Que faire du nouveau venu ?

Détention

Yahn fut escorté hors de la grande salle par deux gardes. C’était peu, étant donné l’agressivité dont firent preuves plusieurs personnes à son arrivée, aussi la question ne ce nombre restreint pouvait se poser. Soit ces gardes sont d’un niveau martial et magique suffisant pour se permettre de ne pas jouer sur le nombre, soit leur nombre est précisément ce qui leur fait défaut car quand bien même l’Ishaldi s’était rendu, il demeurait une énigme et potentielle menace pour ces gens qui ne savent rien de lui comme lui d’eux, une garde aussi faible était donc surprenante.

Il prit alors le temps d’observer finement ses deux escortes ; leur manière de se déplacer, la concentration dont ils faisaient preuve, leur équipement, la finesse des décorations, on pouvait estimer qu’il s’agissait là d’un peu plus que de simple gardes. Etant donné l’évènement dont il avait interrompu le déroulement, les gardes présents devaient certainement être triés sur le volet, il avait donc probablement ici affaire à un corps d’élite en charge de la protection des hauts dignitaires. Une épée était ceinte à leur ceinture, leur main empoignait les poignées respectives, ils marchaient d’un pas ni rapide ni lent, les jambes légèrement entrouvertes dans leur démarche, le poing libre fermé battant la cadence au rythme des mouvements d’épaules mais pourtant une certaine forme de grâce et de légèreté était discernable dans leurs mouvements. Définitivement des hommes bien entrainés donc, inutile d’imaginer quoi que ce soit en l’état. De toute manière, une tentative de leur échapper serait bien futile… il était en un lieu inconnu, supposé être le domaine de Targatt si le sortilège avait bien fonctionné ; dans un bâtiment de très grande taille, à en juger par le temps de marche, la dimension des couloirs et l’écho discret de leurs pas ; cerner de personnes méfiantes pouvant se révéler être autant de pions, d’alliés, ou d’ennemis potentiels. Quand bien même il pourrait faire fis de toute cela, sa priorité demeurait le renseignement et dans un premier temps, il était nécessaire de faire un état des lieux personnel…

Malgré lui, Yahn ne put s’empêcher de mémoriser chaque couloir, chaque fenêtre, chaque recoin du chemin qu’ils empruntaient jusqu’à ce qu’ils franchissent une large porte d’un bois légèrement travaillé et habillé d’ornements sobres en fers maquillant discrètement les charnières apparentes. Vu le bâtiment dans lequel ils se trouvaient, une telle porte devait marquer un changement d’aile ou de quartier affecté à une tâche particulière. Une fois l’embrasure passée, un rapide coup d’œil derrière son épaule lui permit de repérer deux gardes en faction ainsi que le style encore plus sobre et plus martial de la porte de ce côté-ci. Les couloirs eux-mêmes et les différentes portes devant lesquelles ils passèrent étaient moins habillés bien que légèrement travaillés néanmoins ; on cherchait de toute évidence à faire comprendre, à travers ce style, la vocation martiale de cette partie du bâtiment sans pour autant dénaturer la bâtisse elle-même ou le rang de ses habitants. Ils croisèrent plusieurs autres gardes, certains visiblement en poste, d’autres ne faisant que passer, certains même semblaient flâner vu le rythme léger de leur démarche. L’Ishaldi fut légèrement surpris, il pensait se retrouver en détention, ne serait-ce que provisoire, mais ses deux sentinelles l’avaient emmené dans leur baraquement ; son statut incertain devait en être la cause. La maîtresse des lieux, du peu qu’il avait compris, souhaitait lui laisser le bénéfice du doute pour le moment et le traiter de ce fait sans hostilité ni chaleur.

Les gardes ouvrirent une petite porte avant de pénétrer dans une pièce d’une surface plutôt moyenne pour ce qui semblait être une chambrée. Un lit d’humble facture mais assez large pour offrir une nuit confortable était disposé contre le mur gauche tandis qu’une armoire siégeait à ses pieds sur le même pan. De l’autre côté, dans l’alignement de la porte, se trouvait une petite commode et un râtelier permettant de contenir au moins eux armes. En face, une fenêtre étroite, excepté peut être pour un assassin habile et fort souple, un bureau et sa chaise.
Le premier garde a être entré tira la chaise vers le centre de la table et intima à Yahn de s’y asseoir avant de se positionner dans son dos, entre lui et la fenêtre. Le deuxième garde referma la porte et se planta devant. L’Ishaldi eut juste le temps de remarquer la venue de deux nouveaux gardes se plantant de l’autre côté de la porte avant la fermeture De celle-ci.
La chaise représentait une posture fort inconfortable pour lui, aussi décida-t-il de se lever, ce qui amena ses gardiens à porter immédiatement leur main à la poignée de leur arme ; par précaution, Yahn fit des gestes lents, repoussant la chaise d’un mètre environ avant de s’asseoir à-même le sol en tailleur.  Cette position était bien plus propice à la méditation qui était nécessaire. Il ferma les yeux et commença à allonger sa respiration afin de faire le vide en lui ; une fois chose faite, il laissa son esprit s’atteler à l’analyse des évènements.

Son point d’arrivé était assurément la convergence d’un haut flux de magie, il était donc inévitablement au sein d’une ville rassemblant une grande quantité de mages. Si le sortilège avait fonctionné, il devait donc se trouver à Targatt mais il n’avait reconnu aucun visage parmi ceux présents … était-il parti trop loin ? se trouvait-il en Erhël’shalâ ? ou plus loin encore ? non, cette dernière possibilité ne tenait pas, il n’y avait pas de rassemblement de mages de suffisamment grande importance pour cela avant la venue d’Isha, du moins pas d’après ses connaissances …Et il était inconcevable qu’il soit allé en avant…il lui faudra profiter de son propre interrogatoire pour obtenir les clés qui lui permettront de répondre à cette question ; où se trouvait-il ?
Alors qu’il méditait, une deuxième interrogation, plus inquiétante lui vint… pourquoi n’avait-il pas pu user de magie ? Certes il y avait le Leêth, et désormais ce bracelet…mais une sensation de gêne lui taraude l’esprit depuis son arrivée, depuis l’instant même où le portail s’était refermé…encore maintenant, il se rendait bien compte qu’il ne parvenait pas à ressentir son entourage, cette babiole pouvait-elle à ce point le couper de la magie ? il faudra alors manœuvrer pour gagner suffisamment vite la confiance des autorités pour ôter cette nuisance à son poignet ; à moins qu’il ne force la chose en repassant en Incarnation d’Ombre ? non, cela le compromettrait plus qu’autre chose pour l’instant. Qu’en pensait-il ? il était d’ailleurs incroyablement silencieux depuis leur arrivée. Certes, depuis le rituel d’incarnation, ils ne communiquaient plus directement, mais il y avait toujours un lien, la sensation diffuse de leur osmose amenant à mêler leurs pensées… et là, seul le vide lui répondait de son silence… sa sensation de gêne viendrait-elle en réalité de là et non pas du blocage magique ?
Puis son esprit creusa une autre question ; la langue des gens d’ici. L’une de celles qui avaient pénétré son esprit lui avait fait comprendre qu’elle avait lancé une sorte de sort de compréhension mutuelle sur lui mais qu’il serait de courte durée. Pourtant, sans les comprendre pour autant, avant même cela, certains mots qu’il avait entendus prononcés lui étaient vaguement familiers… ils semblaient se rapprocher du parler Impérial qui était en vigueur à la cour avant l’arrivée de Ruin. Les nobles, las de la langue commune instaurée depuis la venue d’Isha, s’étaient remis à l’ancien langage afin de se distinguer du peuple. Il lui semblait y avoir là des similitudes sans pour autant mettre le doigt sur ce qu’était cette langue précisément…

Il sortit alors de sa méditation tandis qu’il lui semblait discerner des pas s’approcher de la pièce où il était retenu.

Interrogatoire

Les claquements des bottes sur la pierre se rapprochèrent de la porte de la chambre qui s'ouvrit pour laisser entrer plusieurs personnes. Les gardes qui avaient escorté l'intrus se placèrent dernière lui et l'un d'entre eux posa la main sur son épaule pour lui faire comprendre de se tenir tranquille. Un greffier s'installa au bureau de la petite chambre alors qu'un fauteuil était apporté et posé en face du prisonnier. Trois autres soldats en uniforme entrèrent et se postèrent de part et d'autre dans la petite pièce. Pui s une jeune femme entra, elle avait les oreilles pointues et sa chevelure argentée était coiffée d'un diadème. Elle portait encore la tenue de bal dans laquelle Yahn avait pu l'apercevoir à la tribune d'honneur, sa robe couleur de feu tranchait avec ses yeux bleu glace. Elle prit place dans le fauteuil dans un froissement de tissus, et observa le visiteur qu'elle n'avait qu'aperçu jusque là. L'homme avait l'allure d'un vétéran surgit d'un champs de bataille... et c'était peut-être bien ce qu'il était.

Lùthien lui demanda s'il comprenait sa langue. Comme cela n'avait pas l'air d'être le cas, elle lança le sort qui permit à nouveau au prisonnier de comprendre les personnes qui l'entouraient. Elle continua de le fixer en silence en faisant le point sur les sentiments contradictoires que l'incident avait provoqué chez elle. Son visage restait impassible mais son index tapotait sur son accoudoir, trahissant ses hésitations. Elle finit par briser le silence.

- Je suis Lùthien Nylaathria, la reine de cette cité... Vous avez interrompu un événement important.

La reine s'arrêta un instant. La fin de la soirée lui avait laissé un goût amer. Elle songea que pour un tel affront, son prédécesseur aurait probablement exécuté l'intrus après avoir fouillé son esprit pour en extraire tout ce qui pouvait être utile. Lùthien était en colère contre cet homme qui avait gâché le premier événement de son règne. D'un autre côté, elle était aussi profondément intriguée par le phénomène auquel elle avait assisté. Elle posa sur le visiteur son regard perçant en croisant les mains.

- Je vais tout de même vous donner une chance de vous expliquer. Si vous n'êtes pas un ennemi, je ne serais pas la vôtre...  Mais n'essayez pas de me mentir, nous perdrions tout deux notre temps.

Sur un signe de tête de l'elfe, l'une des gardes lança un cercle de vérité. Ce sort qui obligeait la cible à dire la vérité faisait maintenant partie de la routine lors des interrogatoires.

- Pour commencer, j'aimerais savoir qui vous êtes d'où vous venez et comment vous pensez être arrivé ici.

Interrogatoire

La porte s'ouvrit, les gardes s'activèrent et redoublèrent de précaution, l'un deux posa et laisse sa main sur son épaule afin de lui intimer de se tenir tranquille. Ce garde devait être inexpérimenté ou arrogant...étant sans pouvoirs, Yahn ne pouvait vaincre les trois gardes car il supposait qu'ils étaient capables de magie, mais avec les gardes supplémentaires, le greffier, et la femme qui venaient d'entrer, laisser ainsi sa main sur son épaule était une erreur ... La pièce était devenue désormais trop peuplée pour permettre à ces soldats d'utiliser leurs armes de manière efficace. l'Ishaldi pourrait aisément se saisir du bras de l'inconscient, le soumettre par une clé de bras tout en se protégeant derrière son corps avant de lui trancher la gorge avec sa propre lame pour ensuite engager le combat contre les autres en usant de l'avantage de ses protections métallique comme arme passive. Mais bon, la magie aurait tôt fait d'entrer en scène et ne lui laisserait aucune chance, et puis il devait éviter de créer des conflits.

La première chose qu'il nota chez la femme assise en face de lui fut ses oreilles ... une Lêet'nath ?! et elle ne présentait aucun signe de dépendance ... ses gardes devaient être de la même espèce aussi alors, c'était donc ça, le petit quelque chose sur lequel il n'arrivait pas à mettre le doigt. Eux non plus de présentaient pas de signe de dépendance. Il devait donc avoir voyagé jusqu'à l'ère pré-divine... ce qui collait alors avec ce langage semblable à l'impérial.
Elle était toujours vêtue et coiffée de la manière dont il l'avait vu avant d'être emmené, elle était donc venue directement après ses obligations sans prendre la peine de se changer. Elle fit un geste vers lui et il senti la magie s'agiter; un sort venait de lui être lancé, et à la sensation, cela ressemblait à celui dont il avait déjà bénéficier pour comprendre leur langue. La femme ne pris pour autant pas la parole, elle se contentait de l'observer en silence aussi planta-t-il son regards dans le sien, totalement impassible, attendant simplement sa réaction. Elle ne comptait pas le torturer, la pièce n'était pas adaptée, il y avait trop de monde dont un gratte-papier, et elle n'était pas dans une tenue adaptée pour cela. Mais elle était tiraillée par quelque chose... la preuve en était son index que Yahn pouvait apercevoir s'agiter nerveusement dans un coin de sa vision large; mais tiraillée par quoi ? il inclina légèrement la tête à cette réflexion. La position à prendre ? c'était le plus probable. Elle prit alors la parole.

Il en distingua un nom, et qu'elle était bien celle qui dominait en ce lieu.
Elle changea alors de position, croisant ses mains et aiguisant son regard avant de prononcer des mots dont il comprit qu'elle ne serait hostile que s'il représentait un danger et que le mensonge était inutile.
Ha, voici donc la position qu'elle prenait. Visiblement, une personne au pouvoir jeune , désireuse de prouver sa valeur et sa position par des actions menées en personne, tenant à conserver la paisibilité de son domaine et probablement anxieuse qu'une situation lui échappe. Une personne imprévisible donc de par le manque d'assurance de sa position, il va falloir gagner sa confiance.

Un garde lança un sort qui fit apparaitre le tracé d'un cercle au sol autours de l'interrogé. Yahn ne put s'empêcher d'observer curieusement les motifs; ils ne ressemblaient à rien qu'il ne connaisse... c'était problématique. Il n'était donc pas où il pensait être...
La Reine commença alors l'interrogatoire dont il compris le sens des questions sans difficulté grâce au sort et à la simplicité de ces dernières. Mais lorsqu'il songea à répondre, il sentit ses pensées se former d'elles-mêmes...c'était donc cela; ce cercle servait à obtenir la vérité, l'empêchant de ne serait-ce que penser à mentir. Très bien, il n'y aurait que la vérité, à lui de manier suffisamment bien les mots :

"Dhekih lêneksha Yahn Wards, Lülâ dhekih nelyulsha rhiänshanek Ishaldi neklêshaa, lê' lülâ dhekih nelyulsha dhël'yehül"
(sort compréhension) Etre Yahn Wards... venir Portes Terres Ishaldi... venir ma Magie.

Il posa à son tours des questions, prenant une expression la plus neutre possible, laissant planer le doute sur le fait qu'il soit perdu :

"lêneksha ük ? Lêneksha Yahâ ? Yulêneksha Isha layël ?"
(sort) Etre où ? Etre quand ? Isha déjà naitre ?

Il ne fallait pas qu'elle pense qu'il veuille dominer l'interrogatoire, il fallait l'amener à échanger....

En quête de vérité

Malheureusement pour la reine, le sort de traduction ne fonctionnait pas aussi bien qu'elle l'avait espéré. Elle saisit cependant un nom qu'elle répéta pour avoir confirmation.

- Yan Ward ?

Le prisonnier semblait avoir à peu près compris ses questions et elle avait à peu près compris ses réponses, mais il était évident que cela ne suffirait pas pour discuter de sujets plus complexes. La suite allait être laborieuse. Cependant, ces faits étaient déjà un indice. Si l'homme avait été de ce plan, le sort aurait fonctionné bien plus efficacement, donc il venait d'ailleurs. Ce n'était pas vraiment une surprise pour Lùthien, le portail qui s'était ouvert dans la salle du Trône n'était pas un simple portail de téléportation, elle l'avait tout de suite remarqué. Le voyageur ne venait donc pas de ce monde, et l'elfe était intriguée à l'idée de savoir duquel. Mais le plus urgent pour elle était de comprendre s'il représentait ou non une menace. Malgré l'énergie négative qui s'était dégagée plus tôt, le portail ne semblait pas donner sur les enfers, et le voyageur n'était clairement pas un démon, mais il n'en restait pas moins suspect.

Les réponses de Yahn n'étaient pas très éclairantes pour l'instant. Les mots "Ishaldi" et "Isha" n'évoquait rien de connu pour la reine et le fait qu'il était arrivé par magie était plutôt évident. Les questions qu'il posait, en revanche, montraient qu'il n'était pas certain d'être arrivé à l'endroit qu'il visait... plus révélateur encore, il n'était pas sûr de la date... à moins que le sort de traduction n'ait fait des sienne sur cet aspect. Lùthien décida de répondre à ses questions en espérant qu'il comprendrait.

- Nous sommes à Targatt en 1298 de la IIIème Ère.

La reine fit apparaître par magie une grande carte devant le prisonnier. Elle représentait l'ensemble du monde connu et la reine avait par une petite lueur souligné le nom de Targatt à la frontière du pays d'Hésandre. Sur les bords de la carte était représenté le dieu serpent Ythcalt qui délimitait de son corps les frontières du monde matériel. Lùthien montra la carte.

- Voyer vous les "Terres Ishaldi" ?

Elle doutait fortement que ce soit le cas. Lùthien avait beaucoup d'autres questions mais elle allait malheureusement devoir attendre que l'inconnu apprenne la langue pour qu'il puisse y répondre pour de bon. En attendant, elle devait trouver un moyen de comprendre pourquoi il était là et de lui faire comprendre son inquiétude au sujet de l'énergie démoniaque que tous avaient ressenti dans la salle du trône. Si la langue était une barrière, peut-être que communiquer d'esprit à esprit était une bonne solution. Sa tentative précédente avait donné un résultat assez flou, mais si Yahn coopérait cela pouvait être efficace. Elle reprit donc l'interrogatoire, il y avait une question qu'elle se devait de poser, même si il n'était pas sûre qu'il la comprenne.

- Êtes-vous allié aux démons ?

Lùhien tapota sa tempe en fermant les yeux pour montrer qu'elle souhaitait utiliser la magie spirituelle pour communiquer. Elle voulait lui faire mieux comprendre la question et lui montra ses propres souvenirs sans chercher à fouiller dans les siens. Elle commença par des images de l'attaque démoniaque qui avait eu lieu à peine quelques mois auparavant. A travers les yeux de la souveraine, Yahn put voir la salle du trône dans laquelle il avait atterri plus tôt. Elle avait une allure bien différente. La salle était remplie d'eau, et au milieu se débattait une créature énorme et monstrueuse qui avait visiblement fait éruption en défonçant un des murs. Autour de la reine se tenait des gardes en formation qui tentaient de repousser les assauts d'un homme doté d'une paire de corne qui se déplaçait à une vitesse surhumaine et était déjà parvenu à tuer plusieurs gardes dont le sang maculait le sol de marbre. Elle montra ensuite à Yahn la salle du trône telle qu'elle était juste avant son arrivée, avec les invités qui dansaient au milieu des fleurs. Puis le portail qu'il avait déclenché avec le tourbillon et les vents violents qui avaient mis tous les invités sur la défensive. Enfin, elle lui montra l'image floue d'une créature qu'elle avait vue quand elle avait essayé de lire ses souvenirs. Elle espérait que l'ensemble montrait assez explicitement pourquoi la première réaction des mages envers Yahn avait été une attaque sans sommations.

- Pourquoi êtes vous ici ? Montrez moi. Dit elle en tapotant à nouveau sa tempe et en mettant son esprit au contact du sien sans le forcer d'aucune façon, comme pour saluer avant d'engager une discussion.

Lùthien avait du mal à se l'avouer étant donné ses responsabilités, mais elle brûlait aussi de comprendre l'origine du voyageur. Le récit de l'inconnu pouvait apporter des développements inédits dans les théories des voyage transplanaire et spatio-temporels auxquelles l'elfe avait consacré des dizaines d'années de son existence. Elle voulait certes s'assurer qu'il n'était pas dangereux, mais elle ne voulait pas perdre l'opportunité de gagner un savoir inestimable. Elle avait donc choisi d'essayer de gagner la confiance de ce Yahn Ward.

d'esprit à esprit

Lorsque l’elfe prononça son nom, Yahn exécuta de nouveau les mouvements de salutations respectueuses, amenant son poing gauche à sa hanche, le gardant ainsi à la place de son arme, et portant sa main droite au niveau de son cœur avant d’incliner légèrement la tête en prononçant le nom de Lùthien, lui démontrant qu’il avait saisis qui elle était.
Il observa alors les réflexions de la reine, analysant le moindre signe de son corps, de son visage de son souffle. Tout comme lui tentait de recoller chaque morceau du puzzle dans lequel il avait atterri, elle devait certainement s’efforcer de déchiffrer l’énigme qu’il représentait. Au-delà de chercher des réponses à ses questions car il ne les avait pas posées de manière anodine, Il souhaitait susciter la curiosité afin qu’elle puisse former une base sur leurs futures relations ; il ne restera qu’à déterminer leur nature ultérieurement.
Lorsqu’elle reprit la parole, il comprit qu’il était à Targatt mais la notion de temporalité qu’elle lui indiqua ne lui évoquait rien … troisième époque ?! si c’était le cas alors il n’avait probablement pas, ou peu bouger sur l’axe temporel, ce qui était improbable puisque c’était le but premier du sort…
Une carte fit alors son apparition sur le sol dans une lueur pâle. L’Ishaldi reconnu plus ou moins son monde à quelques détails près et il remarqua qu’un point précis avec une inscription était en surbrillance. Il fut intrigué en réalisant qu'il parvenait à peu près à lire le mot qui désignait tout simplement la cité de Targatt ; définitivement, leur langue était proche de l’Impérial, il devrait donc finir par pouvoir communiquer plus vite qu’il ne l’espérait.
L’elfe lui demanda alors de situer les Terres Ishaldi, il ferait mieux ; Lentement pour ne pas exciter les gardes, il remonta sa manche gauche, laissant apparaître la protection de son avant-bras dont il défit une lanière. Puis il enfonça son pouce droit sur la pointe de la boucle ainsi libérée avant de presser son pouce pour aider le sang à sortir. Il se mit alors à dessiner par-dessus les lueurs de la carte. 
Il raya les frontières du pays D’Hésandre pour redessiner une cercle autours du point représentant l’académie ne correspondant qu’à la cité et ses proches environs. Il traça ensuite les frontières d’un large territoire englobant le domaine de Targatt et la plupart du pays d'Hésandre en dehors de ses terres occidentales mais avec d'avantage de terrain à l'Est. Il marqua un temps pour relire les caractères lumineux qui formaient le nom de la cité dans leur langue puis se risqua à les imiter en inscrivant un nom dans ce large territoire « Andhäl Ter » avant de supprimer le nom en le rayant d’une croix en faisant une gestuelle puis signifier la destruction.
Puis il fit suivre à son tracé les contours de ce qui devrait être le royaume d'Imperii mais positionné différemment et se redressa finalement avant de pointer ce territoire du doigt et prononcer « Ishaldi neklêshaa »



Lùthien prononça alors un mot que Yahn ne parvint pas à comprendre malgré le sort de traduction. « Démon ? » qu’est-ce qu’un démon pour ces gens ?
La Reine se tapota alors la tempe et ferma les yeux, l’Ishaldi compris qu’elle lui demandait la permission de pénétrer son esprit en lui partageant le sien. Cela aurait été une merveilleuse occasion d’obtenir toutes les réponses dont il avait besoin si seulement il disposait de ses pouvoirs … Mais comme elle avait eu cette fois la politesse de lui demander, il accepta et ferma les yeux en faisant le vide, laissant ainsi la place aux pensées qu’elle souhaitait lui partager. Il distingua une créature monstrueuse et un être plus fin mais qui dégageait quelque chose de bien plus redoutable avant que l'elfe ne lui montre des Images de Ruïn qu'elle avait probablement pioché dans son propre esprit lors du premier contact à son arrivé parmi eux. Le souvenir de cette fouille l'irrita légèrement et sentant que cette émotion pourrait faire surgir des images sur lesquelles il n'aurait pas le contrôle, Yahn réagit physiquement en claquant le plus bruyamment possible ses mains pour déconcentrer suffisamment Lùthien pour rompre le lien psychique.
L'ishaldii reprit une pose tout à fait passive dans la seconde qui suivit afin de démontrer à ses chaperons armés qu'il n'avait toujours pas l'intention d'être agressif.

L'elfe lui avait suffisamment détaillé la situation. Leur monde venait de sortir d'un conflit contre ce qu'ils appellent  « démon », récemment visiblement puisque la réaction des convives de l’événement qu'il avait interrompu avait été aussi agressive et brusque. Et pour couronner le tout, sa forme d'incarnat d'Ombre ajoutée à l'image de Ruïn prise dans son esprit laissaient planer le doute quand à sa nature...S'il voulait gagner et garder la confiance de ces gens, il ne pouvait en aucun cas leur dévoiler l’existence de Nicolaï ni la partie de son propre passif l'amenant à devenir un Fléau. Il lui faudrait omettre certaines choses afin de jouer d'avantage sur le tableau divin. Et étrangement, l'être cornu qu'elle lui avait montré lui faisait fortement penser à un ancien adversaire du temps insouciant où il apprenait encore la magie.

Elle parla à nouveau et il comprit qu'elle voulait savoir la raison de sa présence tout en lui indiquant vouloir communiquer à nouveau par voie spirituelle. Il savait à présent ce qu'il lui montrerait.
Il pris une position de méditation, ferma les yeux et fit le vide en son esprit en accueillant celui de la Reine.
Il repensa d'abord à l'énorme être monstrueux qu'elle lui avait montré et celui plus mince qui l'accompagnait. Son esprit se focalisa sur ce dernier avant d'apposer par dessus l'image dont il se souvenait de l'envoyé d'Hâehr'Kihey, ses cheveux argentés, ses cornes recourbées en arrière se cachant presque dans sa chevelure, son air sadique. Puis il redonna vie à la scène de combat dantesque entre ce Démon et l'alliance de Caïn et lui-même. Cette simple scène devrait la rassurer quelque peu sur sa nature...
Quand à savoir pourquoi il était ici... Yahn amena son esprit sur la projection d'un humain quelconque avant d'essayer de représenter un esprit au dessus de lui, tout puissant, comme dominant toute vie ; un Dieu. Il concentra son esprit sur la déformation de cet être divin, lui donnant de traits semblables à ceux du démon qu'ils avaient combattu avant de superposer à cet être l'image de Ruïn dont l'elfe avait connaissance pour finalement se représenter lui-même entrain de combattre Ruïn.
Ainsi, Lùthien aurait connaissance du camp auquel l'Ishaldi appartenait. Mais en parlant de camp...
Yahn fit le vide dans son esprit avant d'y projeter une image de la reine elle-même, puis il la dédoubla, par dizaine, représentant tout un peuple elfique. Il fit résonner un mot dans son esprit « Lêet'nath », ainsi appelait-il les siens. Il ajouta à cette image une projection de Ruïn, et le peuple Lêet'nath s'inclinant devant la divinité démonique. Pour ajouter de la véracité aux images, Yahn se remémora les nombreux affrontements qui l'avait opposé à ces êtres alors qu'ils massacraient des innocents et semblaient se nourrir de la magie des mages dont ils les vidaient de manière létal .
En lui montrant ces images, Yahn voulait lui faire comprendre qu'il était loin d'être le seul à devoir s'innocenter auprès de l'autre.
Il fit le vide dans son esprit à nouveau afin de peindre un nouveau tableau spirituel. Il représenta la carte de son monde , l'imagina en feu , la destruction s'amplifiant et recouvrant la quasi totalité de la carte. Il pensa alors au sortilège qu'ils avaient développé mais pris soin de ne pas détailler les motifs dans son esprit, ne laissant apparaître que quelques cercles baignés de magie vide d'inscriptions. Il se représenta alors une horloge dont le temps s'écoulait dans le sens contraire à la normale, et la course du soleil se succédant en marche arrière pour finalement repenser à son arrivée parmi eux.

Il fit le vide à nouveau et resta ainsi jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'il lui fallait à présent sortir de sa tête. Une fois que ce fut chose faîte, il plongea son regard dans celui de l'elfe et tenta à haute voix une prononciation maladroite d'après ses souvenirs du langage impérial et des similitudes qu'il avait saisis avec leur propre langue : « Pesoin abbrendre majiin voux, bartir ankor »

Retour vers le futur

Lùthien fronça les sourcils quand il s'entailla le pouce pour dessiner avec son sang. Les soldats se tendirent également, craignant quelque magie obscure et inconnue malgré le rada'an. Mais le prisonnier ne fit que dessiner et aucune magie ne semblait à l'œuvre. La reine songea qu'elle aurait pu lui fournir de quoi dessiner, son invité avait assurément un penchant pour les scènes dramatiques. L'elfe, intriguée le regarda redessiner les frontières des royaumes du monde connu. Elle se tourna vers le greffier.

- Notez que le suspect, dénommé Yahn Ward, affirme venir d'un pays nommé Ishaldi neklêshaa qui devrait se trouver sur la position actuelle des terres Imperii et Zarid.

Lùthien n'apprécia pas vraiment que Yahn se permette de l'interrompre. Elle serra les poings en songeant à montrer à son invité une scène de décapitation, pour qu'il comprenne qu'il n'était pas en situation de dicter les règles. Mais elle n'en fit rien... pour le moment. Elle continua simplement à lire ses pensées, se faisant la plus discrète possible. Il pensait dans sa propre langue qu'elle ne pouvait pas comprendre. Mais elle sentait qu'il voulait cacher quelque chose. Elle aurait sans doute pu se montrer plus agressive et fouiller pour savoir de quoi il s'agissait. Elle voulait attendre de voir ce que Yahn allait lui "dire" de son plein gré.

Il montra une scène où lui et un homme ressemblant à Caïn combattait ce qui semblait être un démon. Ainsi ils en avait combattu un... Soit. Mais cela n'était pas suffisant pour convaincre la reine qu'il était du côté du bien. Les démons se combattaient entre eux sans arrêts, et d'après ce qu'elle avait vu, certains d'entre eux étaient doués pour se faire passer pour ce qu'ils n'étaient pas. Sans compter que dans l'esprit de l'elfe, Caïn se rangeait plutôt du côté des démons. Le prisonnier poursuivit en lui proposant une vision un peu plus compliquée, il semblait vouloir dire qu'il avait par la suite combattu un être maléfique supérieur... servi par des Lêet'nath. L'image de ces elfes corrompus ayant son propre visage ne lui fut pas très agréable, mais elle comprenait ce qu'il essayait de dire par là. La suite lui sembla assez claire aussi. La conversation avec le prisonnier étant presque totalement silencieuse, la reine se tourna à nouveau vers le greffier pour qu'il prenne note.

- De ce que j'ai compris, il affirme avoir combattu des démons, peut-être menés par une entité de nature ou de force divine. Il existe selon lui dans son monde des êtres nommés Lêet'nath qui ressemblent aux elfes mais servent cette divinité maléfique. Son monde étant proche de la destruction, il a développé un sort ayant pour but de... remonter dans le temps.

Le greffier et les soldats se regardèrent, un peu déstabilisés par ce que leur reine venait de dire. Les mages qui tentaient ce genre d'expérience n'étaient pas nombreux, ceux qui étaient là pour raconter leurs résultats encore moins. Lùthien soutenait le regard de ce voyageur étrange mais restait simplement songeuse. Elle était impressionnée en un sens, qu'il ait réussi ou non, cet homme avait accompli quelque chose que peu avaient fait avant lui. Mais elle songeait d'abord à la sécurité de sa cité et réfléchissait aux possibles conséquences. Si Ward venait du futur de ce plan, cela pouvait signifier que ce monde était en danger... Cependant, s'il n'avait fait que voyager dans le temps, il aurait dû être capable de se servir de sa magie une fois arrivé au palais. Il venait de dire "apprendre magie vous" ? Ce qui corroborait plutôt l'idée qu'il venait plutôt d'un plan... parallèle. L'idée que de tels monde pouvaient exister était absolument fascinant pour l'elfe. Mais il était hors de question de laisser cet individu essayer d'ouvrir à nouveau un portail qui demandait probablement une source d'énergie phénoménale, un portail temporel était probablement instable et donc dangereux. L'elfe répondit fermement.

- Non, vous ne pouvez pas partir... pour l'instant.

Lùthien avait volontairement suggéré que ce serait possible un jour, mais ce n'était pas totalement sincère. Dans l'immédiat, elle voulait surtout éviter que le prisonnier se sente dans une impasse qui le pousserait à terme à résister ou à essayer de fuir. Elle choisit également de répondre à sa "question" concernant la race des elfes.

- Si cela peut vous rassurer... Je ne suis pas une Lêet'nath, je suis une Elvarion.

L'elfe communiqua à Yahn quelques souvenirs de son peuple, qui était à vrai dire plutôt l'opposé des Lêet'nath. Elle lui montra une cérémonie en l'honneur du dieu de la nature Nanrak où les elfes régénéraient la terre et célébraient la vie, mais aussi des images d'armées elvarion combattant des forces obscures de leurs cousins Drow à grand renfort de magie blanche. Une fois que cette clarification fut faite, l'elvarion decida de rentrer un peu plus dans le vif du sujet. Elle savait qu'il avait des choses à cacher, sinon il n'aurait pas été aussi agacé qu'elle lise dans ses pensées... Maintenant elle voulait savoir de quoi il s'agissait.

- Vous me cachez quelque chose... Qu'est-ce que c'est ?

 Vous n'êtes pas prêts

Yahn remarqua les légères réactions d'agacement de l'elfe, ses sourcils froncés, ses poings serrés, il se souvint des différents dirigeants qu'il avait pu rencontrer au court de sa longue existence et de leur égo, de leur besoin de démontrer leur domination, de diriger. Il ne put s'empêcher de sourire en repensant à cela et hésita même à titiller d'avantage cet aspect de l'elfe qu'il considérait comme un défaut. Qu'importe l'égo, ce n'est qu'une gêne empêchant d'avoir l'esprit clair, d'être factuel et efficace …
La reine adressait régulièrement la parole à l'intention de l'homme assis derrière lui qui semblait noter tout ce qu'elle disait, d'après le son de grattement de la plume contre le support en bois qu'il percevait, tout ceci devait certainement avoir pour but de créer des archives, ce qui conforta l'Ishaldi dans son choix d'éviter certains sujets ou de trop détailler les choses ; il était impensable d'offrir un savoir à n'importe qui...

Suite à sa tentative maladroite de communiquer dans leur langue, Luthien refusa l'idée qu'il puisse partir. C'était logique, qui accepterait qu'un être avec un savoir et une puissance inconnu débarque puis reparte comme si de rien n'était ?! Au pire, elle le considérerait comme un potentiel ennemi, au mieux, comme une source à exploiter ; et à la légère pose qu'elle marqua dans ses paroles, la deuxième option était la plus probable. Elle souhaitait probablement lui offrir une forme d'espoir pour attiser sa sympathie et sa confiance … le problème est que dans sa situation, il n'y avait guère d'espoir à avoir. Son voyage était de toute évidence un échec. Il apparaissait assez certain qu'il s'était déplacé sur le mauvais axe mais comme il ne savait ni pourquoi ni comment, la chance de trouver comment faire le chemin inverse était quasi nulle, et encore plus faible en y ajoutant le but premier de voyager sur l'axe temporel. Son avenir potentiel se divisait donc en trois chemins ; la mort, ce qui n'était que l'inévitable ; l'enfermement, ce qui remettait le compteur à zéro en attendant le dirigeant suivant ; et le partage d'information, accepter d'être exploité d'un côté comme de l'autre.
Elle essaya de le rassurer en revenant sur le sujet des Lêet'nath et démenti en être une, elle se qualifia d'Elvarion avant de montrer quelques souvenirs pour appuyer ses propos. A priori, ce monde dispose de plusieurs races de Lêet'nath avec chacune leur culture et particularités. Yahn sourit à nouveau et lorsqu'elle prit à nouveau la parole pour savoir tout ce qu'il cachait, il ne put s'empêcher d'émettre quelques pouffements de rire avant de poser à nouveau son regard amusé sur l'elfe.

- Lêet'nath thehô, lêet'nath dhännellê, shalê'eyneklê Lêet'nath. Lûlâ Lêet'nath dholâ dhekih lêneksha eylêdh nekih.
Elfe bon, Elfe mauvais, toujours Elfe. Elfe de mon monde comme toi.

Il lui fit alors signe d'entrer dans sa tête. Il prit une profonde inspiration et fit le vide. Montrer quelques fragments de vie était une chose, retracer l'historique d'un peuple comme il s'apprêtait à le faire en était une autre ; réunir les éléments et être aussi clair et concis que possible allait lui donner des maux de tête ….  par Isha, qu'il était pénible de devoir s'étendre en explications … Lorsqu'il senti la présence de l'esprit royal au contact du sien, il lui vint alors une idée qui lui simplifierait les choses.
Il alla fouiller loin dans sa mémoire, il l'époque où il n'était qu'apprenti mage au sein de l'académie de Targatt. Luthien risquait d'attraper quelques brides de souvenirs au passage mais peu lui importait car il n'y avait rien de gênant à cette époque. Il se remémora ses cours de magie élémentaire avec le professeur Hisoka, un Andhäl de taille moyenne aux cheveux couleur d'or et un petit air innocent malgré un phrasé tranchant. Ce professeur aimait enseigner sa matière à travers l'histoire et n'hésitait pas à illustrer son propos en se servant des éléments pour façonner des scènes vivantes. C'était précisément ce souvenir dont Yahn allait se servir. Il essaya de se remémorer aussi précisément que possible le cours afin d'en offrir une version immersive à l'elfe mais il mis ses propres mots à la place de ceux du professeur car ils auraient plus de poids dû au cercle de vérité.

Sous la démonstration vivante d'Hisoka, l'Ishladi expliqua que les elfes de son monde, les Lêet'nath dans sa propre langue, étaient jadis semblables aux Elvarions dont elle faisait partie, participant au cercle de renouveau des éléments, et à travers eux, au cycle de magie. Ils étaient un peuple pacifique et mettaient l'accent sur l'osmose avec les vastes forêts qui les hébergeaient et le partage avec les autres peuples qui les respectaient pour leurs talents artisanaux et leur savoir. Mais le savoir devint une obsession chez ce peuple qui toucha à son paroxysme lors de l'incarnation d'Isha parmi les mortels. Face à cette déité, les Lêet'nath  développèrent une admiration qui devint une soif de savoir; au point d'ériger la magie au statut de véritable science. Mais ils allèrent trop loin et tentèrent de toucher à des domaines inaccessibles alors... la magie se retourna contre eux et ils en devinrent esclaves. Incapables de la générer dorénavant par eux-même, ils finirent par en ressentir des aspects de manque pour ceux qui étaient le plus gravement atteint. Le peuple finis par se fracturer en plusieurs factions qui s'entre-déchirèrent pour avoir la main mise sur la magie présente naturellement sur leur territoire ; une guerre civile qui existait avant la naissance de Yahn et perdura jusqu'à l'incarnation de l'abjecte déité Ruin.
Quand le démon offrit aux Lêet'nath un moyen de générer à nouveau de la mana par eux-même en plus de celui de puiser dans celui d'autrui... leurs esprits dépendants à la magie ne purent résister et ils se soumirent, devenant les « Nelhâr'iulsha », les Dévoreurs.

Yahn fit à nouveau le vide dans son esprit mais avant que la Reine ne soit disposée à sortir de sa tête, il se permit d'ajouter à ses pensées :

** Dhekih rhiël rhiük'nelkihsha, rhiël yahônat'hülhâey, ethännek lhâyehlê. Ëlrhishâshlâ Dhëlyehül nekih rüksha laülsha eyëlnelkisha rhiël lhâyehlê **
je pas pouvoir tout dire, pas confiance, trop danger. Apprendre magie vous pour dire savoir pas danger.

J'attendrais

Lùthien resta indifférente devant l'amusement apparent de son prisonnier. Elle n'avait que faire de son insolence mais ces réactions ne donnaient pas l'image d'un sage à ses yeux. Elle accepta pourtant de regarder encore ce qu'il avait à lui montrer sur les elfes de son monde. Ce qu'elle voyait la fascinait en un sens... cet autre monde, cet autre peuple semblable au sien mais pourtant différent. Elle comprenait ses craintes. Même si les elfes du monde connu étaient bien différents de ces Lêet'nath, cela n'empêchait pas certains de sombrer aussi dans les ténèbres et de s'adonner au mal sous les traits des Drows. Et puis, appartenir à une certaine race n'était évidement pas suffisant pour être digne de confiance.

L'étranger semblait essayer de lui dire secrètement que le savoir qu'il détenait était trop dangereux pour être placé entre n'importe quelles mains. Cela aussi elle pouvait le comprendre. Elle aurait pu briser son esprit et prendre de forces ces connaissances, mais ce n'était pas son intention. En fait, elle était plutôt rassurée à l'idée que cet homme refuse de vendre son savoir à la première venue. Elle lui répondit donc en pensée qu'elle acceptait son silence.

Puis elle réfléchit un moment à ce qu'elle allait faire de lui. Elle ne pouvait pas le laisser partir, surtout si ce qu'il savait pouvait être dangereux. Et puis les personnes qu'il avaient blessées étaient en droit de d'obtenir justice, même s'il n'avait pas eu d'intention de nuire. Sous le règne de Drake, le roi aurait sans doute pris tout ce qu'il y avait à prendre dans l'esprit du visiteur avant de l'exécuter ou de le contraindre à le servir. Mais Lùthien était bien plus clémente, même si elle était encore en colère que le bal ait été gâché par cette étrange intrusion. Elle décida de mettre fin à cette première entrevue qui avait chamboulé bien des choses en elles.

- J'en ai assez entendu pour ce soir. Dit-elle à ceux qui l'accompagnaient. Puis elle s'adressa une dernière fois à Yahn avant de sortir.
- Pour ce qui s'est passé ce soir, vous serez enfermé quelques temps... mais je vous laisserais apprendre. Et nous nous rencontrerons à nouveau.

Elle ordonna que le prisonnier soit emmené dans la partie la plus sécurisée des cachots, mais qu'on lui donne une cellule et de la nourriture correcte. Lùthien comptait faire en sorte qu'il ne soit jugé que pour blessures involontaires, il s'en tirerait donc avec un ou deux ans de prison. Cela serait probablement suffisant aux yeux de ceux qui avaient été bousculés par son arrivée, même si certains jugeraient la sanction trop légère pour une intrusion dans le palais royal. Pour Lùthien, en dehors du souci de justice, faire enfermer cet étranger était aussi une manière d'empêcher les éventuels comploteurs d'aller se renseigner à la source sur lui. Si ce qu'il savait était trop dangereux pour être révélé, elle ne comptait pas laisser n'importe qui l'approcher.

Par ailleurs, sa curiosité la poussait à vouloir gagner la confiance de Yahn pour qu'il accepte de partager avec elle les récits sur son monde. Elle comptait donc montrer sa bonne foi en lui permettant d'en apprendre plus sur l'endroit où il se trouvait. Elle prévoyait de lui faire porter des livres d'histoire, et peut-être trouver quelqu'un de fiable pour lui enseigner la langue afin qu'il puisse les lire. Mais elle ne lui permettrait pas tout de suite d'étudier comment la magie fonctionnait dans cet univers, pour cela, il fallait d'abord qu'il gagne sa confiance à elle.