Un Livre commence par des rencontres

Un livre commence

Cephas avait, comme d’ordinaire, eu du mal à se coucher la veille. Il avait beau être un prêtre, peu de personnes se doutaient à quel point cela pouvait parfois être fatiguant. Surtout quand le dieu en question avait la fâcheuse manie de surcharger l’esprit d’idées et de projets en tout genre pour redonner à ce temple toute son envergure d’antan.

Le haut-prêtre n’avait pu trouver le sommeil qu’au petit matin, après avoir couché sur un parchemin scellé par ses soins, les ébauches de ses plans pour le futur du temple. Il avait probablement raté l’office du matin mais n’en avait pas vraiment cure. Mieux valait jouer les absents que donner un office à peine potable. Du moins était-ce ainsi qu’il le prenait. L’homme n’était pas du genre à s’en faire facilement. Plutôt enthousiaste, il prenait la plupart des choses du bon côté. Aussi, malgré la fatigue latente de cette fin de matinée, il arborait malgré tout un sourire rêveur en déambulant dans le temple.

Il tendit la main pour ouvrir la porte de l’alcôve dédiée à Jaben et sourit en ressentant la présence d’une personne. En entrant, il découvrit une femme d’apparence jeune, une beauté presque diaphane bien que son regard tranche avec le blanc de ses cheveux, tout comme son apparente jeunesse d’ailleurs. Toutefois, l’aura, notamment, trahissait les années passées tout comme sa nature. Toutefois, à en juger par la statuette de bois ancien et imprégnée de magie divine qu’elle tenait entre ses mains, la curiosité ne l’avait pas quitté. Pendant un instant, il se demanda si elle n’était pas une complice de Kira, la prêtresse de Björ qui avait la fâcheuse manie de ramener des armées de mort à la vie. Mais il éluda la question. Leurs auras n’émettaient pas la même tonalité donc, pour l’instant, peu lui importait.

« Statuette d’ébène de 25 centimètres de haut à l’effigie de ce que l’on suppose être le dieu Jaben. Figurine qui aurait été taillée il y a 400 ans de cela dans le bois d’un arbre situé aux confluents du Phlégéthon et du Léthée, d’après les légendes locales du moins. »

Le haut-prêtre n’avait pas modifié son apparence pour une fois, se contentant d’être lui-même. Il se présentait donc comme un homme portant une longue toge quelque peu usée par les voyages de couleur bleue nuit, surmontée de pans violacées tandis que les coutures étaient quant à elle =s tantôt faites au fil doré, tantôt au fil d’argent. Sa tignasse épaisse brune laissait quant à elle apparaitre les marques du temps par une mèche blanche, de même que sur son visage avec des rides qui se voyaient encore davantage alors qu’il souriait avec bienveillance à l’inconnue. Toutefois, il n’avait rien d’un vieillard, et, au contraire, avait une carrure plutôt musclée, une chose étrange pour certaines prêtrises et c’était bien le cas ici. Le plus étonnant d’ailleurs restait ses iris multicolores dont les tons semblaient danser dans son regard. Enfin, comme tout prêtre se respectant, le symbole de Jaben retombait sur sa poitrine en un pendentif des plus soignés mais là encore, pas des plus récents.

Il s’approcha de la femme en continuant son histoire du même ton calme mais enthousiaste que précédemment.

« On raconte qu’elle aurait le pouvoir de transmettre toute la connaissance du dieu à la personne qui en ferait sincèrement la demande et qu’il trouverait digne. »

Cephas se mit à rire doucement dans sa barbe en imaginant la somme astronomique que cela devait représenter. A moins d’un miracle, il doutait qu’un esprit quelconque soit capable d’assimiler une si grande connaissance. Ce qui ne l’empêchait pas d’ardemment la désirer. Il s’interrompit finalement et inclina la tête.

« J'en oublies les bonnes manières. Vous pouvez m’appeler Cephas, prêtre officiant. »

Il n’avait pas posé de questions, les années lui avait appris qu’il n’était pas toujours nécessaire de le faire, et que les personnes appréciaient aussi le fait de pouvoir s’exprimer selon leur bon vouloir, et quand elles le souhaitaient. Il n’était pas rares que certaines ignorent ce qu’elles étaient venues chercher en un tel lieu et il était parfois plus intéressant de les laisser se questionner un temps, seules, face à elles-mêmes que de les interrompre avec de vains palabres ésotériques.

Ainsi, à moins qu’Aleas ne prenne à son tour la parole, Cephas, dans un premier temps, la laisserait à ses pensées et se contenterait de d’adresser quelques prières à Jaben, notamment afin qu’il lui permette de restaurer davantage ses forces, affermir sa volonté et aiguiser son intellect en vue des travaux à venir qu’il aurait à mener.

Un livre commence

Le prête se permit un sourire amusé lorsque la personne tiqua sur l'emploi du verbe "supposer".

"N'est-ce pas plutôt parce que c'est un lieu de foi que l'on peut se permettre de supposer, de douter et d'espérer ?"

Il continua d'observer la statuette avant que son regard ne passe sur les autres objets du lieu. Peu d’entre eux étaient réellement précieux en vérité, hormis pour leur valeur historique évidemment. Les prêtres vivaient principalement de la charité, ce qui expliquait que leurs temples soient rarement fait d'or et d'argent. Quoi qu'il en soit, Cephas revint au présent et considéra avec douceur l'inconnue.

"Je concède qu'à l'origine de chaque mythe il y ait du vrai. Toutefois, n'est-il pas plus logique et sain de prendre les mythes et légendes pour ce qu'ils sont afin d'éviter des biais cognitifs tout comme pour éviter un fanatisme qui nuirait aux fidèles autant qu'aux prêtres et à la divinité elle-même ?"

C'était une véritable réflexion en fait. D'après sa propre expérience, donner une valeur réelle à toute histoire religieuse était dangereux. Il était avéré que les dieux existaient bel et bien. La preuve n'étant rien d'autre que les pouvoirs qu'ils acceptaient de conférer à leurs prêtres. Toutefois, si certains cultes appréciaient de créer des fanatiques, ces hommes qui avaient refusé d'utiliser leur sens logique et rationnel, pour ne se fier qu'aux contes pour enfant et aux histoires les plus abracadabrantesques. Ils partaient du postulat que si les dieux existaient, les histoires véhiculées étaient toutes aussi réelles. C'était une erreur classique. Les dieux étaient immuables et millénaires. La plupart des histoires, contes, et récits en tout genre qui avaient été transmis aux mortels de cette temporalité était tout aussi vieux et avait donc largement eu le temps de s'en retrouver déformé, interprété. La preuve en étant que l'on trouvait plusieurs versions d'une même histoire selon les régions du monde, bien qu'elle soit attribuée au même dieu. Les prêtres, notamment, avaient fait leur office et retranscris les histoires pour correspondre davantage à leurs besoins du moment, notamment afin de guider les fidèles. Ils employaient alors la version qui serait la plus parlante. Un esprit querelleur pourrait voir en cela ni plus ni moins que de la manipulation. Pour Cephas, il s'agissait plutôt du même soucis qu'il y avait avec le bouche à oreilles et les rumeurs en tout genre. Si elles avaient toutes bien une origine réelle, ce qui en découlait et l'ampleur qu'elles avaient au final dépendait surtout du bon vouloir de ceux qui se les appropriaient.
C'était dommage mais naturel.

Finalement, la personne se tourna vers lui pour énoncer sa propre vision de l'importance du parcours menant à l'assimilation d'une connaissance. Les yeux du prêtre se mirent à pétiller, trop heureux de pouvoir débattre, ou plutôt, puisqu'il partageait partiellement son avis, de pouvoir communiquer avec quelqu'un qui se questionnait.

"Certains chérissent davantage une connaissance brute qui leur permet de comprendre l'intrication qu'elle pourrait avoir avec toutes les autres. Cela leur permet de percer le voile de la réalité. Le chemin pour parvenir à appréhender pleinement un tel niveau de connaissance demande plus d'une vie d'homme et pourrait décourager ceux qui visent davantage à jouer avec les intrications globales et universelles. Tendis que d'autres, comme vous a priori, jugez que le véritable attrait réside dans la curiosité pour le sujet de recherche et la succession de découvertes qui auront permis d'en arriver à cette connaissance fine."

Cephas sourit de plus belle tout en écartant les bras de lui. Il ouvrit la main dans le creux de laquelle une paire d'yeux d'un blanc immaculé prirent forme.

"Pour Jaben, ceux dont vous parlez, qui chérissent le voyage autant que la découverte sont ceux que l'on appelle les Intuitionnistes. Ce sont ceux qui expérimentent, déduisent à partir de faits, se documentent et poussent les connaissances dans un domaine plus loin qu'elles ne l'étaient alors."

Dans l'autre main, une paire d'yeux cette fois-ci d'un bleu profond apparurent.

"Ceux qui préfèrent mettre en commun des connaissances déjà établies sont davantage dans l'imagination ce qui leur permet d'avoir une autre vision, une autre approche des découvertes et connaissances déjà effectuées par les premiers. Ces érudits vont étudier avec minutie les éléments en leur possession pour percer les règles naturelles ou magiques qui les régissent. Ce sont ceux qui, plus encore que les intuitionnistes, vont être capables de déconstruire la réalité pour la refondre selon leur volonté en utilisant d'une manière inédite les failles des règles naturelles ou magiques de sorte à pouvoir, plus ou moins, les réécrire à leur guise. Ceux érudits se préoccupent davantage des applications possible des connaissances déjà acquises. Ce sont de grands optimisateurs et bien souvent, des stratèges hors pairs. Jaben les a nommé les Concepteurs."

Les lueurs dans ses mains s'amplifièrent tendis que le regard du haut-prêtre trahissait un enthousiasme non dissimulé, visiblement trop heureux de pouvoir discuter véritablement de choses attenantes à son culte.

"Jaben nous apprend que ces deux profils d'érudits sont essentiels et complémentaires. C'est grâce à ces deux faces que notre monde évolue et que notre vision s'élargit. Qu'il s'agisse de revoir ce que l'on croyait de notre propre condition ou de choses plus complexes telles que les fondements des réseaux telluriques, des plans et de l'équilibre nécessaire pour faire tenir tout cela un en tout aussi unique que fragile."

Cephas mima ses propos en joignant les mains. Lorsqu'il les écarta de nouveau, il n'y avait plus qu'une seule paire d'yeux dont lueur était devenue violacée, rappelant évidemment le symbole même de Jaben.

"Comme souvent, les uns ne comprennent pas les autres. Les nobles ne comprennent pas les fermiers, et vice-versa. Pour autant, les deux sont essentiels l'un à l'autre. Les nobles assurent la protection tendis que les fermiers assurent que tous aient de quoi se nourrir. Aussi, je ne jugerai pas les choses de manière aussi sévère que vous le faites."

Le prêtre n'avait pas encore répondu à l'interrogation concernant ses yeux. Ce n'était pas la première fois qu'il faisait l'objet de ce genre de question qui étaient aussi communes que normales.

"Mon seigneur et maître a jugé bon de me confier une vision naturelle capable de voir toute magie. Pour moi qui suis né dépourvu du moindre don, ces yeux m'émerveillent chaque jour davantage."

Il s'agissait ni plus ni moins d'une variation du sort de vision lucide avec un effet permanent et plus étendu, ou plutôt... un regard plus perçant et minutieux. Pour autant, cette vision n'avait rien de magique. En effet, ses yeux avaient subi une métamorphose. En général il ne l'ébruitait pas. Mais il ne le cachait pas non plus.

Finalement, la femme se présenta bien comme une créature de la nuit membre du nid de vampire qui avait pignon sur rue à Targatt. Bibliothécaire ? Ca expliquait beaucoup de choses. Cephas lui adressa un signe de tête respectueux à l'évocation de son nom qu'il se promit de retenir pour l'avenir. Le fait qu'elle se présente comme un mage "lambda" le fit sourire, amusé. Il ne lui avait que peu parler mais d'après lui elle n'avait pas grand chose d'un mage lambda... Si ce n'était effectivement son manque de foi sans doute.

Elle finit par mentionner que, d'après sa propre croyance, selon lesquels les membres du clergé rattachés  à Jaben devraient avoir des connaissances spécifiques qu'elle n'avait pas trouvé autrement.
Ha... Ca devenait encore plus intéressant, d'autant plus qu'elle proposait un partage mutuel. Or, ça tombait plutôt bien puisqu'il avait besoin d'informations relatives à la constitution de Targatt notamment, et des évènements récents. Comprendre la magie -antique assurément- à l’œuvre en ce lieux et les épreuves qu'avaient du subir les bonnes gens de cette cité lui permettrait d'intervenir à bon escient et réimplanter comme il se devait le temple hayiliste.
Cela pouvait donc, théoriquement, l'intéresser. Du moins, tout dépendrait de ce qu'elle souhaitait apprendre.

"Jaben encourage toute forme de curiosité et la découverte de toute forme de connaissance. Je serai donc ravi de pouvoir vous aider, si toutefois je dispose des connaissances que vous recherchez. A défaut, vous assistez me procurerait une grande joie."

C'était plus fort que lui, il adorait chercher et découvrir. Si bien d'ailleurs que les siens, les autres prêtres de Jaben, le prenaient pour un intuitionniste. Or, si il avait effectivement un goût prononcé pour le voyage, il cherchait tout de même, ultérieurement, une forme d'optimisation qu'il gardait bien souvent pour lui, à défaut de pouvoir partager ses recherches avec quelqu'un d'aussi enthousiaste que lui.

"Vous avez piqué ma curiosité. Quelle connaissance pourrait échapper à la grande bibliothèque de Targatt dont on dit qu'elle serait la troisième la plus fournie sur ce plan ? "

Il n'en parlerait pas tout de suite, ni d'ailleurs sans nécessité, mais évidemment, il savait que tout le monde n'était pas fait pour tomber sur n'importe quelle connaissance. Chez les personnes inadéquates, cela pouvait engendrer de terribles évènements. Aussi, à bon ou à mauvais escient, Cephas se gardait le droit de jauger des intentions de la personne à la recherche de connaissances afin de ne pas nuire au plus grand nombre, ou rompre l'équilibre de la Création.