Le pèlerin noir (PV) (TERMINÉ)

Environ une semaine après l’attaque des démons
 
Cela faisait quelques jours maintenant que je me rendais dans le cercle. Les pérégrinations en compagnie de Caïn m’avait permis de voir l’étendue des dégâts à la suite de l’attaque. Des quartiers entiers s’étaient effondrés en même temps que les souterrains, laissant bon nombre d’habitants à la rue, pour ceux qui n’étaient pas morts ensevelis. Les quartiers les plus riches s’en étaient mieux sorti, et les habitants avaient plus facilement pu se réfugier à l’académie où ils avaient aussi reçu des soins si nécessaires. Il n’y avait plus grand monde à soigner dans les quartiers intérieurs. En revanche, le travail ne manquait pas dans le cercle.
Notre clinique était pleine de convalescents et nous avions encore des clients régulièrement, mais il n’y avait rien qui nécessitait réellement ma présence, mes apprenties pouvaient se débrouiller seules. En d’autres termes, je m’ennuyais. Ou plutôt, je me faisais rattraper par le vide. Je me retrouvais à nouveau face à la réalité : ma fille était morte, Drake n’était plus, mon couple souffrait, et je n’avais plus aucune ambition pour l’avenir. Le travail acharné me semblait une échappatoire efficace pour éviter de réfléchir.
J’étais donc descendu dans le cercle sous une apparence anonyme, vêtu de noir comme à mon habitude. J’avais payé les gamins des rues quelques pièces de cuivre pour qu’ils fasse passer le mot : un guérisseur offre ses services gracieusement sur la place du puis. Les malades, les blessés et les estropiés n’avaient pas tardé à affluer. Tout le jour, je purifiais les corps de la vermine et des infections, je refermais les plaies et faisait repousser les membres. Je ne venais pas les soigner par charité, je réparais ces gens comme un cordonnier aurait réparé quelques chaussures en plus à ses heures perdues. Ils étaient mon passe-temps pour fuir le vide.
Je ne faisais rien de bien compliqué, mais les habitants du cercle recevaient rarement des guérisseurs aussi puissants et semblaient assez impressionnés. Je dois avouer que je ressentais une certaine satisfaction à les voir étaler devant moi leur pieuse reconnaissance. Je ne demandais rien, mais ces pauvres tenaient en général à me donner quelque chose en échange tout en se répandant en courbettes et remerciements. Une stupide affaire de dignité sans doute. Ils n’avaient pas grand-chose à offrir. Je recevais quelques piécettes, de la nourriture qui était parfois correcte, ou bien quelques breloques inutiles que je lançais aux gamins des rues à la fin de la journée, comme j’aurais jeté des restes de repas à des chiens.
Je ne donnais pas mon nom, et inévitablement les gamins m’avaient rapidement affublé d’un titre. Ils m’avaient nommé « Le pèlerin noir » sans doute d’après ma cape. J’avais beau leur répéter que je n’avais rien d’un religieux, ils avaient persévéré et au bout de quelques jours à peine c’était le nom que j’entendais sur mon passage.

J’étais en train de soigner une jambe à moitié gangrénée. La femme à qui elle appartenait avait probablement été coincée sous des décombres et la plaie avait bien eu le temps de récolter les miasmes alentours, la maladie s’était répandue dans son corps et lui donnait la fièvre. Quant à sa jambe, il aurait été plus rapide de la couper et d’en faire repousser une autre. Mais la populace aurait probablement mal interprété le geste alors je me contentais de remettre patiemment en état ses chair noircies. J’allais m’atteler à faire repousser un orteil quand quelqu’un dans mon dos m’interpella, d’une manière plutôt cavalière.
Je jetais un rapide coup œil par-dessus mon épaule avant de me remettre au travail. L’homme qui me questionnais n’était pas blessé ni malade, si on oubliait les cicatrices qui parsemaient son corps. Je lui répondis comme j’avais répondu à ceux qui m’avaient posé des questions avant lui.
- Je suis Ali al-Shykh. Je n’ai rien d’un pèlerin si c’est la question que vous vous posez.
Ce n’était pas exactement un faux nom, Ali était le que mon maître m’avait donné et que ma femme utilisait encore parfois. Ali al-Shykh signifiait simplement « maître Ali » dans la langue des tribus Arasine qui vivaient au sud d’Isthumia.
- Je peux enlever ces cicatrices si vous voulez… A moins que vous ne soyez là pour une autre raison ?
L’homme n’avait pas l’air d’être un chef de bande ou un autre baron du cercle, mais mon petit commerce en dérangeait peut-être certain. Vu son aplomb, j’avais peut-être affaire à un messager, mais cela m’importait peu.

Abel de RayemUn Ordre inéluctable ?Abel ne faisait pas réellement attention aux blessures des malades, du moins il n’en donnait pas l’impression. De l’extérieur on avait réellement l’impression que toutes ses choses lui passaient dessus. Il avait interpelé l’homme sans véritablement de politesse, mais l’ancien paladin n’était pas réellement une personne de tact et de politesse. C’était un être un peu brut qui se fichait un peu des conventions sociales.

- Je suis Ali al-Shykh. Je n’ai rien d’un pèlerin si c’est la question que vous vous posez.

Abel pencha légèrement la tête. C’était un nom qui ressemblait au style de l’orient.

Vous semblez venir de loin. Il n’y a rarement d’autre chose que les pèlerins qui vont des voyages altruistes de plusieurs milliers de kilomètres.

- Je peux enlever ces cicatrices si vous voulez… A moins que vous ne soyez là pour une autre raison ?

Le regard toujours froid et stoïque.

Je n’ai pas de véritable raison d’être là si c’est ce qui vous inquiète. J’étais simplement curieux de voir le visage de l’âme chevaleresque qui fait tant parler d’elle ces derniers jours.





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L’homme qui m’avait abordé voulait visiblement garder ses cicatrices. Je haussais les épaules, il devait avoir ses raisons. Un simple curieux donc.
- Cela fait longtemps que je suis dans la région d’Hésandre, je ne viens pas vraiment de bien loin.
Je me retins de rire quand il me décrivit comme altruiste et chevaleresque. Il était assez rare qu’on me prête ces qualités. Et d’ailleurs, je ne pensais pas les avoir.
- Je ne suis pas plus chevalier que pèlerin. Et si vous voulez tout savoir, je ne fais ça que pour passer le temps…
Tout en parlant, je remis en place d’un coup sec l’épaule déboitée d’un jeune homme. Tout content de retrouver l’usage de son bras, il me remercia d’un sac de pommes qu’il posa près de moi. Je n’y prêtais pas attention et passais au suivant. Un père en haillons portait une frêle petite fille presque inerte. Seule sa tête pouvait bouger, sa colonne avait dû être fracturée. Je ne pus m’empêcher de grimacer, sans arriver à savoir si c’était de dégoût ou de compassion. Il ne me fallut cependant qu’un instant pour en revenir à l’analyse purement technique de sa situation.
Je m’occupais d’abord des lésions secondaires, inutile qu’elle retrouve les sensations de ses membres si c’était pour hurler de douleur. Ses talons étaient brisés, indiquant une chute. Je ressoudais les os et fortifiait l’ensemble des muscles. Je m’occupais ensuite des vertèbres, brisées comme je le pensais. L’opération était délicate et me demanda une certaine concentration. Je redressais délicatement la vertèbre, allégeant ainsi la pression sur la moelle épinière, puis je réparais cette subtile articulation avant de refaire pousser les précieuses cellules qui permettait à l’esprit de commander au corps. Un travail d’orfèvre. Je demandais à la fille de bouger. Les mouvements de ses petits bras m’arrachèrent un sourire de satisfaction. Mais elle restait une enfant maigre et misérable. Je me relevais et tendit à l’homme le sac de pomme. Comme il hésitait à accepter, je lui fourrais dans les bras avec agacement.
- Ne gâchez pas mon travail ! Grondais-je. Marcher ne lui servira à rien si elle meurt de faim.
Le père accepta en baissant la tête alors ses larmes creusaient des sillons dans la crasse qui recouvrait son visage. Je le regardais partir avec dans les bras sa fille et son sac de pomme… Il me fallait une pause.
Je m’éloignais un peu et m’étirais, l’homme aux cicatrices était toujours là.
- Alors, votre curiosité est satisfaite ?
Je ne savais pas trop pourquoi mais son visage me disait quelque chose sans que j’arrive à savoir quoi.
- Si vous comptez rester là… puis-je savoir à mon tour qui vous êtes ?