Miséricorde (LIBRE)

Miséricorde

La population dans le cercle avait subi énormément d'épreuves en très peu de temps. Trop peu de temps sans doute. Mais au moins tous ces conflits avaient fait ressurgir, sans doute, une certaine forme d'intelligence de groupe. A moins qu'il ne s'agisse que de réflexes de survie.

Toujours est-il que lorsqu'ils avaient été témoins d'une fluctuation magique anormale et dont l'instabilité semblait aller croissant, ils avaient eu la présence d'esprit de s'éloigner de la zone, et même d'aller prévenir quelques protecteurs pour les plus téméraires.

Si l'anomalie, qui ressemblait à un début de fissure, comme un miroir qui se craquelait, avait été mineure et était restée plutôt stable un long moment : plusieurs heures, en cette fin d'après-midi pluvieuse, tout s'était brutalement accéléré.

Des émanations magiques passaient au travers de la fissure qui s'agrandissait et par moment, on semblait discerner une structure semblable à un bâtiment quelconque par transparence. Si cette image n'était restée qu'un mirage, tout aurait alors été bien plus simple. Mais durant les moments où le demi-plan était au plus bas, c'était le bâtiment qu'il préservait jusque là qui entrait en collision avec le monde matériel, comme si les deux "lieux" tentaient de fusionner. Si bien que la fontaine, certes misérable, qui trônait jusque là dans la placette du pâté de maison, fut réduite à néant sous le poids illusoire et pourtant bien présent d'un bâtiment qui s'évapora la seconde suivant son forfait.

La fréquence de perception de ce qu'il y avait de l'autre côté du miroir s'accentua encore jusqu'à ce que dans un fracas assourdissant, une partie de l'orphelinat n'apparaisse sur la placette et sur les quelques maisonnées les plus proches, les ensevelissant sous les décombres et les détruisant en partie par la même occasion.

Malgré la pluie qui étouffa partiellement le bruit et la poussière, c'est un nuage dense qui s'éleva dans les airs avant de retomber aussi sec, dévoilant les huit personnes arrivées depuis le demi-plan maintenant détruit. Si certains devaient s'attendre à une nouvelle attaque ou quelque maléfice, ce ne furent pourtant que des enfants qui émergèrent de la poussière. Huit pour être précis, qui jetaient tous des coup d’œil en tout sens.

Les huit échangèrent un regard. Ils avaient décidé de la marche à suivre lorsque le demi-plan se serait effondré. D'abord, une prise d'information nécessaire. Ensuite... Ensuite... ils aviseraient. Ils semblaient être à Targatt, ce qui était sans doute une bonne chose. Il ne restait plus qu'à comprendre ce qu'il s'était passé et pourquoi on les avait subitement oublié, abandonné. Ils avaient du rationner leurs dernières provisions les derniers jours si bien qu'ils n'avaient pour ainsi dire pas fait de vrais repas depuis plusieurs jours si bien que, tels des animaux assoiffés, leur premier réflexe, après s'être assurés d'être entiers, avait été d'ouvrir la bouche, le visage tourné vers le ciel afin de récupérer un peu d'eau de pluie.

Ils s'interrompirent pourtant en sentant quelqu'un approcher, tous les regards se tournant vers celui, ou ceux qui arrivaient.
Comme une horloge bien huilée, ils appliquèrent leurs enseignements, non pas en matière de combat, mais en vue, toujours d'un premier contact.

Les deux plus âgés, Cirth et une humaine, se placèrent devant les plus jeunes, sans toutefois sortir ni leurs armes ni déployer de sorts. En vérité, bien qu'ils soient prêts à faire usage de magie au moindre signe d'agression, ils ne protègeraient sans doute pas les plus jeunes. Chacun devait être assez doué pour assurer sa propre survie. Simplement c'était la réaction "naturelle" le plus commune et il y avait donc davantage de chances de parvenir à démêler les choses en adoptant une attitude qui n'attirerait pas trop de soupçons, ou du moins, qui pouvait potentiellement attirer la sympathie. Après tout, ce n'était que des enfants visiblement fatigués et dans un certain état de faiblesse. Et ils ne cherchaient qu'à s'entre protéger. N'était-ce pas adorable ?

Il y avait une autre raison à faire mine de protéger les plus jeunes : leur méthode de combat. Car si ils s'étaient tous combattus les uns les autres à un moment ou à un autre, ils avaient également tous déjà combattus ensemble et connaissaient l'importance de la synergie. Or, les plus petits pouvaient rapidement devenir à atout pour un effet de surprise. On ne s'attendait pas à ce qu'un enfant de huit ans puisse être capable de perturber l'équilibre de tous les êtres vivants dans une zone aussi large que celle d'une arène.

Quoi qu'il en soit, ils n'attaqueraient pas en premier. Pour l'instant, ils se contentaient d'attendre et d'évaluer.

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La première personne à venir à eux fut une femme aux cheveux blancs. Elle ne semblait pas leur vouloir de mal... enfin, rien ne semblait paraitre en ce sens. Elle émettait une aura qui le mettait profondément mal à l'aise. Il recula d'un pas tendis qu'elle finissait de s'approcher. Non par peur mais par inconfort et méfiance. Pourtant, elle ne sortit rien d'autre que du chocolat. C'est la jeune humaine qui s'en saisit et mordit un petit morceau. Ses yeux s'illuminèrent de plaisir et un large sourire naquit sur ses lèvres. Elle tendit ensuite le chocolat à Cirth qui fit de même. Il savait que c'était un met réputé mais n'en avait encore jamais gouté. Comme tous les enfants qui l'accompagnaient d'ailleurs. Il marqua un temps d'arrêt tendis que le carré qu'il avait croqué finissait de fondre dans sa bouche. C'était effectivement plutôt... bon. Il se tourna vers les plus jeunes et leur donna la fin tendis que la jeune humaine avait prit la parole. C'était une garde de la cité donc ils n'avaient rien à craindre. Du moins normalement. Après tout, aucun d'entre eux n'avait le niveau pour pouvoir générer un demi-plan donc, bien que leur présence puisse être suspecte, ils n'étaient pas à l'origine des dégâts causés. Ca devrait donc aller.

"Sans que ce qu'il se soit passé ici soit de notre faute, je crains tout de même que..."

Cirth l'interrompit.

"Notre demi-plan a cédé." trancha-t-il d'un ton tout à fait neutre et dénué de la moindre émotion.

Il n'y avait as besoin d'en dire davantage. Selon lui, tout serait clair avec cette simple phrase. La petite humaine lui lança un regard désespéré avant de reprendre, tendis qu'un autre homme vêtu de blanc venait de rejoindre Kubilay.

"Je m'appelle Lily et lui c'est Cirth."

L'homme en blanc se présenta auprès de Kubilay comme un envoyé de "sa Majesté". Dans l'esprit des jeunes gens, entre l'aura négative, l'apparente sévérité et ses propos, il paraissait peu probable qu'il puisse évoquer quelqu'un d'autre que Drake Leckard.

D'un même mouvement, tel un ballet parfaitement réglé, tous les enfants mirent un genou en terre et inclinèrent la tête. Les ombres s'étaient rassemblées aux pieds de Chad et s'élevaient. Automatiquement, l'ombre sous Cirth se mit en mouvement. Elle s'étendit légèrement autour de lui se mit à tournoyer doucement dans une position clairement défensive.
La petit humaine reprit la parole d'un ton plus sérieux et moins enjoué que précédemment, consciente ça pouvait vite dégénérer. Elle connaissait assez Cirth pour savoir que les ombres du petit yamilo étaient une extension de lui-même. Elles agissaient "naturellement" selon la posture qu'il adoptait. Ne pas les manifester était plus complexe pour lui que d'en faire usage.

"Nous sommes l'Instance du faucon, au service de Sa Majesté Drake Leckard 1er, notre bienfaiteur."

Le dénommé Chad leur demanda de nouveau d'expliquer ce qu'il se passait. Lilly reprit la parole une fois de plus. Si c'était un envoyé de Sa Majesté, peut-être faudrait-il expliciter un peu plus. Bien qu'il serait étonnant qu'un proche du Roi puisse ignorer leur existence.

"Le demi-plan dans lequel nous étions s'affaiblissait depuis longtemps. L'objet dont il puisait sa magie se vidait. Il est finalement devenu instable. En cédant, il nous a... déposé ici. Mais ce faisant il semble avoir causés ces dégâts."

Certes il s'était adressé au petit yamilo mais Lilly savait qu'il n'était pas le plus doué quand il s'agissait d'expliquer quoi que ce soit.
Quoi qu'il en soit, elle avait répondu honnêtement, persuadée qu'ils étaient face à une personne liée, elle aussi, à leur souverain. Cirth toutefois, redressa la tête pour croiser le regard de Chad. Pour une raison étrange, il avait l'impression de ressentir une certaine animosité. D'un autre côté ça n'avait rien d'étonnant.

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L'idée que Kubilay ait d'autres barres de chocolat sembla enchanter les enfants dont certains lui adressèrent un regard tout à la fois reconnaissant et pétillant de joie tendis qu'ils savouraient ce qui restait.

De son côté, Lilly finissait d'expliquer ce qu'il s'était passé un peu plus dans le détail quand l'homme en blanc avait matérialisé ses ombres. En réaction instantanée, et sans doute car il ressentait l'animosité latente du sorcier, les propres ombres de Cirth avaient adopté une posture défensive, se contentant de faire un cercle autour de lui.

Soudainement, les ombres du jeune yamilo semblèrent se retourner contre lui. Un étau se fit au niveau de sa gorge et de ses poignets. Cirth fronça les sourcils de dépit plus qu'autre chose. Il ne comprenait pas la raison de l'attaque et n'appréciait que peu le fait qu'on utilise ses ombres. C'était un peu comme pénétrer dans son espace intime. Toutefois, il était incapable d'en reprendre le contrôle, ce qui signifiait que cet homme était au moins plus puissant que lui. Non qu'il en doutait réellement mais en général, il avait toujours perçu ceux qui aboyaient fort comme des êtres incapables de mordre aussi fort que le bruit qu'ils faisaient.

Ses ombres le projetèrent vers l'homme. C'était plutôt mauvais. Au risque d’aggraver sa situation, il matérialisa sa main de force autour de lui afin d'empêcher l'homme de le rattraper et d'éviter d'être à sa merci. Tel un bouclier, la main qui faisait la taille de Cirth s'enroula autour de lui pour éviter que l'homme en blanc ne le saisisse à la gorge et ne lui assène le coup. Puis, le jeune yamilo se rétablit au sol. D'un mouvement, il envoya sa main, paume ouverte pour tenter de se saisir de l'homme. Sourcils froncés, Cirth était totalement concentré sur sa tâche. Il contrôlait mal sa main et elle réclamait beaucoup d'énergie. Il ne pourrait pas la tenir plus de quelques secondes et encore... Il devait donc essayer de broyer l'homme dès à présent. Ce qu'il tentait de faire, si seulement il avait bien attrapé le dénommé "Chad".

Dans le même temps, les enfants n'étaient pas restés inactifs. Dès qu'ils avaient entendu que Drake Leckard étaient décédé, et constatant l'attaque que Cirth subissait, ils se déployèrent. Seule Lilly se contenta de se relever mais sans activer la moindre magie et sans faire le moindre geste qui aurait pu laisser croire qu'elle préparait une attaque.

Sur les six plus jeunes restés en retrait, deux d'entre eux s'étaient élevés dans les airs et semblaient préparer un sort compte tenu des mouvements de leurs lèvres, il était évident qu'ils avaient commencé à psalmodier quelque chose. Les quatre restant s'étaient déplacés le plus calmement du monde et placés en arc de cercle de part et d'autre de Lilly, quoi qu'en restant un peu plus en retrait. Les deux les plus excentrés tendaient leurs mains vers Chad. Leurs auras étaient plutôt faibles mais leurs mouvements d'énergie comme leurs déplacement étaient vifs et incroyablement précis vu leur âge, trahissant l'entrainement reçu.

Aucun sort ne fut lancé. Ils étaient simplement prêts à le faire. Même si leurs sorts seraient sans doute assez faibles, ce serait sans doute suffisant pour permettre à certains d'entre eux de prendre la fuite.

Comme depuis le début, c'est Lilly qui reprit la parole. Elle avait perdu son sourire mais avait prit le temps, en quelque sorte, d'écouter ce que les deux adultes avaient eu à dire. La jolie jeune femme leur avait proposé de les emmener au protectorat. Il était évident que c'était sans doute un endroit où leurs compétences pourraient être utiles à la souveraineté. Mais le fait que l'un d'entre eux ait été attaqué sans raison les rendait nettement plus méfiants envers les deux adultes.
Sans parler du fait qu'ils voulaient les séparer. Ou plutôt, séparer Cirth du reste du groupe.

Elle reprit la parole d'un ton plus froid que précédemment.

"Nous ne suivrons personne tant que nous ne connaitrons pas notre statut. Sommes-nous vos prisonniers ? Si tel est le cas, je vous remercie de bien vouloir nous indiquer les motifs de notre incarcération... ou de celle de Cirth. A moins que le pouvoir soit tombé si bas que les arrestations arbitraires soient autorisées, je doute que vous ayez le droit de kidnapper qui que ce soit, qui plus est un simple enfant qui a eu la malchance d'apparaitre au mauvais endroit ou de mal contrôler une magie. On s'attendrait d'un sorcier aussi expérimenté que vous semblez l'être, un peu plus de retenue et de raison."

Lilly fixait avec intensité Chad et Kubilay alternativement. Pas la peine d'être devin pour comprendre qu'il y avait une forte chance qu'ils ne s'y conforment pas.

Si c'était possible, Cirth essaierait de se remettre dans le rang avec ses compagnons et désactiverait sa main seulement une fois que ce serait le cas.

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Le jeune yamilo ne comptait pas se laisser malmener sans rien faire. Il avait donc répliqué en matérialisant sa main de force. D'abord pour empêcher l'homme de se saisir de lui, ensuite, pour tenter de le broyer. Il n'en eut toutefois pas l'occasion car des chaines dorées s'enroulèrent autour de ses membres. Si ça l'empêchait bien de bouger, c'était pourtant le cadet de ses soucis.

D'une part il ne parvenait pas à mobiliser la moindre ombre, ni la moindre parcelle de magie. Et d'autre part, ça faisait horriblement mal. On l'avait bien mis en garde contre ce genre de magie mais c'était la première fois qu'il en faisait la désagréable expérience. Pour autant, son centre de la douleur n'était pas le seul à s'être activé. Son centre du plaisir aussi, de manière infime, certes, mais c'était là. Sans doute un moyen physiologique naturel des membres de cette espèce pour passer outre une souffrance quelconque.

Quoi qu'il en soit, ça n'empêcha pas le jeune yamilo de laisser échapper une plainte de douleur tendis qu'elle leur refusait le droit de sortir de la zone sous peine d'emprisonnement. Vraiment marrant. Comme si il avait eu la moindre chance d'y parvenir. En attendant, la protectrice faisait la morale à l'envoyé de la reine ce qui laissait la sensation générale d'une certaine faiblesse du nouveau pouvoir en place, quel qu'il soit.

Lorsque les liens disparurent, il tituba maladroitement en reculant de quelques pas. L'homme fit de même, quoi qu'avec davantage d'aplomb. La respiration du jeune yamilo était assez rapide. Il faut avouer que ça n'avait pas été une partie de plaisir...
Lilly avait reprit la parole pour demander si ils étaient voués à finir prisonniers. A la réponse de Kubilay, les enfants firent disparaitre leurs sorts préparés et leurs auras. Les deux qui s'étaient mis à voler et léviter retournèrent au sol.

Chad avait embrayé sur les propos de Kubilay, lui reprochant de protéger un être de son espèce. Il prétendait qu'ils étaient des chasseurs de mages avant de la menacer de faire un rapport au gouvernement sous prétexte, qui avait l'air d'être un facteur aggravant, qu'ils avaient servi Drake Leckard. "Avaient", car si il était bien décédé, ils n'étaient plus certain, pour la plupart d'entre eux, de savoir où devrait aller leur loyauté. A la cité sans doute...

Une fois que sa respiration était redevenue normale, il reprit la parole d'un ton neutre mais où se lisait un brin d'incompréhension.

"Je vous assure que j'ignore de quoi parle cet homme. Jamais je n'attaquerai un mage quel qu'il soit sans en avoir reçu l'ordre."

Ou sans en avoir un très très bonne raison du moins, comme survivre par exemple.

"Je suppose que son animosité à l'égard de l'ancien roi vient d'une discord politique.."

Avec le départ de Chad, Lilly avait retrouvé son sourire enthousiaste qui détonait d'autant plus à côté de la mine de Cirth. Elle poursuivit en coupant la parole à Cirth. Pour elle, Chad n'était plus là, donc inutile de reparler de ce sinistre bonhomme !

"Oui ! Merci Madame Kubilay. Nous vous suivons."

Cirth se contenta de soupirer. Il aurait aimer pouvoir démêler les problèmes que leur loyauté pouvait causer, et en cerner les raisons. Mais apparemment il faudrait attendre. En tout cas, la cause la plus probable restait celle de la friction politique, de différences de conceptions. Toutefois, si ces différences avaient été trop grandes, est ce qu'il aurait pu se produire un coup d'Etat ? Si tel était le cas, ça pourrait changer beaucoup de choses pour eux...
En attendant d'en savoir davantage, il se contenta de garder ses distances avec Kubilay, mais de la suivre avec tous les autres.

Miséricorde

Cirth et la clique se détendirent à mesure que Chad s'éloignait. La joute verbale des adultes pouvait être potentiellement problématique pour eux si les tensions allaient en s'aggravant... Le petit yamilo avait même tenté de se défendre de certaines des accusations de Chad. Ce à quoi Kubilay ne le rassura pas plus que cela, mais éclaira sa lanterne.

Une fois les tensions apaisées, ils suivirent la jeune femme sans se faire prier. Le petit yamilo préféra garder une certaine distance avec Kubilay. Non pas par réelle méfiance, il comprenait parfaitement les raisons qui avaient poussé la jeune femme à agir de la sorte et il lui en était reconnaissant en un sens. C'était en fin de compte surtout pour ne pas être incommodé par son aura.

Le petit groupe la suivit jusqu'à la caserne, adressant des sourires aimables aux protecteurs qui prenaient le temps de s'arrêter pour leur adresser quelques mots ou s'enquérir de leur état de santé. Sauf pour Cirth qui, bien qu'il ne fasse pas du tout la tête, ne souriait pas de manière aussi naturelle et enjouée que les autres. Il était clair pour un observateur extérieur avisé qu'il devait feindre. Pour la bonne cause assurément.

En arrivant à destination, Kubilay les laissa seul quelques minutes le temps de parler à son capitaine de leur situation. Cirth laissa les autres faire la conversation aux protecteurs qui vinrent, curieux et plutôt amicaux, leur poser des questions. Il préférait de son côté rester en retrait en tant que simple observateur.

Ce qui fut de courte durée. La protectrice revint vers eux et leur expliqua comment les choses allaient se dérouler dorénavant. La bonne nouvelle c'est qu'ils étaient bien pris en charge par le protectorat. Ayant un tuteur légal, même si il s'agissait toujours de l'Etat, ils étaient libres d'allers et venir, tout comme d'étudier dans les établissements... classiques. Une étincelle d'intérêt brilla dans le regard d'habitude si morne de Cirth, à l'évocation de l'académie de magie. C'était là-bas que leur Roi avait envoyé les plus âgés d'entre eux pour se perfectionner. Il avait déjà hâte. Il avait l'âge requis. Un petit brouhaha s'éleva dans les rangs des enfants, Lily étant au final aussi excitée et heureuse que les autres si bien que ce fut au petit yamilo de ramener un peu d'ordre par un raclement de gorge.

L'idée qu'ils puissent choisir seul ce qu'ils voudraient faire les laissa un instant perplexes. Pour eux la voie avait été toute tracée, du moins d'après les dires de leur ancienne directrice. Aussi, se dire que leur sort était entre leurs mains en grisaient certains et en effrayaient d'autre. Cirth de son côté mit l'information de côté pour la traiter en temps et en heure.

Autre fait étrange, les chambres n'étaient pas mixtes. Les enfants se regardèrent sans comprendre. Pourquoi les séparer selon leur sexe ? Ca n'avait aucun sens à leurs yeux. D'autant qu'ils avaient vécu ensemble durant un temps suffisant pour tous se soient vu nus à un moment où un autre. Ils n'avaient pur ainsi dire, aucune forme de pudeur, et ne comprenait pas la nécessité de ces barrières. Et quand bien même une attirance devrait naitre au fil des années entre certains d'entre eux, quel serait le soucis ? A part un attachement émotionnel inadéquat évidemment. Il n'était pas certain de comprendre l'intérêt de la chose mais il aurait bien le temps d'en parler éventuellement plus tard, d'ici quelques semaines, selon la manière dont les autres se seraient habitués à leur nouvelle vie.
Ce serait plus compliqué pour le plus jeune qui avait l'habitude de dormir collé à Lilly.

Le groupe remercia Kubilay et la suivit jusqu'aux chambres. L'installation ne leur pris aucun temps puisqu'ils n'avaient comme affaires ou vêtements que ce qu'ils portaient sur eux. Ils avaient deux heures pour se reposer puis ils auraient le droit de manger. Ensuite, Lilly et Cirth devrait retrouver Kubilay pour un entretien plus spécifique. Soit. Le jeune homme devait avoué qu'il était plus fatigué qu'il ne le pensait. Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour s'endormir, ne se réveillant qu'avec le vacarme du à la montée de tous les présents dans la caserne, vers le réfectoire.
Il se frotta les yeux, prit le temps de s'étirer grossièrement pour finir de se réveiller ceux qui n'étaient pas encore debout.

Les filles du petit groupe les rejoignirent avec les mêmes cernes qu'avant. A croire qu'elles n'avaient pas réussi à dormir. Lilly évoqua brièvement l'hyperactivité d'une autre fillette. Oui, c'était un problème parfois. Le repas fut étrangement silencieux. Non pas à cause d'une éventuelle baisse de moral mais davantage à cause de leurs bouches pleines et de leur appétit. Trop heureux de manger à leur faim, et plus encore en fait, certains ne s'arrêtèrent qu'une fois que le cuisinier leur ai interdit de revenir demander une énième fois.

A l'heure convenue, les deux aînés se dirigèrent vers le bureau de Kubilay, non sans demander leur chemin entre temps pour être certains de ne pas se tromper ou se perdre. Le protectorat était plus vaste que prévu même si ils auraient sans doute repéré les lieux en une bonne journée.
Ils frappèrent à la porte et, après autorisation, entrèrent.

Comme d'habitude dans la plupart des choses sociales, c'est Lilly qui reprit la parole.

"Merci Madame Kubilay. Pas que pour les chambres et le repas, mais aussi pour notre futur."

Cirth lui adressa un coup d'oeil blasé. Elle avait l'art de dramatiser... C'était fou. Ce n'était pas comme si c'était une chose réellement importante tant qu'ils pouvaient exploiter et développer leurs compétences. Lilly poursuivit.

"Nous avons été recueillis... non... recrutés principalement à Targatt par des éminences liées au Roi. Ils ont présenté la chose comme un orphelinat particulier qui en plus de subvenir à nos besoins, nous éduquerait et nous permettrait de développer nos talents respectifs loin du regard des opposants. Certains d'entre nous avaient vocation à servir, à terme, dans la garde royale de Sa Majesté. D'autres devaient intégrer différentes positions d'influence comme agents dormants et de renseignement. Et les derniers euh..."

Elle jeta un bref coup d’œil à Cirth qui hocha la tête pour qu'elle continue.

"Les derniers devaient intégrer la section de surveillance et d'éradication."

Elle marqua une courte pause avant de reprendre.

"En échange de la bienveillance de Sa Majesté, nous avons prêté serment de le servir lui et la cité."

Les deux enfants relevèrent leur manche droite et prononcèrent d'une même voix un mot. Un symbole apparut à l'intérieur de leur avant-bras durant quelques secondes avant de disparaitre de nouveau.
Lilly leva les yeux vers un point imaginaire, son index se posant sur son menton alors qu'elle se demandait ce qu'elle pouvait dire d'autres.
Cirth interrompit ses pensées.

"Nous étions quarante initialement. Et théoriquement nous aurions du être une quinzaine à entrer effectivement au service de Sa Majesté en fin de course. Compte tenu de la légèreté de ce nombre, nous pensons qu'il y a, ou avait, peut-être d'autres instances comme la nôtre."

Lilly acquiesça et reprit la parole d'un ton enjoué. Visiblement, elle aimait parler, et monopoliser la parole.

"Sur nous huit, seul Cirth avait été pré-sélectionné pour le renseignement. Pour ma part, j'étais censée intégrer la garde royale avec Meila et Kal. Les quatre petits étaient trop jeunes lors du test de Sa Majesté. Aucune décision n'avait encore été prise pour eux, bien qu'ils aient survécus." Ajouta-t-elle en souriant de joie. "D'ailleurs ?! " lança-t-elle comme si elle allait raconter une bonne anecdote... avant de s'interrompre brutalement.

Cirth n'avait pas eu l'air de faire le moindre mouvement mais, discrètement, une main d'ombre s'était extirpée de celle de la jeune fille et lui avait saisit la cheville, avant de disparaitre.

"Avez-vous d'autres interrogations ?" finit-elle par demander en souriant comme si rien d'étrange ne s'était produit.

Les deux jeunes gens étaient restés debout durant tout leur exposé. Lilly avait les yeux qui pétillaient de joie, trop heureuse de pouvoir parler de ce qui la rendait fière, a priori, à savoir leur entrainement, leur orphelinat, leur futur initial. Elle ne semblait pas avoir intégré que les règles sur cette dernière partie avaient sans changé.

Miséricorde

Les deux "leaders" du petit groupe s'étaient rendus, comme demandé, dans le bureau de Dame Kubilay pour lui faire part des éléments relatifs à leur recrutement, vie et futur. Il leur paraissait avoir évoqué tous les éléments primordiaux, y compris leurs runes de loyauté. La jeune femme les observa un moment avant de leur demander où allait leur allégeance maintenant, et si ils étaient libre de choisir.
Lilly pour la première fois depuis longtemps, sembla prise de court par cette question. Il faut dire que ce n'était pas très clair même pour la plupart des enfants, ou plutôt, ils ne s'étaient pas vraiment posé la question aussi clairement. Cirth n'avait pas ce problème. Il avait déjà résolu ce point avant même leur réapparition si bien qu'il n'avait eu qu'à l'adapter à la nouvelle situation au gré de son évolution.

"Nous sommes libres de choisir où ira notre loyauté, tant que nous servons le collectif. Ou que nous en avons le sentiment, puisque ça reste une interprétation subjective liée à la sensibilité de chacun."

L'analyse était froide et factuelle. Il avait très conscience que le pouvoir en place pourrait tout à fait faire en sorte qu'ils le servent avec quelques sorts mentaux. Toutefois, il ne s'en offusquait pas. Au contraire, ça aurait peut-être contribuer à redorer le blason de la Royauté, qui, bien qu'il n'en sache presque rien, était perçu par tous les enfants comme indigne de leur confiance. Cirth mit un point d'honneur à confirmer ce point.

"Pour ma part, ma loyauté n'ira pas à ce nouveau souverain qui semble trop faible pour dresser ses chiens."

Il faisait référence à ce "Chad" vêtu de blanc qui s'était présenté à eux comme un émissaire du pouvoir Royal.
Lilly s'était raidie quand il avait prononcé ses mots, de gène, bien qu'elle soit assurément d'accord avec les propos prononcés car elle n'ajouta rien. Cirth poursuivit, campant ses yeux rouges foncés dans ceux de la femme.

"Bien que vous nous ayez aidé, j'ignore pour l'instant si je dois vous juger comme digne de ma loyauté."

"Cirth ?!" s'offusqua Lilly en se tournant vivement vers le jeune yamilo qui lui adressa un regard plus froid que d'ordinaire.

"Si tu penses autrement, tu es libre de le dire. Sinon tais toi."

Sans prendre la peine de vérifier l'effet de son assertion sur la jeune fille, il reporta son attention sur la protectrice. Normalement, il laissait les membres de son instance s'exprimer comme ils l'entendaient. Du moins, dans la mesure où leurs propos avaient une cohérence et une logique rationnelle. Les très rares fois où il intervenait, il s'arrangeait pour prendre à part la personne afin de mettre les choses au clair sans témoins. Cependant, il s'agissait cette fois-ci d'un point qui, d'une certaine manière, lui tenait à cœur. Que Lilly parle à tort et à travers pouvait avoir son utilité, mais qu'elle se permette de l'interrompre pour rien avait le don de l'agacer. La jeune fille esquissa un mouvement de recul qu'elle interrompit toutefois. Après un instant d'hésitation, elle répondit en gonflant les joues et en croisant les bras d'un air un peu boudeur.

Ce fut toutefois de courte durée car elle finit par passer aux éléments suivants sans se faire prier et, après trois ou quatre mots prononcés, elle avait déjà retrouvé sa "bonne humeur" naturelle.
Leur exposé continua jusqu'à ce que Lilly finisse par demander si Dame Kubilay avait d'autres interrogations.

La protectrice leur exposa les difficultés possibles à rester fixer sur les voies qui leur avaient été alors tracées. Lilly se décomposa quelque peu et devint pensive. De son côté, ça ne faisait que conforter Cirth dans ce qu'il avait énoncé un peu plus tôt. Le pouvoir royal n'était, à son niveau, pas digne de confiance, et donc indigne de leur loyauté. D'un autre côté, sa curiosité avait tout de même été piquée au vif lorsqu'un "pouvoir elfique" avait été mentionné. Qu'est ce qu'un sorcier faisait au service d'un elfe ? Pour le peu qu'en savait le jeune yamilo, les elfes étaient plutôt hermétiques d'ordinaire aux manipulateurs d'énergie négative, tout comme à ceux qui plaçaient l'atteinte de leurs objectifs avant le respect de leur système de valeurs.

Finalement, la protectrice leur réclama le détails de leurs pouvoirs, compétences, caractère. En clair, tout sur eux. Cirth avait beau en comprendre la raison, il n'aimait pas l'idée de tout dévoiler. Décidément, montrer patte blanche était bien pénible. Pour sa part, il se contenterait de décrire les pouvoirs que les enfants avaient déjà mobilisés devant dame Kubilay. Il ne servait à rien de cacher ceux-ci. Peut-être en révèlerait-il un ou deux mineurs en plus pour valider sa "bonne volonté" mais le reste demeurerait personnel. Ni Lilly ni lui ne devrait avoir le droit de dévoiler ce genre d'informations. Toutefois, il comprenait que, compte tenu des circonstances de leur "arrivée", le gouvernement chercherait des garanties. Il leur en donnerait suffisamment pour détourner leur attention. En agissant de la sorte, Cirth serait contraint de confirmer quels étaient ses pouvoirs comme ses affinités et se dévoiler beaucoup plus qu'il ne l'aurait souhaité. D'un autre côté, Kubilay avait assisté à la scène et le lui "révéler" clairement ne ferait que renforcer sa confiance à leur égard. Tant pis donc. Il s'exposerait pour détourner l'attention portée sur les autres. Du moins, dans la mesure du possible.

Avant que Lilly n'ait pu prendre la parole, il hocha la tête et prit les devants.

"Il nous faudra un peu de temps pour faire un point avec les autres et formaliser toutes ces informations."

Mensonge. Il avait d'ores et déjà toutes ces informations, cruciales, en tête, mais si il voulait être convaincant et minimiser le danger qu'ils représentaient et que le pouvoir royal les laisse tranquille, il avait besoin en effet d'un peu de temps pour y réfléchir et faire le tri dans les informations nécessaires à transmettre et celles à conservées pour eux.
Lilly de son côté était de nouveau gênée mais ne dit rien. En revanche, puisque l'ancien gouvernement n'était plus, il pouvait toujours lui donner un os à ronger en attendant.

"Notre directrice était Dame Elenwë, une elfe noire. Son supérieur au palais était Dame Tryana Leckard qui rendait directement compte au Roi."

Cirth jeta un bref coup d'oeil à Lilly. Il lui avait montré la marche à suivre, et elle accepta volontiers de poursuivre à sa place, se doutant que sa réserve de mots quotidiens étaient épuisée. C'est qu'il parlait peu en général. La jeune fille prit donc la suite.

"Les deux nous entrainaient et nous supervisaient mais nous avions également trois autres intervenants qui se relayaient. Deux humains et un vampire. Ils n'avaient ni noms, ni visages."

Pourquoi en auraient-ils eu ? Seuls leurs enseignements comptaient.

Miséricorde

Les deux jeunes gens avaient tenté de fournir le plus d'informations possibles à Dame Kubilay qui avait eu la gentillesse de leur fournir un abris et, potentiellement, un avenir.
Afin de prouver leur bonne foi, ils avaient coopéré autant que possible, bien qu'en se gardant une marge de manœuvre. Du moins était-ce ce que Cirth imaginait. Évidemment, il avait des doutes sur le fait qu'elle l'ait cru, ou pas, quand il avait prétexté avoir besoin de temps pour rassembler les informations sur les capacités et pouvoirs personnels de ses compagnons. Toutefois, qu'elle l'ait éventuellement pris la main dans le sac n'était pas des plus dérangeant à ce stade. D'ailleurs, la protectrice, enfin, leur nouvelle tutrice, n'avait pas relevé la chose. Ca jouait clairement en sa faveur.

Un peu plus tôt, elle avait tout de même demandé ce qu'ils appelaient "le collectif". Lilly avait répondu le plus simplement du monde.

"L'ensemble des personnes au sein de l'entité à laquelle nous choisirons de nous lier. Jusqu'à présent, il s'agissait du pouvoir Royal représenté par feu Drake Leckard 1er, et par extension, sa famille et son gouvernement en premier lieu. Dans un second temps, l'entité élargie n'est autre que la cité elle-même et les habitants qui la composent."

C'était leur "collectif".

"Le serment nous force à servir une cause plus grande que l'individu lui-même."

Il ignorait toutefois dans quelle mesure est ce que sa survie passait avant ledit collectif. Etant donné que le pouvoir avait changé de main avant qu'ils aient effectué de véritables "missions", ils n'avaient pas pu tester les limites de ce serment. De la même manière, ils ignoraient quelles étaient les conséquences d'une trahison du collectif qu'ils auraient choisi de servir. Est-ce qu'il s'agirait seulement d'une paralysie, de maux de têtes ou est ce que ça pouvait aller jusqu'à la mort du sujet ? Ils l'ignoraient. Et après tout, le collectif pouvait également être des plus restreints. Par exemple, les seuls membres du protectorat... En vérité ils avaient accepté de se soumettre au serment sans vraiment posé de questions, persuadés qu'ils en apprendraient davantage au fils des mois, voire des années. Malheureusement, ça ne s'était pas passé comme prévu et nombre de leurs interrogations ne trouvaient pas de réponse. Pour autant, ça n'avait pas l'air de trop les inquiéter. Il faut dire que malgré leur entrainement, ils restaient avant tout des enfants.

La conversation, ou plutôt le compte rendu, avait suivi son cours jusqu'à ce que la femme reprenne la parole pour les rassurer quant au fait qu'elle ne recherchait pas leur loyauté, qui était une chose précieuse que l'on devait mériter. Cirth observa Kubilay sans broncher tendis que des étoiles brillaient dans les yeux de Lilly qui, visiblement, admirait déjà le lieutenant qui se lança dans l'explication de sa vision du pouvoir actuel et de sa forme en tant que gouvernement.

Les deux enfants étaient des plus attentifs, même si Lilly laissa apparaitre quelques signes de sa difficulté de compréhension quant à certains des rapports de force sous-entendus. Cirth, comme à son habitude, resta de marbre, se contentant d’acquiescer à deux reprises, à la fois pour marquer le fait qu'il écoute bel et bien, et son assertion aux propos qu'elle venait de tenir. Ou du moins, tels qu'elle les avait énoncé.
Même à l'évocation de Chad, rien ne transparut.

L'idée que la Reine puisse en venir à se séparer de certains de ses... sujets les plus proches afin de les restreindre à sa seule sphère privée était sans nul doute la chose la plus intelligente à faire. Toutefois, mieux valait parfois être plus isolé que mal conseillé et mal entouré. Mais peut-être que ça ne fonctionnait que si le détenteur du pouvoir avait les moyens physiques et magiques pour ce faire, ce qui ne semblait pas être le cas. Donc au final, on en revenait à la situation actuelle.

Finalement, les enfants finirent par donner davantage d'informations concernant les adultes qui les avaient encadré avant d'en venir à Cirth et Lilly plus particulièrement.

Comme les autres, ils avaient deux jours de "repos", puis ils seraient affectés, ou plutôt intégrés, à l'académie de magie. Ils avaient l'âge. Enfin, ils n'en avaient aucune idée, ils ne connaissaient pas leur date de naissance mais avaient une vague idée de leur âge, à plus ou moins 2 ans près. Pour le coup, ils feraient confiance à Kubilay. Il faut dire que la décision allait parfaitement dans leur sens.
Lilly affichait un air ravi. Quant à Cirth... Hé bien étrangement, lui aussi, bien que ça soit moins ostensible que pour sa camarade.

"On nous a dit qu'il y avait des maisons différentes ! Dans lesquelles allons-nous aller ? Est ce que nous pouvons être dans la même ? Les professeurs sont intéressants ? Quelles sont les matières que vous nous conseillez ?"

Elle prit une inspiration pour continuer de parler si bien que Cirth lui décocha une pichette sur le côté du front du même air blasé qu'habituellement.

"Tu vas gêner Dame Kubilay avec toutes tes questions, idiote. On verra bien."

Miséricorde

Les enfants avaient continué à exposer, à leur manière les informations à leur disposition bien qu'il leur manque sans nul doute quelques bouts. Finalement, ils avaient tenté de retransmettre l'explicatif qu'ils avaient eu du Roi à l'époque où il leur avait apposé le sceau. Une fois que tout le monde l'avait eu, il avait fait un merveilleux discours qui leur avait expliqué l'importance d'une loyauté sans failles, d'un esprit fort et dévoué à "une cause plus grande que l'individu lui-même" qui permettait, d'après lui, de transcender ses propres limites pour parvenir à un résultat que nul n'aurait pu imaginer. Il prévoyait de grandes choses pour eux et que tous pourraient atteindre ce potentiel qu'il avait vu en eux.

Durant le discours, il avait sous-entendu qu'il en était lui-même passé par là. Et finalement, à l'époque, il était un archimage surpuissant, craint de tous, qui avait été capable de prendre le pouvoir presque à lui seul. Il avait bâti sa réputation et ses pouvoirs de lui-même. Et même si son comportement était, a priori, dévoyé par certains, ces mêmes qui critiquaient étaient tout autant ceux qui tueraient pères et mères pour obtenir le même pouvoir ou, à défaut, d'être doué d'une volonté de réalisation aussi implacable. Or, c'était justement cela qu'il demandait aux enfants. Si tous avaient des pouvoirs et compétences, des caractères différents, tous en revanche, témoignaient de cette même force de volonté si singulière qui les pousserait à relever toutes les épreuves pour leur propre développement. Via ce prisme, il était raisonnable de les pousser à embrasser une cause étatique et chercher à ce qu'ils mettent la force qu'ils finiront par déployer au service d'une cause en laquelle ils croiront bel et bien. Une cause pour laquelle ils seraient prêts, à terme, à se sacrifier si nécessaire sans une once d'hésitation, si leur mort profitait à ce qu'il défendrait alors.

La conversation se poursuivant, ils en vinrent à évoquer leur intégration à l'académie de magie en laquelle ils nourrissaient de grands espoirs. Tendis que Lilly enchainait les questions, Cirth tenta de la faire taire bien qu'il soit tout aussi curieux qu'elle pour une fois.

Dame Kubilay souriait pourtant d'un air presque amusé. Cirth l'observa une seconde. Ils n'avaient pas l'habitude de voir de la bienveillance dans l'attitude des personnes qu'ils avaient côtoyé. La plupart du temps, il s'agissait surtout de froideur et de professionnalisme. Seul Drake d'ailleurs avait semblé témoigner d'un semblant d'attachement à leur bien-être. D'une certaine manière, plus chaleureuse, les enfants avaient l'impression de retrouver une partie de ce sentiment qui leur restait encore bien inconnu et qui pouvait facilement les décontenancer.

La protectrice leur expliqua un peu plus dans le détail comment fonctionnait l'académie, notamment de la répartition des étudiants entre les trois maisons selon leur... caractère ? types de pouvoirs ? espèce ? Il n'était pas certain des critères de répartition. En revanche, elle l'avertit qu'il serait forcément affecté à Talmar... et que le directeur de maison n'était autre que l'homme de la reine qui avait déjà cherché à l'emprisonner. Son regard s'obscurcit légèrement à l'évocation des bâtons qu'il chercherait à lui mettre dans les roues mais Cirth écouta avec la plus grande attention les recommandations de sa tutrice pour le contrer autant que possible.
Il acquiesça en silence après qu'elle se soit tut, tendis qu'il finissait s’emmagasinait les informations.

"Nous le ferons. Merci." conclut-il sans transition.

Il n'appréciait pas particulièrement le fait de devoir courber l'échine pour rien mais il avait conscience des efforts de la jeune femme pour les protéger. Par respect pour elle donc, il essaierait d'appliquer les conseils qu'elle venait de lui donner si c'était nécessaire.

Lilly arborait une mine légèrement inquiète et mit un certain temps à lâcher Cirth des yeux, comme si elle n'était pas pleinement convaincue. Toutefois, elle finit par regarder le bout de ses chaussures avant de revenir à leur tutrice puisque Cirth ne comptait pas en dire davantage et que ça lui semblait trop léger. Elle se composa un nouveau sourire qui aurait faisait parfaitement illusion et reprit.

"Merci infiniment pour tout. Nous ne décevrons pas Dame Kubilay, et je suis sûre que tout se passera à merveilles !"

Ils n'avaient visiblement pas encore tilté sur le fait qu'elle avait aussi un nom de famille et que c'était normalement celui-là qu'ils étaient censés utiliser. Lilly s'inclina en remerciement comme pour se préparer à demander à prendre congés mais la voix de Cirth l'interrompit. Elle se redressa dans une expression de surprise en entendant sa question.

"Je sais que vous m'avez expliqué que d'autres yamilos avaient des faits d'armes particuliers... Mais je n'ai pas compris une chose." Il marqua une courte pause, cherchant comment présenter la chose. "Même si certains sont des criminels, certains humains le sont tout autant et tuent également des mages. En quoi mon existence est-elle une chose... préjudiciable pour la cité ? "

Son expression ne trahissait, encore une fois, pas le moindre sentiment. Il semblait se moquer réellement d'être apprécier ou pas. Toutefois, l'expression de son aura montrait une légère altération. Ni colère, ni tristesse. Plutôt une sorte d'incompréhension qui tirait vers le prémisse d'une injustice. De son côté, il s'évertuait à rester neutre et à ne juger une personne que d'après ses actes. Pour lui, c'était la seule manière "raisonnable" et "raisonnée", logique, de faire. Aussi, il ne comprenait pas ceux qui agissaient autrement. Ca avait toujours été. Mais cette fois-ci, il se disait que si il parvenait à comprendre, peut-être serait-il à même de développer les bons arguments pour aller à l'académie dans de bonnes conditions.

Miséricorde

Lilly était sortie de la pièce, laissant Cirth et Kubilay seuls. Elle avait beau être des plus intrusives, elle avait un instinct suffisant pour comprendre quand il valait mieux qu'elle reste en retrait. Ce qu'elle fit en refermant la porte derrière elle et en rejoignant le dortoir des filles.

Cirth avait hésité à poser sa question. D'une certaine manière elle lui avait paru bête. Mais il détestait ne pas comprendre le fonctionnement d'une chose et ça en faisait parti. Aussi s'était-il finalement résigné à la poser.

Dame Kubilay marqua un temps avant de répondre. Elle donna raison à son raisonnement brut. Mais selon elle, il avait omis deux faits importants : passif et libre-arbitre. Le garçon inclina légèrement la tête sur le côté, marquant sans s'en rendre compte son incompréhension.

Elle lui confirma que son espèce était, d'une part, une création, un artifice, et d'autre part que leur existence avait eu pour but de tuer des mages. Le regard du jeune homme se troubla une seconde alors qu'il se remémorait certains propos tenus par l'ancien Roi lors de leur "entretien". N'était-ce pas justement exactement cela qu'il avait eu en tête en l'assignant aux renseignements et à l'éradication ? Soit. Il avait sans doute hérité de certains "restes" de cette époque, ou des capacités données par les anti-mages. Etait-ce de leur fait que Cirth puisse traquer n'importe qui via le marquage de ses ombres ? Etait-ce là la réminiscence du travail fait sur eux par les anti-mages ou était-ce un pouvoir qui n'était lié qu'à lui ? Cirth l'ignorait. Si il parvenait à intégrer l'académie, il trouverait sans nul doute la réponse.

Toutefois, il mit rapidement ses interrogations de côté pour écouter la suite. Elle lui demanda de faire attention à qui il croisait. Il n'avait pas imaginé que ça puisse être à ce point-là. Il avait naïvement cru que ce sorcier était tout simplement plus émotif que la plupart des gens. Soit, il resterait sur ses gardes.

"Je ferai attention." conclut-il simplement.

Le libre-arbitre.
Condamné à être dans les ténèbres. Positif, négatif et neutre... Il avait beau y penser, il ne parvenait pas à l'intégrer autrement que rationnellement parlant, pour donner à ces données une application pratique, logique. Faire davantage de dégâts. Réduire le champ des possibles pour trouver un point faible. Et ainsi de suite. Les histoires de bien et de mal associé à ces énergies lui passaient à plusieurs kilomètres au-dessus de la tête. Toutefois, la question de Kubilay était légitime sans doute.

Le remord ? Il savait ce que c'était. Il s'agissait du fait de regretter d'avoir fait quelque chose, ou pas fait. Il ne regrettait rien. Est ce qu'une erreur stratégique pouvait s'apparenter à du remord ? Il ne savait pas trop. Sans doute parce qu'il n'en ressentait effectivement pas. Il faut dire qu'il mettait un point d'honneur à agir toujours en accord avec ses principes. Des émotions positives ? Il en ressentait.

"Je pense avoir déjà éprouvé de la joie." Lança-t-il tendis qu'elle évoquait la soif de sang.

Bien que l'attitude de Cirth ne change pas pour un sou, son aura sembla se renfrogner légèrement pour lui. La raison en était simple. Tout d'abord, il s'était dit qu'il n'avait connu de "soif de sang". Puis, il s'était rendu compte que la "joie" qu'il avait éprouvée était tirée d'un souvenir spécifique : le test qui avait fait décroitre leur nombre de moitié, passant de 40 à 28. La bataille avait été rude pour tout le monde et certains en avaient fait des cauchemars des mois durant. Cirth... ne s'était jamais autant amusé. Il avait fini blessé, et pas qu'un peu. Mais ça avait été... merveilleux. Sans doute que ce qu'il s'était passé à ce moment-là pourrait être considéré comme un bain de sang par des personnes comme Kubilay.

Il baissa légèrement la tête, se retenant de dire que ce n'était arrivé qu'une fois, trop conscient que ce ne serait pas pris comme une chose positive.
Le seul fait positif de cette discussion c'était que ça confirmait le fait que Dame Kubilay ne semblait pas trop affectée par sa nature. Sans doute était-elle vraiment une personne de confiance...? L'avenir le lui confirmerait peut-être.

"Je vous remercie. Je vous laisse."

C'est sur qu'il comprenait déjà mieux l'animosité de certains. Toutefois, sa compréhension se bornait à être et à rester purement intellectuelle. Et, étrangement, ou pas, ça ne l'embêtait pas plus que cela. Visiblement il était "tel qu'il était censé l'être" donc d'un certain point de vue, tout allait bien. Quant à la sensibilité des autres, ce n'était pas comme si il en avait grand chose à faire dans le fond. Il y ferait simplement attention pour éviter de s'attirer des ennuis trop vite.