faire votre travail, une telle autorisation n'a pu m'être délivrée."

Il marqua une courte pause avant de reprendre sur le même ton paternaliste mais bienveillant.

"Par ailleurs, un crime de lèse-majesté ne peut être caractérisé de la sorte que si la prétendue trahison provient d'un citoyen ou à tout le moins, d'une personne prétendument loyale au souverain. Or, je ne suis pas citoyen de Targatt, cette loi ne s'applique donc pas. De plus, vous n'êtes pas sans savoir, je suppose, que le crime de lèse-majesté est censé reporter une atteinte grave à l'intégrité du souverain. Ce qui suppose, soit que votre reine est nettement plus sensible qu'un souverain devrait l'être, soit que ce... tribunal si j'ose dire, est incompétent en la matière."

Cephas décroisa les mains pour fixer une seconde chacun des membres, se demandant sincèrement si ce gouvernement méritait réellement une chance de traiter avec lui dans de telles conditions. Il poursuivit tout de même sur un ton aussi neutre et amical qu'il l'était depuis le début.

"Réunir une telle assemblée pour une simple affaire protocolaire avec un émissaire étranger, qui plus est un émissaire divin, n'est que le signe que sa Majesté pense être au-dessus des dieux eux-mêmes pour tenter d'humilier un de leurs représentants sur ce plan."

Son sourire s'élargit pourtant, bien qu'une pointe de tristesse soit clairement perceptible dans son regard et transparaissait au travers de son aura.

"Car c'est exactement ce qu'elle souhaite si l'on va au bout des choses. Mais il me semblait que seuls les tyrans employaient les humiliations pour rappeler à leurs concitoyens qu'ils étaient si supérieurs à eux. A l'instar de ceux-là, Luthien Nylaathria est en train de commettre une erreur et je supplie cette assemblée, qui doit avoir à cœur de défendre les réels intérêts de sa Majesté, à revoir leur jugement pour prendre en compte un élément pourtant crucial qui a été laissé de côté. Ma motivation."

En son fort intérieur, il devait admettre que c'était assez divertissant en fin de compte même si l'attrait de ce rendez-vous manqué avec ce façonneur aurait été nettement plus satisfaisant. Une chance qu'il soit toujours d'une nature optimiste et enjouée.

"Le sort que vous me reproché d'avoir lancé était d'une part, totalement inoffensif, et, d'autre part, avait pour but d'éviter aux membres du cercle de la prêtresse éventuellement présents dans l'assemblée et la cour, de ne pas entendre que les informations en ma possession les concernaient directement. Vous n'êtes pas sans ignorer que Kira n'a pu lancer des sorts de cette envergure sans recourir à des... amis. Or, lorsque je suis venu me présenter, la séance était évidemment publique, laissant tout loisir à n'importe lequel de ces amis de lui rapporter les choses. Aussi, c'est à mon tour de vous poser une simple question..."

Cephas plongea son regard dans celui du procureur, toujours sans animosité aucune, son regard transperçant la chair pour observer les méandres de son âme.

"Est-ce une manie pour ce gouvernement naissant de rejeter et chercher à nuire à ceux qui pourtant, aident votre peuple depuis des mois ? Dois-je comprendre que l'humiliation et la trahison sont là tout ce que ce gouvernement entend réserver à leurs alliés ? Dois-je le prendre comme le rejet pur et simple de l'Hayili ? Si tel est le cas, nous serions heureux d'abandonner ce temple et de retirer tous nos prêtres hors de vos murs."

Car ils omettaient aussi un certain nombre de faits qui jouaient pourtant en la faveur du haut-prêtre, parmi lesquels, le fait que cela faisait des mois qu'il aidait Melghir et Arakis à retrouver leur stabilité magique et que sans lui, la corruption dans ces cité serait encore active, empêchant le retour des colons comme des rares habitants qui avaient survécu. Malgré ces mois d'efforts, la protection et la défense du temple, protégeant de fait le peuple bien que ça ne soit pas de son ressort, y compris le concubin de la reine, alors même qu'il apportait des informations cruciales, on lui reprochait un vice de forme qui pourtant s'entendait parfaitement.

En vérité, il se moquait assez de devoir formuler des excuses si seulement il jugeait avoir fait quoi que ce soit de répréhensible. En revanche, il lui était impossible de mentir et donc, de prétendre que ce choix fut malavisé. Si il voulait des excuses, il lui était toutefois possible d'en faire mais d'une trempe qui ne ferait certes pas plaisir à cette Dame qui pensait pouvoir manquer de respect au dépositaire de la parole des dieux. Les Hayilistes n'étaient pas les éthéristes. Ils ne tendaient pas l'autre joue. Une chance pour cette Reine que ce fut un apôtre de Jaben qui fut envoyé et pas de Lehadin, de Korda ou d'Hellaynea. Quoi qu'à la réflexion, elles auraient pu s'entendre compte tenu de ce qu'il avait pu voir.

La prestance de Cephas parvint rapidement à capter l'attention de l'assemblée dissipée. Cependant, le premier argument du haut-prêtre ne provoqua que quelques haussement de sourcils exaspérés des notables présents. Ils étaient visiblement loin de considérer que l'ignorance était une excuse allant au-delà de la mauvaise foi. Le second argument comme quoi la loi ne s'appliquait pas à un émissaire divin et que la punition était illégitime ne fit guère mieux pour les convaincre. Les murmures surpris, outragés, voire dédaigneux, accompagnés de discussions animées, s'élevaient progressivement dans l'assemblée à mesure que le prêtre déroulait son discours. Et quand il suggéra que des traîtres avaient pu être présents lorsqu'il était venu s'adresser à la reine, certaines dames et messieurs qui s'étaient trouvés à l'audience ce jour là se levèrent en protestant contre cette insinuation mettant en doute l'honneur des gens de la cour. Finalement, les seuls signes d'approbation enthousiastes survinrent lorsque Cephas proposa de quitter la ville avec tous les prêtres. Enthousiasme que la reine ne semblait pas partager cependant.

Le président de séance finit par interrompre les conspueurs. Il obtint à nouveau le silence et répondit calmement aux objections de Cephas.

- Il convient de rappeler que la loi s'applique pareillement à tous, étranger ou citoyen, clerc ou laïcs, il n'y a pas lieu de faire exception. Il est de même attendu des émissaires étrangers qu'ils respectent les coutumes du pays qui les accueille, les audiences privées permettant aisément d'entretenir Sa Majesté des sujets sensibles. Par ailleurs, la cour a déjà pris en compte les motivations de son Eminence et si ses intentions avaient été mauvaises, la peine aurait été plus lourde.

Le président laissa la parole à la procureure, flanquée de ses greffiers qui noircissaient des parchemins. Elle se leva et croisa le regard perçant du prêtre, ce qui la fit chanceler un bref instant. Elle baissa les yeux vers ses parchemins pour reprendre contenance puis poursuivit en s'adressant à l'assemblée.

- Nous prenons note de la réponse du sieur Cephas et l'informons que sa majesté à déjà fait preuve de clémence en acceptant des excuses en lieu et place du fouet ou du bâton. Si son éminence souhaite être l'allié de la Couronne, nous le sommons de faire amende honorable afin de réparer l'offense qui lui a été faite.

Lùthien restait silencieuse. Elle regardait tourner sous ses yeux la machine de l'administration judiciaire. L'ampleur que prenaient les événements ne lui plaisait pas. Ce n'était plus une simple histoire de protocole. En se prétendant au dessus de la loi, Cephas avait tourné l'affaire en un bras de fer entre la loi des hommes et la loi divine. Jamais la noblesse targattienne n'accepterait de plier à la seconde, et en tant que reine et garante de la loi de la cité, Lùthien considérait également qu'elle n'avait pas à céder. Cephas était allé trop loin, il n'était plus question de reculer. Mais la reine espérait que le haut-prêtre aurait la sagesse de choisir une issue qui permettait à tout le monde de sortir la tête haute.

L'oeil et la Couronne

Cephas soupira ostensiblement en secouant la tête de dépit. Il avait vraisemblablement parlé dans le vide intersidéral puisque ces clowns n'avait pas daigné prendre en compte la moindre de ses assertions.

"Soit. J'ai donc mes réponses sur ce qu'il faut attendre de ce gouvernement."

Son renversement. Ce qui finirait par arriver tant l'inconséquence et la stupidité étaient monnaies courantes.

On lui refusait le droit de se défendre, dans les faits tel était le cas, sinon une révision aurait été orchestrée. Ce qui n'avait pas été le cas. Après tout, il n'était plus à quelques heures d'attente. Cependant en plus de cela on lui faisait savoir qu'il avait éviter le fouet ou le bâton. A cette mention, il ne put s'empêcher de partir dans une euphorie typique de sa personne. Oui, en fait, c'était véritablement drôle car rien de ce qu'ils avançaient ne tenait la route.

"La loi devrait s'appliquer à tous, mais à mon sens, elle ne saurait être librement interprétée au gré des envies de vulgaires pantins. Quand au fait qu'elle s'applique effectivement à tous comme vous le prétendez.. ? Ha oui ? Vraiment ? Ce n'est pas ce qu'il m'a été donné d'entendre. Aucunement on ne parle de ce gouvernement comme d'une entité où règne la justice et la raison. Quand à vos méthodes, elles sont celles d'un tyran. Quel dommage que vous n'assumiez pas cet état de fait. Car cela aurait au moins le mérite d'une part de vous libérer l'esprit de choses aussi futiles que le protocole, et d'autre part, de rendre les choses enfin claires et limpides pour tous et éviter les bévues systématiques de citoyens qui, naïvement, pensent avoir affaire à un gouvernement éclairé et se retrouvent avec des décisions "malavisées". Par ailleurs, j'ai bien parlé de motivations, nullement de mes intentions. Enfin.. je ne sais pas pourquoi je m'évertue à essayer de communiquer avec vous. Même les golems les plus simples sont plus censés que cette assemblée..." de pitres.

Son sourire s'agrandit alors que son manteau, comme le reste de ses vêtements, tombaient progressivement en poussière. A mesure que la décrépitude poursuivait son œuvre, ce fut au tour de ses cheveux qui se parsemèrent à mesure qu'ils tombaient comme sous le coup d'une vieillesse accélérée, de même que les poils de sa barbe de sorte qu'il se retrouve finalement entièrement nu et dépourvu du moindre vêtement. Il ne prit pas la peine de cacher le moindre attribut, la part charnelle et physique n'ayant pas la moindre importance à ses yeux, il n'y voyait donc aucune gène.

"Soit. Je suis une entité de raison et si je ne puis vous communiquer un semblant de jugeote sans me faire davantage accuser, au moins puis-je vous donner satisfaction quant à votre déraisonnable assertion."

Tendis qu'il parlait, des cernes marquèrent ses yeux qui parurent perdre de leur vie. La transformation se poursuivait de sorte que son corps ne finisse par paraitre immensément amaigri et que des traces de coups, de bâton et de fouet ne marquent son corps. Il posa genoux au sol. Des hématomes continuaient à prendre forme, de ça de là, donnant une couleur rouge-violacée enflée à certains endroits, les faisant d'autant plus contraster avec le corps maintenant squelettique du prêtre. Les plaies provoquées par le fouet laissaient apparaitre des marques profondes et ensanglantées dont quelques gouttes roulaient de part et d'autre, jusqu'à former de minuscules petites flaques au sol.

Son regard se campa dans celui de Luthien, ou, à défaut, de sa zone de scrutation si bien qu'elle aurait l'impression qu'il la regardait fixement.

"Voici votre véritable visage Ô elfe couronnée, et votre véritable souhait ainsi réalisé. La vue satisfait-elle enfin votre personne ? Parvient-elle enfin à mettre un baume pour apaiser votre égo bafoué ? Car je ne peux m'empêcher de me demander ce qui, dans mon attitude, a pu vous faire que vous vous sentiez tellement en danger que vous en appeliez à un crime de lèse-majesté... Je suppose que chaque individu a une sensibilité plus ou moins exacerbée..."

Finit-il par dire à mi-mot, son regard s'était fait pensif pendant une seconde alors qu'il s'amusait à penser à l'immense faiblesse de l'elfe et aux maints moyens qu'autre lui pourrait mettre en œuvre pour achever l'inexistence de son pouvoir.
De nouvelles marques finirent d'apparaitre et sa joue enfla comme sous l'effet d'un coup de poing particulièrement puissant, Cephas cracha du sang et une dent devant les spectateurs avant de reprendre sur le même ton calme et serein qu'habituellement. Il écarta légèrement les bras sur le côté, les mettant presque en croix de sorte à accentuer encore sa vulnérabilité apparente.

"Je vous prie de contempler votre pensée et votre volonté. Le fouet et le bâton que vous souhaitiez me destiner pour avoir osé faire en sorte que vous soyez seule à m'entendre. Pour ce crime odieux qu'a été ma trop grande foi en vous, pour ce crime odieux qu'a été ma trop grande joie de croire en des jours meilleurs pour cette cité, pour mon manque de discernement concernent votre vraie nature, je vous prie d'accepter mes excuses."

Il n'avait fait que donner vie aux éléments qu'ils lui avaient été donné d'entendre. Il espérait que cette scène pourrait rendre la raison à cette reine avant que son égo ne fasse d'elle une pacotille de plus dans cette cité de renom. Par ailleurs, il ne croyait nullement à sa pseudo clémence et encore moins qu'elle se soit sentie en danger. En revanche, il était clair maintenant que son manque d'assurance la poussait à vouloir s'imposer par des méthodes "d'urgence", à savoir par la force, par l'humiliation d'éventuels opposants, tout cela pour préserver une autorité qu'elle n'avait au final jamais eu. En fin de compte, en tentant de jouer les reines qu'elle n'était pas, elle échouait en tout. Peut-être était-ce lié à ce que d'autres prêtres avaient entrevu. Apparemment certains dieux étaient inquiets. Pas le sien. Mais ça restait une information suffisamment importante pour qu'il le la livre pas à n'importe qui. Or, par son incapacité à se remettre en question et à déterminer ce qu'elle voulait être, quelle reine elle voulait devenir, Luthien venait de lui prouver son inutilité.

Ô bien sur, son peuple trouverait toujours une aide, des conseils ou un refuge dans le temple hayiliste. Cependant, si Cephas devait traiter avec le gouvernement, il le ferait avec les vrais détenteurs du pouvoir en ces lieux. Il restait encore à déterminer de qui il s'agissait...

Considérant avoir été particulièrement conciliant et avoir donné à ces pantins ce qu'ils voulaient, il conclut.

"Peut-être souhaitez vous que je rampe également en ventant votre beauté et votre intelligence ? Ou puis-je enfin retourner à des occupations mille fois plus méritantes ?"

Les accusations de tyrannie auraient bien pu ébranler Lùthien qui depuis des mois faisait de son mieux pour redresser sa cité meurtrie. Mais elle se garda de le prendre pour elle, il ne s'agissait après tout que d'une diversion. Provoquer par la nudité, crier à la tyrannie et à l'injustice, intenter un procès au tribunal, tout cela n'était qu'un homme qui se débattait face à l'autorité et les rapports de pouvoirs. La suite du spectacle offert par le prêtre ne l'impressionna pas plus. Elle avait vu des scènes de guerre bien plus sanglante que la masse de chaire grotesque qu'il métamorphosait sous ses yeux. Et alors que l'assemblée criait au scandale, que les gardes se précipitaient pour couvrir de leurs manteaux ce corps jugé indécent, que les notables réclamaient déjà les sanctions les plus sévères, Lùthien réfléchissait au moyen de ramener Cephas à un comportement respectable. Après avoir pris une longue respiration intérieure, elle se leva finalement et haussa légèrement la main pour calmer l'assemblée obtenir le silence. Puis elle prit la parole. Sa voix était calme, claire et portait aisément jusqu'au prêtre encore à peine revêtu des étoffes qu'on avait jeté sur lui.

- Ce n'est guère le lieu pour chanter mes louanges, Eminence, et je ne crois pas que prendre le temps de régler ce différent soit une vaine entreprise. Puisque c'est à moi que vous vous adressez, laissez moi vous présenter le point de vue qui est le mien.

Je pense premièrement que mon ego n'est pas en cause dans ce qui se déroule ici car quand vous vous adressez à moi, vous vous adressez à l'Etat que je représente. Je n'ai pas particulièrement demandé à être investie de cette dignité royale, mais puisque cette cité me l'a confiée, il est de mon devoir de la garder et de la défendre. Ceci passe par le respect d'un certain nombre de codes, dont l'étiquette que vous qualifiez de futile. Certes, tout code définissant l'honneur ou la politesse comprend une part d'arbitraire. Mais cet arbitraire n'est point celui de la tyrannie, il est celui de la convention. Conventionnel est le sens que nous attribuons au sons de nos paroles, conventionnels sont les signes que les membres d'une société choisissent pour montrer le respect qu'ils éprouvent les uns pour les autres et pour leur intérêt commun. Ainsi, selon les conventions en vigueur ici, votre comportement en salle du trône signifie "je n'ai pas de respect pour la reine", et ce manque de respect, la loi le condamne. Evidemment, cette même action pourrait être interprétée différemment si l'on se réfère à un autre code. C'est sans doute là le fondement de votre opinion puisque vous ne semblez voir en vos actes nulle offense. Auquel cas ce que je demande à travers des excuses n'est que la reconnaissance de ce malentendu. Ni plus que cela... ni moins que cela.

L'elfe marqua une légère pose pour souligner ses paroles avant de reprendre, regardant calmement le haut-prêtre.

Je comprends que cette sentence ait heurté votre propre dignité dans l'absurdité que cette règle représente à vos yeux. Un fait qui entraîne naturellement refus et argumentation...

Elle se retourna vers l'assemblée des juges et des notables, les désignant d'un geste pour les inviter à se regarder eux-même.

- Et la cour, en toute honnêteté, de voir dans votre indignation les germes de la sédition. Et de brandir le bâton que je ne voulais pas vous donner pour tâcher de vous convaincre de vous plier à la convention... Pour ma part, j'ai demandé des excuses en lieu et place de peines corporelles, non par clémence, mais car la forme de respect auquel j'aspire ne se gagne pas à coup de bâtons.

La reine revint à nouveau à Cephas.

Si en salle du trône vous n'avez fait qu'un manquement à l'étiquette, ce que vous venez de faire à l'instant, je connais bien peu de cultures qui l'interprétaient autrement que comme des insultes directes. Nul malentendu ici, alors je ne peux tolérer que de telles offenses ne soit pas retirées. Je souhaite vous offrir la possibilité de le faire par vous même car je considère que ce que la parole a abîmé, elle peut le réparer.

Je ne prétends pas mériter votre admiration, mais votre mépris n'est pas pour autant acceptable. Ne pensez-vous donc pas qu'il serait mieux d'en revenir au respect mutuel ? Je crois savoir que vous êtes au fond un homme raisonnable attaché à faire le bien. Et nous pourrions le faire ensemble. Tout ce que je demande, en lieu et place du drame que vous venez d'initier, c'est une marque sincère de respect de votre part. Qu'elle prenne la forme qui conviendra à votre caractère, j'en serais satisfaite. C'est seulement à cette condition que nous pourrions construire l'alliance que vous appelez de vos vœux

Maintenant que vous m'avez entendue, Eminence, souhaitez-vous changer la réponse que vous avez adressée à la cour ?

Lùthien conclut ainsi son discours. Et c'est la tête haute qu'elle attendit comme le reste de la cour la réponse du haut-prêtre.

Un livre commence

La reine intervint enfin en personne. Décidément, ce qu'il ne fallait pas faire pour avoir le minimum d'attention requis... Cephas cependant haussa un sourcil à la mention selon laquelle Luthien n'aurait, soit-disant, "pas demandé à être investie de cette dignité royale".

"Qu'entends-je ?! Vous avez donc été assise sur cet artéfact contre votre gré ?"

Il soupira d'un air tout aussi théâtral que précédemment.

"Voilà qui éclaire un certain nombre de points. Ce doit être un poids assurément... Un poids que vous partagez avec feu Astoria Ière, votre pré-prédecesseur si je ne m'abuse, et auquel, croyez-le bien, je compatis."

Ca pouvait être pris comme une menace déguisée. Après tout, elle était morte après avoir subi un coup d'Etat. Et bien que cette pensée ne soit effectivement pas étrangère au haut-prêtre, il ne comptait aucunement s'engager dans un tel chemin. Du moins, pas pour une querelle aussi dérisoire.

Malgré cela, une fois de plus Cephas n'avait pu s'empêcher de relever que la cité ne lui avait rien confié du tout. C'était bien cet artéfact qui en était, seul, la cause. Les pauvres gens donnaient en vérité leur confiance, non pas au suzerain mais bien à un objet magique de grande puissance et certainement doué d'une certaine forme de sagesse, pour choisir parmi les candidats lequel serait le plus à même d'assumer cette fonction. Tout résidait dans un choix qui n'en était pas nécessairement un. La cité "devait" avoir une tête. C'était là toute l'ampleur du problème. Quoi qu'il en soit, si un objet magique tel que celui-ci avait vu en Luthien un gouvernant potentiel, peut-être devrait-il aussi lui faire confiance... Bien que sur l'heure, il ne comprenne pas ce qui avait pu motiver ce choix... A moins que les autres candidats aient été pires encore, ce qui ne présageait rien de bon pour l'avenir de cette cité.

- ...qui entraîne naturellement refus et argumentation...

Cephas se rendit compte que perdu dans ses pensées, il n'avait écouté que d'une oreille distraite le discours, sans nul doute splendide, de la reine et tenta de se concentrer dessus, non sans efforts car son envie de jouer comme d'éduquer était plus ou moins passée. Les primats l'avaient prévenu que la cité était... ce qu'elle était, mais en réalité, c'était pire que le tableau qu'ils avaient dépeints. Et Luthien continuait. Il en aurait presque baillé.

- Et la cour, en toute honnêteté, de voir dans votre indignation les germes de la sédition. Et de brandir le bâton que je ne voulais pas vous donner pour tâcher de vous convaincre de vous plier à la convention... Pour ma part, j'ai demandé des excuses en lieu et place de peines corporelles, non par clémence, mais car la forme de respect auquel j'aspire ne se gagne pas à coup de bâtons.

Cephas se remit debout. Et tendis qu'il s'époussetait les genoux, ses vêtements comme ses cheveux et sa barbe réapparurent, ses blessures apparentes se résorbèrent et son amaigrissement fit place à l'homme bien bâti qu'il était.

"Soit. C'est donc bien la forme qui m'est reproché. En tant que représentant officiel de l'Hayili je me permets de vous faire remarquer que la forme que vous avez prescrite pour cette...."
Il désigna vaguement le semblant de tribunal d'un geste de la main, tout en poursuivant. "...assemblée, contrevient également à la bienséance qui est du tant à mon rang qu'à ma fonction. Aussi, plutôt que d'avouer lors de notre entretien, que mon entrée en matière avait pu vous heurter et que, par... comment dites-vous déjà... ha oui, par "respect", eut égard également de votre personne comme de votre fonction, vous accepteriez des excuses portant simplement sur le vice de forme comme il est d'usage, vous avez préféré tenir un représentant des dieux enfermé et prisonnier -puisqu'il est évident que toute tentative pour sortir de votre palais m'aurait été également reprochée-, pour finalement l'accuser ouvertement d'un crime qui, en plus de n'avoir aucun fondement juridique, n'est que pure diffamation."

Cephas planta son regard dans celui de la reine.

"Laissez moi donc reformuler un de mes questionnements précédents : est-ce là donc tout le respect que vous accordez aux divinités et à leur représentant ? Car dans notre clergé aussi, cet acte est punissable voyez-vous..."

Le haut prêtre aurait pu aller plus loin, beaucoup plus loin. Notamment en rendant inopérant le Trône le temps qu'elle entende raison. Cependant, il ne comptait pas déclencher de véritable conflit. En vérité, ce qu'il se passait actuellement dans la salle du trône était digne d'une cour de récréation de petite section. Ce qui était assez pitoyable et ne plaiderait pas en la faveur de Luthien. Laquelle était, soit incapable de tenir une position claire, soit incapable de trouver des personnes compétentes sur lesquelles se reposer. Ce qui, dans les deux cas, ne laissaient que peu de place pour des éloges concernant sa manière de régner. Malgré cela, le haut-prêtre avait cru déceler dans ses propos une tentative d'apaisement et il serait mal perçu par son clergé, en tant que le plus sage, ou presque, qu'il n'accorde pas une seconde chance à l'elfe. La dernière.

Il n'avait pas laisser passer une seconde depuis la fin de son discours qu'il frappa dans ses mains comme pour signifier qu'il clôturait la conversation et qu'il acceptait de mettre tellement d'eau dans son vin que ça n'en aurait plus aucun gout.

"Bien ! Etant donné qu'en terme de mauvaise foi il semble que nous soyons ex-aequo, soyez assurée que l'Hayili accepte avec joie vos excuses. Il nous apparait évident que vous n'avez pas à payer pour l'incompétence de votre administration, ni pour votre vice de forme."

Il sourit d'un air malicieux tout en poursuivant sur le même ton plus enjoué.

"Et bien que la charité mal employée ne soit pas ma marque de fabrique, j'accepte de vous témoignez quelque excuse pour mon propre vice de forme."

Cephas fit une brève révérence. Il n'avait toutefois pas lâché Luthien des yeux depuis sa question à laquelle il attendait toujours une réponse. Cependant, il saurait être patient. La réponse, bien qu'évidente, s'imposerait d'elle-même sous peu pour clarifier la chose pour tous. En attendant...

"Puisque nous sommes devenus ainsi les meilleurs et les plus respectueux des amis, souhaitez-vous m'accompagner au temple pour une visite informelle afin que je vous montre les nouveaux plans ?"

Le temple était en effet écroulé à de nombreux endroits et clairement, il avait été quelque peu laissé à l'abandon. Cephas entendait ramener Targatt dans le droit chemin : celui de l'ordre cosmique, autrement dit, celui du respect des lois physiques, métaphysiques et de leurs garants, à savoir, ses dieux.

Il tendit la main à l'attention de la Reine en souriant avec la même bienveillance qu'à son arrivée. Il n'était pas rancunier après tout et savait où il voulait aller. Pour autant, il était hors de question qu'il transige sur les principes défendus par l'hayili et encore plus, par Jaben à qui il avait dévolu sa vie. Ainsi, il demeurait intellectuellement honnête et avait admis à tous deux leur évidente mauvaise foi. Il avait même légèrement extrapolé pour éviter à la reine de devoir présenter, elle aussi, de vraies excuses, et, ce faisant, avait accepté de reléguer cela à un "vice de forme" et non plus à une grave atteinte à l'intégrité d'un émissaire étranger et qui plus est un émissaire de la religion majoritaire sur le content. Afin d'éviter de faire jaser et de montrer sa "bonne foi", il acceptait même de l'associer, dans une certaine mesure, au grand chantier qu'il entendait lancer, et qui, assurément, permettrait à la ville d'en ressortir grandie. Après tout, ça ferait de l'emploi en plus pour les couches inférieures de la population en plus de faire en sorte que le nouvel édifice soit -si possible- un joyau tel que les masses afflues pour l'admirer, et cela, admirent Targatt également, qui en avait grand besoin ces temps-ci. En d'autres termes, la reine ne devait pas ignorer les formidables perspectives que l'Hayili avait à offrir à la cité tant en terme culturelle que spirituelle et même pécuniaire. Refuser la main tendue, littéralement, reviendrait à faire un ultime affront au temple qui aurait ainsi toute légitimité de critiquer ouvertement le gouvernement. D'autant plus que la cour pouvait, cette fois-ci, tout suivre de leur discussion.

Devant le prêtre qui se montrait toujours aussi théâtrale, Lùthien rectifia calmement la vérité qu'il semblait prendre plaisir à déformer.

- Vous interprétez mes propos de travers. J'ai choisi le trône au moins autant qu'il m'a choisie. Mais je n'ai pas décrété que la reine devait être au dessus des autres citoyens, il en va ainsi de la tradition. Contrairement à Astoria, j'assume pleinement le pouvoir qui est le mien.

Lùthien ne répondit pas concernant la détention de Cephas. Etant donné l'ambigüité de sa position dans l'affaire Kira, elle avait simplement tenu à s'assurer qu'il ne changerait pas d'avis concernant la prêtresse de Björ et qu'il n'interfèrerait pas dans les plans de ses soldats.

Le prêtre de son côté continuait sur le même ton envers l'administration qui commençait à nouveau à murmurer dans son dos mais il finit par formuler des excuses envers la reine. C'était fait de mauvaise grâce, mais Lùthien sentait qu'elle n'obtiendrait pas mieux. Et le prêtre semblait enfin disposé à repartir du bon pied. Faisant taire d'un geste la foule de conspueurs excédés d'être traités comme du menu fretin, la reine décida d'en rester là.

- J'accepte vos excuses, et que la cour ait la sagesse de faire de même. Soyez aussi assuré, éminence, que les dieux ont tout mon respect et que je m'attache à servir le mien. Que Karnan m'emporte si je le déçois.

Le regard bleu de la reine avait soutenu sans faillir celui de Cephas. Il y verrait la calme détermination d'une elfe qui avait passé des années à risquer sa vie pour les croisades menées au nom de Nanrak. Mais Lùthien prit soin de ne pas donner l'avis qu'elle avait sur les prêtres Haylistes, cela faisait partie selon elle des choses qu'ils devaient négocier. Il était déjà suffisamment avantageux pour le prêtre qu'elle se retrouve à défendre sa foi en public, même si son lien avec Nanrak n'avait par ailleurs rien d'un secret.

La reine savait qu'elle allait donc perdre un peu crédit auprès de l'administration avec toute cette affaire. Le président et la procureure n'avaient d'ailleurs pas l'air très satisfaits de l'issue du procès. Mais ils devaient bien se plier à la décision royale. N'en déplaise à la chancellerie froissée par ce prêtre impertinent, Lùthien ne tenait pas à se mettre à dos le temple. Elle savait que les enjeux qu'elle aurait à affronter bientôt iraient bien au-delà des murs de la cité, et qu'elle avait besoin de l'Haylie. Avec légèreté, la reine descendit les quelques marches de son piédestal. Elle pouvait sentir tous les membres de sa garde royale se crisper sur leurs positions. Cephas venait de montrer qu'il était un métamorphe talentueux, et chacun savait le mal qu'un mage de ce genre pouvait faire une fois un contact physique établit. Malgré cela, Lùthien accepta avec naturel la main tendue et la proposition de visite au temple, comme si leur altercation n'avait jamais eue lieu.

- Très certainement. J'ai également à vous entretenir en chemin de quelques autres sujets d'importance.

La reine quitta la salle par la grande porte au bras du haut-prêtre, laissant la cour murmurer dans leurs dos une fois qu'ils seraient hors de portée d'oreilles. Même si des oreilles, Lùthien en avait gardé quelques paires dans la salle qui lui rapporteraient ce qui avait lieu d'être rapporté. La reine guida donc Cephas dans les vastes couloirs du palais, quelques gardes les suivant à une distance respectable.

- Bien. Ce fut instructif. Dit l'elfe en réfléchissant tout haut. Nous connaissons maintenant clairement les tendances de la chancellerie envers l'Haylie... Les prêtres ont toujours beaucoup fait pour le peuple Targattien et on pourrait reprocher à la cour de l'oublier. D'un autre côté, il est vrai que ces dernières années, la question religieuse a fait couler beaucoup de sang. Les jeux de pouvoir entre le gouvernement et les éthéristes ont abouti à un massacre. Un prêtre Istumien a contribué à la chute de feu Drake Leckard. Et c'est encore cette prêtresse de Björ qui, il y a peu, a attaqué directement la cité. On comprend aisément le lien entre ces événements et la réaction de l'administration qui a pu voir dans votre attitude le spectre de la déstabilisation du gouvernement par la puissance religieuse.
Lùthien n'était pas naïve et savait que la chancellerie se préoccupait de la stabilité du gouvernement pour défendre aussi les intérêts de la classe bourgeoise dont elle était issue et qui s'était octroyée des places de choix dans la nouvelle administration. Mais c'était justement cet intérêt qui les rendait fidèles à son règne... tant qu'ils ne se sentiraient pas menacés du moins. Lùthien réfléchit à nouveau quelques instants avant de se retourner vers Cephas.

- En ce qui me concerne...  Peut-être devrais-je mieux croire en la sagesse des Primats, mais je partage certaines de ces craintes... Alors qu'en même temps, je pense être une des meilleures alliées que l'Haylie puisse trouver à Targatt. Oh, nous aurons encore des controverses vous et moi, notamment celle qui se cache sous cette banale histoire de protocole, mais j'ai bon espoir que nous puissions les surmonter, à condition d'y mettre un peu de temps et d'intelligence... Et d'en discuter en privé. Etaler à nouveau ce genre de débats devant la cour ne sera bon ni pour vous, ni pour moi, ni pour l'Haylie.

Les pas de la reine les menèrent au dehors, vers les jardins du palais. Les parterres étaient couverts de fleurs aux pétales cristallins qui ondulaient sous la brise comme un lac pâle et scintillant. Lùthien ne put retenir un sourire fugace en les voyant avant de se concentrer à nouveau sur les affaires qui concernaient le prêtre.

- Je serais heureuses d'entendre vos projets pour le temple, Céphas. Mais avant cela, pourriez-vous contacter les autres prêtres de Björ pour leur dire que nous sommes en pourparler sur le sujet qui les inquiète ?

La cité était toujours en alerte suite aux informations obtenues sur la prêtresse fanatique, et Lùthien tenait à calmer la situation rapidement afin que ses soldats puissent prendre un repos mérité.

L'oeil et la couronne

Cephas écouta les propos de la reine en se retenant à grand peine de ne pas lever les yeux au ciel en implorant les dieux de lui venir en aide. Soit elle avait vraiment la mémoire courte soit elle le prenait pour plus bête qu'il ne l'était si elle osait prétendre n'avoir jamais dit que la reine était au-dessus des autres puisque c'était exactement ce qu'elle avait suggéré lors de leur entretien privé. Quant au fait qu'elle assumait "pleinement" son rôle, tout était question de point de vue, aussi ne rebondit-il pas dessus non plus bien que l'envie ne manque pas.

Au moins avait-il réussi à capter l'attention de la reine et non plus celle de ces bureaucrates incapables de penser par eux-mêmes et dont l'esprit était aussi original que celui d'un mollusque trop longtemps laissé au soleil.

Il émit un léger sourire où une pointe d'amusement transparaissait tendis qu'elle acceptait ses excuses et enjoignait sa cours à faire de même. En vérité, il ne s'inquiétait pas de la cours. Les nobles en mal de potins seraient les premiers à venir au temple d'ici quelques jours quand la tension serait redescendue, tout en descendant le temple dans les lieux publics cela allait de soi. Cephas n'avait que faire de l'hypocrisie latente de tous ces privilégiés. Pour l'instant, il se contentait de faire en sorte que l'Hayili soit dans les esprits. Ce n'était qu'un premier mouvement. Et la réaction aurait pu être pire. Autrement dit, la reine en acceptant de partir à ses côtés et en louant Nanrak, venait de lancer une nouvelle mode : celle de la religion. Toutes les cours du monde aimaient adopter les préceptes et les principes de leurs souverains. Malgré leur méfiance, ils seraient donc bien vite ramené dans le gironde l'hayili, comme c'était prévu.

Que l'adminitration lui mette quelques bâtons dans les roues n'était pas un mal, au contraire. Ca lui faciliterait les choses si Cephas parvenait à en jouer avec suffisamment de subtilité. Le fait que le peuple de Targatt soit intégralement composé de mages n'était pas réellement problématique. Au contraire, ils apprenaient très tôt les principes de précautions et de maîtrise de leurs pouvoirs, nécessaire au vivre-ensemble. Par ailleurs, ils restaient des êtres "émotionnels" et "pensants", et ils nourrissaient bien souvent les mêmes doutes et les mêmes préoccupations que les peuples de n'importe quelle grande cité. Aussi, Cephas n'était pas inquiet pour le futur du temple. Pas après la propagande efficace de la reine à ce sujet. Ce qu'il ne lui ferait évidemment pas remarquer.

Ils quittèrent les  lieux bras dessus bras dessous comme les meilleurs amis du monde. Ce qu'ils seraient sans doute bientôt par ailleurs puisqu'ils étaient l'un et l'autre, le meilleur soutien qu'ils pouvaient tous deux rêver. Evidemment, Cephas aurait préféré faire affaire avec autre chose qu'une elfe et qui plus est dévouée à Nanrak mais il ferait avec. Ce serait toujours plus plaisant que Maurii.

"Je comprends leurs craintes, mais ils commettent les mêmes erreurs que vos prédécesseurs. Interdire les religions ou certains cultes est loin d'être le meilleur moyen de les contrôler et encore moins de les réguler."

Il n'en dit pas plus. Après tout, il jouait pour l'équipe Hayili, et par cela, Cephas avait ses propres desseins. Cependant, la régulation du culte de Björ en Targatt était primordiale.

"Nous pouvons bien sur discuter en privé de nos légers différents si vous y tenez."

Cephas était intimement persuadé que ça ne servirait à rien. Cependant, une entrevue en privé lui garantissant qu'elle n'était pas sous supervision ni qu'ils soient écouté ou interrompus pouvait lui laisser le loisir de saisir une opportunité qu'il n'aurait pas pensé avoir si tôt... Agir directement sur la reine serait une aubaine... Et  également une tentation qu'il savait malavisée. Tout dépendrait où il situerait l'importance de l'individu vis-à-vis de l'importance de sa mission. Ce serait pourtant malgré tout, une opportunité à ne pas rater. Et si tel était le cas, encore lui fallait-il déterminer quel était le meilleur moyen d'interférer sans laisser de traces, magiques il entendait. Il aurait tout loisir d'y penser pendant qu'elle parlerait.

Le "vieil" homme ne fit qu'à peine attention aux parterres de fleurs. l avait vu tant de merveilles qu'une chose si banales ne parvenait plus vraiment à l'émouvoir, et d'autant moins quand il s'agissait de l'avenir du Temple.

Un portail de la taille d'une grande porte prit forme devant eux, donnant sur la partie centrale du temple comme on pouvait le voir depuis l'extérieur. Il inclina la tête et écarta la bras devant lui pour l'inviter à traverser. Ce n'était pas que traverser la cité avec la reine à son bras ne soit pas la bienvenue mais Cephas avaient d'autres priorités et avait déjà eu le spectacle souhaité.

Autant passer enfin au cœur des sujets prépondérants.

"Vous semblez croire que tous les prêtres se connaissent et que tous les cultes au sein de l'hayili communiquent avec tous les temples du monde la localisation des prêtres de x ou y divinités. Nous sommes des personnes de foi, pas des grattes-papiers. Par ailleurs, je pensais que votre Majesté souhaitait conserver l'apanage de ce volet. Compte tenu des reproches qui m'ont été servis sur les devants que j'avais pris pour Kira, peut-être que vos services de renseignement seront heureux de pouvoir prouver à sa Majesté un semblant d'utilité."

Il l'avait dit avec toute la douceur du monde mais le fait était établi, bien que connu de tous. Chaque culte était libre de ses agissements sans devoir en déférer à une autre autorité que le Primat dévolu au culte du dieu en question. Évidemment, un peu de divination pourrait lui permettre d'obtenir des bribes d'informations, mais ne serait-il pas là un empiètement sur les plates bandes de la reine alors même qu'elle lui avait reproché juste avant ?
Toutefois, il voulait bien se prêter au jeu pour cette fois-ci.

"Je contacterai le Primat de Björ, si je le puis. Je ne pourrai que vous encourager à... prévoir leur arrivée de sorte à être prévenue dès qu'ils seront détectés. Évidemment, la magie divine différant de celle que vous pratiquez de par sa source, il semble plus adéquat que le temple s'occupe de placer des sorts de détection où vous le souhaiterez."

Il soupira un peu en songeant qu'il ne pourrait de toute évidence pas compter sur Kardey pour assurer ces tâches. Cephas n'en revenait toujours pas des lacunes du Trône en matière de religion.

"Il semble que j'ai surestimé le jeune Kardey. En tant que prêtre référent du temple de Targatt, jusqu'à mon arrivée, son devoir était d'expliquer à votre gouvernement, vous y compris, le mode de fonctionnement de l'Hayili afin notamment de prémunir la cité contre de telles attaques mais également pour que vous soyez au fait de nos possibilités, de nos méthodes et de notre... hiérarchisation des choses de manière générale. C'était d'ailleurs le strict minimum... Je suppose que vous deviez être occupés par des choses plus matérielles."

Lança-t-il sans réellement y penser tant leur relation était claire pour lui. Et le fait qu'elle en sache si peu sur le fonctionnement réel de l'Hayili alors même qu'elle se revendiquait de celui de Nanrak laissait bien présumer que Kardey avait une fois de plus, failli dans ses tâches pourtant les plus simples.

"Je vous prie de m'excuser en son nom des lacunes qu'il semble avoir omis de combler. Je serai ravi d'entrer dans le détail du fonctionnement de l'hayili et du temple quand vous le souhaiterez... Sans cela, les améliorations que je souhaite apporter vous sembleront dénuées de sens je le crains."

Cephas avait la mine bien plus sombre. Si il pouvait pardonner à un prêtre de s'être un peu emporté comme c'était le cas de Kira, il lui était bien plus difficile de pardonner l'incompétence. D'autant plus quand la personne en question ne cherchait aucunement l'amélioration.

"Cela explique aussi en partie la mauvaise interprétation de mes intentions par vos services." déplora-t-il en soupirant de nouveau. Les primats lui avaient décidément fait un cadeau empoisonné en l'envoyant ici. Que diable voulaient-ils qu'il fasse seul avec une flopée de prêtres incapables d'avoir une vision globale et un tant soit peu réfléchie au point d'en oublier leur "devoirs", certes non officiels, envers les gouvernements qui accueillaient les temples. Une chose de plus à laquelle remédier... La liste s'allongeait plus que de raison.

La reine acquiesça aux réponses de Cephas et après avoir invité quelques uns de ses gardes à l'accompagner, elle franchit le portail vers le temple. Les soldats allèrent se placer contre les colonnes des bas-côtés et se firent discrets, laissant aux deux dignitaires le loisir de parler.

- Il y a une différence entre négocier avec une criminelle sans m'en informer, et contribuer sur ma demande à prévenir un nouveau conflit. J'apprécie que vous acceptiez de contacter l'élu de Björ. Je vais aussi réfléchir à ces sorts de détection... et voir si je trouves quelqu'un pour vous aider à les installer.

Lùthien songea que les prêtres survivants du temples à Targatt n'étaient malheureusement pas les plus talentueux. Malgré la bonne volonté de Kardey, Lùthien devait reconnaître qu'elle l'avait rarement vu exercer sa magie. Elle songea donc à faire appel à nouveau au Haut-prêtre de Laïcanan, mais elle préférait y réfléchir avant d'en parler à Cephas.

- Il est vrai que Kardey n'a vraiment pas les épaules pour assurer la gestion du temple. D'ailleurs, il n'aurait jamais obtenu de telles responsabilités si les prêtres de rang supérieurs n'avaient pas été tués par les infernaux. Nous avons surtout travaillé sur les œuvres sociales du temple, étant donné la période de disette que nous avons traversée. Mais nous n'avons guère parlé de l'organisation générale de l'Haylie, ce qui est regrettable.

Lùthien savait qu'elle avait peut-être contribué à distraire Kardey de ses devoirs de prêtres. Mais elle ne s'en sentait pas coupable pour autant. Kardey était jeune et influençable, il aurait été incapable de tenir tête à n'importe quel souverain. L'elfe ne l'en appréciait pas moins, mais elle savait que l'Haylie avait besoin d'un vrai haut-prêtre.

- Concernant le rôle qui est le vôtre, je pensais que vous étiez en mesure de parler aussi avec les prêtres des autres dieux et d'assurer le dialogue avec eux, dans une certaine mesure. Peut-être est-ce ce titre de gouverneur spirituel, ou bien le fait que vous vous êtes fait le porte parole du culte de Björ en me demandant de lever l'interdiction le concernant. Toujours est-il que je ne demande qu'à mieux comprendre votre conception de l'Hayili, du temple et de votre rôle à Targatt. Je crois qu'il serait bon d'aborder la question tout de suite, afin que je sache comment nous pourrions travailler correctement ensemble.

L'oeil et la couronne

Le haut-prêtre fut ravi de constater que la reine le suivant, sans sa garde qui plus est. C'était un pas en avant. Elle saisissait la main qu'il lui tendait. Du moins c'est ainsi qu'il souhaitait l'interpréter maintenant qu'ils étaient censés être "amis". Du moins que le quiproquo était plus ou moins résolu. Il ne fit pas le moindre commentaire concernant sa première remarque. Non pas que l'envie lui manque de la reprendre pour de la pure sémantique et de lui démontrer une fois de plus son erreur d'appréciation... Cependant, il préférait lui laisser croire qu'elle reprenait la main pour l'instant. Ainsi, c'est lui qui aurait les mains libres pour faire ce que bon lui semblait pour redonner au Temple la splendeur qui lui était du et refaire de l'hayili le pivot du pouvoir de cette cité. Ca prendrait du temps mais c'était tout à fait réalisable avec ses autres méthodes. Maintenant que tout le monde le prenait pour une personne totalement franche et qui n'hésitait pas à dire les choses en face, il aurait beaucoup plus de facilités à leur montrer sa vision des choses. Il songeait au peuple évidemment, et pas à Luthien qui mériterait... d'autres égards. En temps et en heure.

Et pour le moment, elle acceptait un état de fait des plus simplistes : Kardey n'avait pas les épaules pour diriger le temple et encore moins pour se montrer réactif quand le besoin s'en faisait sentir.

"Oui, il s'est impliqué avec les orphelins notamment... Cependant, les œuvres sociales sont très insuffisantes. Quoi qu'il en soit, je serai ravi de vous informer sur le mode de fonctionnement particulier que l'hayili possède et qui tranche drastiquement avec d'autres panthéons mineurs ou des croyances impies et aussi dangereuses que le sont les religions monothéistes. Je crois qu'ici vous n'avez que les éthéristes. Je souhaiterai pouvoir clarifier la position officielle de la cité à leur sujet."

Le regard multicolores du haut-prêtre se durcit. Que l'on puisse vénérer un ange ou un démon était pour lui un biais cognitif et une erreur magistrale. Jamais de telles créatures n'auraient du pouvoir égaler les dieux. Et pourtant, certaines d'entre elles, par d'odieuses manipulations, s'en approchaient. Les éthéristes étaient les monothéistes les plus visibles mais pas les plus représentés. De nombreuses cités et tribus païennes bien loin d'Hésandre vénéraient des entités diaboliques ou démoniaques largement supérieurs à cet angelot qui se prenait pour un dieu. Mais le monothéisme était dangereux en soi. Par ailleurs, sels les dieux primordiaux, créateurs ou destructeurs, devraient avoir vocation à être vénérés par les êtres inférieurs. Cephas ne pouvait tolérer que l'on puisse se fourvoyer autant.

Il avait également sciemment été à l'encontre de ce qu'il avait pu prôner devant témoins lorsqu'ils s'était entretenu avec la reine antérieurement. Le haut-prêtre, tout comme la reine, faisait une différence entre ses fonctions et ses propres convictions. Ici, il s'agissait des secondes. Quel dommage que l'on n'ait pas employé de méthode suffisamment éclairée pour se débarrasser de ces vermines éthéristes. Bien que leur massacre devait avoir du bon en un sens puisque ça soulignait la faiblesse de leur divinité. Malheureusement, à cause de Kira, le temple Hayiliste se trouvait dans une situation similaire.

Quoi qu'il en soit, Cephas souhaitait connaitre le fond de la pensée de la reine afin d'ajuster la position du temple et de cerner sa marge de manœuvre sur le sujet.

Elle revint finalement sur le problème du culte de Björ. Cephas acquiesça. C'était effectivement un soucis à régler.

"Vous n'êtes pas sans savoir que la plupart des rites funéraires sur ce continent sont hayilistes. Et je dis bien 'hayilistes'. Car si de son vivant, une personne vénère tel ou tel dieu de notre panthéon, à sa mort, afin de garantir un passage sur et protégé pour l'âme de ce dernier, ce sont les rites de Björ qui sont d'usage. Et ses prêtres ont vocation à guider les âmes jusqu'à leur prochaine demeure, ou en tout cas sur la première partie de leur voyage, bien avant de forcer les morts à se soulever. Or, en bannissant ce culte, vous privez de repos certaines âmes, et détruisez les autres aussi sûrement que si vous offriez une vierge à une horde de gobelins."

Il marqua une pause. Tout ce qu'il disait était véridique. Bon,peut-être que toutes n'étaient pas détruites évidemment, mais dépourvues de la protection de Björ ou de ses prêtres, rien ne garantissait que l'âme ne soit pas ingérée par un extraplanaire suffisamment puissant pour s'en repaitre, ou qu'elle ne serait pas capturée ou détruite par une affliction magique car les plans étaient mouvants et dangereux, même pour les autochtones. Une âme, fragile par essence ne résisterait pas à bon nombre d'éruptions magiques intempestives qui bordaient les plans et y pénétrer sans protection comportait toujours un risque. Cephas reprit avec la même douceur qu'à l'origine.

"Ce que Kira a fait est impardonnable. Cependant, l'accompagnement des familles en deuil fait,à mon sens, parti intégrante des 'œuvres sociales' dont votre gouvernement doit s'inquiéter. Le cycle doit se poursuivre et il est du devoir de tout un chacun d'y participer ne croyez-vous pas ?"

Cephas la fit entrer dans le temple encore délabré bien que les réparations soient en cours par divers sorts actifs.

"Mon rôle en tant que haut-prêtre de ce temple est avant tout d'assurer une cohérence et d'éviter les débordements des prêtres les plus fragiles. Kira et Kardey sont de ceux-là. Au-delà de ça, il s'agit également de faire fonctionner le temple, de gérer les fonds afin de veiller à ce qu'ils soient employés à bon escient et évidemment, de guider votre peuple sur la voie qui assurera à tous longévité et prospérité. Je ne prétends pas détenir toutes les réponses. Mais je pense pouvoir apporter des solutions que des arcanistes profanes ne peuvent qu'imaginer. Car après tout..."

Il écarta légèrement les bras de chaque côté.

"...les dieux eux-mêmes sont nos yeux, nos oreilles, et nous prêtent leur force. Et ils se proposent de mettre tout cela à profit de votre cité dans leur grande bienveillance. Pour quelles raisons refuseriez-vous alors que tout ce qu'ils réclament en échange est un lieu de culte décent et que tous les cultes composant l'Hayili soient représentés ?"

Cephas sourit, son regard trahissant sa grande dévotion mais également la gentillesse qui l'habitait et qui se révélait cachée, le plus souvent, par ses raisonnements et sa vérité crue. Il conclut.

"Nous savons tous deux ce qu'est une sincère et réelle dévotion. La foi et la royauté sont deux faces d'une même pièce. Si leurs efforts vont dans le même sens, c'est le peuple et l'Etat entier qui s'en trouveront renforcés et enfin unis, l'un soutenant l'autre sans faillir. Il va de soi que la Foi n'interfèrera pas avec votre politique et je souhaite pouvoir pleinement me concentrer sur ce qui est de ma compétence sans que vos administrateurs ne viennent de nouveau me faire perdre mon temps. Je suis également le conseiller privilégié en termes de culte. Malheureusement, j'ai la fâcheuse manie de ne pas épargner mes interlocuteurs de mes opinions en la matière, qu'ils soient issus du peuple ou récemment élu par un artéfact millénaire."

Il se permit un sourire qui manquait de force. Il était en fait encore assez agacé de toute cette pitoyable mise en scène. La déception vis-à-vis de la reine comme de son gouvernement était bien présente. Mais puisqu'elle faisait un pas vers eux, il était de son devoir d'en faire un vers elle. Par ailleurs, il tenait les intérêts du temple comme supérieurs.

L'avis tranché du haut-prêtre concernant les adorateurs d'éther était plus conforme à ce à quoi Lùthien s'attendait, comparé à ses propos ultérieurs.
- Pour ce qui est de la position officielle de la cité concernant les éthéristes, je n'ai toujours pas abrogé la loi interdisant leur culte, mais il n'y a pas de répression active. Je comprends vos craintes vis-à-vis d'un culte monothéiste angélique, et je les partage dans une certaine mesure. Cependant, les éthéristes sont aujourd'hui une des principales influences lumineuses de cette cité et je crois qu'ils sont pour le moment nécessaires à son équilibre. Ils sont aussi les seuls à s'être vraiment préoccupés des intérêts du peuple pendant les années de guerre civile. Ce qui explique par ailleurs sa popularité actuelle dans les classes les moins aisées ainsi qu'au sein du palatinat. On estime qu'il reste encore entre six et huit mille pratiquants. Je ne crois pas qu'ils méritent d'être punis pour une croyance erronée... mais je préfèrerais ne pas voir l'Eglise prendre davantage d'importance. Ether a quelque part occupé la place laissée par Feanor, Aliéri et Vélianiel suite au massacre des De Rayem et des Paladins, mais je préfèrerais que les cultes lumineux de l'Hayili reprennent la place qui était la leur. D'ailleurs, à ce sujet, nous avons reçu une prêtresse de Vélianiel, et on m'a dit qu'elle portait un message du Roi d'Osna qu'elle ne remettra qu'à vous.
La reine contempla un instant les travaux en cours dans le temple avant d'ajouter.
- A choisir, je préfère l'influence du royaume d'Osna que celle de la théocratie Maggyar.
Elle écouta ensuite attentivement ses explications sur Björ et hocha doucement la tête en silence. Elle croyait ce qu'il disait et devait bien admettre qu'une telle fonction était nécessaire.
- Oui, le cycle doit se poursuivre.
Elle songea que si le prêtre s'était limité à cet argument plutôt que d'essayer de marchander la vie de la prêtresse ou de faire valoir les avantages politiques de la réhabilitation de Bjor, elle se serait laissée convaincre bien plus aisément.
L'elvarion resta ensuite légèrement interdite quand Cephas présenta les dieux comme étant quelque part au service des mortels. C'était une idée tout à fait étrange pour elle. Les elfes se considéraient plutôt au service de leur Père et non l'inverse. L'idée d'une sorte d'échange de bon procédés entre les dieux et leurs fidèles lui semblait assez incongrues. Mais elle savait que les dieux avait chacun leur manière de faire, peut-être étais-ce là celle de Jaben ?
Finalement, elle répondit par un sourire légèrement ironique au prêtre qui suggérait encore une fois que son statut de reine lui importait peu.
- Je peux comprendre que vous refusiez de vous plier à quelques traditions protocolaires. Mais que se passera-t-il le jour où nous aurons un désaccord sur un sujet moins futile ? Serez-vous vraiment capable de ne pas "interférer avec ma politique ?". Je crois pour ma part que la Foi est par nature politique : Faut-il gouverner avec la tyrannie de Hextor ou la justesse d'Alieri ? Faut-il promouvoir la douceur de Maurii ou la force de Korda ? Il y a des peuples pour qui la cohabitation entre certains cultes est impensable et qui vivent selon certains principes plutôt que d'autres. La présence de l'ensemble des dieux majeurs du panthéon à Targatt me semble correspondre à l'idéal de cette cité, qui est d'accueillir des mages de toutes origines et de toutes croyances, mais elle n'a rien de simple. Surtout quand on y ajoute la présence des anti-religieux et des éthéristes.
Lùthien regarda le regard étrange du prêtre de Jaben.
- Vous savez qui je prie, alors vous devriez pouvoir deviner comment j'entends gouverner. L'influence de Jaben pourrait probablement s'accorder avec ce que j'imagine pour la cité... Mais dites moi plutôt ce que vous aimeriez voir advenir de ce temple.
Malgré les nouvelles piques de Cephas concernant l'administration royale, la reine préféra essayer d'en savoir plus sur le fond de la pensée du haut-prêtre.