Invitation à la promenade (PV Constanza)

Lùthien attendait à cheval avec son escorte à la porte nord de la cité. Elle avait prévu de passer la journée à arpenter la vallée d'Helmancourt pour inspecter les terres, et avait proposé à Constanza de se joindre à elle. La Reine n'avait pas passé autant de temps qu'elle l'aurait souhaité avec sa pupille de la Vice-Royauté depuis l'attaque des démons. Leurs échanges s'étaient résumés à de brèves entrevues pendant lesquelles le ton était resté assez formel et Lùthien voulait apprendre à connaître cette jeune fille de façon un peu plus personnelle.
Son emploi du temps était malheureusement toujours aussi chargé, la Reine avait choisi d'organiser ce bal qui devait marquer un peu plus formellement le début de son règne. Ce qui avait été un succès plutôt modéré étant donné l'incident qui avait perturbé l'événement. Et puis il avait fallu consolider l'organisation du le gouvernement, mettre en place les nouvelles procédures liées au sénat, remettre de l'ordre dans la cité avec l'aide des troupes de la vice-royauté, et ce tout en supervisant la reconstruction des quartiers détruits. Il n'y avait donc pas de quoi chômer.

Reprendre contact avec la situation de la vallée était l'objectif suivant que s'était donné la souveraine. Et elle pensait que partager ce moment avec Constanza était un bon moyen de passer du temps avec elle tout en l'initiant aux problématiques de gestion des terres. Elle l'avait donc invitée à la rejoindre ce jour là et une escorte était allée la chercher de bon matin à l'académie avec un cheval sellée pour elle.

La journée s'annonçait plutôt sportive mais la tenue de la reine n'en était pas moins soignée. Cela était moins du fait de Lùthien elle-même - qui préférait la praticité à l'esthétique - que de son entourage, notamment de Saéline et de son armée de femmes de chambres. Mais la Reine devait bien admettre qu'elle était une personne publique et qu'elle devait soigner son image en conséquence. Ses cheveux tressés de fleurs fraîches, elle portait donc une robe verte brodée de blanc et or et montait une jument gris pommelée richement harnachée aux couleurs assorties.
Voyant finalement arriver Constanza, la Reine l'accueillit avec le sourire.

- Bonjour Constanza, j'espère que ce départ n'est pas trop matinal pour vous. Je suis navrée de ne pas avoir eu plus de temps à vous consacrer jusqu'ici, j'espère y remédier à l'avenir. Comment se passe votre entrée à l'académie ?

Il était tôt ce jour là. Mais cela n'était pas la chose qui me surprenait le plus. j'avais l'habitude de me lever aussi tout pour m'entraîner et par habitude. Même si la vie à l'Académie n'était pas aussi disciplinée et rigoureuse qu'au sein d'une des phalanges de la Horde Noire ou aux côté de la tante à la tête de la Grande Armée, je continuais à vivre comme à cette époque. Après tout, tant que ma tante n'aurait pas eu d'héritier, je restais celle qui devais assurer cette place. Je ne pouvais donc me laisser aller, au risque de briser ce qui fait la force de la branche hésandrine de la famille Schlacht.

Ce qui dénotait avec les autres jours était le fait que je fus réveillé par les mêmes femmes de chambre qui m'avait habillé lors du bal. J'aurai dû me douter d'une part qu'elles étaient mage, sinon elles n'auraient jamais pu entrer à Targatt. J'aurai aussi dû me douter qu'après avoir dit à ma tante la veille que la Reine m'avait inviter à l'accompagner pendant sa visite de la Vallée d'Helmancourt, elle continuerait le même jeu  d'image que lors du bal.

Je n'avais pas pris le temps de demander comment les femmes de chambres étaient parvenues à entrer dans l'Académie. Ma tante avait dû l'expliquer au directeur ou quelque chose de la sorte. Tandis qu'une s'attelait à attacher mes longs cheveux émeraude en plusieurs tresses, de la racine des cheveux jusqu'à leurs extrémités à la pointe desquels elle accrochait un petit bijou en forme de pointe, l'autre avait sorti mon armure de bataille et la nettoyait.

Je ne l'avais plus sorti depuis la fin de la guerre contre les démons. Je n'avais aucune raison de le faire et c'est bien parce que ma tante m'avait enjointe de la garder avec moi à l'Académie qu'elle était là. Sinon, j'aurai préféré qu'elle reste, entretenue, à Melghir. Maintenant, il fallait enlever la poussière et remplacer les insignes de la Horde Noire avec ceux de la Vice-Royauté. La femme de chambre s'en occupa en silence tandis que l'autre finissait de me coiffer puis à passer les différentes couches précédent l'armure de plaque elle-même.

Je me laissais faire en silence, regardant simplement dans le miroir comment je passais de l'élève de l'Académie tombée du lit à soldat de la Grande Armée et surtout, héritière de ma tante. Cette dernière chose, je m'en rendis compte quand l'armure fut placée sur moi. En lieu et place de l'hydre à deux têtes des Schlacht, là, trônant sur le plastron de mon armure, se trouvait celle à trois têtes : une tête de dragon pour la branche germanique, une tête de cheval pour la branche slave dont je provenais et une tête de serpent pour la branche hésandrine, celle de ma tante. A cela fut ajouter une écharpe croisant ma poitrine par la droite, laissant à découvert l'espace de mon cœur. Je ressemblais à un étrange mélange entre un chevalier d'Hésandre et une germaine habillée comme cela. Mais c'était bien ce qui faisait la force de ma tante. Comme le premier roi d'Hochseegrad, elle avait mélanger la force de Targatt et la force des royaumes Germains. Je devais donc servir d'image à ce mélange.

Quand tout fut terminé et que les femmes de chambre voulurent placer mon casque, je refusais, préférant le porter à la main. Ce serait plus courtois envers la Reine que je reste à visage découvert. Et c'est ainsi que je rejoins l'escorte qui m'attendait à l'entrée de l'Académie, que j'enfourchais le cheval qui me fut gracieusement prêté et que je fus dirigé vers le point de départ de cette visite de la vallée. J'étais plutôt habituée à monter des chevaux de guerre, large et robuste. Monter sur un cheval fin n'était pas optimal, surtout avec une armure. Mais je m'y faisais et parvint à arriver en face de la Reine.

Cette dernière m'accueillit avec un sourire et je lui répondis après l'avoir salué à la germanique.

"Votre Grâce, je suis votre obligée. L'heure importe peu et c'est déjà un immense honneur que vous ayez pu libérer un peu de votre temps pour moi."

Je me portais à la hauteur de la Reine et en esquissant un début de sourire, juste ce qu'il fallait pour démontrer que j'étais ravie d'être là sans pour autant paraître familière avant de répondre à son interrogation quant à mon entrée à l'Académie.

"Quant à mon entrée à l'Académie, elle se passe à merveille Votre Grâce. Même si la guerre est une chose normale pour une Germanique, je me sens bien plus à aise parmi les livres et les vivants. Ainsi vous allez reprendre contact avec la vallée ? Ma tante m'a dit qu'elle a essayé d'en prendre soin en bon père de famille jusqu'à la bataille d'Helmancourt..."

Lùthien avait été plutôt surprise en voyant Constanza vêtue de son armure de guerre, la chose lui semblait un peu exagérée. Après tout, elles n'allaient pas se battre et l'escorte était là pour y veiller. Peut-être étais-ce simplement un attachement à ses manières germaniques, la Reine ne fit donc pas de commentaires. Par ailleurs, la nièce de Wilhelmine avait assurément été bien entrainée concernant l'étiquette. Elle se montrait aimable et modeste sans être obséquieuse. Pour l'instant, Lùthien se demandait encore ce que cette jeune fille pensait réellement d'elle et quelle part de sincérité il y avait derrière son sourire. Mais elle comptait bien profiter de cette sortie pour en apprendre un peu plus sur sa pupille. Déjà, elle préférait les livres aux champs de bataille, ce n'était pas pour déplaire à la Reine et à ses ambitions pacifistes.

- Oui, nous allons voir comment ces terres se portent. Malheureusement les guerres, font rarement bon ménage avec la vie végétale. Je sais que les combats sont le quotidien de ceux qui vivent sous l'œil de Lehadin, et j'en ai moi-même menés quelques uns... mais je reste une fille de Nanrak et j'ai toujours été attristée par les conséquences. Avec un peu de chance, vous n'aurez pas à revoir de batailles comme celle que nous avons vue.

Tout en parlant, Lùthien avait mis en route leur petit cortège en direction des bois au nord-est. Elle comptait inspecter les forêts avant de contourner la ville par l'est pour rejoindre la plaine. Son cheval portait un simple licol, sans mors ni bride, mais il semblait pourtant faire exactement ce que sa cavalière attendait de lui. Il allait pour l'instant au pas alors que la reine continuait la conversation.

- En tout cas, je suis contente que la vie à l'académie vous plaise. Avez-vous une discipline favorite ?

Au fur et à mesure qu'elles avançaient vers les bois d'Helmancourt, les traces de l'incendie qui les avait ravagés se faisaient plus visibles.

"La vie végétale à la guerre est à la fois une alliée et une ennemie. Elle est donc traitée de cette façon. Du moins dans les royaumes germaniques. Le bois des forêts permet de contruire des engins de guerre et des fortifications de base. Les grands herbivores servent de nourriture aux troupes montées qui se nourrissent sur le pays et les petits herbivores, eux, viennent agrémenté les rations du reste de la troupe... Quant aux animaux hostiles..."

J'eus un instant de réflexion. Les loups, les ours, les renards, toutes ces bêtes affamées par le passage des armées et qui s'en prenait à leurs proies habituelles, finissaient bien souvent par s'en prendre aux soldats et alors...

"Ils fournissent les couvertures qui manquent lors des nuits froides."

C'était assez dur de le dire. Surtout à une elfe qui n'avait pas manqué de rappeler sa généalogie avec le dieu de la bonne nature. Mais même pour moi, ça l'était un peu. Je comprenais parfaitement pourquoi les choses fonctionnait comme cela pour une armée en marche. Mais je me disais qu'une préparation en amont pourrait éviter les massacres d'animaux, parfois pour le simple plaisir de certains officiers.

Cependant, c'était le genre de choses que je préférais garder pour moi. Ce genre de réflexion enfantine et naïves n'avaient pas leur place dans la bouche d'une Germanique. Donnant un coup de talon à mon cheval, je me maintenais à la hauteur de la Reine qui se dirigeait manifestement vers la forêt d'Helmancourt, la principale.

"La télékinésie Votre Grâce. En mage de guerre, j'étais déjà formée à celle-ci avant d'arriver. C'est donc naturellement que je cherche à m'améliorer à l'Académie. Il va sans dire que les autres pratiques de la magie spirituelle ne sont pas mise de côté. Ce serait du gâchis de ne pas améliorer ce qui a permis une communication permanente entre la Grande Armée et Vous, Votre Grâce, pendant la bataille."

Le dispositif Arachné, le fruit de mois de travail par la Grande Armée pour à la fois permettre une communication se passant d'une télékinésie directe entre individu grâce à des relais et permettant de créer de fausses images... La Vallée d'Helmancourt avait encore les balises du dispositif à sa surface. Mais seules quelques unes étaient désormais maintenu en fonctionnement, pour permettre une communication rapide entre Targatt, Arakis et Melghir.

Si la Reine avait pu avoir la main dessus plus tôt, elle aurait certainement pu éviter la perte de plus d'hommes à l'intérieur de la cité. Mais à l'époque, ma Tante ne devait pas encore avoir assez confiance à Sa Grâce. Après tout, elle était une fidèle du régime de Drake Leckard et rien ne la protégeait alors d'une arrestation sauf la Grande Armée et ses secrets.

L'image des troncs noircis par les flammes et du sol grisâtre attira mon regard. Ce n'était pas la première fois que je voyais ce genre de spectacle désolant. Heureusement, cette fois, il n'y avait pas de corps au milieu du charnier, avec leur odeur et leur posture qui en disait parfois long sur leurs derniers instants.

"Heureusement que la pluie infernale s'est surtout abattue au sud de la cité. Si les météorites s'étaient écrasées ici, je ne sais pas ce qu'il resterait de cette forêt. Mais vous devez certainement disposer d'un héritage de race vous permettant de remédier à pareils maux Votre Grâce ?"

- Oui, nous avons un héritage pour cela Constanza : nous avons le temps... entre autre.

Lùthien étudia un moment en silence la végétation alors qu'elles. Les plantes vivaces étaient déjà en train de recouvrir le sol cendré, ce qui était une bonne chose. L'elfe s'arrêta près d'un arbre et cassa une petite branche de ses mains gantées pour voir si la sève y circulait toujours. Puis elles continuèrent jusqu'à la limite où la forêt reprenait une allure normale.

- Cela aurait pu être pire, les démons ont cherché à propager l'incendie vers Targatt donc la plupart des bois ont été épargné. Et puis, même brûlée cette forêt n'est pas morte, d'ici dix ou quinze ans elle sera aussi verdoyante qu'avant. Evidemment d'ici là il sera difficile de s'en servir pour faire des palissade ou des catapultes... ou pour chauffer les foyers des Targattiens.

La vision de la nature qu'avait Constanza était très instrumentale, ce n'était pas très étonnant vu son éducation. Elle aurait probablement un peu de mal à comprendre que les elfes puisse accorder aux êtres vivants une valeur intrinsèque. Mais elle pouvait au moins comprendre que la vie à Targatt ne reposait pas sur la guerre.

- Ce que vous avez dit sur la nature et la guerre est vrai du point de vue du guerrier. Mais une telle relation n'est possible que parce qu'une armée se déplace. Une armée prend souvent sans donner en retour et si elle prend trop elle peut détruire la nature qui la fait vivre... sans compter les ravages des combats eux-mêmes. La vie à Targatt est sédentaire et ne peut donc pas reposer sur la même logique. Nous vivons dans cette vallée et nous devons prendre soin d'elle et travailler avec elle si nous ne voulons pas que la population meurt de faim. C'est le but de l'agriculture. La pluie de météorite épargné cette forêt mais elle a probablement détruit nombre de cultures, nous vérifierons cela de nos yeux cet après-midi.

Lùthien pris la direction de la rivière vers l'est.

- Peut-être pourriez-vous également me montrer au passage ce fameux réseau Arachné. La magie spirituelle est un intérêt que nous partageons et je serais curieuse d'en savoir plus sur ce dispositif.

Arrivée à la rivière, la reine regarda en amont du cours d'eau, vers les terres de Mala Auris. Une dragonne primordiale bien plus dangereuse à elle seule que toute l'armée démoniaque réunie. Et pourtant, personne à Targatt ne semblait s'en inquiéter. Il faut dire qu'elle était là depuis si longtemps que les habitants étaient bien obligés de vivre avec sa présence. Lùthien savait cependant que si il prenait à la dragonne le caprice de s'en prendre à Targatt, les conséquences seraient probablement dramatiques.

Tâchant d'oublier pour le moment cette épée de Damoclès, Lùthien poussa le petit cortège au galop. Ils longèrent la rivière jusqu'au moulin à eau de la scierie des Blanchards, puis prirent la direction du cimetière.

"Mais Vôtre Grâce, avez-vous le même temps que ceux sur lesquels vous régnez ?"

Ce fut ma seule remarque en réponse aux enseignements de la Reine sur l'utilité de la forêt pour Targatt. Il n'était pas nouveau que les Hommes envient leur longévité aux elfes. Car eux pouvaient voir les choses grandir, se soigner, se rétablir. Les Hommes, eux, ne verraient qu'une seule de ces trois étapes de leur vivant. Il était certain que la Reine avait cela en tête. Mais je voulais bien savoir comment elle l'appréhendait. Comme une elfe, une Elvarion qui plus est, prévoyait de régner sur une population à laquelle elle survivrait ? Car il y a parfois à apprendre de ceux qui ne verront jamais le crépuscule de leur vie s'afficher devant eux. Le soleil de leur existence toujours à son zénith, ils voient les choses autrement et alors, peuvent donner à ceux dont le soleil commence déjà à décliner la perspective qui leur manque pour devenir plus que de simple détenteur de pouvoir.

"La nécessité de porter la guerre chez l'ennemi n'a pas laisser aux hommes du ravitaillement le temps de faire un état des lieux après la bataille Vôtre Grâce. D'autant que celui d'Arakis et Melghir furent long et fastidieux, les deux cités ayant souffert de l'occupation démoniaque. Je ne peux donc malheureusement pas vous dire ce qu'il en est des cultures au sud de la Vallée d'Helmancourt. La seule chose certaine et que les cultures proches du Fort Helmancourt ont été préservé par on ne sait quel miracle. Les démons ayant cherché à porter le conflit le plus rapidement contre les murs de Targatt, ils ne se sont pas attardés dans cette partie de la vallée..."

Je chevauchais à hauteur de la Reine en regardant autours de moi, aussi bien la forêt redevenue verte que les prairies et le fleuve qui serpenter devant nous. Tout cela était au milieu des pics glorieux des Montagnes Noires. Gigantesques pointes d'une couronne sombre et parrée d'un manteau de neige éternelles à leur sommet. C'était un spectacle époustouflant. La Vallée d'Helmancourt était époustouflante. Un microcosme, un climat unique alors qu'elle était coincée au milieu de montagnes réputées dangereuses et menaçantes. Des montagnes qui ont assuré à Targatt sa survie face au monde non-mage pendant des siècles et continuerait pendant les siècles à venir.

Je me laissais emporter par la beauté des lieux, les reflets de l'eaux donnant des allures de rivière de diamant à l'Helmancourt tandis que l'herbe verte trahissait la fertilité de ces sols. Pourtant, la terre n'était pas brune comme autre part. Elle était noire comme l'ébène, sombre comme la nuit, à l'image des montagnes entourant la vallée.

Ma contemplation me fit répondre tardivement et par la positive à la question de Sa Majesté. Alors que nous passions tout proche de la scierie des Blanchard, je revins pleinement à moi et fit un signe à la Reine de bien vouloir s'arrêter et me suivre. Je descendis de cheval et marcha un instant dans la prairie avant d'enfin trouver le couvercle en cuivre d'une des balises. Elle ne devait donc pas être très loin.

"Ceci, Votre Grâce, est l'un des couvercle des balises d'Arachnée. La Grande Armée utilisait les fermiers pour entretenir des balises proches de leur culture. Ils avaient aussi pour mission, quand l'ordre de rejoindre le Fort Helmancourt ou Targatt serait donné, de découvrir les balises. Si le couvercle est ici, la balise ne devrait pas être très loin...."

Venir en armure n'était pas la meilleur idée qui soit. J'aurai du m'en douter et ma tant aussi. Mais je n'avais pas vraiment mon mot à dire alors que j'avançais dans la prairie tout en cherchant du regard une sphère de cristal violacée...

"Avec la guerre terminée et la consommation magique que le dispositif implique, la Vice-Royauté a abandonné l'entretien d'une grande partie du réseau et a relocalisé une partie de celui-ci pour permettre une liaison avec Arakis et Melghir. C'est aussi une charge financière importante... du moins, c'est ce que ma Tante m'a expliquée sur les raisons principales. Elle reste assez secrète sur le reste.... Ah ! La voilà !"

Je mettais un genoux à terre et sortais de la terre la balise couverte de terre et d'herbes. Les bûcherons avaient certainement oublié qu'elle était là et avait dû marcher dessus à plusieurs reprise.

"Je vous précise, Votre Grâce, que je ne connais pas le principe exact de son fonctionnement. C'est un travail entre l'état major de la Grande Armée, mon grand-oncle et des mages spécialisés. Ce que je sais, c'est que la sphère de cristal permet de réceptionner ou transmettre de la magie spirituelle par impulsion. Quand je vous transmettais les informations pendant la bataille, je ne recevais pas des mots, mais des impulsions magiques, comme quand quelqu'un essaye de faire de la télépathie, via une balise de sortie. Elle ressemble à une balise comme celle-ci en plus petit. Pour pouvoir émettre, il faut tout un attirail. Le Fort Helmancourt, comme il s'agit d'une Garnison de la Grande Armée, dispose de l'émetteur initial, celui qui a servis pendant la guerre. Melghir en a installé un et celui d'Arakis est en cour d'installation."

Je tendais la balise après l'avoir un peu nettoyé à la Reine puis reprenait mon petit exposé.

"Comme il faut passer par un dispositif d'entré, il est difficile d'émettre à partir d'une balise elle-même. Aujourd'hui, la Grande Armée cherche un moyen pour permettre des réponses rapides depuis les balises de sortie. Oh et habituellement vous pourriez sentir un peu de magie dans la balise. Malheureusement, celle-ci n'est plus en service donc elle n'a plus était alimentée depuis la fin de la guerre..."

Constanza avait raison de remarquer que Lùthien survivrait probablement à nombre de ses sujets.

- Un souverain doit voir plus loin que ses sujets, peu importe la longueur de sa propre vie. Je pense que votre tante comprends cela. En ce qui me concerne, cela ne m'empêche pas de me soucier des préoccupations actuelles du peuple Targattien.

Lùthien appréciait la maturité dont faisait preuve Constanza pour lui exposer la situation de la vallée. La jeune germaine eut même le tact de ne pas renommer le fort "Fort Sclacht" comme sa tante se plaisait à le faire. Une fois la balise trouvée, la reine écouta attentivement les explications de la jeune fille sur le réseau Arachnée. Elle était restée en selle et sa monture suivait docilement les pas de Constanza.

- Je comprends l'idée générale, et tout cela semblait plutôt efficace pendant la bataille... Même si étant d'abord invocatrice, j'ai toujours tendance à penser que tout est plus simple avec un peu de téléportation. Plaisanta-t-elle.

La reine prit la balise que lui tendait Constanza et l'examina alors qu'elle finissait ses explications. Lùthien n'était pas vraiment une experte en objets magiques, sa pratique des arcanes était plutôt organique et les notions d'émetteurs, de récepteurs et d'impulsion magiques lui semblaient assez étranges.

- Tout cela reste un peu abstrait pour moi, peut-être pourriez-vous me faire une démonstration une autre fois ? J'imagine que je comprendrais mieux en voyant la chose fonctionner.

L'elfe n'était pas du genre à cacher son ignorance, après tout, prétendre tout savoir était surtout un très bon moyen de rester stupide. Lùthien ne rechignait donc pas à apprendre de plus jeunes qu'elle, autrement elle aurait eu du mal à vivre dans une ville peuplée en majorité d'humains. Selon elle, les elfes avaient la sagesse de l'expérience mais pouvaient vite se satisfaire de la façon traditionnelle de faire les choses. De leur côté, les humains cherchaient toujours un moyen en mieux faire. Ce fait amenait Lùthien à penser que ces deux peuples pouvaient toujours avoir des choses à apprendre les uns des autres.

- Si vous savez où elles se trouvent, nous ferions mieux de récupérer les balises restantes qui ne sont plus entretenues... J'imagine qu'un tel matériel n'est pas évident à fabriquer.

Lùthien rangea la balise que Constanza lui avait donné et lui fit signe de remonter en selle. Il fallait qu'elles se remettent en route si elles voulaient pouvoir faire dans la journée l'aller-retour jusqu'à la ferme Sylverus comme le souhaitait la reine. La petite troupe se remit en route vers le cimetière. Lùthien galopait avec aisance, se tenant à peine à la crinière de son cheval. Elle repassa au pas à l'approche du cimetière et s'arrêta près de la fosse commune dans laquelle on avait enseveli les corps non identifiés après la bataille d'Helmancourt. La tombe anonyme devait entre autre renfermer des soldats défigurés et les ossements des morts qui avaient été relevés par les nécromants. La reine se recueillit un instant.

- Puisse leurs âmes rejoindre la place qui est la leur.

Quelques membres de l'escorte murmurèrent des paroles similaires, puis ils se remirent en route vers le sud de la cité, là où avaient eu lieu les derniers combats.

"En fait, Votre Majesté, le pire ennemi de la magie est la magie elle-même. La téléportation faite par de la simple magie peut-être perturber, l'invocation paralysée, la télépathie perturbée. Il faut donc trouver des moyens pour parer ce que la magie ne peut pas parer et ceci est l'industrie. Ma tante à beau haïr l'Ordalie, elle ne peut pas négliger que c'est de leur pratique qu'est venue l'idée du dispositif Arachnée... comment protéger les communications entre mages en sachant que la différence de puissance avec les Démons rendaient vulnérable n'importe quel télépathe...

La mention de l'Ordalie à une reine d'une cité mage n'allait certainement pas lui plaire. Mais il fallait être réaliste. Si l'Ordalie était parvenue à réduire la population de mages en Hésandre et parvenait à les tenir en respect, c'était bien parce qu'elle était parvenue, par l'industrie et une application particulière de la magie, à passer outre la puissance et l'intelligence des mages qu'elle combat tous les jours.

Wilhelmine Von Schlacht n'était pas aveugle et en tant que Germanique, elle savait que l'industrie pouvait compenser aussi bien un différentiel de puissance qu'un différentiel de nombre. C'était toute les maigres industries de Targatt que la Vice-Reine avait mise au service de la Grande Armée pour produire le réseau Arachnée et les nombreuses mines magiques qui occupaient, en parti les terres corrompues pas la bataille d'Helmancourt, dispersées par la pluie de météorite et perdues de leur emplacement original, ne permettant pas au service du ravitaillement de la Grande Armée de toutes les retrouver et les rapatrier à Melghir et Arakis.

"Je pense, Votre Grâce, que les opérateurs du Fort Helmancourt ne seront pas opposé à l'idée de vous montrer comment fonctionne le réseau Arachnée encore en fonction. Même si cela risque de nécessité une discussion entre vous et la Vice-Reine..."

Le réseau Arachnée avait été caché à la Reine avant le conflit. Pendant, aucune composante de la défense de Targatt n'avait pu y avoir accès et si, par malheur, j'avais été tuée. Le seul lien entre la Grande Armée et la cité aurait été perdu. La volonté de garder Arachnée entre les mains de la Vice-Royauté était manifeste. C'était d'ailleurs ce qui me conduit, à la demande de la Reine de ramasser les balises inutilisées, à lui mentir en indiquant que je ne savais pas où elles se trouvaient. Je n'avais pas toutes les positions des balises en tête, ceci était la vérité. Mais je savais ou chercher. Par sécurité, aussi bien pour les intérêts de la Vice-Royauté que pour moi-même, je ne pouvais permettre à la Reine de récupérer cette technologie et éventuellement, laisser ses mages la copier.

Quand la Reine décida, finalement, qu'il était temps de reprendre notre route, je me remis en selle et le suivit, en silence, regardant autour de moi le paysage de la Vallée d'Helmancourt. Il me faisait un peu penser à celui de la Principauté de Lobming, qui était d'ailleurs la voisine de Targatt. Des étendues de forêts, de vallons, de plaines, un long fleuve traversant le tout, des petits hameaux et villages agricoles. Toutefois, la marque du sol souillé par la corruption démoniaque était ce qui, avec la splendeur de Targatt elle-même, différenciait la vallée d'Helmancourt avec la vallée de Lobming.

Alors que la Reine rendait un simple hommage aux morts, je préférais regarder la cité qui abritait les vivant. Targatt, la cité-mage mythique qui était maintenant connues de tous dans l'Ouest du Monde Connu. La source d'espoir des mages persécutés ou cherchant une meilleurs vie que celle qui leur était offert dans les royaumes non-mage où ils étaient toléré, parfois contre un prix élevé. Les toits cuivré et dorés des parties riches de la ville brillaient et illuminaient la vallée, même les terres noircies par la mort et la désolation des combats.

C'était d'ailleurs la destination de la Reine et sa suite, donc la mienne. Plus nous nous rapprochions et plus nous pouvions observer l'effet dévastateur de la pluie de météorite que les démons avait provoqué sur cette partie de la vallée, plus nous pouvions sentir l'aura négative venant de la terre elle-même. Plus nous pouvions voir les arbres déformés, à la foie mort et vivant, par la corruption de l'énergie noire. Plus nous pouvions voir, déguerpir loin du petit groupe de la Reine, des créatures difforme et répugnantes. Certainement des nécrophages. Du moins ce qu'il en restait.

"Quel dommage que j'eusse été forcée de vous servir au Palais Votre Grâce. Même si ce fut un immense honneur, cette bataille aurait certainement valut la peine."

Je lançais cela avec conviction dans la voix, mais aucune dans mon esprit. C'était ce qu'une Germanique dirait, la nièce de la Vice-Reine. Pour ma part, je considérais que j'avais été tout aussi utile en assurant une bonne communication entre la Palais et le Fort Helmancourt. Mais en Germanie, seuls les combats mènent au Valhalla, pas le soutient à ceux-ci.

La reine écoutait avec sérieux les remarques de sa pupille au sujet des dangers des communications magiques. Elle était bien forcée d'admettre que la jeune fille avait raison. Le réseau Arachnée avait fonctionné alors que la structure du système de communication télépathique du protectorat avait conduit à la mort de plusieurs mages suite à une attaque spirituelle.

- Je reconnais là les arguments de votre tante... et je ne peux nier que les faits lui ont donné raison. Quant à l'Ordalie... je dirais qu'il faut savoir apprendre de ses ennemis si on veut leur survivre.

Le raisonnement de la reine n'était pas vraiment naturel pour une elfe, la plupart des elvarion préféraient s'attacher aux traditions, quitte à se retirer du monde lorsque celui-ci devenait trop hostile. Mais Lùthien était de ceux qui pensait que sa race devait se mêler à ceux de son temps si elle voulait survivre, quitte à devoir s'adapter.

L'elvarion se contenta de hocher la tête concernant la discussion qu'elle devrait avoir avec la Vice-Reine. Elle doutait que Wilhelmine lui révèle sans contrepartie les secrets de ses techniques et Targatt avait pour l'instant peu à offrir en échange. Elle s'attendait donc à devoir attendre quelques temps que Targatt se relève de la guerre avant de renégocier ce genre d'échanges avec la vice-royauté.

Alors que la petite troupe s'aventurait plus avant sur les terres corrompues, les chevaux se faisaient plus nerveux. La sensation nauséabonde de l'énergie négative envahissait aussi progressivement les sens des elfes, leur rappelant les années les plus noires des guerres elfiques. Alors que son regard errait sur les terres brûlées, la remarque de Constanza sonna faux aux oreilles de Lùthien. En tant qu'elfe, elle ne voyait la guerre que comme un mal nécessaire. Elle comprenait qu'une jeune personne puisse être attirée par les glorieux récits de bataille ou bien ait envie d'éprouver sa force ou sa colère dans le sang, surtout pour une germaine. Mais l'enthousiasme de la jeune fille lui semblait contradictoire avec ce qu'elle avait cru percevoir plus tôt de sa personnalité.

- Est-ce vraiment ce que pense une jeune femme qui préfère les livres et les vivants ? Demanda tranquillement la reine en posant ses yeux clairs sur la germaine.

Lùthien songea que si participer à ce genre de désolation satisfaisait Lehadin, elle pourrait demander sa place dans le fameux Valhalla des germains. Mais sa voie était celle de Nanrak. Celle-ci n'était pas à ses yeux plus facile à suivre, après tout, détruire était souvent plus simple que construire. Soutenir la vie était un travail de patience et d'humilité... La reine aurait pu parler de tout cela, mais elle ne se considérait pas encore assez proche de Constanza pour l'amener à questionner les principes de la foi dans laquelle elle avait été élevée.

La reine resta donc silencieuse et descendit de cheval pour examiner de plus près le sol meurtri. Elle s'agenouilla pour effriter dans sa main une poignée terre et réprimant une grimace de dégoût. Etais-ce ce que ressentait les gens comme Caïn Leckard lorsqu'ils se confrontaient aux énergies positives ? Elle n'en savait rien, mais ce n'était clairement pas agréable, elle aurait eu la même répugnance en plongeant les mains dans une mare putride. L'elfe continua tout de même ses observations avec quelques sorts de détections dont les résultats ne lui plaisaient pas vraiment. Lùthien se releva et demanda à quelques autres elfes qui l'accompagnaient de donner leur avis sur la situation. Elle espérait que des mages blancs et élémentalistes pourraient avoir un diagnostic plus précis que le sien, mais elle savait déjà que les conclusions seraient mauvaises. Pendant ce temps, elle envoya un éclaireur se renseigner sur la situation de la ferme Sylverus près de laquelle elle comptait s'arrêter pour déjeuner plus tard.

"Votre Grâce, il arrive, parfois, que ce que peut penser l'individu ne soit qu'une chose secondaire comparé à la place qu'il occupe et à l'image qu'il porte avec lui."

Machinalement, je replaçais l'écharpe qui barrait ma cuirasse. Cette armure de plaque, lourde et si incommodante pour une simple visite de la Vallée d'Helmancourt, était à l'image de ma pensé et de ce que je pouvais laisser sous entendre dans ma réponse à la Reine.

La guerre, les batailles, le sang, les hurlements, tout ceci, je ne pouvais le cacher, j'avais appris à l'aimer, à l'apprécier, à ressentir de l'adrénaline, à ressentir une sorte de bien être lorsque la peur qui occupe chaque combattant avant qu'il ne franchisse le parapet et se jette sur l'ennemi m'envahit, à ressentir presque de l'impatience pour que le cor de la charge sonne. Ceci, tous les Germains le ressentait. Mais si certains se plaisaient à faire la guerre, à la sentir comme une seconde nature, à ressentir presque du plaisir à ne voir sur leur rapport que des chiffres, des numéros et féter les victoires et maudire les défaites comme les joueurs d'échecs le font, ce n'était pas mon cas.

La perfection de la guerre chez les Germains l'avait rendue de moins en moins personnelle, humaine. Plus l'on monte les échelons, et plus la guerre est vidée de son humanité pour être poussée au meilleur de son exécution. Les Hommes et les Femmes portant l'armure, tenant les zweihander, montant les musculeux et sanguins destriers de la KaiserKorps -la cavalerie lourde et personnelle du Roi d'Hochseegrad-, ne sont que des numéros sur des registres tenus avec précisions. Ils permettent de tenir des statistiques presque surnaturelle sur la mortalité des armes des différentes civilisations, sur la durée de vie moyenne d'un soldat sur le front, sur la durée optimale d'emploi d'un mage de bataille, sur un ensemble d'élément qui fait passer le soldat individuel au second plan.

Le soldat, lui, participe à l'effort général en deux choses : confier son corps aux généraux qui l'envoient à la guerre qu'il demande et espère et donner son âme à Lehadin, lui qui lui permettra de vivre après la mort et revenir le jour où la Création sombrera pour livrer la plus sublime des batailles que toutes les ères et tous les âges que ce monde aura connu. L'apothéose de cette drogue que la guerre est devenue pour un peuple tout entier. Tous les Germains veulent livrer cette bataille ultime. Les soldats savent qu'ils seront les plus en avant à ce moment plus leur mort sera héroïque et martiale et les généraux, eux, qui espèrent tout autant que le simple soldat une mort sur le champ de la guerre, espère qu'en livrant les plus grandioses batailles de leur vivant, ils ne rendront que plus majestueuse la dernière bataille de ce monde.

Ma tante et son époux ne font pas exception. Mon père adoptif ne faisait pas exception. Toute la famille Schlacht qui est presque totalement une famille de mercenaire le sait et souhaite poursuivre ce culte de la bataille parfaite et de la mort sublime.

Malheureusement pour eux, je ne suis pas née chez eux. J'ai été pendant un temps slave, un peuple qui privilégie la vie à la mort. La retraite au sacrifice. Car les étendue de l'Est sont vastes et fertiles et un homme mort est un homme qui ne pourra pas combattre un jour de plus. Alors même si je ne peux qu'admettre que je ressens la même frénésie que les Germains sur le champ de bataille, je ne pourrais jamais admettre que mourir est mon ultime but.

Je pensais à cela en regardant devant moi, perdue dans mes pensées jusqu'à ce que je sente mon cheval s'agiter. Je ne l'avais pas senti jusqu'à présent, mais l'aura négative en provenance du sol devenait maintenant plus qu'oppressante. Heureusement que je n'étais pas une positive. J'aurai certainement eu un malaise compte tenu de mon âge. Ou peut-être aurais-je du, malgré ma neutralité, en avoir un. Mais mon usage de la magie spirituelle m'avait, protégée ?

"Malheureusement Votre Majesté, je crains que cette terre ne soit perdue pour plusieurs siècles. La désolation d'Ancône, en Latinéa, commence à peine à se remettre des ravages que Mala Auris lui a infligé il y a presque sept siècles. Alors pour cette terre, sans intervention divine, certains vous dirons que quelques mirador et des purges fréquentes sont la seule solution."

Lùthien se contenta de hocher la tête devant la réponse de l'héritière de la vice-royauté. Elle ne savait que trop bien ce qu'elle voulait dire. En tant que reine elle se devait elle aussi maintenant de faire attention en permanence à l'image qu'elle donnait. Constanza était assez intelligente pour savoir que le principe s'appliquait également à elle. Idéalement, Lùthien souhaitait parvenir à construire avec cette jeune fille une relation allant au-delà des apparences. Elle savait cependant que cela n'arriverait peut-être jamais. Peut-être qu'elle arriverait avec le temps à savoir qui était vraiment Constanza. Mais plus probablement, les jeux de pouvoirs avec la vice-royauté feraient toujours partie de leurs échanges.
La jeune germaine semblait bien érudite pour son âge, ce n'était pas pour déplaire à la reine qui ne manqua pas de la complimenter sur le sujet.
- Vous êtes assurément bien instruite sur la question, je suis impressionnée. Et je crains que vous ayez raison... J'ai déjà vu des choses similaires mais...
Lùthien échangea quelques paroles en elfique avec ses congénères qui continuaient à ausculter la terre. Ils n'étaient pas très optimistes et suggéraient de demander leur avis aux Laicananlië de la forêt de Kelsha. La reine se retourna vers sa pupille.
- ... il s'agit de corruption et cela ne semble pas très... stable. Nous allons avoir besoin d'étudier cela de plus près. Mais dans tout les cas nous avons besoin de ces terres, alors je tenterais tout ce qui est possible. Et si il faut prier... nous le ferons.
De nouveau en selle, la reine embrassa de son regard bleu la plaine noir charbon. Elle ne savait pas si elle allait réussir à remettre ces terres en état, ni combien de temps cela prendrait, mais elle était résolue à essayer tout ce qui était en son pouvoir. Elle distingua au loin le groupe de nécrophages aperçu par Constanza un peu plus tôt. Ils semblaient un peu plus nombreux. L'escorte royale était bien assez armée pour les repousser sans encombre, mais Lùthien n'était pas là pour faire la chasse aux monstres et elle ordonna qu'on reprenne la route.
Au bout d'un moment, la corruption laissa à nouveau place à des prairies et de bois encore intacts. Le soleil était maintenant haut dans le ciel et la reine décida qu'il était temps de faire halte. Les serviteurs installèrent pour la reine et son invité une petite table sur laquelle fut servi un déjeuner frugal. Assise en face de Constanza, Lùthien continua de regarder d'un air préoccupé la vallée déformée par les cratères. Elle finit cependant par reporter son attention sur sa pupille. Après tout, elle l'avait invitée pour pouvoir passer du temps avec elle et mieux la connaître. La reine tâcha donc de mettre de côté ses réflexions sur les affaires d'état pour engager la discussion.    
- Bien... Dites-moi, à par vos cours, comment trouvez-vous votre vie à Targatt ? Avez-vous pu faire quelques connaissances ? Je sais que votre position n'est pas évidente vis à vis des autres jeunes Targattiens...
Lùthien savait que les années à l'académie avait été difficile pour Wilhelmine. Elle ne voulait qu'il en aille de même pour Constanza.

« J'ai simplement eu beaucoup de temps à consacrer à la lecture et à apprendre des choses sur notre monde avant de pouvoir porter les armes Votre Grâce. »

Répondis-je dans un premier temps à la Reine après son compliment à l'égard de mes connaissances. Le temps d'avoir mes prothèses et ensuite d'apprendre à marcher fut longuement consacré, à défaut d'apprendre à me battre, à me rendre utile d'une autre façon. Car s'il advenait que la guerre n'eut pas été le domaine où je puisse exceller, il fallait que mon père adoptif justifie de mon utilité au reste de la famille Schlacht. L'érudition était donc la première corde à mon arc. Puis, elle devint secondaire grâce à ma ténacité et mon choix de parvenir à mener guerres et batailles malgré mon handicap.

« Je ne suis pas assez au courant des pratiques elfiques pour savoir si les dieux vous écouterons plus que les autres races. Même si je peux comprendre que sauver ces terres soient une nécessité pour Targatt, des solutions plus, industrielles, semblent peut-être plus raisonnables non ? Plutôt que l'aléas de la réponse d'un dieu ? »

Cette deuxième partie de ma réponse était assez slave. Si les Germaniques considéraient avoir l'oreille de Lehadin, ou les Osniens la bénédiction de Alieri et de Velaniel, les Slaves considéraient qu'aucun dieu ne veillait sur eux car la Triade du destin avait déjà tout écrit pour eux. La différence étant que meilleur était leur vie de leur vivant, plus cela révélait que les trois soeurs du Destin leur réservaient un avenir grandiose. Dans ces conditions, et malgré le fait que j'ai eu une grande partie de mon éducation à la germanique, je ne pouvais que me référer au réflexe premier des slaves de questionner l'écoute des Dieux.

Après un court regard vers le ciel, je me remis en route à la suite de la Reine qui avait repris sa tournée de la Vallée d'Helmancourt. Notre escorte longeait les terres souillées et je fixais les nécrophages qui se trouvaient plus loin dans la terre corrompue. Je n'avais pas mes armes, pour mon plus grand malheur si une attaque devait avoir lieu. Mais l'escorte de la Reine devrait assurément suffire. Et si d'aventure ça ne devait pas être le cas, j'emprunterai une épée à l'un des membres de la Garde Royale.

Fort heureusement, la tension liée aussi bien à l'occurrence d'une attaque ou à l'aura négative de cette terre noircie par l'œuvre des enfants des Enfers finit par s'évanouir quand la Reine décida de s'écarter de la corruption. C'était une bonne chose. Même si je pouvais comprendre l'inquiétude apparente de la Reine pour cette corruption, en rester proche et simplement la regarder n'allait pas changer grand chose. D'autant que je n'étais pas la personne qu'elle aurait dû prendre avec elle si elle cherchait simplement à se rendre compte de l'étendu des dégâts.

Et tandis que le groupe s'était arrêté et que la Reine m'invita à prendre place en face d'elle pour pouvoir déjeuner sur une table dressée par la suite de la souveraine, je comprenais que ce petit voyage allait être principalement tourné vers ce terrible abcès en plein coeur de la Vallée d'Helmancourt. Mais cette fois, alors que la Reine préférait garder son regard tourné vers les terres corrompues, je préférais garder le silence. Une solution plus "industrielle" comme je le disais pourrait ne pas convenir à la Reine et puis, elle avait assurément plus d'expérience que moi. Je ne faisais que jeter sur la table des idées. Cependant, j'avais encore tant à apprendre qu'il fallait mieux que je garde le silence.

Ce dernier fut cependant brisé quand, alors que je buvais un verre de vin, la Reine me demanda si les choses se passaient bien à Targatt et à l'Académie. Finissant ma gorgée rapidement et après m'être essuyée la bouche, je pus enfin répondre.

« Ô, et bien, Votre Grâce je dois vous avouer que les choses sont nettement différentes par rapport aux différentes cités germaniques dans lesquelles j'ai pu résider en compagnie de mon oncle... Mais la vie à Targatt est assurément plus agréable qu'à Hochseegrad ou dans les Baronnies Frontalières. Quant aux connaissances...»

J'eu un moment de doute. Devais-je vraiment lui en parler ? Après tout, ce n'était que des amies. Mais l'une était une elfe, l'autre, était une Vertdragon. De quoi soulever des interrogations quant à mon choix d'amies.

« ... ma position n'est pas un problème. C'est plus une sécurité avec les élèves les plus précautionneux quant à la qualité de leurs fréquentations. Mais je suis surtout proche d'une elfe qui est dans la même maison que moi, Damoiselle Delphine Adelung. Une invocatrice très agréable et douce, quoi qu'un peu fragile pour la sévérité d'un monde comme celui de l'Académie.
Mais je reste plus que jamais en contact avec Melghir. Son Altesse Sérénissime étant particulièrement intransigeante quant au fait que je lui indique mes progrès. Quand elle ne me fait pas venir à la dernière minute à Melghir pour participer à un bal qu'un donne pour un ambassadeur des provinces de Germanika. Il y a quelques jours, c'étaient les émissaires des royaumes de Grossenburg et d'Alvonburg qui étaient venus rendre leurs hommages... »

Je repris alors mon repas simplement, continuant de parler de ce bal duquel je dus fuir en cachette pour retourner à temps dans l'Académie.

« Un homme et une femme charmants. Alvonburg est d'ailleurs impatient, de ce que j'ai compris des conversations entre Son Altesse Sérénissime et leurs Excellences, de pouvoir commercer avec Targatt par l'intermédiaire de la Vice-Royauté. J'ai cru comprendre, toutefois, que le Grossenburg serait enchanté de pouvoir établir une ambassade à Targatt même... »

Je levais les yeux vers la Reine en disant cela. Ce n'était pas une information sans importance que je venais de lui dire et je la lui donnais sans que ma tante ne soit au courant. Ce n'était pas une information capitale et elle aurait finis par être au courant. Mais cela montrait surtout à celle qui était ma tutrice que je n'avais aucune mauvaise intention et n'était pas là simplement pour servir de point d'appuie à ma tante à la cour. J'étais là pour apprendre et servir aussi bien le Trône que la Couronne.

Lùthien n'arrivait pas vraiment à envisager à quoi une solution "industrielle" contre la corruption pouvait ressembler. C'était un problème magique et elle ne voyait que la magie pour le régler. L'elvarion connaissait le principe de l'industrie et avait déjà vu dans d'autres villes ces grandes forges ou ateliers qui produisaient sans s'arrêter tout un tas de choses. Mais elle avait parfois du mal à en comprendre l'intérêt. Cependant, si Lùthien avait été purement réfractaire aux idées que les humains avaient du progrès, elle se serait contentée de rester dans sa cité natale. Sa réponse signifia donc à la jeune germaine qu'elle était ouverte aux propositions, y compris les siennes malgré son jeune âge.
- Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous entendez par une solution industrielle... Mais j'écouterais volontiers vos idées si les miennes venaient à échouer.
Au moment du déjeuner, Luthien écouta attentivement les réponses de sa pupille en grignotant et sourit en écoutant ses anecdotes mondaines.
- Je suis heureuse d'apprendre que vous vous plaisez ici. J'espère en tout cas que vos responsabilités officielles n'empiètent pas trop sur vos études.
La reine nota de veiller à ce que l'emploi du temps de sa pupille ne devienne pas invivable. La jeune fille ne pourrait pas être partout, surtout quand elle commencerait à fréquenter plus sérieusement la cours du palais d'opale. Face aux informations sur la diplomatie menée par la vice-royauté, l'elfe se contenta de hocher pensivement la tête. Elle ne chercha pas vraiment à deviner si Constanza l'informait à la demande de sa tante ou bien de sa propre initiative. Ce n'était pas le plus important pour elle.
- Je serais disposée à recevoir ces émissaires s'ils en font la demande. Et puisque vous les connaissez maintenant,  vous m'aiderez à les recevoir le cas échéant.
Aux yeux de la reine, il était temps de commencer à intégrer sa pupille à certaines activités politiques pour parfaire son apprentissage. La présence de l'héritière de la vice-royauté était encore problématique pour le gouvernement sur un certain nombre de sujets. Mais Constanza avait toute sa place concernant les relations diplomatiques qui intégrait Melghir et Arakis de près ou de loin. Sa connaissance des royaumes Germaniques était également un atout. Lùthien avait beaucoup voyagé mais ne connaissait pas pour autant les détails de chaque culture. Constanza pouvait aider à ce que les émissaires soient reçus dignement selon les critères de leurs propres coutumes.
Quant aux contenu des négociations, Lùthien voulait rester prudente sur l'ouverture de Targatt au reste du monde. La cité se relevait à peine et elle voulait être sûre que l'économie targattienne soit en mesure de rivaliser avec celle des cités étrangères avant d'intensifier le commerce avec ces dernières. En l'état, Targatt n'avait rien à vendre et un commerce trop libre lui serait défavorable. Targatt ne pouvait pas être traitée comme Melghir qui bénéficiait du commerce en tant que port de transit. Lùthien n'expliqua pas tout cela à Constanza et choisit de remettre à plus tard ce petit cours de politique économique. Elle était un peu préoccupée par la relation entre sa pupille et Delphine et s'arrêta un instant pour réfléchir à la manière d'aborder le sujet.
- Au sujet de mademoiselle Adelung... Il y a peut-être quelque chose que vous devez savoir... Je pense personnellement que votre amitié est une bonne chose. Cependant, vous allez un jour ou l'autre rencontrer sa mère, ma Chambellante, Saéline Adelung. Elle... garde griefs contre Son Altesse la Vice-Reine et aura donc probablement du mal à vous faire confiance. Ne le prenez pas personnellement. De plus, elle s'inquiète beaucoup pour sa fille, qui a le caractère que vous connaissez et qui a grandi jusqu'ici dans un environnement assez protégé...
Lùthien ignorait si Constanza connaissait les détails de l'accession au pouvoir de sa famille. Visiblement les choses se passaient bien à l'académie pour elle, mais si jamais elle rencontrait des comportement hostiles, il fallait qu'elle en comprenne les racines.

"Ce ne sont pas quelques heures manquées de sommeil qui vont m'empêcher d'aller en cours Votre Majesté. Et je trouve assez de temps en journée pour m'entraîner et effectuer les tâches demandée par nos professeurs."

Répondis-je simplement à l'inquiétude de la Reine quant à mon rythme de vie. Je ne pouvais pas lui cacher que je manquais de sommeil et que chaque minute de mes journées étaient consacré à rattraper le retard que je pouvais accumuler à cause de mes obligations envers le Vice-Royauté. Ma tante, comme moi, n'allions pas demander des aménagements de mes cours. C'était une forme de fierté déplacée qui pourrait déplaire. Mais j'étais comme ça, à toujours tout faire par moi même, à ne pas demander d'aide, d'aménagement. Surement une conséquence de ce que j'étais, avec mon bras et ma jambe... enfin qu'importait.

J'avais amené la discussion sur d'autres sujet et c'était mieux ainsi. J'avais passé assez d'années à cacher ce que j'étais pour qu'un simple repas avec la Reine ne le mette à jour. Je devais être plus vigilante. Surtout avec la Reine en réalité.

"Vous m'accordez bien de la valeur Votre Majesté. Mais je serai honorée de pouvoir pourvoir à la réussite des éventuelles discussions entre Vous et leurs Excellences. Même si l'ambassadrice du Grossenburg est une ancienne mage de bataille et une diplomate chevronnée d'après les quelques explications qu'ont pu me donner des proches de Son Altesse Sérénissime. Enfin, j'ai dû m'éclipser avant de voir cela de mes propres yeux. Quant à Delphine...

J'eu un instant de réflexion avant de répondre. Il fallait trouver des mots simples sans parler trop d'elle. Juste ce qu'il fallait pour éviter que la Reine n'en parle à la Chambellante. Cette nouvelle me surprenait et m'inquiétait soudainement. Ma tante s'était faite beaucoup d'ennemis à Targatt parmi les membres de l'administration et les grandes familles. elle avait toutefois avec sa victoire une aura qui lui donnait les moyens de sa grandeurs à Melghir et à Arakis. Je n'avais pas envie d'être la mise en oeuvre de cette tragédie antique et pourtant, avec cette nouvelle information, je ne pouvais que m'y placer. En sortir serait même impossible, car je n'avais pas l'intention d'échapper à quoi que ce soit.

IL allait donc falloir confronter, un jour où j'aurai eu cette forme de courage de dire à cette petite elfe ce que je ressentais, sa mère.

... malheureusement on ne choisit ni sa famille, ni ceux que l'ont affectionne votre Majesté. Dans ces conditions, je ferai en sorte de discuter Votre Chambellante pour écarter toute forme de suspicions quant à une manœuvre des Schlacht."

La reine acquiesça quand Constanza lui assura réussir à tout faire. C'était peut-être vrai pour l'instant, mais elle allait devoir tenir ce rythme pendant longtemps et Lùthien ne voulait pas que sa pupille se tue à la tâche. D'autant plus que la reine comptait augmenter progressivement la présence de Constanza à la cour de Targatt. Si Wilhelmine continuait de la solliciter autant, la jeune fille finirait par avoir du mal à être partout. La reine nota donc mentalement de discuter avec la Vice-Reine des activités qui devaient être prioritaires dans son emploi du temps.

Elle prit ensuite un peu de temps elle aussi pour réfléchir tout en poursuivant son repas. Constenza semblait sincère et son amitié avec Delphine serait certainement une bonne chose si elle perdurait. Mais Lùthien n'était pas certaine de la réaction de Saéline. En plus d'avoir déjà beaucoup à faire, la Chambellante se remettait des difficultés de sa grossesse et allait bientôt donner naissance. Lùthien ne voulait pas lui ajouter des tourments supplémentaires en lui imposant à l'improviste une confrontation avec l'héritière de son ancienne ennemie. Elle préférait attendre un moment où elle se trouverait dans de bonnes dispositions, autant pour atténuer ses difficultés que pour éviter un incident diplomatique. Lùthien savait que son amie était capable de faire la part des choses mais elle ne l'imaginait pas pardonner à Wilhelmine de si tôt. Saéline était parmi les plus lumineux des partisans de Lùthien, et peut-être une des rares personnes capables de raisonner Yearius. Or le demi-ange n'était toujours pas convaincu de la légitimité de la vice-royauté, et sa détestation pour Wilhelmine semblait réciproque. Instaurer des liens de confiance avec Constanza d'avérait donc d'autant plus crucial.

- Je crains que cela ne soit un peu plus délicat que cela, être l'héritière de la Vice-royauté vous fait hériter également de notre passé troublé. Mais j'arrangerais une rencontre entre vous en temps voulu.

La bonne volonté de Constanza ne serait peut-être pas suffisante pour rassurer Saéline, et Lùthien préférait prendre le temps de préparer son amie à l'idée d'un telle rencontre avant qu'elle ait lieu. La question étant réglée pour le moment, Lùthien se rappela qu'elle voulait présenter à Constanza ses nouveaux gardes du corps.

- Ah, je voulais également vous dire que j'ai affecté deux personnes à votre protection. Je me doute que vous êtes capable de vous défendre par vous même dans une certaine mesure, mais j'ai promis à votre tante de veiller sur vous. Elles ne vous gêneront pas, elle sont surtout là pour me prévenir en cas de problèmes. Je voulais vous les présenter pour que vous puissiez leur demander de l'aide au besoin.

Une chouette et un passereau vinrent soudain se poser entre les deux femmes. Deux fées en descendirent et s'inclinèrent devant la reine puis devant Constanza.

- Voici Ombrouillard et Blanchelune.  


Lùthien fit apparaître entre ses mains un bouquet de fleurs qu'elle posa devant les fées. Celles-ci se joignirent au repas en récoltant se leurs mains minuscules des grains de pollen qu'elles agrémentèrent de quelques gouttes d'eau, de lait et de miel. La reine nourrit également elle-même les oiseaux de quelques graines pour le passereau et morceaux de viande pour la chouette.