Demande de miracle

Deux semaines après l'attaque de l'Ordalie, au lendemain du conseil d'état major.
***
Après encore une longue journée passée à commencer à mettre en œuvre la nouvelle stratégie militaire décidée avec l'état major, elle avait décidé de se rendre au temple. Elle aurait aimé que ce soit uniquement pour rendre visite à Kardey, mais ce n'était pas le cas. Il fallait qu'elle se rende à l'évidence : continuer à assumer ses responsabilité malgré son état allait être compliqué. Et la seule personne qu'elle connaissait capable de lui accorder le miracle qui réparerait son âme abîmée par la disjonction n'était autre que Cephas, celui-là même qui avait causé son mal.

A la tombée de la nuit, elle se fit donc téléporter à l'entrée du temple Hayliste en compagnie de quelques gardes royaux en civil et d'Aewiel. Laissant ses gardes dehors, elle entra avec sa compagne sur laquelle elle devait s'appuyer pour marcher.

Elle venait de passer deux semaines épuisantes à gérer les diverses crises et négocier avec les pouvoirs en place dans la cité pour garder un semblant de cohésion dans une situation hautement tendue. Elle commençait donc à être accablée par la fatigue qui s'accumulait et le conseil militaire de la veille avait été une entreprise délicate qui avait mobilisé toute son énergie. Elle en ressentait maintenant le contrecoup.

Quand le prêtre du destin ouvrit la porte de sa petite chambre à laquelle Aewiel avait frappé, il vit son amante au teint livide qui ne tenait debout que par la force de sa garde du corps.

- Kardey... Souffla-t-elle alors qu'Aewiel l'entraînait pour l'allonger sur le lit du prêtre avant qu'elle ne s'évanouisse.

- Je t'avais dis d'attendre demain, meldanya... tu ne devrais pas forcer comme ça. Sermonna l'elfe sylvaine qui s'agenouilla à ses côté, légèrement inquiète. Elle lança un sort de soin mineur dans l'espoir de redonner un peu d'énergie à son amie mais cela ne sembla pas avoir beaucoup d'effets.

- Donne-moi juste un moment... Murmura Lùthien les yeux fermés. Elle resta ainsi de longues minutes jusqu'à ce que son souffle retrouve un peu de calme. Puis elle ouvrit ses yeux bleus sur Kardey.

- Je dois voir Cephas.

Retour de la reine

In nomine Jaben

Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis son entrevue avec Wilhelmine Von Schlacht, nouvelle primat de Lehadin. Cephas passait depuis ses journées et ses nuits à travailler sur quatre projets. Ayant peur de manquer de temps au final pour réaliser quoi que ce soit, il usait de toutes ces ressources pour les mener de front ce qui sous-entendait d'user d'un don temporaire d’ubiquité, de trouver les ressources pour métaboliser ce dont son corps avait besoin sans perdre de temps à boire, manger ou dormir, et un tas d'autres choses pénibles qui lui faisaient perdre un temps précieux.

Si tous ces projets étaient initialement conçus pour détruire n'importe quel primat ou archimage, assurer la stabilité du flux telluriques à proximité d'une zone de conflit magique majeur de sorte à réduire les retombées, ou encore afin qu'un atout puisse prendre le relai en cas de nécessité, le fait est qu'il s'était quelque peu éloigné de cela en extrapolant sur la nécessité d'ajouter un quatrième projet en concevant un artéfact pour le coup suffisamment spécial pour qu'il le mette sous plusieurs scellés même dans une des nombreuses cachettes de l'un de ses demi-plan d'études, dans lequel il s'était réfugié pour ne pas être dérangé pour des affaires insignifiantes du temple ou de la cité.

Les forces de Lehadin avaient encore crues et il ne pouvait se payer le luxe de bailler aux corneilles comme la majorité des êtres stupides qu'il était censé préserver, même contre leur volonté, d'un sort plus terrible que la mort : la non-existence.

Pour mener tout cela, la connexion avec Jaben était optimale et constante si bien que ses yeux comme le troisième qui s'était ouvert au centre de son front, témoignaient du lien qui unissaient les deux entités, tout comme l'aura dont la pression suffirait à blesser la plupart des mortels à proximité, mages et prêtres de niveaux bas et niveaux moyens inclus.

Lorsqu'il reçut la liaison télépathique de Kardey, Cephas maugréa une insulte dans sa langue d'origine. Il ne la parlait plus depuis longtemps, son peuple ayant presque totalement disparut, mais dans les moments de grande pression ou de vrai agacement, quelques mots fusaient encore parfois.

Il se téléporta dans la chambre où Luthien s'était écroulée sans faire grand cas des blessures que sa seule présence infligerait au prêtre insignifiant qu'était Kardey, ou à l'elfe censée faire croire qu'elle avait la moindre compétence en tant que garde du corps de quoi que ce soit. Ni même à la reine. Connecté directement au dieu de la connaissance et de la magie, c'était davantage ce dernier qui se manifestait que Cephas lui-même, bien que leurs esprits et leurs volontés, comme souvent, ne fassent qu'un.

"Dors." Intima-t-il d'une voix qui n'était pas la sienne tendis que l'elfe sylvaine s'évanouissait.

Les yeux débordant de magie, il n'adressa aucun regard à Kardey mais son arrivée coupa net dans le sort qu'il tentait de lancer comme si le flux divin lui préférait Cephas. Ses déesses pourraient bien aller demander des comptes à Jaben ou maudire Cephas, pour le coup, il avait des choses bien plus primordiales à faire.

"Un être plus proche d'un animal que de la conscience rationnelle ne devrait pas avoir le droit de parler, ni de penser."

Ses propos résonnaient dans chacune des trames de la magie. Kardey se retrouva dans l'incapacité, physique et mentale, de prononcer le moindre mot, ni de comprendre quoi que ce soit à ce qu'il se passait devant ses yeux, tel que le voulait le sort de débilité qui lui avait été lancé. Très à propos, on ne voyait presque pas de différence avec son attitude habituelle. Si ce n'était que pour une fois il se tairait bien sur.

Son regard daigna se poser que la créature affaiblie devant lui qu'il considéra un court instant.

"Vous interrompez des projets pour sauver une seule vie ? Qui plus est la vie de celle qui n'a montré qu'effronterie, dédain et irrespect envers le seul dieu qui lui ait toujours tendu la main ? Au point de faire de son œil un hors-la-loi ? L'arrogance de cette éphémère n'a-t-elle donc aucune limite ?!"

Gronda-t-il tendis que sa voix était progressivement montée d'un ton tendis, de même que les échos se faisaient plus nombreux, résonnant même au travers de l'esprit des personnes présentes, jusqu'à presque les étourdir. La présence du prêtre irradia de plus belle tendis qu'il agrippait la tête de l'elfe dans la paume de sa main, la soulevant du lit comme si elle n'était pas plus lourde qu'une poupée de chiffon. Une poupée prête à se faire écraser par la pression magique de l'aura de Cephas.

Le flux débordant de magie qui lui enserrait douloureusement la tête se mit à déferler avec force dans tout son être. Bien entendu, il aurait pu réduire la douleur, voire l'éradiquer, mais elle méritait qu'on la traite avec le respect qui lui était du.
Tendis que le flux magique rouvrait de force ses connexions avec les forces telluriques environnantes, c'est l'ensemble de son corps, de son esprit et de son âme qui souffraient alors que la magie réajustait de force de ce qui devait l'être, à une échelle si infime, si précise, que nul érudit de ce monde n'en aurait véritablement compris la multitudes d'effets et de rouages. A mesure que le réajustement tellurique était faite sur l'ensemble de sa personne, l'affliction diminuait, jusqu'à disparaitre totalement.

Cephas relâcha finalement la tête de la reine et son corps en la lançant à demi sur le demi comme on se débarrasse d'un déchet.

"Si vous ou l'un de vos sbires me rappelle, qu'on ose me donner, à moi ou l'un des prêtres de ce temple, le moindre ordre, je raserai moi-même votre palais et j'effacerai votre existence des mémoires de ce monde."

Cephas dans un craquement digne du tonnerre, disparut. Il avait suffisamment perdu ce temps à se conformer aux dogmes stupides de cette cité. Il agirait comme il le faisait d'ordinaire : quand il le souhaitait, comme il le souhaitait.
Cette reine ne lui avait donné aucune raison de lui faire confiance et il ne lui devait rien. Il ne l'avait soignée que pour une seule raison : sa mort profiterait à la prophétie et en préservant sa vie, il préserverait l'équilibre un peu plus longtemps. Qu'elle s'estime heureuse qu'il ait daigné intervenir pour une vie aussi misérable que la sienne.

Aewiel était peut-être aussi inquiète que Kardey pour sa compagne et elle laissa le prêtre faire, espérant qu'il pourrait peut-être réussir là où elle avait échoué. Mais quand Lùthien sentit la magie dans son corps et que le prêtre parla de son propre sacrifice, elle ouvrit de grands yeux et attrapa fermement Kardey par sa tunique.

- Arrêtes ça ! Maintenant. Ordonna-t-elle avec une force qu'elle ne semblait pas avoir quelques instants plus tôt.
- Je sais ce que j'ai et je sais que ce n'est pas de son niveau. Mais je ne vais pas en mourir tu sais...

Kardey n'eut pas le temps de lui répondre, interrompu par le choc de l'arrivée de Cephas. Aewiel s'effondra à moitié sur le lit sur l'ordre du prêtre. Heureusement pour Lùthien, le bouclier du trône s'activa automatiquement et absorba la pression de l'aura de Cephas, ce qui lui permit de garder à peu près ses esprits. Elle se redressa sur le lit mais elle n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle se sentit soulevée et le bouclier soit disant impénétrable du trône fut submergé par la puissance tellurique, tout comme son corps et jusque dans les tréfonds de son âme. Elle serra les dents, impuissante, essayant tant bien que mal de supporter la douleur. Mais l'intensité fut telle qu'elle ne pu réprimer un cri.

Elle retomba aux pieds de Cephas encore tremblante sous ses menaces. Quand il eut disparu, l'elvarion resta un moment au sol, incapable de faire quoique ce soit, encore soumise au choc de ce qui venait de se passer. Elle finit par se relever lentement. Aewiel était encore inconsciente mais elle ne semblait pas blessée. Quant à Kardey... il semblait plongé dans une complète catatonie. Lùthien le fit asseoir sur le lit, et sans même se rendre compte qu'elle était à nouveau capable de magie, elle examina son esprit. Le sort qui l'affligeait ne semblait pas destiné à être permanent.

Elle soupira de soulagement mais sortit de la pièce avec un air absent, ignorant les regards des autres prêtres qui étaient accourus en entendant son cri de douleur. Elle se dirigea vers la chapelle de Nanrak et tomba à genoux devant l'autel, regardant ses mains comme si elles ne lui appartenaient pas. Elle était guérie. En réalité elle ne s'était jamais sentie aussi bien, la magie coulait comme jamais dans ses veines. Mais l'intervention de Cephas lui laissait un goût amer. Une telle puissance... Elle comprenait maintenant qu'il devait être bien plus qu'un haut-prêtre, un primat probablement. Et il lui avait fait ressentir son immense insignifiance de créature mortelle. Nanrak l'avait fait également en un sens. Mais le dieu de la nature admirait, aimait et protégeait chaque choses, aussi petites soient-elles. Lùthien n'avait jamais eu la prétention d'être plus qu'une fille de Nanrak jouant son rôle dans le monde. Mais alors que le dédain de Cephas raisonnait encore à ses oreilles, elle comprit finalement la rage qui habitait des personnes comme Kubilay. Pourquoi la puissance seule mériterait-elle de la déférence ? Lùthien sentait sa foi vaciller... Cephas avait tort cependant, Jaben n'était pas "le seul dieu qui lui ait toujours tendu la main". Nanrak et même la Trinité s'étaient montrés bien plus généreux avec elle. Restait que maintenant Cephas devenait dangereux pour Targatt... La reine soupira, murmurant ses doutes au seul qui l'écouterait sans la juger.

- Mon Père... Ais-je vraiment eu tort d'agir comme je l'ai fait ? J'ai seulement essayé de faire mon devoir de reine. Sans doute est-ce un devoir insignifiant aux yeux de Jaben... Mais je n'ai pas jugé nécessaire de me soumettre à sa volonté. Beaucoup ne l'auraient pas supporté... Ni la noblesse, ni les éthéristes... Même les elfes ne reconnaisse pas tout à fait l'autorité Hayliste après tout. J'aurais pu faire fi de tout cela. Aurais-je dû ? ... il est trop tard de toutes façons.

Lùthien soupira longuement. Elle n'avait pas de temps à perdre en regrets inutiles. Elle était venue pour être soignée par Cephas, elle l'avait été. La colère de l'oeil de Jaben était le prix à payer et il fallait faire avec. Saluant une dernière fois Nanrak, Lùthien retourna dans la chambre de Kardey où des prêtres s'occupaient déjà de lui. Elle griffonna une lettre pour lui qu'elle scella magiquement et laissa sur son bureau.

Kardey,
J'ai été soignée par Cephas, mais nos relations se sont encore dégradées. Aussi, je vais cesser tout contact avec le temple. J'ignore s'il est sage de nous revoir dans l'immédiat mais j'espère que le futur le permettra.
Avec toute mon affection,
Lùthien

Puis elle se retourna vers les autres prêtres.

- Je crains d'avoir vraiment offensé Cephas cette fois... Je suis navrée que mes relations avec l'Haylie aient pris cette tournure. Vous n'entendrez plus parler de moi.

Entraînant Aewiel qui avait été soignée par les prêtres mais restait un peu sonnée par l'aura démentielle de Cephas, la reine quitta les lieux.