Tel Hypnos, Sommeil est frère... (TERMINÉ)

Le jeune homme s'était enfin endormi. Les derniers jours avaient été pénibles et c'était un doux euphémisme. Brann en était la principale cause et depuis son retour, les cauchemars de Cain s'étaient faits bien plus nombreux, lui rappelant une époque qu'il avait cru révolue.
La journée précédent cette nuit, on lui avait apposé un rada'an. Chad du moins l'avait fait suite à un incident mineur en salle de classe qui aurait pu, peut-être tuer sa dulcinée. Ce qui aurait été en fin de compte une bénédiction, une libération pour le sorcier. Cain n'en doutait pas. Mais puisqu'il avait échoué, il était "puni", tenu enfermé dans l'infirmerie comme un animal mal dressé. Ce qu'il était sans nul doute. Et si la perspective de rester en "sécurité" dans l'académie était rassurante, celle d'être encore une fois dépouillé de ces pouvoirs l'était quant à elle beaucoup moins.

Sans doute le rada'an fut-il la cause de ce nouveau cauchemar. La lande morte ne lui avait jamais vraiment fait peur, en revanche les "personnes" qui l'habitaient, qui la hantaient le terrifiaient. Longtemps ça avait été une extension du champ d'action par la simple présence des représentations oniriques de Drake et de Ladon, représentations déformées par l'image qu'avaient d'eux un enfant.

Pourtant, il n'en était plus un depuis longtemps. Et pourtant les cauchemars avaient repris, aussi terrifiants qu'à l'époque. Il était seul, comme toujours, à la merci de ses tortionnaires et "éducateurs". Ses plus proches parents ou presque. Ses bourreaux. Une nouvelle représentation avait cette nuit rejoint les autres : son cousin Brann.

Comme d'habitude, il tente de se défendre mais en vain, ses pouvoirs sont soient insuffisants, soit inexistants. Et finalement ils l'acculent, encore. Forcé de reculer, terrifié, le jeune homme se retrouve le dos collé au tronc mort d'un de ces arbres de cauchemar.

En général c'était là que le cauchemar menaçait de le plonger dans une terreur nocturne qu'il peinait à contrôler. Pourtant, cette fois-ci fut différente. Il lui sembla prendre soudain corps avec le rêve. Prendre conscience de ce qu'il se passait, comme si il retrouvait soudainement vie.
Comme si il découvrait la scène pour la première fois sous un autre angle, il tourne la tête pour déterminer le lieu où il se trouve.

Pendant un instant il se demande comment est ce qu'il a fait pour se retrouver là ? Surtout comment Drake et Ladon pouvaient y être également... Mais la similitude avec ces cauchemars récurrents finirent par lui faire prendre conscience du lieu où il se trouvait : un rêve. C'était une chose étrange en fait. Un peu perdu, il se rendit compte que ses assaillants avaient été aussi affectés par son questionnement, Drake et Ladon perdant de leur consistance pendant un instant.
C'était son rêve, son esprit sans doute aussi. Donc il pouvait en prendre le contrôle. Ce type de magie n'était pas son fort, loin de là même mais sa volonté était toujours forte dans chacune de ses actions, chacune de ses pensées. Aussi il parvint à se convaincre assez de l’inexistence de Brann dans ce "plan" pour que sa forme s'évanouisse dans les airs aussi surement qu'un fantôme, bientôt suivi par les deux autres.

Cain se retrouva seul. N'était-il pas censé se réveiller maintenant ? Il tourna de nouveau la tête vers les arbres et le vit enfin. Lui aussi ce n'était pas la première fois qu'il le voyait, mais en général c'était davantage dans une revisite du souvenir de l'état dans lequel il l'avait laissé qu'un cauchemar. Une fois pourtant, c'était un rêve qu'il avait fait à son sujet. Cain se projetant dans le rôle d'un grand frère aimant jouant en toute simplicité avec son petit frère. Un rêve perturbant...laissant entendre un espoir un peu vain de retrouver une vie simple et même commune, accentuant encore la dualité même de Cain qui désirait surpasser et dominer aussi surement que vivre simplement à la recherche du bonheur, comme tout un chacun.
Les contradictions n'étaient pas ce qui manquaient chez Cain, ce n'était qu'une de plus, sous une autre forme.

Aussi sa présence était-elle surprenante en un sens, assez pour nourrir quelques soupçons sur la bizarrerie de ce rêve, mais sans toutefois voir plus loin pour le moment.

Il s'approcha du garçon et le contempla un instant, ses yeux trahissant l'incompréhension et le questionnement sous-jacent.
Le prenant pour une représentation d'une des "inquiétudes" sous-jacente de son propre subconscient, Cain murmura pour lui-même. De toute façon, ce n'était qu'un rêve.

"Je suppose que je devrais aller m'assurer que ton cadavre est bien en train de finir de pourrir là-bas..."

Pourtant, Cain lui tendit la main avec un demi-sourire, comme le ferait un aîné rassurer un plus jeune.

"A moins que tu aies survécu... tu ne peux pas me le dire évidemment..."

Son ton était doux et étrangement calme. Ce n'était qu'une question parmi d'autres, tout comme ce rêve n'en était qu'un parmi d'autres. Mais puisqu'il avait perdu de son côté effrayant, Cain ne voyait pas d'intérêt à se réveiller, et n'essaya même pas.

Morphée, ou la personne qui se faisait appeler ainsi en tout cas l'avait longuement questionné. Ou peut-être que ça lui paraissait si long parce qu'il rechignait à plonger plus profondément. Pourtant, il l'avait forcé à regarder la vérité en face sur sa propre condition. Mais il avait beau tourner les choses dans tous les sens, il ignorait comment faire pour réellement se défaire de sa prison, de toutes ses chaines. Récupérer la plume pour écrire lui-même son histoire était évidement ce vers quoi il tendait mais il avait l'impression d'avoir toujours lutté et essayait de faire ce qu'il fallait pour la gagner. Se dire qu'il avait fait tout ça pour rien si ce n'était pour réussir à resserrer encore davantage les chaines qui l'étouffaient n'était pas aisé...

Pourtant il faisait les efforts pour tenter de l'admettre. Aussi pénible, douloureux et même désespérant que ça soit... A sa simple question, esclavage ou liberté, il n'avait pas su répondre immédiatement. Si on élan, son instinct lui hurlait de gagner sa liberté même si il devait continuer de gagner millimètre par millimètre, tout le reste en lui avait envie d'abandonner. Il était fatigué. Si bien qu'il demanda quel était le prix à payer plutôt que choisir immédiatement. Son hésitation trahissait sa faiblesse.

Le rêve lui répondit qu'il ne ferait rien à sa place. Un demi sourire germa sur ses lèvres, désabusé. C'était dommage mais il n'avait pas pensé pouvoir faire agir l'entité en son nom. Il ne voyait aucune raison valable qui la pousserait à se mouiller d'une quelconque manière pour lui. Ce n'était donc pas une réponse si aberrante que cela.
Finalement elle joignit les mains et une sorte de parchemin y apparut lorsqu'elle les sépara.

Cain jeta un coup d’œil morne au parchemin. Au moins les quelques larmes avaient cessé. Morphée de son côté avait reprit la parole et mentionna que le chemin à suivre vers la liberté était la vengeance. Exactement l'opposé de ce que tout le monde essayait de lui inculquer. Qu'il s'agisse de Chad ou Marinn en passant par Alecto, tous avaient essayé de le pousser à relativiser, à abandonner ce chemin pour trouver une "meilleure voie". Selon eux il pouvait être libre sans y recourir mais en vérité, Cain n'avait jamais vu ce qu'ils s'évertuaient à lui montrer. Tout ce qu'il savait c'est que la violence appelait la violence. Et que celle qu'il subissait avait toujours éveillé chez lui un besoin de sang et d'os brisés.

Aussi, surpris qu'une parfaite inconnue lui dise l'inverse l'étonna et il redressa la tête vers elle en arborant une seconde un air étonné. Malgré tout, une part de lui-même ne put s'empêcher de frémir de joie. La promesse de maints combats.
N'était-il pas las de tout ça ? Si. Évidemment. Cain n'était pas certain de comprendre lui-même sa réaction. Se plonger de nouveaux dans les combats et la quête de la déchéance d'autrui n'allait-elle pas simplement le remettre à la portée de ceux qui l'avaient déjà enchainé par le passé ? Si. La liberté valait-elle le risque de perdre plus qu'elle ? Il n'en était toujours pas certain. Pourtant derrière ces doutes, l'impulsion s'était faite plus insistante, pulsant à travers son esprit comme le ferait un cœur exalté. Autre chose l'ennuyait pourtant mais il ne parvint pas à mettre de mots dessus.

L'entité avait continua son discours, son explication. Le monde était un équilibre ? Oui. Il en était convaincu. Il suffisait de voir que ces lumineux vivaient encore malgré leur stupidité ambiante pour comprendre qu'une sorte d'équilibre cosmique était à l’œuvre. Il fallait au moins ça pour que leur débilité ne les empoisonne pas à mort. Une étincelle de satisfaction et d'impatience illumina son regard ocre lorsqu'elle mentionna la mort nécessaire de ses bourreaux.
Il la calma pourtant en se demandant qui en était réellement un..? Brann c'était une évidence. dans quelle mesure pouvait-on considérer que Chad en était un ? Ou Alecto ?
Son regard s'assombrit alors que la liste s'allongeait et qu'il cherchait à apposer une limite. Il avait conscience qu'il s'agissait d'une pente glissante et potentiellement sans fin.

Elle déplia le parchemin vierge jusque là dont certaines inscriptions se mirent à apparaitre en écho à ses propos. Un contrat. Il se releva et écouta avec attention. C'était... tentant. Mais elle lui avait dit ne pas vouloir l'infantiliser. Il n'y avait donc pas de vraie raison qu'elle passe un pacte pour "le soutenir", et encore moins "par tous les moyens". Même si le contrat était beau, dans le sens où c'était tentant de gagner une alliée potentielle, Cain ne comprenait pas au nom de quoi elle s'infligerait ça. C'était trop vague, trop flou. Si il échouait, est ce que le contrat activerait une autre fonction ? Et qu'avait-elle à y gagner ?
Pire encore, elle le torturait presque pour lui faire prendre conscience de l'ampleur et du nombre de chaines qu'on lui avait mis mais elle lui proposait un contrat. En le signant il ne ferait que s'ajouter un lien de plus. N'était-ce pas ce qu'il était censé éviter si il choisissait réellement la liberté ? Se jouait-elle de lui ? La "vraie" pour certains n'était-elle pas la mort elle-même ?
A moins que tous ces doutes ne soient que des chaines en plus qui continuaient à l'empêcher d'avancer de faire ce qu'il fallait. Est ce qu'il était devenu aussi paranoïaque que son grand-père ?

Enfin, sa nature lui répondit avec force : peu importait. Le rêve devait cesser. Elle devait sortir. Et lui devait se libérer.
Il s'était toujours dressé contre ceux l'avaient entravé. Peut-être pas de la bonne manière mais il savait que nombre d'humains auraient abandonné bien avant lui de se conformer à ce que tous voulaient. Obéir, ne pas faire de vague. Il n'avait pas cédé. Pas encore. Pas totalement.
C'était en quelque sorte sa fierté. Sans doute mal placée. Mais elle était là, et demeurait puissante. Personne ne le briserait. Personne ne ferait de lui son chien. Personne ne le ferait ployer le genou.

Affirmant sa volonté en ce sens, il était hors de question de signer quoi que ce soit. Peut-être devrait-il la remercier de lui avoir montrer la voie à suivre ? Ou plutôt celle qu'il avait réellement envie de suivre. Et dans le fond peu importait les raisons réelles qui l'avaient poussé à "l'aider". Il avait conscience qu'elle l'avait sans doute manipuler d'une quelconque manière pour le pousser sans doute à choisir cette voie mais il s'en moquait. Pour l'instant. Toutefois, il était hors de question d'accepter davantage. Il avait choisi et sa volonté l'affirmait avec fermeté que ce soit au travers de son langage corporel ou au travers de son esprit.

En une fraction de secondes, le jeune homme laissa place à un démon. Pas entièrement transformé mais suffisamment. Peau grise, yeux entièrement noirs à l'exception de ses iris toujours dorés, une paire de cornes avait poussé, sans douleur cette fois-ci. Après tout, c'était un rêve non ? Et il entendait bien en reprendre le contrôle. La marque rouge de son hybridation était active et marquait son cou et une partie de son épaule.

"Merci de ton aide." Le ton semblait sincère.

"Maintenant sors de mon rêve." Pour illustrer sa phrase, un faible choc mental émana de lui. Il n'était pas capable d'en produire un vrai faute d'avoir eu de "vrais" cours en la matière, y compris à cause d'un défaut certain de talent pour cette matière. Mais il en avait pleinement conscience. Le choc n'était qu'un avertissement.

Sa présence, à moins qu'il ne s'agisse de sa simple volonté de nuire, se déploya avec violence alors que des paroles en sombre verbe résonnaient à travers lui.




Un ordre des plus simplistes. Il n'avait pas envie de la tuer. Ce qui ne signifiait pas qu'elle en ressortirait indemne. Mais il lui était reconnaissant de ce qu'elle avait fait pour lui. En un sens il lui avait rendu service. Toutefois, elle avait raison sur le fait qu'il était plus que temps qu'il récupère sa plume. Ca commençait aujourd'hui. Elle voulait une bonne histoire ? Il lui en fournirait une. Qu'elle le regarde !