Danser comme un loup [PV Garreth/Valeriana]

Je suis un étranger, et je resterais un étranger.

Targatt n'était pas ma ville. Je n'y suis pas né, je n'ai pas grandis dedans...et je n'étais pas destiné à y rester. Je pourrais, pourtant. Je suis sûr que de nombreux élèves de l'académie, peu importe d'où ils venaient, ont décidé de s'installer ici. Certains ne pouvaient pas à cause d'obligations familiales, mais je n'en avais pas. Mon statut de fils adoptif me laissait libre, contrairement à mon frère ou ma sœur qui étaient des héritiers direct des responsabilités de mon père. Si je le voulais, je pourrais trouver ma vie, ma place en cette cité.

Mais que m'a offert cet endroit, si ce n'est du danger, de la peine, des risques...Et ce sentiment, toujours présent, d'être un inconnu en cet endroit, de ne pas être à ma place. J'étais un élève de l'académie, et j'avais autant de légitimité à être là qu'un autre. Et pourtant, je ressentais que j'étais perçu différemment. Comme un cas particulier, étrange, qui soit attirait les mauvais regards, soit faisait s'éloigner les gens de moi. Je me suis demandé pendant un temps si je ne devais pas réécrire à père. Lui demander si je pouvais retourner sur nos terres, une fois mes études terminé. J'avais appris à utiliser une bonne partie de mon potentiel ici, et quand je me sentirais prêt, que je pourrais retourner au bercail...Mais malheureusement, est-ce que c'était mieux de rentrer ? Malgré l'amour de ma famille, personne au château, ni dans les alentours, ne m'appréciait de part ma nature de lycan. Vingt deux ans avaient beau s'être écoulé depuis l'affaire du massacre, j'étais encore considéré comme coupable d'être une créature bonne à mettre au bûcher.

Je broyais du noir...peut-être un peu trop...

Je réalisais cela, alors que j'avais passé plusieurs heures dans la cour intérieur de l'académie, à regarder le ciel. Je soupirais. J'avais beau essayer de penser à autre chose, j'avais du mal à rester positif. Peut-être que je devais sortir de l'académie pour la journée. Il n'y avait pas de cours aujourd'hui, alors pourquoi pas se promener ? Quitter les mêmes couloirs que je traversais nuits et jour ?

D'un pas assez lent, ma canne en main, j'avançais vers la sortie de l'académie. J'avais entendu parler d'une taverne plutôt agréable au quartier Tamarang. Le quartier en lui-même...On m'avait prévenu de ne pas y rester trop longtemps, et surtout pas la nuit. Apparemment c'était l'endroit rêvé pour les activités douteuses, les enlèvements...Mais tant que je restais dans les coins avec du monde, et que je ne faisais pas n'importe quoi, ça devrait aller. Et puis vu ma légère paranoïa, et la présence d'un détecteur de menace constante dans ma tête (appelé plus communément « loup » ), je pense qu'il serait dur de m'agresser ou me faire quoi que ce soit sans que je ne m'en rende compte avant, et anticiper.

Alors que je me promenais, je remarquais que l'endroit était en effet assez beau. Dans le quartier commercial, de belles enseignes étaient désignées chacune de façon différentes, décorés avec style. Je faisais quelque détours dans les parcs, prenant un peu plus longtemps pour profiter un peu de ces espaces vert où j'étais déjà un peu plus seul. Mais je restais prudent quoi qu'il arrive. Alors que je me promenais dans un des parcs, je levais la tête vers une bâtisse qui y faisait directement face. Justement, voilà la fameuse taverne. On m'en avait parlé pour la belle vue qu'elle avait : cet endroit faisant directement face au parc, laissait les clients admirer un peu la vue part de grandes fenêtres, éclairant bien l'intérieur par la même occasion. Je n'étais pas tant habitué que ça aux tavernes, mais...J'allais faire un effort, pour cette fois. Sortant du parc, je prenais la petite rue vers l'entrée, et ouvrit la porte. Une serveuse me remarqua et vint immédiatement me proposer une place vers une table assez petite, pour deux. L'endroit était assez plein, et je comprenais pourquoi : une plate forme de bois, des rideaux rouges...Il y avait un endroit où performer. Quelque musiciens étaient déjà en train de faire de la musique, pas si désagréable que ça. Je m'asseyais, regardant un peu les gens autour de moi. Il s'agissait d'une taverne plutôt réputée, et ça se voyait au statut social plutôt bourgeois des gens qui s'y trouvaient. Je tentais cependant de ne pas être plus indiscret que ça. Je commandais du cidre, et profitais un peu de la musique en regardant l’extérieur. C'était plutôt agréable...Au moins ça changeait de ce que je faisais d'habitude, lorsqu'il n'y avait pas de cours.

Les musiciens avaient terminé leur morceau, et j'entendais des applaudissements. Attiré par le bruit, je jetais un nouveau regard vers la scène, et vit une jeune femme, aux habits rouge, légers et fin, s'y mettre. Une danseuse, sûrement. Elle avait un certain charme indéniable, qui pouvait facilement la démarquer du reste des gens dans la taverne. Ce devait être l'effet de la scène, et les habits, mais je préférais penser qu'il faut une certaine prestance, un «je ne sais quoi » pour se proclamer danseur, un charisme naturel. De quoi attirer les regards. Et elle en attirait beaucoup, le miens inclus.

Je ne m'étais jamais intéressé à la danse auparavant. Ma sœur et mon frère avait appris quelque pas de danse de cour, de quoi être utilisé lors de bal importants, mais le mouvement du corps, les danses plus exotiques ou expressives, je n'avais jamais eu l'occasion d'en voir où d'y porter un intérêt. Et vu comment j'ai grandis avec une jambe en moins, je n'étais pas prêt à apprendre non plus à danser. La musique commençait...J'étais curieux de voir ce que ça allait donner. Même le loup, très réceptif à la musique, était calme et concentré, regardant la scène.

- Mesdames et messieurs bonsoir ! Vous ne le savez pas encore, mais vous chanceux d'être ici même en ce moment particulier. Et oui ! Vous allez êtres les premiers a voir un spectacle qui n'avait encore jamais été fait nul par ailleurs. Et je vois bien que certains d'entre vous semble déjà septique. Effectivement, les Itsumiens on déjà danser avec des épées émousser comme s'il s'agissait d'un simple éventail inoffensif. Sauf que ce soir, certaines choses seront différentes. Vous monsieur, pourriez-vous examiner cette lame et affirmer que c'est bel et bien un authentique sabre s'il vous plait.

C'était donc bel et bien une danseuse qui allait faire une performance sur scène. Je n'avais pas vu tant de danseur que ça et j'étais curieux. D'autant plus qu’apparemment, cette performance était spéciale, unique ? C'était peut être une façon de se mettre en valeur. Quant bien même, ça resterait sûrement une première pour moi. Je haussais un sourcil alors qu'elle parlait d'une arme...Et même pas émoussée ? Voilà qui était encore plus intriguant. Elle tenait l'arme dans la main, et un bandeau dans l'autre.

- Elle dit vrai, ce sabre est ce qui a de plus réel et j'ajouterais même qu'il est parfaitement affûté.

C'était donc une vraie arme...Elle allait se bander les yeux, et manipuler une arme affûtée devant la foule ? Ça paraissait dangereux, mais en tant que danseur, on avait intérêt à avoir un parfait contrôle de son corps. Elle savait ce qu'elle faisait, donc ce n'était pas inquiétant.

Elle se mit à danser.

Je voyais son corps se mouvoir, onduler, avec la grâce d'une vague. Je regardais chacun de ses mouvements avec un grand intérêt. Je n'avais jamais réalisé que l'on pouvait avoir un tel contrôle de ses gestes, de son corps, ses mouvements...Elle tournoyait sa lame, avec la même agilité que ses bras, ses jambes, son ventre...aucun mouvement de trop, ni de travers, une harmonie entre elle et l'espace. Et moi qui me serait déjà mangé le sol, le bandeau dans les yeux.

J'étais fasciné, ne loupant pas une seule seconde de la scène qui se déroulait devant mes yeux. Je fus des plus impressionnés lorsque toute une partie de sa danse se faisait, l'épée sur sa tête. Son corps bougeait dans l'espace avec une grâce déconcertante, mais l'épée, elle, tenait...Elle tenait sur sa tête, alors qu'elle était posée sur la tranche. C'était phénoménal, spectaculaire !

Je n'étais clairement pas déçu par la performance. Je n'avais que rarement fait attention à la danse, qui était un art pourtant magnifique. Un lien solide entre soi et le monde autour de soi, ainsi que son corps et son esprit. Je me souviens de personnes qui parlaient d'une pratique entre la méditation et la transe, qui était très proche de la danse. J'irais voir si la bibliothèque de l'académie n'a pas des ouvrages qui porte là dessus.

C'est étrange....

Le loup, jusque là tout aussi intéressé que moi, m'interpellais au fond de mon esprit.

Je ressens une forme en elle...une nature enfouie s'exprime à travers elle...elle est...

….Je crois qu'elle est des nôtres.

Je fronçais un moment les sourcils, me demandant ce qu'il voulait dire.

….Une des nôtres...une lycane ?
Mon cœur rata un battement, l'espace d'un instant, et j'écarquillais les yeux. Une lycane...Peut-être que mon pouvoir avait détecté sa nature d'ici. Est-ce que c'en était une ? Mon esprit pouvait me jouer des tours, mais d'un autre côté, mon loup était assez perspicace à propos de la nature des gens, sans parler de mon pouvoir personnel. Je n'avais jamais rencontré d'autre lycans avant ça. Ils semblaient être une espèce assez rare, d'autant plus qu'elle était discrète. Il était possible de voir les attributs des races comme les elfes et les vampires, mais les lycans étaient des bêtes cachées dans la peau des hommes. Peut-être que j'en avais rencontré certains ne serait-ce qu'en marchant dans les rues, sans le réaliser.

J'ai toujours été la petite exception, là où je vivais. Le seul lycan, la petite tâche dans la vie de perfection des autres. ça...faisait bizarre de se rappeler que je n'étais pas le seul de mon espèce. Moi qui pensait que j'allais en trouver beaucoup ici... J'étais tellement perdu dans mes pensées que j'avais loupé la fin de la danse. Tout le monde commençait à se lever, et la couvrir d'applaudissement chaleureux et de cri. Ce ne fut pas mon cas. Je la regardais intensément, me demandant où elle allait partir. J'avais...je voulais...je devais lui parler.

Elle quitta la scène, une fois l'épée reposée et le bandeau retiré, et passait par des petits escaliers sur le côté. Elle s'approcha du comptoir. On dirait qu'elle voulait commander quelque chose. C'était peut-être ma chance. Prenant mon bâton en main, je quittais ma table et m'approcha lentement de la femme. Alors que je n'étais plus qu'à quelque mètres d'elle, je réalisais que peut-être je faisais une erreur. Elle devait être habituée aux fans voulant lui parler, où à des hommes lourdingues voulant lui faire des avances déplacées. Au mieux, j'aurais l'air d'un jeune amateur fasciné, mais un peu dérangeant, et au pire d'un dragueur peu charmant et qu'elle irait renvoyer voir ailleurs. J'hésitais à m'approcher...mais maintenant que j'y étais, il fallait que je continue.

Je me mettais à côté d'elle au comptoir, évitant le contact ou d'être trop proche, de peur qu'elle se brusque.

-E-excusez moi de vous déranger, je...

Comment le dire...ça semblait plus compliqué que prévu.

-Je voulais juste dire que...que je n'avais jamais croisé d'autre personnes comme nous...

Je me sentais stupide. Peut-être que j'avais l'air bizarre, à faire ça. Peut-être que les lycans étaient tellement habitués à vivre ensemble, où à se connaître, que j'avais l'air d'être un cas social perturbant. Moi qui pensait être capable de me montrer éloquent et sûr de moi, j'avais l'impression de passer pour un gamin timide qui ne savait pas lui-même ce qu'il voulait.

En guise de preuve, et pour mieux me faire comprendre, mon oeil droit se mit à changer de forme et de couleur. La pupille ronde, au bleu profond, se changea en une amande dorée très typique des lupins.

-Je l'ai ressentis dans vos actions, dans votre âme, que...Que vous en étiez un.

La femme me fit un sourire. C'est un bon début, c'est bien les sourires ! Elle n’avait pas prise peur, ne semblait pas (trop) perturbée, ni dérangée...Elle semblait débordante de confiance et de bonne humeur. J'ai du m'inquiéter pour rien. Elle avait l'air fort sympathique. Elle se leva de sa chaise, pour prendre celui à côté de moi, rapprochant l'espace qui nous réparait.

- Ouais, je suis bien une lycane. Tu peux dire ce mot sans avoir peur de représailles tu sais. Et si tu n'as jamais rencontrer d'autre lycans c'est parce qu'ils ont presque tous quitté la ville pour s'installer dans la forêt dans le village des Vinrod. Un clan de lycan. En vrai, avant de te voir, j'étais sûr qu'il n'y avait plus aucun lycan en ville. D'ailleurs moi c'est Valeriana Silène Vinrod enchantée.


Je réalisais que je n'avais effectivement pas dis le mot 'lycan'. Ce n'était même pas ma volonté d'éviter de dire ce mot, du moins, pas consciemment. Je commençais à me demander si je n'avais pas pris des mauvaises habitudes de mon passé. Mon existence avait été jusque là tabou parmi les humains, quelque chose dont je ne devais pas ressentir de honte, mais pas de fierté non plus. Quelque chose qui fâchait les amis de mon père, parfois même les employés du château. C'était l'une de ces fameuses pressions sociales qui se faisaient passer pour des règles : rien ne m'interdisait de m'assumer en lycan, mais en faisant ça, les gens avaient encore plus de rancœur et de dégoût à mon égard. C'est parfois tellement stupide...Même lorsqu'on est libre et légitime de nos choix et nos actions, les autres trouvent toujours des moyens implacable de nous entraver...

Vinrod...Le fameux clan des lycans. Je me disais bien que j'avais entendu ce nom quelque part. J'aurais espéré pouvoir en rencontrer un plus tôt, mais j'ai été tellement pris par l'académie, par Cain, par tout ce qui s'était passé...et pendant que j'avais le dos tourné, ils sont effectivement partis. Au moins, certains traînaient encore en ville, comme elle. Je n'étais pas si seul que ça finalement.

Elle me tendis la main, d'une façon assez chaleureuse. Je lui souriais en retour, un peu plus détendu que plus tôt, et pris sa main dans la mienne, la serrant. Elle avait une sacrée poigne !

-Eh bien, enchanté Valerianna. Je suis Garreth Doreagan. J'étudie à l'académie.

Vu qu'elle tenait le nom des Vinrod, je supposais qu'elle vivait aussi parmi eux. Peut-être que c'était l'occasion de lui poser des questions. Pour la première fois, je faisais face à quelqu'un comme moi. Cela faisait bizarre. Je me sentais unique, mais dans un mauvais sens, comme une vilaine tache de vin sur un drap blanc. Mais cette impression s'effaçait un petit peu au fur et à mesure que le temps passait. Ça...faisait du bien de ne pas être une exception, pour une fois.

-Je comprend mieux pourquoi je n'en ai croisé aucun depuis que je suis arrivé ici.

Enfin, c'était à moitié vrai. J'avais pu faire face à une version cloné du chef des Vinrod, il y a un moment déjà. C'était lorsqu'un des anciens professeurs de l'académie voulait me faire une leçon sur l'harmonie avec mon loup, et il m'avait appris ça d'une façon très...violente, on va dire.

-Vous êtes la première que je croise de ma vie. C'est...Rassurant, d'une certaine façon.

-Vous prendrez quelque chose ?

Je fus interrompu dans mon flot de pensée par le responsable du bar, et je lui fis un bref non de la tête, suivis d'un sourire. Il haussa les épaules, et se contenta de repartir à ses affaires. Me concentrant à nouveau sur Val, je me demandais si je ne paraissais pas un peu gênant de parler de tout ça. J'avais des questions sur les Vinrod, les lycans de Targatt en général, mais Mieux valait peut-être se familiariser un peu plus avec elle, la mettre en confiance.

-Vous gagnez votre pain en tant que danseur, donc ? Ça doit être un métier assez stimulant.