Pré-exécution

Pré-exécution

Corvus avait manqué de chance ces derniers mois. Après s'être fait choper par Kubilay, ou plutôt Zahel, pour une simple vengeance, la reine avait envoyé son chien ramasser des informations auxquelles, normalement, ils n'auraient pas eu accès. Ce faisant, ils découvrirent un certain nombre d'actes considérés comme "légalement répréhensibles" parmi lesquels, l'assassinat de Marinn de Rayem pour lequel Corvus n'avait jamais été inquiété. Un coup du destin qui ne le mettait pas dans les meilleures dispositions. Il faut dire que pour lui c'était tout simplement de la triche ! Il s'était imaginé pouvoir être éventuellement traqué si des traces avaient été retrouvées mais ça n'avait même pas été le cas. Ils ne l'avaient pas chopé par compétence mais par hasard ! non franchement ça ne le faisait pas !

Bien sur, il avait bien profité de l'entrevue avec le chien de la reine pour faire pleuvoir sur Zahel un tas d'inquiétudes, tout d'abord en mentionnant qu'elle fut en vie et se fasse passer pur Kubilay Bones. Malgré cela, Corvus n'avait pas été au bout de ses surprises puisqu'elle avait été jusqu'à graisser quelques pattes pour obtenir le droit de révoquer la citoyenneté de Corvus et faire de lui un esclave, c'est-à-dire un meuble qu'on est libre d'abimer voire de tuer sans que la justice ne vienne s'en mêler.

Là... le blondinet avait passé d'assez mauvais moments il fallait l'avouer. Plus ou moins brisé, Kubilay avait réussi à le contraindre à reconsidérer une partie de ses "non-choix" et de sa vie, se rendant compte qu'elle avait basculé le jour où il avait été corrompu par Joshua. Sans même s'en apercevoir, il était passé sous la coupe de Drake Leckard, le précédent Roi, devenant son homme de main. Toutefois, dire que ce n'était qu'à cause de cela qu'il avait perpétré certaines des atrocités qu'on lui reprochait était faux. Organiser l'éradication des éthéristes de la cité avait été.. amusant et il ne pouvait s'empêcher de voir cela comme un bénéfice pour la cité.

Cependant, à force de "persuasion", Kubilay avait fini par le faire douter de tout. La seule chose qu'elle n'avait pas détruite en un mois et demi de tortures n'était autre que son caractère provocateur bien qu'il ait perdu en force et son envie de vivre. Pourtant, ça aussi il allait le perdre puisque cette sale hypocrite d'elfe venait de prononcer sa condamnation à mort. Un comble pour celle qui avait fermé les yeux pendant tous les actes répréhensibles perpétrés pendant le règne de Drake, préférant rester tranquillement installée à l'académie.

D'ailleurs, sans doute était-ce pour s'éviter des problèmes futurs qu'elle avait refusé de lui accorder le moindre procès. En un sens, Corvus en retirait un peu de fierté en sachant qu'il possédait suffisamment d'informations pour déstabiliser le pouvoir en place.
Malheureusement, il n'avait personne à qui diffuser tout ça, ou qui voudrait bien écouter.

Les protecteurs étaient venus le chercher chez Kubilay Bones. Lui passant des menottes d'anti magie, ils l'entrainèrent d'une prison à une autre, passant des geôles personnelles des Bones aux cachots du protectorat.

Si il entrait dans cette cellule, il savait que c'en serait fini de lui. Pour avoir été capitaine, il connaissait très bien toutes les mesures de sécurité mises en place dans le plus haut niveau de sécurité, précisément l'endroit où on était en train de le conduire.

Merde. Il fallait vraiment qu'il tente quelque chose. Hors de question de se laisser emprisonner pour rien faire. Les protecteurs n'avaient pas pris le moindre risque, le téléportant de la demeure des Bones à la cour du protectorat, seul lieu autorisant les téléportation dans le bâtiment. Sa seule opportunité viendrait en passant du 1er au second sous-sol quand l'escalier serait plus raide et surtout, bien plus étroit. Trop pour que Corvus ait plus d'un mec devant et derrière. C'était faisable.

Comme prévu, en arrivant dans l'escalier, deux de ses cinq gardiens passèrent devant, les trois autres demeurant derrière. Il attendit d'être à peu près au milieu de l'escalier pour déséquilibrer celui devant lui qui tomba la tête la première sur celui qui le précédait. Deux en moins. Peut-être pas longtemps mais c'était sa chance.

Profitant de son mouvement, il sauta littéralement sur les types déjà mal en point une quinzaine de marches plus bas, finissant d'en assommer un avant de lui dérober ses couteaux de lancer qu'il envoya vers les gardes restant... sans leur occasionner le moindre dégâts. Avec une moue déçue, il se pencha pour tenter de dérober une épée mais n'en eut pas le temps, forcé de se décaler pour éviter un sort. Ma parole c'est qu'ils ne plaisantaient pas !

Rapidement débordé, il parvint bien à porter un coup au plus proche,mais ce fut insuffisant pour le mettre hors d'état de nuire. Les deux derniers bonhommes eurent tôt fait de les rejoindre et de le maîtriser. Plaqué au sol sans ménagement, Corvus ne fut pas surpris outre mesure qu'ils en profitent de se défouler un peu. Surtout de la part des premiers mis hors course pour les quelques secondes que cela avait duré. Visiblement, la reine n'était pas la seule qui aurait aimé mettre fin à son existence.

Ils le forcèrent à se relever pour finir la tâche ingrate de l'escorter jusqu'à sa dernière cellule mais, de toute évidence, le sourire goguenard qu'ils virent sur le visage de Corvus ne fut pas pour leur plaire et ils s'accordèrent une récréation un peu plus longue avant de le jeter dans son cachot attitré où le blondinet alla s'écraser en pestant mentalement contre son échec. Maintenu fermement au sol, on lui retira les menottes dont il n'aurait pas besoin puisque chaque cellule empêchait à quiconque d'utiliser la magie. Les brutes se retirèrent ensuite, le laissant seul.

Il se remis en position assise quelques instants plus tard en grognant de douleur mais lâcha pourtant un rire bref en constatant une chose amusante. En comparaison de la cellule des Bones, c'était en fait plutôt lumineux et accueillant. Il aurait presque pu s'y sentir bien... Il n'aurait pourtant pas le temps de s'y habituer. Il y avait peu de chances qu'on le laisse y croupir plus de quelques heures ou quelques jours.

Il sentit son cœur s'emballer et se prit la tête entre les mains. Cette fois-ci c'était la fin. Sa fin. D'une certaine manière c'était dans l'ordre des choses. Étrangement cette idée l'apaisa... légèrement.

"...putain de merde..."

 

Rien, toujours rien. Une fois de plus, Yahn employait l'ennui d'une nouvelle journée sans grand intérêt pour méditer. Il profitait de ces longues heures pour tenter de renouer le lien, rétablir la connexion, mais il ne parvenait toujours pas à quoi que ce soit. Était-ce dû à l'anti-magie appliquée au cachot qui le retenait ? très probable mais il devait y avoir quelque chose d'autre. Durant son passage, il avait été pris d'un grand mal qu'il n'avait pu définir sur l'instant, mais la possibilité qu'il soit à l'origine de cette rupture n'était pas négligeable et si il avait subis à nouveau un bouleversement majeur de son être dû aux règles qui régissent ce monde, alors l'avenir s'annonce bien plus compliqué et inattendu que prévu.

Il était à nouveau dans l'attente de position de l'Elfe quand à son sort et malheureusement pour lui, il n'avait pas été autorisé à s'instruire à nouveau sur ce monde tant que son sort n'aura pas été décidé. Il manquait donc cruellement d'informations sur ce monde et ne parvenait pas à en obtenir. Il était souvent tiraillé durant leurs petits entretiens intimes entre se montrer docile afin d'obtenir rapidement et facilement la confiance de la souveraine en herbe, et la terrible vérité avec ses terribles trous laissant le soupçon, la crainte et la curiosité s'engouffrer...Et il fallait bien reconnaitre que sortir de cette situation l'intéressait bien moins pour l'instant que l'intérêt qu'il avait à titiller son interlocutrice.

Sera-t-il libéré ? sous quelles conditions ? que découvrira-t-il ? sera-t-il approché par des alliés ou des opposants au pouvoir en place ? Sera-t-il mis à mort ? sera-t-il alors ravi au pouvoir de Luthien par un opposant souhaitant faire de lui un outil ? ou le monde ne lui portera-t-il aucun intérêt et lui permettra à loisir d'observer ?
Il tarde tellement à l'Ishaldi de pouvoir constater la tournure des évènements et jouer son prochain coup. S'il avait encore ces facultés émotionnelles intactes, il ressentirait probablement de l'excitation face au vaste champ des possibilités qui s'ouvre devant lui, ponctué d'une légère nostalgie pour la belle époque où il passait son temps à expérimenter au sein du Cercle.

Un léger bruit de fond le tira doucement de ses réflexions passives. Des bruits de pas dirait-on...4...5...non, ce n'est pas logique, ils ne viennent qu'à deux pour sa pitance, à trois pour l'escorter. Qu'ils soient plus nombreux implique un élément autre que les gardes; pas l'Elfe, elle ne s'abaisserait pas à descendre le voir après ses petites provocations bien placées, pas un quidam non plus, il ne nécessiterait pas plus d'un ou deux gardes. Ce nombre implique un invité d'importance, pour lui rendre visite, ou pour séjourner. 6! oui, voila le son de pas légèrement différent des bottes lourdes sous le poids de l'équipement de la garde, voici donc l'invité flanqué de cinq gardes mieux discernables depuis qu'ils s'étaient engouffrés dans les escaliers.


Un grand fracas, trop lourd pour un simple chute d'après l'écho allant en s'amplifiant ponctué de quelques râles. l'invité est donc là pour séjourner et tentait de fausser compagnie à ses geôliers. un petit écho sourd puis un tintement; il avait sauté au bas des marches et tenté de lancer quelque chose derrière lui dans l'escalier, puis un crépitement, un sort lancé vers lui. Finalement, de violents bruits sourd teinté du coulissement du métal des armures en mouvement et des souffles courts. C'était donc finis, il s'était fait attraper et prenait à présent sa leçon en conséquence de ses actes.

Quelques instants passèrent puis de nouveau les bruits de pas, ils se rapprochent, l'invité va donc séjourné au même niveau que lui-même. Il devait donc être en situation au moins aussi ennuyeuse que l'Ishaldi voir pire. Il semble se faire rosser à nouveau puis enfin, le bruit de la porte du cachot qui se ferme. était-il inconscient ? non, le bruissement de ses mouvements était perceptible. Et une légère vulgarité pour confirmé la situation désespérante dans laquelle il semblait être.

quelle position prendre ? l'ignorer ? avait-il été placé là à escient ? non, il aurait déjà entamé la conversation pour capter l'intérêt de Yahn, il n'avait donc pas de rapport avec lui. était-il un simple quidam ? peu probable sinon ce n'est pas ici qu'il aurait été enfermé. Il y avait donc là une quelconque source d'information à prendre.

* voyons d'abord à qui nous avons affaire * pensa-t-il.

D'une voix calme et posée, il commenta de manière suffisamment audible pour que le son traverse les petites grilles des portes servant de regard aux gardes.

"Dommage jeune homme, vous avez privilégié votre liberté de mouvement au lieu de jouer sur la restriction des leurs; vous auriez agis contre l'ascendant des marches, vous auriez peut être pu réussir votre coup dans les escaliers... "
"à quoi dois-je donc le plaisir de votre venue contre votre grès dans mon royaume d'isolement ?"

Pré-exécution

Il connaissait trop bien ces cachots pour savoir qu'il était bel et bien foutu. Ils ne commettraient pas l'erreur d'ouvrir sa cellule avec la paire habituelle de gardiens, et nul ne pourrait pénétrer ces lieux depuis l'extérieur à moins de déployer une puissance considérable. En vérité, seul un démon était parvenu à détruire la prison, libérant ainsi celui qui était devenu par la suite le souverain Drake Leckard. Tyran et génocidaire, il avait totalement transformé la vie de Corvus. Pour autant, on ne pouvait pas dire que c'était totalement de sa faute si le blondinet se retrouvait dans cette cellule aujourd'hui. D'après Kubilay, à qui il devait sa capture fortuite, c'était principalement du à ses choix douteux ou malencontreux. Il n'en était pas totalement convaincu et ne pouvait pas s'empêcher d'éprouver une certaine fierté, mal placée sans aucun doute, lorsqu'il constatait tous les éléments qui avaient du entrer en jeu pour qu'il en soi ici aujourd'hui. Le destin avait un sens de l'humour très particulier en ce qui le concernait. D'un certain point de vue il admirait presque la chose.

Tendis qu'il se perdait dans les méandres de ses pensées, oscillant entre la terreur de mourir et l'apaisement de cette même fin, une autre voix se joignit à la tempête qui faisait rage sous son crâne. Un autre détenu a priori si l'on en croyait la provenance du son. Corvus fit une moue à la fois de déception et d'agacement.

"Il me semblait bien que c'était ce que j'avais tenté."

Il marqua une courte pause avant de se relever pour se rapprocher du mur qui semblait leur être commun.

"Corvus Downclaw, condamné à mort, pour vous servir." Ironisa-t-il sur le ton le plus naturel qui soit, bien que son aisance soit totalement feinte. Qui serait ravi de mourir après tout ? Mis à part tous ceux qui côtoyaient Kubilay...Et ceux qui étaient conçus pour ça.

"Tu es qui ?" Bon, ses manières laissaient quelque peu à désirer mais d'un autre côté, pourquoi diable devrait-il faire encore des efforts de politesse, de courtoisie ou d'étiquettes envers qui que ce soit ?

Cependant, alors qu'il lui avait demandé son identité, il se rendait compte qu'elle lui importait peu en fin de compte. En fait la chose potentiellement intéressante dans ce genre d'endroit était rarement de savoir qui était qui, mais plutôt "pourquoi" chacun d'entre eux se retrouvait là. Il corrigea donc sa phrase l'instant suivant.

"Ou plutôt, pourquoi tu es là ? Depuis quand tu es là ?"

Au timbre de la voix de l'inconnu, celui-ci semblait être plus âgé que lui mais l'était-il autant que ça ? Par ailleurs, Corvus pouvait se targuer de connaitre beaucoup de monde, que ça soit au niveau de l'ancien gouvernement que dans les bas fonds, c'est-à-dire, la majorité des personnes que la reine aurait pu avoir envie d'enfermer quelque part. Or, il ne reconnaissait pas du tout cette voix. Mais, il était soudainement très intéressé par les raisons qui avaient forcé les débiles profonds qui servaient de gouvernement à mettre ce type en sa compagnie. Ou l'inverse plutôt. Il mentionnait qu'il était en isolement. Soit il était donc des plus dangereux, et donc intéressant, soit des plus malins, et là, Corvus pourrait avoir des choses à lui confier. Pour la postérité. On ne savait jamais.

Il se rendait compte qu'il n'avait d'ailleurs pas vraiment répondu au type. A qui devait-il sa présence ici ? A Kubilay qui avait eu la bêtise de le capturer au tournoi pour une simple revanche... et pour le sauver. Ouais, ça recelait toujours une part d'incompréhension pour lui. A cause de ça, le chien de la reine avait été alerté et cette sale elfe l'avait foutu là.

"Ha ! C'est la bouffeuse de salade qui m'en veut suffisamment pour m'avoir foutu là. Et pour ce que j'en sais, on m'a refusé la joie d'un procès public."

Corvus l'avait toujours un peu mauvaise. Il avait pensé pouvoir entrainer dans sa chute pas mal de monde et peut-être soulever l'indignation chez une partie de la population en détruisant l'image si "lisse" de la reine. Notamment en soulevant certains de ses comportements sous le règne de terreur de Drake Leckard. Mais il n'en aurait peut-être pas l'occasion. C'était dommage bien que dans un sens, ça montrait tout à la fois la crainte de la reine eut égard de ce qu'il pourrait dire, sa propension à retourner sa veste en faisant fi des "valeurs" qu'elle prétendait défendre et le fait malheureux qu'elle ait donc un meilleur instinct de survie que prévu. A moins qu'elle ait juste été bien conseillé. On la disait entouré de quelques personnes d'exception. Ce n'était pas Saeline. Cette elfe ne servait à rien. Non... ça ressemblait davantage aux recommandations de personnes plus terre à terre. Enfin, peu importait pour l'instant.

 

ha, enfin une autre musique tintait aux oreilles du captifs. Autre chose que le son sourd des légers courants d'airs s'engouffrant dans les couloirs, raclant les murs et plafonds, jouant avec les flammes des chandelles éclairant le bâtiment, avant de murmurer doucement dans le mince interstice séparant la pierre du bois épais de la porte de sa cellule. Autre chose que les bruits de pas à heure supposée fixe des gardes amenant son maigre repas afin qu'il ne meure pas de faim. Autre chose que le son de ses propres pensées.
Il avait durant un temps pu profiter du plaisir de l'acquisition de connaissances sur ce monde via le précepteur qui lui avait été attitré auparavant, mais ce plaisir lui avait été ôté après sa première entrevue privée avec la reine...enfin, on avait permis au précepteur de continuer ses leçons mais uniquement sur le langage car sa majesté ne semblait pas apprécier les entorses volontaires de l'Ishaldi au protocole de ce monde. Mais ces visites étaient de fait vides de sens et d'intérêt à ses yeux et avaient finis par cesser d'elle-même devant le constat de leur inutilité.
Il était donc assez plaisant d'entendre une voix non habituelle, qui ouvrait donc de nouvelles possibilités.
Son interlocuteur était un homme d'après le son de sa voix, et semblait plutôt jeune. Certes, tout ceux à qui il avait eu affaire étaient jeunes d'après ses propres normes...mais celui-ci semblait l'être même d'après les paramètres moyens de ce monde. Et visiblement, les paroles de l'Ishaldi l'avaient légèrement piqué au vif car il crut déceler de l'agacement dans ses paroles. Il ne valait probablement mieux pas s'attarder sur l'inefficacité de sa tentative d'évasion; Yahn avait un certain talent pour irriter les autres...il serait ici plus intéressant d'éviter cette situation.

Le jeune homme se présenta, d'après la provenance du son, la manière dont il se dispersait, il devait s'être rapproché du mur séparant leurs deux cachots; maintenir la conversation semblait donc l'intéresser pour l'instant. Corvus se présenta en indiquant la mention "condamné à mort"... soit l'elfe espérait obtenir plus de choses de lui via un stratagème, soit ce garçon était effectivement en attente de son exécution. Dans le premier cas, il fallait être prudent, dans le deuxième, la situation de l'Ishaldi prenait un tournant captivant !
Yahn hésita un instant à donner son nom à son interlocuteur, réfléchissant encore à la possibilité d'une manœuvre du pouvoir en place mais Corvus lui épargna cette peine et réclama la raison de sa propre présence ici plutôt que son identité. Ce jeune homme n'était pas bête, l'identité dans une situation telle que la leur n'était pas le plus intéressant, au contraire de la raison et de ce que l'autre pouvait avoir d'utile à dire.

"Je suis là car l'apprentie souveraine hésite sur la posture à tenir à mon égard. Elle ne parvient pas à savoir si elle arriverait à m'utiliser à son avantage ou si je représente une menace trop grande pour elle. Quand à la durée de ma captivité, c'est difficile à estimer car le temps n'a pas plus d'importance que cela à mes yeux...je dirais quelques mois; quatre ou six environs."

Le nouvel arrivant marqua une certaine pose, il semblait en pleine réflexion jusqu'à ce qu'il lâche une réplique qui déclencha un rire spontané chez Yahn. Il se reprit assez vite et retrouva son calme bien que sa voix demeura assez enjouée :
"Pardonnez moi cet écart, mais cela faisait des siècles que je n'avais plus entendu ce genre d'appellation pour désigner un elfe ! cette légèreté est des plus rafraichissante."

Le décalage entre les monstres suceurs de mana prêts à tout les massacres pour mettre la main sur un seul magicien et les êtres qu'ils étaient, et sont encore dans ce monde, était des plus frappant et rendait la chose assez ridicule. Si ils pouvaient voir la déchéance possible de leur espèce, quelle serait leur réaction ? Luhtien s'en était offusqué, pensant être comparée une espèce cousine soi-disant moins noble, mais elle était loin de réaliser l'ampleur de ce à quoi Yahn l'avait comparée.

Lui en vouloir ? L'elfe orgueilleuse ? ce n'était pas plus surprenant que ça, Yahn avait assez rapidement décelé d'après ses paroles et ses postures durant leurs entretiens qu'elle disposait d'un pouvoir chancelant et que ce faisait, elle agissait de manière vacillante et donc aisément perturbable. Mais au point de lui refuser un procès publique; c'est que cet homme représentait une réelle menace pour son jeune pouvoir à l'instar de l'Ishaldi lui-même. Il était peu probable que la source que cette menace soit la même que lui, il devait donc disposer d'un savoir contrariant pour Luthien. Cette journée devenait de plus en plus belle à chaque instant qui s'écoulait.

"Il semblerait que les procès publiques, comme vous dîtes, ne fassent pas partis des préceptes de bases de cet elfe effectivement. Mais je suis néanmoins surpris que vous n'ayez point pu prendre la parole alors qu'elle ne cesse d'essayer de me démontrer sa droiture ... êtes vous donc un monstre dont les paroles suffisent à détruire l'existence monsieur ?"

Qu'est-ce qui prendrait le dessus ? l'égo, ou la curiosité ? Bien que jeune, son interlocuteur ne semblait pas être idiot pour autant.

Pré-exécution

Corvus lâcha un rire bref à la mention de "l'apprentie souveraine", qui rendit immédiatement l'inconnu des plus sympathiques à ses yeux. Il faut dire que l'hypocrisie et la stupidité latente de la plupart des pontes et proches de la reine étaient des plus désespérantes à la longue. Aussi, que l'on reconnaisse ouvertement l'incompétence de Luthien était apprécié par le blondinet pour la justesse de la chose.

Le mur lui répondit que la reine le retenait le temps de déterminer si il était une menace ou non... depuis des mois. Corvus siffla. Entre quatre et six mois ?! Sérieusement ?! C'était bien long pour une décision si simple.

"Pas de bol pour toi." Lâcha-t-il le plus familièrement du monde.

"Soit elle est encore plus incompétente que je le pensais pour ne pas être parvenue à prendre une décision en tant de temps, soit tu dois vraiment l'inquiéter. Et je me demande pourquoi. Tu m'as l'air plutôt sympathique au premier abord... Qu'a-t-elle contre toi ?"

Finalement, Corvus exposa brièvement que la reine l'avait placé là. Contre toute attente, sa déclaration arracha un rire à l'inconnu qui ne pouvait pas voir la mine blasée et presque vexée qu'afficha un instant le jeune homme. Jusqu'à ce que l'inconnu ne s'explique quant à la raison de cette hilarité. Ha... à cause de l'expression qu'il avait employé ! Pendant un instant il avait pensé qu'il se moquait encore de lui. Attends attends... Quoi ? Des siècles ?

"Vous êtes quoi au juste ?" Demanda-t-il sur un ton subitement un peu plus réservé. Nulle crainte n'était perceptible mais la méfiance était claire. Il faut dire que Corvus avait quelques difficultés à accepter certaines espèces non humaines. Il avait ses propres raisons. Malgré tout, si c'était sa dernière conversation, il ne ferait sans doute pas la fine bouche... Surtout si il avait l'opportunité de planter les graines de la déchéance de cette elfe et de l'ensemble de son gouvernement fantoche. Un simple espoir mais savait-on jamais !

Et justement, son compagnon de fortune, si l'on pouvait dire, venait de lui en donner l'occasion. Fallait-il pour autant tout dire ? De son côté, Corvus n'avait rien à perdre de plus. Il gloussa à la mention du monstre qu'il était peut-être supposé être. Si seulement il en était un, il ne serait pas là !

"Détruire l'existence même non, et heureusement j'en suis incapable. Mais affaiblir sa position et remettre en cause son pouvoir comme le prétendu dévouement de certains membres de son gouvernement... assurément."

Bon bah puisqu'il s'était lancé, autant replacer le contexte même si tous les targatiens le connaissaient...C'était donc à la fois pour lui que pour l'inconnu dont il ignorait si il était natif ou citoyen de Targatt ou pas.

"J'étais capitaine du protectorat sous le règne de son prédécesseur, feu le Roi Drake Leckard Ier."

Il avait beau savoir que Drake s'était servi de lui et de la corruption magique qui l'avait infecté à l'époque, il ne parvenait pas à le détester. Sans doute à cause des remaniements partiels que Corvus, avait subi.

"Ca avait beau être un tyran, il a pourtant entièrement révisé l'organisation des protecteurs de sorte à augmenter drastiquement leur efficacité, notamment par l'emploi de scrutateurs dédiés à la surveillance des zones les plus peuplées et de celles les plus susceptibles d'abriter des hors la loi. Il a démocratisé l'emploi de la zone de vérité afin de vérifier la culpabilité des suspects de sorte à s'épargner de longues procédures et de s'assurer que des innocents n'allaient pas en prison. Il a également sécuriser la cité et améliorer le Trône. La criminalité a drastiquement baissé. Les peines ont été durcies. Alors oui, un culte entier et quelques familles ont été presque totalement éradiqués mais ils étaient des frein à toute avancée digne de ce nom par leur pseudo bien pensance et par leur impact sur la population."

Il se rendait compte qu'il s'était drastiquement éloigné du sujet et marqua un court arrêt pour y revenir. D'autant plus que tout le monde savait tout cela, il ne faisait donc que brasser de l'air. Cependant, il se rendait compte que le nom de Drake Leckard avait été entièrement diabolisé depuis sa mort. Tout son héritage avait été oublié ou corrompu. Volontairement ou non. Corvus lui avait été loyal. Bon, il n'avait pas eu d'autres choix. Mais tout de même, ça comptait ! Aussi, ça lui paraissait important de rétablir un semblant de vérité à ce sujet. De plus, contrairement aux autres Rois ou Reines, au moins Drake Leckard avait une vision à long terme qu'il avait souhaité concrétiser. Il savait où il voulait aller et comment faire pour y parvenir. Il avait une ligne de conduite et s'y tenait. Malheureusement, sous prétexte que la morale "classique" n'avait pas de prise sur lui, il avait été pris pour un monstre. Sans doute ses pouvoirs et ses connaissances faisaient-ils peur au commun des mortels...

"Disons que pendant les tueries perpétrées par feu le Roi Drake, notre bien-aimée Luthien, de même que son actuelle chambellan et que la majorité des elfes, se sont contentés de se taire et de maintenir un statut quo tendis que d'autres membres actuels du gouvernement et de la cours de l'elfe, ont aidé le roi dans certaines de ses entreprises. Ainsi, cette elfe qui se prétend droite s'est contentée de continuer à enseigner la magie d'invocation durant toute cette période, son chambellan également. Quand aux paladins que Luthien a réhabilité, ces derniers avaient tout simplement fui la cité pour se cacher dans les bois. Pour être franc, si ce fils de pute de diable qu'est Alrost Erkelion, n'avait pas tué le Roi, tous ces hypocrites seraient toujours au même endroit, ou au fond d'un trou."

Sa voix était devenue vibrante d'une colère mal maitrisée. Il n'admettait pas qu'un extraplanaire ose intervenir et faire sa loi dans les affaires humaines. Ou du moins dans celles d'un pouvoir "mortel". Il n'avait pas à intervenir ! Qu'un diable ou un démon se permette d'intervenir ouvertement, et même le simple fait qu'ils foulent ce plan, devrait être puni de mort !

"Malgré son régicide, ce connard n'a pas été inquiété par Luthien qui n'a pas levé le petit doigt pour rétablir un semblant de justice. Par ailleurs, elle qui se prétend si droite, si juste et si lumineuse, n'hésite pas à laisser ses services utiliser la torture pour soutirer des informations alors qu'une zone de vérité suffirait amplement. Et puis, d'autres que moi ont participé au génocide et sont toujours en fonction et tout du moins en liberté. Aussi, elle ne peut pas décemment pas me permettre ni de parler, ni me mettre à mort sur ce fondement."

Corvus ricana tristement. C'était la conclusion à laquelle il avait fini par arriver. Non sans l'influence de certains des dires de Kubilay Bones.

"Il y a tellement d'éléments contre Luthien et son gouvernement que je ne doute pas que certaines strates de notre population finiraient par se soulever si seulement ils en avaient vent. Mais elle préfère m'éliminer en silence. Je suppose que l'objet justifiant ma sentence sera de faire justice au directeur de l'académie."

Le blondinet soupira et laissa sa tête reposer contre le mur. Il s'était peut-être effectivement égaré en chemin pour être passé de protecteur à chasseur de démon, puis chasseur de prime pour finir assassin... Mais, être parvenu à éliminer une des personnes les plus éminentes de Targatt aussi facilement ne faisait que souligner la faiblesse actuelle de la cité. Une telle chose ne serait jamais arrivée avec le souverain précédent. D'autant plus que la reine ne lui aurait jamais mis la main dessus sans l'intervention de Zahel, qui se faisait passer pour Kubilay, actuellement lieutenant du protectorat...

Il y a plus de secrets et de trucs qui clochent depuis l'avènement du règne de Luthien, qui se prétend transparente, que du temps de Drake qui, lui, pour le coup, ne cachait nullement ses intentions. Il faut admettre qu'il avait la puissance requise pour faire face à presque n'importe qui. Ca devait aider... Après tout, il avait initialement pris le palais presque à lui seul.

"En fait... le plus drôle c'est encore que Luthien a presque scrupuleusement suivi les plans préparés par le Leckard pour se débarrasser des démons et annexer les deux cités de Melghir et d'Arakis par la même occasion... Elle a ainsi réalisé la première partie de la vision de celui qu'elle dénigrait et craignait, en plus d'employer des méthodes contestables, que même le "monstre Drake" avait plus ou moins aboli. Dans la même veine, Luthien a, d'après moi, admis ouvertement son incompétence en autorisant la création d'un sénat, laissant partiellement le peuple juger des orientations. Comme si de putains de commerçants ou des paysans pouvaient avoir une vision globale des choses ou de la géopolitique en cours avec nos voisins ! Elle a sapé son propre pouvoir qu'elle laisse aux mains d'une bande d'incompétents notoires et aux pires arrivistes et ose se prétendre reine ! "

Il s'était relevé sous le coup de la colère. Luthien était pour lui la personne qui signerait la fin de la monarchie et qui rendrait la cité plus faible qu'elle ne l'était alors même que certains des voisins menaient des politiques anti-mages de plus en plus incisives et vindicatives. Combien de temps faudrait-il pour que ces pays attaquent Targatt ? Combien de temps tiendrait-elle sans archimage digne de nom ? Est-ce que l'elfe savait au moins manier le Trône comme il fallait pour la défense ? D'après sa piètre manifestation durant l'attaque des démons, la réponse était évidemment négative.

Le jeune homme donna un coup rageux contre la porte de sa cellule. Davantage pour évacuer un tant soit peu de sa colère qu'en imaginant que l'impact lui ferait quoi que ce soit. D'une certaine manière il s'en voulait également un peu... Finalement, il commençait à se rendre compte qu'il aurait aimé continuer à vivre certes, mais peut-être aussi retrouver une fonction qui lui permette d’œuvrer pour ce qu'il croyait "juste". A toujours courir le monde et se laisser emporter par les évènements, il n'avait jamais été maitre de son destin avant son emprisonnement. Ouais, il avait vraiment merdé...

Il soupira longuement et, pour s'épargner la honte de s’apitoyer davantage sur son sort et faire encore plus preuve de faiblesse, il revint à son interlocuteur à qui il avait tout balancé sans même se faire prier. Disons qu'à son stade, il n'avait aucune raison de faire des secrets. Bien au contraire.

Corvus songea que ce qu'il venait de dire pourrait faire condamner l'inconnu à passer encore davantage de temps ici si c'était découvert. Mais l’égoïsme latent de Corvus demeurait, heureusement, nettement plus conséquent que cette considération. Ce qui arriverait à ce type ne l'intéressait que peu dans le fond mais, si par son existence ou sa présence dans la cité il pouvait faire chier la Reine alors ça vaudrait le coup.

"En tout cas, puisque je n'ai rien à perdre et que je serai bientôt mort, sens toi libre de me parler de ce que tu veux. Ca aura le mérite de me faire passer le temps..."

Il devait admettre qu'avoir tout lâché lui laissait un sentiment apaisant. Il n'avait pourtant pas réellement confesser de "faute". D'ailleurs de son point de vue, la seule qu'il avait commise avait été de se laisser choper. Aussi, si son interlocuteur voulait faire de même, il serait une oreille attentive et emporterait sagement son secret dans la tombe, comme tous les autres en fin de compte. Et si par miracle il recherchait davantage d'informations, si elles étaient en sa possession, Corvus se ferait une joie et un devoir de lui répondre. Surtout si il y avait la moindre chance que ça se retourne un jour contre Luthien et ses chiens de garde.

 

Yahn était partiellement rassuré, ce nouvel interlocuteur semblait disposer de capacités cognitives un peu plus élevées que tout ceux qu'il avait rencontrer jusqu'ici; un esprit vif et une capacité d'analyse intéressante. Entre les jeunes fébriles émotionnellement qui l'avaient attaqués sans sommation à son arrivée, la femme qui avait tenté de se mettre en avant en prenant politiquement sa défense, les gardes maladroits aux actions non mesurées, son tuteur asservis dont il n'avait rien pu tirer de plus que ce Luthien avait autorisé et justement la fameuse Reine dont la vision est trop étroite pour mériter cette place... non vraiment, l'Ishladi commençait à se dire que les gens de ce monde avaient été trop choyés ...

Et on en revenait à cette question...toujours cette question... elle lui avait valu son enfermement et ses deux séances d'interrogatoires épuisants tant il les avait trouvé inutiles... Que faire avec cette question ? Il n'était pas impossible que ce Corvus ait été placé là par Luthien afin d'obtenir des informations par un autre moyen. L'elfe n'avait cessé de toujours en vouloir plus et n'avait pas obtenu entière satisfaction; le fait qu'elle stoppe d'elle-même leur dernière séance sans jamais appliqué aucune de ses menaces de torture était surprenant. Mieux valait rester attentif en répondant aux questions de ce jeune homme.

" Un Démon, un Dieu, un Homme sans en être un, me définir est bien la chose la plus complexe qui soit depuis mon arrivée. Apprendre votre langue et votre histoire n'était que peu de chose en comparaison. C'est d'ailleurs la raison de mon aussi long enfermement et ce qui fait que l'Elfe n'arrive pas à se décider, ça et mon incapacité à résister à l'envie de jouer de l'esprit face à elle je suppose ... c'est une très mauvaise partenaire de jeu sur ce plan d'ailleurs !"

Il n'avait toujours pas réellement répondu aux questions de Corvus et hésitait encore à le faire ...

"Disons simplement que j'étais semblable au commun des mortels avant que les évènements chez moi ne m'amènent à devenir bien plus. A la fin, j'étais un mal nécessaire construit sur de multiples sortilèges face à un bien plus grand mal. Et c'est ce que me reproche l'Elfe car elle ne sait pas si ce que j'étais représente une menace pour vous ni même si je suis encore aujourd'hui ce que j'étais hier ..."

Le jeune homme finit par délié sa langue et se mit à faire un récit relativement vague de la situation politique passée et présente en s'attardant sur le rôle que la reine avait tenu à l'époque. Mais trop de terme et de situation restait vague pour Yahn.
"Les paladins ?" On ne lui avait pas parlé de cette instance. "Que sont-ils exactement ? "

Le passage sur Drake Leckard avait néanmoins retenu son intérêt et le fait que son interlocuteur fasse partis de ses partisans le rendait parfaitement intéressant. L'Ishaldi essayait de faire les parallèles entre son monde et celui-ci au fur et à mesure du récit et comme il avait déjà pu l'identifier, les méthodes de Drake correspondait à ce qu'il avait connu de Cain; leurs deux familles devaient vraisemblablement trouver une équivalence. Ce qui faisait donc pencher Yahn plutôt du côté des Leckard que de celui de Luthien.

Il écouta le récit jusqu'à sa fin et eu du mal à se faire un avis sur ce garçon. De toute apparence, il prétendait disposer d'informations gênantes sur l'Elfe et son gouvernement, si on pouvait appeler cela ainsi, mais n'en donnait pas de réels détails, du moins rien qui ne justifie sa position aux yeux de l'Ishaldi.

"je vous en prie, ne faites pas l'enfant. Si réellement vous souhaitez mettre à mal la position de l'Elfe, il vous faut entrer bien plus dans les détails pour ce qui est des actes et des noms. Je ne comprend pas qu'elle ne vous laisse pas vous exprimer, avec un récit aussi vague, et des faits aussi peu grave, vous n'avez pas de quoi faire chuter un gouvernement. Elle s'est tenu à l'écart ? elle emploie la torture ? pensez-vous que c'est avec si peu qu'un peuple se soulèverait ? Si oui, alors votre peuple est des plus inquiétant et je ne m'étonne qu'à peine que les démons s'en prennent à vous . "

Il fallait plus de détails, bien plus. Et vu la situation relatée par Corvus, il était dans l'intérêt de Yahn qu'il apprenne autant que possible sur autant de personnes que possible afin d'adopter la bonne attitude face aux bonnes personnes. Mais une chose avait aussi retenu son attention dans tout ce récit.

"Parlez moi du Trone voulez-vous ? de quoi s'agit-il ?" A la manière dont il a été évoqué, il était évident qu'il ne s'agissait pas que d'un siège et d'un symbole.

Une chose venait également poindre dans l'esprit de l'Ishaldi, ce jeune homme prétendait avoir été capitaine du protectorat. Si tel était effectivement le cas, il devait alors disposer d'un certain niveau en magie et dans les connaissances qui s'y rattachent. Par conséquent, il pourrait peut être aiguiller Yahn sur les informations que Luthien a soigneusement évité de lui donner durant leurs entrevues.

" Dites moi, que savez vous des fondements de la magie ? De comment elle nait, comment elle est possible ? et surtout, que savez vous de l'esprit et de la magie spirituelle ?"

Il ne restait qu'à espérer qu'il détenait les réponses à ses questions, sinon Yahn devrait encore attendre ...

Pré-exécution

Le blondinet fit une moue sceptique tendis qu'il se mettait à dire qu'il ne saurait définir sa nature. Le jeune humain arqua un sourcil d'un air blasé que, fort heureusement, son interlocuteur ne pouvait pas voir. Encore un qui pétait plus haut que son cul et qui prenait de grands airs pour rien. Quant bien même sa nature serait plus proche de celle d'un dieu, ou d'un démon, ce n'était pas une raison pour se la jouer de cette manière.

Corvus interprétait ses propos et ses faux questionnements comme une manière de se placer sur un piédestal. Exactement le genre d'attitude que le jeune homme adorait mettre à mal d'habitude. Ce mec aurait mériter une bonne petit humiliation. Juste pour qu'il reprenne ses esprits.

"Mwai... tu te prends vraiment la tête... tu n'es pas un démon. Si ta nature s'en approchait, tu aurais été tué et ou banni comme la reine l'a fait au petit Leckard. Quant au fait d'être un dieu...ici, dépourvu du moindre pouvoir comme tu l'es, tu es juste un moins que rien comme n'importe laquelle des personnes enfermées là."

M'enfin ça ne répondait pas vraiment à la question de savoir de quelle espèce il relevait. L'ex protecteur reprit la parole dans la foulée, rebondissant sur ses premières assertions. Pfff... dans le fond ça n'avait pas grande importance. Corvus préférait encore parler à un connard d'elfe ou de vampire plutôt que de rester seul avec ses pensées. Il avait assez donné ces dernières semaines. Au moins cette fois-ci Kubilay n'était pas là pour en rajouter une couche avec ses tortures. C'était presque des vacances en fin de compte.

"Olala mais vous êtes complètement à côté de la plaque tous les deux."

Il évoquait l'elfe et son interlocuteur.

"On s'en fous de savoir si tu étais une bénédiction ou une malédiction... Dès que la différence de puissance est trop forte c'est une menace potentielle qui doit être écrasée. Parce que même si à un instant X tu étais perçu comme un machin vecteur de bien par les crétins de ton pays, rien ne dit que tu pèteras pas un câble un de ces jours et ne deviendra pas ce que tu étais censé combattre. Et à ce moment-là, il sera trop tard..."

Ca lui tombait tellement sous le sens qu'il se demandait en quoi l'elfe avait vraiment pu avoir des hésitations. Drake l'aurait déjà tué. Corvus aussi. Il reprit toutefois, se foutant totalement de la manière dont ses propos pouvaient être pris par l'inconnu d'à côté. Il continua sur le même ton extrêmement je-m'en-foutiste.
La raison de l'animosité latente de Corvus à son égard ? Il ne lui rappelait que trop Alrost. Ce fils de pute aurait pu être écrasé, difficilement certes, mais ils l'auraient vaincus malgré tout si tout avait été fait directement, dès sa tentative de coup d'Etat ou... au pire, à la suite du meurtre de Drake. Mais tout le monde était resté les bras ballants... Et maintenant il était inatteignable pour Corvus qui avait failli exploser, littéralement, sous le shoot de puissance magique qu'il lui avait insufflé. Un contre coup un peu chiant de son pouvoir d'adaptation... Quoi qu'il en soit, on avait tardé à éradiquer ce monstre si bien que maintenant il pouvait effectivement faire ce que bon lui semblait en toute impunité. Or, son interlocuteur témoignait, à ses yeux de la même arrogance.

"C'est peut-être mieux que je crève en fin de compte. Ca m'évitera de devoir vivre en présence de tant de débilité." conclut-il finalement d'un ton profondément blasé où une pointe d'énervement était clairement perceptible. Et qu'il ne cherchait aucunement à dissimuler par ailleurs.

Finalement, il entama un récit quelque peu décousu et partiel. Il faut dire qu'il n'avait jamais vraiment été des plus attentifs à quoi que ce soit de politique. Il détestait cette matière et avait tout fait pour en rester éloigné. Malgré tout, on lui avait fait comprendre qu'il possédait des informations susceptibles de fragiliser le pouvoir actuel, voir davantage. Cependant, lui-même n'était tout à fait certain de voir lesquelles exactement. Du moins, il y avait bien tout ce qu'il avait évoqué, mais pour les détails, il lui faudrait un peu de temps pour les retrouver.

L'inconnu sembla s'intéresser aux paladins. Corvus soupira.

"C'est une bande de dégénérés qui se baladent en armes et armures et défendent une morale de merde, le "Bien", ou la "Lumière". Je n'ai jamais trop compris... Je crois que la plupart vénèrent les dieux du bien genre Alieri. Mais en vrai ils sont surtout très obtus. Ils vont condamner à mort n'importe quel mage dont l'aura n'est pas suffisamment "blanche" à leurs yeux... et je ne parle même pas de leur réaction face à certaines espèces !"

Bon ok... c'était hypocrite de sa part vu qu'il n'appréciait pas certaines espèces... Mais peu ça aussi, ça n'aurait bientôt plus d'importance. Il conclut son propos.

"La reine les a légaliser et les fait travailler avec les protecteurs." Pour Corvus, la reine avait introduit un nouveau grain de sable dans des rouages de la cité. Et que la dimension moralisatrice soit prise en compte n'était pas de bon augure.

Finalement le récit se poursuivit suite à quoi, son interlocuteur l'enjoignit à aller plus loin dans les détails. Il se renfrogna et porta la main à sa tête, son coude reposant sur son genou relevé. Il soupira en tentant de rassembler ses souvenirs. Il fallait croire que les manipulations mentales qu'il avait subi à répétition, y compris pour devenir chasseur de démon, n'avaient pas été sans laisser de séquelles, aussi infimes soient-elle. Les détails lui échappaient comme l'eau filant entre les doigts d'une main ouverte. Il ne parvenait plus à les saisir.

"Ouais le peuple est débile. Mais les démons ont attaqué toutes les cités-mages du continent. Donc rien à voir..."

Lilianna et lui avaient eu des rapports des autres cités où des chasseurs avaient également été dépêchés. Ils n'avaient envoyés que quelques unités à chaque fois et malgré leur nombre infime, avaient causé des dégâts dignes d'une guerre de plusieurs années. Ces créatures devaient impérativement rester dans leur plan, ou, être éradiquées si elles foulaient le plan matériel. Cependant, ce n'était pas le sujet actuellement. Corvus reprit, plus hésitant.

"Je... Ne pense pas que ça soit suffisant pour que la population se soulève. J'aurai aimé. Ils ne feront rien, pas après tout ce qu'ils ont subi. Mais... ça pourrait être suffisant pour donner du crédit aux conservateurs... le clan opposé à celui de la reine au sénat. La contraindre à se séparer de certains de ses agents de confiance lui porterait un coup important et aurait le mérite de créer une faille béante de plus..."

La conversation dériva sur le Trône. Corvus garda le silence un instant, l'ancien protecteur en lui se méfiant soudain. Renverser cette reine de pacotille était une chose, mais permettre à un étranger de savoir où frapper pour asservir, possiblement, la cité, était une toute autre chose. Il maugréa dans sa barbe, se maudissant d'avoir encore une fois parler un peu trop vite. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait avoir ceci dit. Et ne pas répondre aurait soulevé davantage de questions chiantes. Corvus se redressa de l'autre côté du mur, se remettant debout pour faire quelques pas.

"Le Trône est l'artéfact de notre cité qui, à la mort du souverain, choisi le suivant en évaluant les candidats. Enfin... en théorie. Drake n'a pas eu besoin de lui pour prendre le pouvoir."

Le blondinet ricana en se rappelant que le sorcier avait attaqué le palais tout seul. Il évitera de parler des pouvoirs qu'on attribuait au trône et qui auraient la puissance d'un archimage à part entière.
Le Trône conférait une forme de légitimité au souverain qui était choisi, théoriquement, à vie. Mais là encore, il y avait moyen de forcer les choses à se renouveler plus rapidement... Drake l'avait bien compris.

Finalement, le truc derrière le mur lui posa des questions sur la magie elle-même. Corvus émit une réponse tout à fait éloquente.

"Euuuuhhhh...."

Oui et non. Il connaissait les grandes lignes, vaguement. Et encore... C'était limite si Kubilay ne l'avait pas insulté de débile profond quant elle avait compris la profondeur de ses lacunes en terme de magie, du moins, quand il s'agissait de la théorie.

"Bah... vite fait... J'ai pas vraiment fait d'études..."

Il en aurait presque rougi. Il n'y avait que deux types de mages qui ne faisaient pas d'études : les pauvres incapables de se les payer, et ceux qui n'avaient pas une capacité de canalisation suffisamment intéressante pour être formés. Or, il n'appartenait vraiment à aucune des deux cases puisque lui c'était par pure flemme qu'il avait très vite lâché l'affaire, préférant de loin apprendre par la pratique, par lui-même. Au risque de ne pas tout comprendre de ce qu'il faisait...

"Ha... tu es un spiritualiste... " Lança-t-il comme si ça venait d'éclairer totalement l'étrangeté de son interlocuteur, comme si ça l'expliquait totalement lui et son comportement. D'après l'opinion de Corvus, les mages employant, en majeur, la magie spirituelle étaient des connards arrogants imbus d'eux-mêmes et désireux de tout écraser pour se hisser plus haut, quitte à écraser la personnalité des autres. Ils étaient puissants, retors, sournois, érudits -mais pas de la bonne manière- et imbuvables de manière générale. Une définition qui collait aussi bien à Kubilay qu'à Drake et quelques uatres du genre qu'il avait eu la malchance de rencontrer.

Malgré tout, il entreprit de rassembler ses souvenirs et de formuler une réponse à ses questions bien qu'il soit sans doute le mage le moins bien placé pour y répondre.

"On dit que c'est Cosmos et les autres dieux qui ont créé notre univers, les plans et les lois qui le régissent, physiques comme métaphysiques. La magie regroupe... je crois... les trucs métaphysiques. Euh... elle est générée par l'articulation et le mouvement de notre univers lui-même...et...euh... on canalise la magie euh... j'suis plus très sur..."

Ca y est il avait mal à la tête. Il ne pourrait pas aller plus loin. C'était plus ou moins la seule chose globaliste dont il se souvenait à peu près de ces petites classes. Pas étonant que les études l'aient saoulé. Qui se préoccupait de ces trucs-là ?! C'était rébarbatif à souhait.
L'image d'une Kubilay au regard condescendant vint lui porter un coup de plus au moral. Putain de rat de bibliothèque. Raaaahhhh même enfermé et loin d'elle, elle continuait de l'énerver !

Il tenta tout de même de reprendre, davantage pour essayer de ne pas passer pour un débile profond que pour réellement l'aider. Les sourcils froncés en signe d'une extrême concentration, Corvus s'était immobilisé, debout, au milieu de sa cellule.

"L'esprit... c'est notre... personnalité, caractère... tout ça.... et aussi un truc de notre âme. Et la magie spirituelle... bah...ça permet d'agir directement sur cette partie, enfin selon le type de sort... Tu lis les pensées, tu modifies les gens..."

Ouais, le seul truc dont il était sur c'est que cette magie lui avait pourri la vie. Entre les lectures des pensées intempestives, la modification de conception et tout, il n'était même pas sur d'être conforme à ce qu'il devrait être si seulement jamais personne n'avait employé ce truc sur lui. C'était frustrant.

"Je comprends pas ce que tu veux savoir..." finit-il par avouer.

 

Le ton de son interlocuteur venait de changer, on était assez brusquement venu à plus de vulgarité et une sorte de provocation dans la voix qui était finement masquée par une sorte de détachement dans les paroles. Si c'était volontaire, Yahn avait peut être là un nouveau partenaire de jeu, dans le cas contraire, il ne l'avait probablement qu'agacer en touchant malgré lui à son égo et sa propre vision de l'existence.

" Je pense plutôt que vous avez sur ce monde bien trop de certitudes quand à ce qui est et ce qui n'est pas. Comment qualifieriez-vous un démon qui n'en est pourtant pas un selon vos critères de cette espèce ? De même, si vous êtes en présence d'une divinité mais qu'elle vous est inconnue, comment la qualifieriez-vous ? Mais si cela peut vous aider, vous pouvez me définir selon le nom de mon peuple. Ishaldi ."
Déclara-t-il d'une voix neutre, laissant l'ouverture pour un éventuel débat.

Puis on en vint un peu plus sur la manière de pensée du jeune homme. Voila qui était intéressant ! Un extrémiste à la vision étroite donc. Les visions de bien ou de mal ne l'atteignent pas vraiment, ce qui est plutôt sage mais il referme le champ des possibilités par la notion de puissance. Pas de bien/mal, mais du fort/faible donc; ce qui revient au même aux yeux de l'Ishaldi.

" Donc il vaut mieux d'après vous que tout les êtres soient au même niveau de puissance et qu'aucun ne sorte du lot ? Comment faire alors le jour où un être, précisément, sort du lot ? En ne cultivant pas la diversité et en ne prenant pas de risque, ne créez vous pas vous-même le risque que vous voulez éviter ?"

C'était plus fort que lui, il fallait qu'il joue de l'esprit ... sa voix se fit même légèrement plus légère, preuve qu'il appréciait ce genre de discussion.

" et puis, comment définir l'écart de puissance dont vous parlez ? par rapport à quoi ? à qui ? Et comment progressez-vous sans être puissant à affronter ou de qui apprendre ? et suivant votre propre logique, devrait-on vous abattre dès lors que vous prendrez trop en puissance ? est-ce le sort qui attend chacun de vos habitants s'il progresse trop ?"

Tant d'ouvertures  dans lesquelles s'engouffrer pour mieux comprendre ce monde; Yahn était reconnaissant de la présence de Corvus, peut importe pourquoi il fut enfermé là.
Son interlocuteur conclu d'un air blasé et agacer ... mince, le jouet était-il déjà cassé ? Yahn soupira légèrement de manière intentionnée, juste pour voir la réaction de l'homme derrière le mur, si toute fois il devait y en avoir une.

On attaqua alors le sujet des paladins. Des fanatiques donc. Une menace plus que certaine que la Reine avait légalisée ... misère, la stupidité de cet être n'avait donc pas de fin ? faisait-elle volontairement en sorte d'affaiblir son pouvoir ? la piste de la spirale de l'échec soulevée par cette réflexion était intéressante et à explorer.
Quand aux paladins, il n'était pas nécessaire de continuer dans cette voie pour le moment.

Le trône, ha le trône, voici qui était bien plus intéressant, mais son jeune interlocuteur était avar sur la question ... il confirma qu'il s'agit bien d'un artefact, unique et emblématique semble-t-il, et le fait qu'il ait lié le trône et les défenses de la cité dans la même phrase laisse présager que les pouvoirs de cet artéfact son défensif en plus de servir d'une sorte d'alimentation magique. l'étudier sera nécessaire.

" Comment peut-on améliorer un artefact existant ? Vos objets ne sont pas figés par l'enchantement qui leur est attribué ?"
Il avait hésité à s'avancer sur les méthodes des puissants objets de son propre monde mais la prudence restait de mise, aussi avait-il diminué l'idée de puissance.

Pour finir, Corvus avait tenté une pitoyable explication de la magie et de l'esprit ... ce qui fit glousser volontairement Yahn qui se ne laissa pas allant longtemps dans cette démonstration afin de ne pas être irrespectueux.

"Pardonnez-moi, je trouvais assez amusant de constater que le capitaine du protectorat comme la Reine de la cité n'avait ni l'un ni l'autre de véritables connaissances sur l'essence même de la magie. Vous me semblez, tous, vous désintéresser du pourquoi, tant que le comment marche.
Si cela peut vous aiguillez, chez moi l'âme et l'esprit sont sensiblement la même chose si ce n'est qu'elles ne sont pas sensibles à la magie de la même manière. L'âme transforme la mana en énergie vitale tandis que l'esprit consomme et génère à la fois la magie brut. Les espèces humanoïdes chez moi sont sensibles à la magie car elles sont constituées à la fois d'une âme et d'un esprit. Le mélange des deux permets la canalisation de la magie telle que vous l'entendez je pense. Les deux courants de magie principaux étant la magie élémentaire et la magie spirituelle. Tout le reste n'en sont que des dérivés. "

Pré-exécution

Tendis que Corvus avait tranché les choses avec un simple "tu te prends trop la tête", le type avait fini par poursuivre en posant plein de questions qui, pour Corvus, n'en étaient que de fausses. Comme d'autres personnes tout aussi arrogantes que lui, il mettait des nuances et se posait des questions qui n'avaient pas lieu d'être dans le but de se mettre en avant. Du moins était-ce ainsi que le blondinet interprétait son attitude. Ca ne voulait pas dire pour autant que cet inconnu n'avait pas des capacités hors du commun - ça pouvait expliquer qu'il se retrouve là -, mais c'était aimer se faire des nœuds au cerveau pour se faire mousser davantage que pour que ça ait la moindre utilité.

"La sémantique a des limites à son utilité, une définition sera toujours limitée et ne pourra que rarement donner la juste appréciation d'une nature quelle qu'elle soit. Démon ou divinité, j'en ai simplement rien à cirer. Quant à mes certitudes, de mon point de vue ça me place d'office en meilleure position que tous les débiles incapables de prendre la moindre décision et qui doutent même de l'existence de leur ombre."

Il n'était cependant pas vraiment honnête envers l'inconnu puisque Corvus n'avait en vérité que peu de certitudes. Les seules qu'il avait étaient cependant implantées en lui aussi profondément que son âme elle-même. Par ailleurs, il avait subi suffisamment de restructuration mentale pour que son esprit soit totalement incohérent sur d'autres points, sans même qu'il ne s'en rende compte.

Corvus retint toutefois le nom du peuple auquel le pseudo dieu de l'ennui disait appartenir. Ishaldi. Un nom qui n'avait rien de divin en soi. Ni de démoniaque, c'était juste un autre peuple. Point. Pas besoin d'en faire une montagne. Mais les gens adoraient brasser de l'air... Kubilay aussi. Si il avait su qu'il finirait comme ça, peut-être qu'il n'aurait pas du se contenter de ne lui voler qu'un baiser. Dommage que ce sale serpent ne finisse pas ses jours à ses côtés sur l'échafaud. Il aurait adorer voir sa tête rouler à côté de la sienne. Enfin tant pis, il faudrait qu'il attende sa prochaine vie pour prendre sa revanche.

Il revint à la conversation à laquelle il avait continué de répondre en mode automatique et soupira longuement.

"Encore une fois, vous tirez les mauvaises conclusions. Les forts écraseront toujours les faibles. Qu'il s'agisse d'une intelligence plus grande, d'une facilité dans un domaine de magie, d'être riche ou juste d'être plus fort physiquement. Mais tant que le fossé en reste un, un faible a toujours la possibilité de le franchir pour se hisser à la mesure du fort ou même d'inverser la tendance s'il s'en donne les moyens. C'est ainsi que fonctionne notre monde. C'est ainsi qu'il s'équilibre, aussi tordu soit-il, c'est ainsi qu'il perdure. Mais si un connard vient foutre en l'air ce fossé en faisant qu'il devienne un abîme infranchissable, il fout en l'air l'équilibre général et dicte sa loi. Drake avait beau être un mage surpuissant, ce n'était qu'un gros ravin à franchir. Alrost, comme la plupart des extraplanaires, n'ont pas leur place ici car leur puissance est telle qu'ils foutent en l'air cet équilibre et, en imposant leur loi par leurs actons insensées, ils suppriment la seule chose intéressante que nos possédons dans ce plan : le libre arbitre. Mais t'en fais pas, tu n'es pas le seul à ne rien comprendre à la logique la plus simple qui soit."

On percevait dans sa voix une grande lassitude. Il prônait en fait une sorte de méritocratie. Pas étonnant qu'il ne se soit pas rebellé conte Drake puisque c'était précisément ça qu'il mettait en place avant de se faire assassiner par un fils de pute d'extraplanaire qui avait permis le règne indolent et profondément injuste de Luthien. Aux yeux de Corvus, il n'y avait pas de meilleur illustration de ce qu'il venait d'exprimer. Ce n'était pas à un diable d'intervenir parce que Drake ne lui plaisait pas, ce monde n'était pas le sien.

Mais peut-être qu'il ne connaissait pas toute l'histoire. Ou peut-être que si... Corvus n'était pas capable de dire de quoi exactement ils avaient parlé, n'y faisant pas totalement attention. L'idée de sa fin prématurée ne l'aidait pas à se concentrer il faut dire et il doutait d'être le genre de personne à accueillir la mort avec dignité.

L'ishaldi lui avait demandé comment définir cet écart de puissance. Encore une définition. Bon sang, ce qu'il était chiant. Lorsque le locataire de la cellule d'à côté émit l'idée qu'on devrait tuer une personne qui deviendrait trop puissante, Corvus resta interdit un instant avant de rire un peu.

"Tout dépend si on parle d'un faible issu de ce monde et qui a joué avec nos règles pour se dépasser, pour s'élever plus haut que nul autre ou s'il s'agit d'une surpuissance par essence. Dans le premier cas, on ne peut que jalouser et apprendre du premier pour s'élever plus haut encore. Dans le second, il n'a rien à foutre ici puisque son essence, sa nature n'est pas en adéquation avec notre monde. Et dans ce cas, il doit être éliminé évidemment."

C'était très exactement son dernier métier en tant que chasseur de démons. Bien que dans les faits il n'en ait tué qu'un seul. L'autre s'était enfui tendis que son acolyte avait coupé un bras à Corvus. Il aurait donné cher pour avoir une autre chance d'affronter celui-là...

La conversation, à son sens, commençait à tourner en rond. Que l'on ne puisse pas comprendre une chose aussi basique, le dépassait et son ton blasé devait assurément transparaitre dans ses réponses. Finalement, il évoqua le Trône sans vraiment y prêter attention, ce qui n'échappa, en revanche, pas à son interlocuteur qui rebondit dessus. Le blondinet prit une seconde pour réfléchir avant de répondre.

"La plupart des objets magiques sont bien figés dans leurs enchantements comme tu dis. Mais certains artéfacts sont conçus pour être évolutifs... Un peu comme les incarnats."

Il songea que ces choses étaient assez rares pour que son interlocuteur puisse ignorer ce dont il s'agissait.

"Les incarnats sont des golems, des objets magiques à forme plus ou moins humaine, capable de se mouvoir, de réfléchir etc. Ils n'ont pas la possibilité de ressentir des émotions, mais, en revanche, sur le plan intellectuel, ils apprennent très vite et ont la capacité de s'adapter aux nouvelles situations. A tel point qu'on peut les confondre avec des vraies personnes. Ils n'en restent pas moins des objets magiques."

Pour lui en tout cas. Tout le monde ne partageait pas sa vision.

"Après, certains façonneurs...euh tu sais, ceux qui fabriquent les objets magiques... bah, on dit que les plus doués d'entre eux peuvent modifier les enchantements existants, voir même les rendre inactifs. Mais, je me rappelle pas en avoir déjà vu à Targatt... enfin... Drake semblait s'y connaitre."

Si Corvus avait déjà croisé une fille masquée dans l'enceinte du palais, il ignorait ce qu'elle foutait là et n'avait pas eu envie de poser la question au Roi.

Finalement, il tenta d'expliquer la magie spirituelle ce qui tira un rire de son interlocuteur. Le blondinet finit par rire un peu avec lui. Il avait l'habitude qu'on le prenne pour un débile et savait que le peu de connaissances qu'il avait pouvaient désarçonner les autres. Même sa tortionnaire avait été surprise d'apprendre qu'il n'avait pour ainsi dire rien étudié de sa vie.

"Pour ce qui est de la Reine, je ne peux rien dire, je pensais qu'elle en savait plus que moi, après tout, elle a été longtemps professeur d'invocation à l'académie de magie. Ca m'étonnerait qu'elle en sache véritablement aussi peu qu'elle vous l'a dit... Ou sinon c'est qu'elle est pire que ce que je pensais. Me concernant du moins... je n'étais pas destiné à dépasser le grade de lieutenant au protectorat... c'est un concours de circonstances qui m'a propulsé à ce poste..." Il n'avait pas l'air très satisfait de sa promotion forcée. "Et je n'ai pas vraiment fait d'études. J'avais d'autres préoccupations plus nécessaires que les élucubrations des érudits. Comme par exemple, boire, manger et m'amuser."

Il n'en avait pas honte. Il détestait le cadre scolaire. Il ne s'y sentait pas à sa place et rester des heures collé à un banc pour écouter des profs parler n'était pas son fort. Et si les exercices pratiques étaient cool, ils n'allaient jamais assez loin à son goût. Il y avait toujours des limites imposées. Non, ça ne lui convenait pas. Par ailleurs, il était persuadé d'en avoir plus appris sur ses capacités et ses pouvoirs par lui-même qu'à l'école.

Corvus avait écouté l'explication de l'ishaldi en fronçant les sourcils de concentration. L'aspect théorique n'avait jamais été son fort. Mais ce qu'il disait lui évoquait de lointains souvenirs. Flous. Trop flous.

"Ouais... c'est quelque chose comme ça ici aussi." conclut-il simplement sans pouvoir l'aiguiller davantage.

Un jeune homme inflexible, bien trop jeune, Yahn pensait pouvoir en découvrir un peu plus, que ce soit sur ce monde ou même sur son interlocuteur, mais la conversation tournait en rond. Peut être était-ce de sa faute, peut-être ne l'avait-il pas suffisamment aiguillonner ... mais cela ne semblait pas opportun; selon doute évidence, il dressait un mur afin de ne pas être bousculer et ne pas avoir à remettre les choses en question. Dommage.

L'Ishaldi le laissa déblatérer ses certitudes avec un silence religieux et se souvint avec nostalgie de son propre monde, de l'époque de sa jeunesse où s'il avait appliquer la même logique que celle de Corvus, ils ne seraient alors tout simplement pas là aujourd'hui pour écouter ce genre d'ineptie... ceux qui ne sont pas natifs de ce monde n'ont rien à y faire ? la bonne blague ! De ce qu'il avait compris de leur histoire et de ce que la reine lui avait raconté, on pouvait dire sans prendre de risque que si ce monde en est là où il est, si leurs espèces disposent de ce niveau sociétal et magique, et si ce jeune homme pouvait tenir ce discours arrogant, c'était précisément grâce au contact des autres plans avec le leur.
Le "libre arbitre" serait d'après lui la seule chose qu'ils possèdent réellement ? et cela serait supprimé par un écart de puissance ?! S'imagine-t-il réellement se soumettre librement à un autre membre de son monde mais il s'y sent contraient quand c'est un externe ?! mais quel enfant ...

Mais la suite était bien plus intéressante, les objets magiques ! Certains sont conçus pour être évolutifs ?! mais quelle formidable idée ! Quelle différence monumentale avec les techniques de son monde ! Si son partenaire vocal avait été dans la même pièce que Yahn, il aurait pu lire l'intérêt dans ses yeux tant la curiosité était grande !
- Nos objets ne sont pas enchantés au même sens que les vôtres; des âmes ou des esprits sont liés aux objets, c'est ce qui leur donne leurs propriétés. Nos objets ne sont donc pas réellement duplicable, chacun est unique et le résultat, bien qu'influencé par le façonneur, n'est pas déterminé à l'avance.

Pour finir, il ne lui appris rien de plus concernant la magie elle-même ... mauvaise pioche, mauvais interlocuteur ...encore.

Mais un son familier mis fin aux réflexion de l'Ishaldi, la porte de l'étage et le bruit de pas lourd des gardes. Deux, seulement deux, ils n'étaient donc pas là pour son colocataire mais pour lui.

- L'elfe semble tenir parole...

Les deux gardes s'arrêtèrent effectivement devant son cachot et vérifièrent la présence non hostile de Yahn par le regard de la porte avant d'ouvrir cette dernière. Ils lui ordonnèrent de se lever et de les suivre, comme à l'accoutumée, il commençait à s'y habituer. Sans geste brusque et avec une expression neutre, il se leva et vint calmement se positionner entre eux tel une chorégraphie minutieusement répétée . Une obéissance appréciée des deux gardes qui, au bout de la troisième fois maintenant, semblait un peu moins agressif. Mais à peine avaient-ils fait quelques pas que Yahn se stoppa net devant le cachot de Corvus, son visage à la hauteur du regard de la porte afin d'essayer d'apercevoir le jeune homme dans sa cellule.
Le garde dans son dos le poussa du bras au niveau de l'épaule pour le forcer à avancer, mais Yahn se déroba, enroula son bras autours de celui du garde et passa souplement par dessous son aisselle, lui appliquant ainsi une clef de bras. Sans s'arrêter, il continua son mouvement de rotation en prenant souplement appuie de sa main gauche sur l'épaule valide du garde afin de passer par dessus en envoyant sa jambe au niveau du visage du geôlier de devant provoquant un choc double entre l'impact et celui de sa tête contre le mur bien trop proche pour sa santé... Il avait lâché le bras tordu du premier au moment de basculer son corps par dessus son épaule afin d'éviter de lui lui briser; après tout, il allait déjà se fait sermonner par la Reine pour avoir résister aux gardes, autant éviter d'être sévèrement puni pour les avoir blesser. Quand il réattérit souplement au sol, le premier garde commençait à dégainer sa lame par réflexe alors qu'il n'était pas encore totalement relevé de la courbure forcée appliquée par son prisonnier,  mais Yahn bloqua sa main sur le pommeau et vint appliquer une poussée de sa main droite sur la tête de son adversaire en visage le loquet métallique de la porte du cachot de Corvus. L'impact sonore entre le casque et le loquet suffirait à étourdir le garde quelques légères secondes.
Aussitôt fait, Yahn repositionna son visage à hauteur du regard de la porte et s'adressa au captif :

- Vous ne faîtes que trouver des excuses à votre faiblesse. Un fossé à franchir n'est qu'une affaire d'effort, accessible à n'importe qui. Un abîme est la seule chose réellement intéressante car il vous force à vous transcender, à changer, ou faillir.

Puis il finit avec un petit sourire innocent

- merci

Trois secondes, les gardes allaient reprendre leurs esprits, l'Ishaldi se mit à genoux, les mains derrière la tête, prêt à recevoir sa correction pour sa petite transgression tout en maintenant un petit sourire en coin

- nous pouvons y aller messieurs.

Les deux gardes, le regard mauvais, ne se firent pas prier et le rossèrent comme il se devait ! Puis ils lui passèrent des chaines et l'emmenèrent ainsi.