Le bouclier royal. (PV) (TERMINÉ)

Pour Yearius aussi, la guerre était officiellement terminée. Il était évident pour tous que la paix était maintenant présente pour durer et en théorie, Yearius aurait dû faire ce que beaucoup de jeunes hommes de son âge faisaient. Après la guerre, on lui avait remis son diplôme en le félicitant grandement. Maintenant qu'il n'était plus un étudiant il aurait sans doute dû sauter de joie et aller rejoindre sa dulcinée pour quelques instants féeriques en sa présence. Il aurait sans doute dû réserver son esprit à la vie de joie et de bonheur qui l'attendait ainsi qu'au fantastique mariage qu'il devait préparer. Après tout, Allayne avait accepté sa demande. Il était inutile de faire traîner les choses. Cependant, il ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter pour la suite et surtout pour le déroulement prochain des futurs affrontements. Wilhelmine avait déserté Targatt avec son armée de mercenaires et c'était proclamé vice-reine. La criminelle qui avait tué Astoria et aidé Drake à prendre le pouvoir était maintenant à la tête des deux cités voisines de Targatt. De plus, le retrait de la grande armée n'indiquait rien de bon pour la suite. Les protecteurs déjà peu nombreux avaient subi de lourdes pertes... Les paladins quant à eux avaient tous choisi une voix différente. Maintenant que la guerre était terminée, leur service actif était terminé. Pour le moment. Enfin... Ce n'était pas totalement vrai.

Certains paladins voulaient retourner à des métiers civils, étant fatigués de se battre. D'autres, surtout les plus jeunes et son fidèle bras droit Charle, lui avaient jurer allégeance. Le tout en précisant qu'il suivrait ses plans, qu'importe ce qu'ils étaient. Ainsi, l'ordre paladins avait été réformé entre deux factions. La garde paladin et les chevaliers de l'ordre paladin. Les premiers étaient tous les paladins attachés à l'ordre, mais occupant des fonctions civiles. Ils avaient ordre de se présenter aux réunions de l'ordre paladin et de continuer à entraîner leur corps et leur esprit. Il devait aussi répondre présent si l'ordre devait entrer à nouveau en guerre. Mais sinon, ils étaient libres de mener leur vie. Les autres représentaient la force active de l'ordre. Les paladins de Targatt étaient restés beaucoup trop longtemps passifs. Il fallait que ça change. La cité n’avait besoin de personne pour la défendre et Yearius avait précisément ce qu'il voulait.

Ne portant qu'une tunique blanche et des pantalons de soie plutôt classique, le chef des paladins méditait dans la salle de prière aménagée à cet effet. Les paladins ne vénéraient pas de dieux à proprement parler, mais suivaient plutôt une voie instaurée par les premiers d'entre eux. Ils méditaient régulièrement pour se ressourcer et être capables de manier correctement leur magie. Yearius n'échappait pas à cette règle, malgré son ascendance angélique. Ainsi, comme chaque matin, il médita une heure complète, agenouillée sur un simple coussin comme quelques paladins autour de lui. Le silence de la pièce lui permettait de réfléchir convenablement. Maintenant que son plan était finalisé, il devait obtenir l’approbation de la reine. Certains diraient qu'il devait plutôt en parler au chancelier, mais ce dernier était un administrateur. Ce genre de chose se négocie avec le maréchal des armées ou avec la reine. Et Luthien et ses deux personnes.

Il se leva lentement et mit simplement sa ceinture d'arme avant de sortie de l'aile accordée aux paladins, franchissant les étages qui le séparaient de l'étage royal. Les gardes royaux protégeant l'étage royal le laissèrent passer en le reconnaissant. Il était le lieutenant de la garde personnelle de Luthien. Cette position lui donnait quelques privilèges. Il annonça sa présence à un garde qui annonça sa venue à la reine avant de le laisser pénétrer dans les appartements personnels de Luthien. Il était encore tôt, mais il se doutait qu'il la trouverait éveillée. Une fois qu'il fut devant la reine, il se permit un sourire avant d'incliner légèrement la tête pour la saluer.

-Merci de me recevoir Luthien. Je suis désolé de te déranger... Mais j'ai un projet à te présenter et je crois que ça pourrait t'intéresser.

Il n’appelait jamais Luthien par son titre lorsqu’il était en privé avec cette dernière. Après tout, elle n'en restait pas moins sa tante. Il pouvait se permettre d'être plus personnel avec cette dernière. Il prit place sur l'un des sofas qui composaient l'énorme appartement de la reine et attendit que la reine l'imite avant de continuer sur son lancer.

-Comme tu le sais, mes paladins ont choisi pour certains de reprendre une vie civile. Les autres ont choisi de rester actifs et de continuer de combattre sous mes ordres. Je t'ai promis l'aide de l'ordre durant la guerre et t'ai dit qu'après celle-ci j'aurais une demande à te présenter. Me voici donc devant toi pour cette raison. Mais aussi pour te présenter mon offre. Comme tu le sais, les alentours de Targatt ne sont plus protégés et les protecteurs ne sont pas assez nombreux pour les défendre. Sans parler de la désertion de la grande armée qui a rejoint Wilhelmine dans sa conquête des cités voisines. Nous devons posséder une armée qui nous soit fidèle et qui cette fois, ne sera pas au moins d'une despote.

Il laissa la reine assimiler ses paroles quelques secondes, comprenant qu'il était plutôt cinglant dans ses paroles. Mais c'était la vérité. Il désapprouvait certaines actions de Luthien, mais ne comptait pas lui planter un couteau dans le dos. Il aimait trop cette femme qui veillait sur lui depuis qu'il était enfant. Il sortit une carte qui était glissée à sa ceinture et la déroula sur la table basse qui le séparait de la reine avant de continuer.

-Les paladins vont donc quitter le service de ta garde personnelle. Nous n'avons pas vocation à protéger un palais, mais tu t'en doutais déjà. Je vais donc, avec ta permission, assumer la tâche de protéger la vallée et les alentours de Targatt. Laisse-moi simplement prendre une cinquantaine d'hommes aux protecteurs que je choisirais moi-même. Ils seront libres d'accepter ou non de devenir des paladins et d'endosser cette nouvelle mission qui est la protection des alentours de la cité et éventuellement, la reprise des cités conquises par la traîtresse. Mais bien sûr, cette information restera entre nous. Je demande aussi la permission d'occuper l'ancien fort de la traîtresse pour l'ordre. Bien sûr, je m'attends à ce que la couronne nous verse un salaire pour ce que nous allons faire. Mes hommes et moi-même ne pouvons agir bénévolement. Ils ont besoin de manger comme tout le monde et d'entretenir leur équipement. Qu'en dis-tu?

Il laissa le silence retomber pour laisser à Luthien le temps de s'exprimer sur cette proposition. Il comprenait qu'il en demandait beaucoup, mais le jeu en valait la chandelle. Elle devait bien s'en douter, Wil n'était pas fiable et Targatt devait se constituer une armée digne de ce nom en cas de problème d'invasion ou même pour reprendre les territoires qui lui revienne de droit.

[HJ : considère que lulu a accepté publiquement de nommer Schlacht vice-reine]
Une semaine après l'attaque des démons
Lùthien avait eu peu de répit depuis la victoire sur les démons. Le lendemain même, Caïn avait perpétré son évasion et sa complice Drow était presque parvenue à perdre l'esprit de Kyukon dans le monde des rêves. Lùthien et Alexia avaient fait un pacte pour le ramener, vendant leurs cauchemars à un croque-mitaine affamé. Lùthien payait en premier, elle passait ses nuits dans la terreur, et le jour ses responsabilités royales lui prenaient le peu d'énergie qu'il lui restait. Mais pour rien au monde elle ne se laisserait flancher.
Ce matin, elle profitait du calme de ses appartements pour revoir encore une fois avec Aewiel le contenu de la nouvelle constitution que le chancelier lui avait soumis et lire les rapports concernant les procédures pour constituer le futur Sénat. Le garde frappa et lui annonça l'arrivée de Yearius, qu'elle n'attendait pas vraiment.
- Bonjour, Yearius. Un instant.
Lùthien prit le temps de finir le document qui se trouvait devant elle en y laissant quelques annotations puis prit place en face du demi-ange. Elle l'écouta en regardant pensivement la carte qu'il lui montrait. L'elfe avait l'air fatiguée, au point qu'elle semblait un peu plus vieille qu'habituellement. Quand le lieutenant eut fini, elle massa son front en fermant les yeux avant de lui répondre.
- Ce n'est pas ce que je veux pour cette cité... Il faudrait sans doute que je renforce ton éducation politique pour que tu comprennes ce genre de choses... mais la réponse est non. La situation militaire n'est plus notre priorité. Je sais que Schlacht restera toujours une traitresse à tes yeux, mais je lui ai accordé le titre de Vice-Reine, c'est en mon nom qu'elle gouverne Arakis et Melghir. La grande armée protège ainsi nos frontières est et sud et les montagnes noires sont des remparts naturels au nord et à l'est. Le fort d'Helmancourt a perdu en grande partie son intérêt stratégique, il restera un simple avant-poste.
La reine indiquait à son jeune lieutenant les positions stratégiques sur la carte.
- Si Wilhelmine voulait Targatt, elle l'aurait déjà prise et ce ne seront pas 50 paladins qui l'en empêcheront si elle change un jour d'avis. Mais a eu ce qu'elle voulait et elle s'en contentera probablement. En réalité, le meilleur moyen de créer une unité entre nos trois villes est la paix et le rétablissement des échanges entre leurs habitants. Souviens toi aussi que Schlacht m'a confié son héritière. Si une confiance solide s'établit avec elle, nous formerons une alliance sans failles pour le prochain siècle. Est-ce que tu comprends ?

Yearius venait de prendre place devant la reine lorsqu'il remarqua son état de fatigue. Des cernes creusaient son visage habituellement parfait et elle semblait absente. Une grande fatigue semblait peser sur ses épaules et quelque chose semblait la contrarier... Cependant, elle écouta son neveu de coeur jusqu'au bout en regardant la carte qu'il avait lui-même apportée pour appuyer ses propos. Finalement, cette dernière prit la parole. Cependant, le regard du demi-ange se durcit alors qu'elle révéla ouvertement être contre cette idée et vouloir maintenir la paix en Targatt et dans les alentours. Ainsi, elle prônait ouvertement de laisser la traîtresse faire ce qu'elle voulait en s'appropriant deux cités, qui auraient dû être libérées après la guerre. Elle gouvernait au nom de Targatt... Cette blague. Franchement, elle gouvernait en son propre nom et le retrait de la grande armée de la vallée appuyait cette hypothèse. Elle montrait au monde et surtout à Targatt qu'elle gouvernait seule et ne comptait pas, à aucun moment, plier devant Targatt.

Cependant, avant de laisser connaître ses pensées à sa tante, Yearius se leva, toujours en la fixant d'un regard glacial. Elle remarqua sans doute son regard et si elle n'avait pas été sa tante il lui aurait probablement fait comprendre sa stupidité, mais il se retint pour l'instant de tout commentaire. Il ferma les yeux l'espace d'une seconde pour être en mesure de reprendre son calme et s'avancer vers Luthien.

-Dans ton état, avoir une véritable conversation sera compliqué. Laisse-moi faire, ça ne sera pas long.

Lentement, il déposa ses mains sur les tempes de la femme qui occupait le titre de reine et une douce lumière jaillit de ses doigts. Grâce à la rédemption divine qu'il maniait maintenant avec une certaine facilité, il put soulager l'esprit de Luthien des images qui la tourmentait. Il chassa la fatigue qui l'habitait et lui permit de redevenir celle qu'elle avait toujours été. Maintenant qu'elle se sentait mieux, il reprit sa place devant Luthien en lui souriant légèrement. Cette magie avait en quelque sorte aussi agi sur lui, lui permettant de chasser les idées noires qui l'habitaient depuis quelque temps. Il soupira et pointa la carte.

-J'espère que tu vas mieux. Maintenant, laisse-moi te dire que la paix est primordiale, j'en conviens. Je n'aime pas la vice-reine, je ne l'aimerais jamais et je ne lui pardonnerais jamais ce qu'elle a fait. Cependant. Si tu juges qu'elle à ça place là-bas... Alors soit. Mais Targatt a tout de même besoin d'une armée pour protéger la vallée et pour se défendre au besoin. Tu sais très bien que les mercenaires de la vice-reine ne nous aideront pas si nous en avons besoin. Ou s'ils le font, ça sera au coup de terre ou d'une somme d'argent ridicule. Tu as besoin d'une armée qui t’obéisse au doigt et à l'oeil et je te propose de la créer. Pourquoi refuses-tu? Ça soulagera les protecteurs qui en ont besoin et permettra à Targatt de se développer. Et ça permettra à l'ordre paladin de renaître officiellement. Nous serions tous les deux gagnants.

Il tapota la carte du doigt en soupirant légèrement. Il ne comprenait pas pourquoi Luthien qui avait été d'accord avec ses projets se détournait au dernier moment pour lui refuser. Avait-elle changé au point de le trahir, elle? Son propre neveu qui pourtant avait accepté de la défendre et de protéger le palais pour elle? Il espérait se tromper sur les intentions de la reine. Sans quoi il ne supporterait pas de continuer de servir une reine qui brisait aussi facilement sa parole. Agir pour la paix en espérant que Wil reste tranquille... Pourtant Luthien était une femme intelligente. Elle savait que les protecteurs étaient trop peu nombreux et que Targatt devait se doter d'une armée, maintenant qu'elle s'était affichée au grand jour.

-Je crois que tu te voiles la face en espérant vainement que nous vivrons dans une ère de paix. Mes paladins ne peuvent plus rester à ton service, car ce n'est pas leur vocation de protéger la reine. Tu as une garde royale pour cela et si tu ne leur fais pas confiance je ne sais pas ce qu'ils font encore à ce poste. Alors si tu me refuses ce que je demande malgré ce que j'ai fait pour toi, dis-moi ce que tu attends de moi, Luthien? Qu'attends-tu des paladins? Maintenant que tu n'as plus besoin de nous tu comptes nous balayer sous la table et faire comme s'il ne c'était rien passé? C'est ça?

Il avait légèrement levé le ton, oubliant qu'il avait la reine de Targatt devant lui. Elle pouvait théoriquement le mettre au fer, mais il doutait qu'elle aille aussi loin. Sa mère ne lui pardonnerait sans doute pas de mettre son fils au fer simplement, car il s'était exprimé. Il soupira une nouvelle fois et tâcha de se calmer avant de demander d'une voix plus douce.

-Je n'ai pas besoin d'apprendre la politique. Je n'apprendrais pas l'art de mentir et de manipulé, si cher aux hommes. J'ai des projets pour l'avenir, des projets qui pourraient bénéficier à Targatt. Mais si tu comptes m'arrêter à chaque fois en me disant que la paix prime, je préfère quitter cette cité et te laisser seul dans ce nid de vipères que tu as créé. Une cité pleine de race maléfique, une cité ou l'académie et les pratiques magiques échappent au contrôle du gouvernement et une cité où la seule défense réside dans la parole aucunement fiable d'une traîtresse ne peut pas être en paix. Alors je ne sais pas ce que je fais encore ici, si ce n'est t'amuser maintenant que l'ordre et moi-même te sommes inutiles.

Il soupira une nouvelle fois et prit la carte qu'il avait déposée sur le bureau avant de la rouler lentement en fixant Luthien. Il n'avait pas été menaçant, mais il était déçu de son attitude. Si elle refusait d'aider les paladins comme elle l'avait promis, il devrait trouver une nouvelle solution et peut-être même quitter la ville pour rejoindre l'un des ordres établis de par le monde. Maintenant qu'il avait son diplôme, rien ne le retenait réellement en Targatt si ce n'était sa fiancée. Mais elle était avant tout paladine et elle allait le suivre... Sans doute.

Lùthien soutint le regard de Yearius, elle sentait qu'il la jugeait, alors qu'elle faisait ce qui lui semblait être le mieux pour Targatt. Il avait sans mal remarqué son état de fatigue, la reine ne l'admettait pas mais cela l'affectait évidemment. Elle eut un léger recul quand il s'approcha, mais elle le laissa apaiser son esprit. Oui, elle se sentait mieux et elle le remercia, mais elle n'allait pas soudainement changer d'avis pour autant.
- Je n'ai pas dit que nous n'avions pas besoin d'armée, j'ai dit que ce n'était pas la priorité. Et je n'ai pas une confiance aveugle en Wilhelmine, mais elle n'a aucun intérêt à voir Targatt tomber, ni à laisser d'autres nous envahir. Il faudra peut-être une armée à terme... mais nous avons plus urgent à faire. Regarde autour de toi Yea ! Le cercle est en ruine, les champs sont dévastés, les paysans ont été décimés... Et non, je n'ai toujours pas confiance en la garde royale, mais les soldats fidèles ne poussent pas dans les arbres ! Donc oui, j'ai encore besoin de vous au palais !
Alors que le ton montait et que Yearius se faisait accusateur, la reine se leva et toisa son neveu.
- Tu crois que j'arrives à dormir la nuit ? Tu crois vraiment que gouverner m'amuse ? Tu penses que ma place est facile ?! Elle ne l'est pas, alors ne m'accuse pas d'avoir créé la situation actuelle, je ne fais qu'hériter du résultat de deux ans de guerre civile ! Je pourrais très bien rejoindre les forêts elfiques et laisser les mortels à leur triste sort. Mais j'ai accepté le trône, et j'assumerais mes responsabilités. Je ne cherche pas ce qui est bon pour moi, pour toi, ou pour l'ordre, il s'agit de ce qui est bon pour cette cité et son peuple... Ce que les paladins ont fait, ils ne l'ont pas fait pour moi, ils l'ont fait pour Targatt. Mais regarde toi Yearius, tu penses déjà comme un politicien... Tu es le chef de l'Ordre et tu défends leurs intérêt, c'est ton droit. Je t'ai promis des moyens pour les paladins, et tu les auras, en compensation du mal qui leur a été fait. Mais je ne t'ai jamais promis une armée... Et pourquoi t'en confierai-je une alors que tu menaces de me déserter au premier désaccord ?
La reine se détourna du paladin pour aller regarder par la fenêtre la vaste cité, le soleil pâle éclairait son visage. Aewiel était assise à la table non loin. Elle semblait indignée par le comportement du lieutenant, mais elle n'osa pas intervenir entre Lùthien et son neveu. Après un moment, la reine reprit la parole.
- Un dirigeant se doit de penser à long terme, d'autant plus lorsque sa vie est longue. Comment aimerais-tu voir Targatt et l'ordre des Paladin dans dix ans ?

Yearius ne fut pas surpris de voir la reine lui tenir tête et lui indiquer de manière plutôt brusque que sa mentalité était mauvaise. Pourtant, le chef des paladins avait songé à ses projets. Ils ne venaient pas de les inventer. Ce qui était sûr, c'est qu'il ne pouvait pas rester plus longtemps le garde de la reine. Ce n'était pas son rôle dans la vie et ce n'était pas le rôle des paladins. Il avait averti Luthien avant la guerre que leur service était provisoire et qu'elle devrait les remplacer après la guerre. Elle n'avait rien fait dans ce sens, préférant espérer que l'ordre paladin resterait les braves petits chiens qu'ils avaient été durant la guerre. Malheureusement pour elle, Yearius ne pouvait pas tolérer de voir la lumière vaciller en ville, car sa tante ne se sentait pas en sécurité avec la garde royale. Lorsqu'elle lui ordonna presque de rester en insistant sur le fait qu'elle avait encore besoin d'eux au palais, il se contenta de répondre d'un ton cassant.

-Nous t'avons servi durant la guerre et tu savais pertinemment qu'après cette dernière nous retournerions protéger le peuple. Si tu doutes de tes gardes actuelles, tu n'as qu'à les interroger. Ou, si tu préfères, je puis remplacer la garde royale. Mais je refuse de collaborer avec ceux qui ont servi sous le régime de Drake. Et ça comprend ce stupide capitaine que Wil t’a donné. À toi de voir.

Il haussa les épaules, sachant pertinemment qu'il demandait l'impossible. Mais il fallait bien que les gens autour de lui comprennent ses positions. Il refusait d'évoluer dans un milieu où le tyran serait simplement ignoré. Drake avait commis des actes atroces. Et il ne comprenait pas pourquoi sa tante, une femme pourtant si sage, persistait à vouloir accommoder tout les camps. C'était stupide et personne n'en sortirait gagnant. Finalement, elle reprit la parole pour lui indiquer que sa place n'était pas facile à tenir et qu'il parlait déjà comme un politicien. Finalement... Elle s'avança vers la fenêtre et lui demanda ce qu'il voyait pour la cité et les paladins dans une dizaine d'années. Le jeune demi-ange se leva très lentement et s'approcha de la reine avant de dire d'un ton ferme.

-Je vois une cité de lumière ou les ténèbres auront été purgées, de toutes les façons possibles. Je vois un ordre puissant qui assumera enfin sa mission. Soit propager la lumière en Targatt et permettre à ceux qui en sont dignes de vivre dans cette lumière. Je vois une cité ou la magie sera contrôlée pour éviter que les nécromants, les mages spirituels corrompus et autres sorciers ne puissent faire ce qu'ils veulent. Je vois une paix durable au prix de nombreux sacrifices. Voici ce que je vois, Luthien. Ma vision est probablement moins belle que la tienne, mais elle est réaliste. La cohabitation entre le bien et le mal est impossible.

Il recula sous le regard désapprobateur de la rouquine qui servait la reine comme une petite chienne et reprit sa place sur le sofa. Il avait changé et pour la première fois Luthien le voyait enfin sous ce nouveau jour. Avant, Yearius était un jeune homme joyeux et convivial qui croyait que tous avaient en eux une part de bonté qu'il fallait savoir exploiter. Maintenant, les flammes qui brillaient dans son regard invitaient à la purge et à la vengeance. De qui était-ce la faute? De la guerre qu'il avait vécue à un si jeune âge? Du sang angélique qui coulait dans ses veines? Du rôle de leader de la lumière qu'il avait pris beaucoup trop tôt? Ou était-ce les paroles empoissonnées de Zahel qui continuait de faire effet? Si la dernière raison était la plus probable, il s'agissait surtout d'un mélange du tout.

-Alors, maintenant Luthien. Qu'attends-tu de moi exactement? Mes paladins ne sont pas des ouvriers et n'iront pas aider à la reconstruction. Nous avons nos propres bâtiments à réparer en plus. Une partie des paladins aident encore à soigner les victimes. Quant à moi... Et bien, je t'ai présenté mon projet. J'avais aussi en tête de restreindre la magie et créant un organe relier au gouvernement qui pourrait s'assurer que tout en face un bon usage. Enfin... Ça, ce n'est pas pour tout de suite. Alors... Comme tu le comprends, j'ai beaucoup de projets. Mais je te le redemande une dernière fois. Qu'attends-tu de moi?

Il appuya sur chaque syllabe du dernier mot pour lui faire comprendre qu'il n'entendait plus à rire. Il ne jouait pas à la menacer. Il n'avait pas dit qu'il souhaitait déserter pour la faire culpabiliser. Mais il étouffait entre les murs du palais et ne supportait plus de simplement faire joli derrière les reines pendant qu'elle discutait de choses qu'il ne comprenait même pas avec son stupide chancelier.

Lùthien se sentit soudain blessée par les propos de Yearius. Elle réalisa qu'elle avait pris pour acquis le soutien de son neveu. En réalité le paladin refusait les compromis qu'elle devait faire pour exercer son rôle à Targatt. Plus il parlait, plus elle comprenait à quel point la guerre avait marqué le jeune garçon qu'elle avait connu. Il lui avait assuré quelques semaines auparavant qu'il ne chercherait pas vengeance, et pourtant elle reconnaissait dans sa radicalité la haine qu'elle avait éprouvé autrefois. Elle regardait Yearius avec un calme dur teinté d'une légère tristesse.

- Longtemps j'ai vu dans mes yeux la flamme que je vois dans les tiens. N'oublies pas, Yearius, que le bien et le mal se battent aussi en chacun de nous... Et qu'une lumière absolue aveugle autant que les ténèbres les plus noires.


Lùthien ne s'attendait pas à ce qu'il comprenne immédiatement ce qu'elle voulait dire. Mais elle espérait qu'il prenne un jour le temps d'y réfléchir.

- Depuis trop longtemps Targatt est régie par la force plutôt que par la loi, c'est ce que je veux changer pour commencer. J'ai choisi de mettre fin à la monarchie absolue en créant un sénat qui sera chargé se voter les lois de Targatt. Si tu veux que l'usage de la magie soit régulé, tu es libre te faire élire et de faire une proposition en ce sens.


Yearius avait beau affirmer ne pas vouloir se mêler de politique, c'était bien de cela qu'il parlait, il était temps qu'il s'en rende compte.

- Pour ce qui est de l'ordre, je comprends que tu ne veuilles pas avoir affaire aux soldats de Drake et j'ai fait au mieux pour que tu n'aies pas à le faire. La situation est temporaire. Quand les négociations avec Wilhelmine Schlacht seront terminées, je déciderais de la nouvelle structuration de l'armée.


Contrairement à Yearius, Lùthien n'avait pas pris les armes contre Drake, elle était restée loin des combats. Certes, elle en voulait à ceux qui avaient tué des innocents et mis ses amis hors la loi, ou pire... Mais elle n'avait pas été en première ligne comme Yearius, obligé de voir les soldats censés protéger le peuple se retourner contre lui. Et, en tant que reine, elle se devait aussi de voir les choses avec plus de distance.

- En attendant, j'aimerais que tu prennes le temps de réfléchir. Sache que quoiqu'il arrive, je financerais l'ordre pour sa partie civile, pour reconstruire vos bâtiments, soutenir les soigneurs et élever un monument pour honorer ceux qui ont donné leur vie pour protéger l'innocent.


Lùthien prit le temps de s'asseoir à nouveau en face du paladin.

- Pour la partie militaire... Souviens-toi, avant la bataille contre les démons... tu m'as dis que les paladins seraient mon épée et mon bouclier... qu'ils me resteraient toujours fidèles... J'attendais de toi que tu tiennes parole. Peut-être que nous nous sommes mal compris, je vais donc être plus claire. Je suis la reine de Targatt, et la cheffe de ses armées, si les paladins se placent sous mon commandement, vous aurez tous les moyens et l'autorité dont vous avez besoin pour remplir votre mission. Mais vous devrez suivre mes décisions et vous irez là où je le jugerais nécessaire. Si vous choisissez l'indépendance, je ne pourrais vous traiter autrement que comme une milice privée parmi d'autre... sans traitement de faveur. Encore une fois, prenez le temps d'y réfléchir. Nous en reparlerons dans quelques semaines. D'ici là je continuerais de verser vos soldes et vous pourrez rester au palais. Laisse moi une dizaine de paladins pour ma sécurité personnelle, les autres sont les bienvenus pour assister le protectorat dans la protection des citoyens.