Apprentissage de la magie noire [ Terminé ]

Le premier mouvement qui indiqua son réveil fut le déplacement lent, presque imperceptible de ses cuisses sous les draps de soie. Elle sentait une impression étrange, désagréable, comme un mal de tête récurrent qui ne semblait pas vouloir cesser. Une chose qu’elle ne comprenait pas, les pauvres afflictions physiques ayant cessées bien longtemps avant avec son étreinte…

Mais tout à coup la lumière de l’aube atteint la peau délicate et nâcrée de sa main. Le réveil fut immédiat et douloureux. Ayant veillé jusque tard dans sur son petit balcon à apprécier les senteurs nocturnes, elle avait oublié de refermer hermétiquement les battants des ouvertures en allant imiter les mortels en prenant place dans ce lit définitivement plus confortable ques es lieux de repos habituels.

Retirant aussitôt sa main de la zone sinistrée, elle mobilisa sa conscience et fit un geste de la seconde pour refermer les volets traîtres qui complotaient pour sa perte.

Elle prit alors enfin le temps de reprendre conscience, d’émerger de cette non-existence dans laquelle elle se plongeait pour maintenir son niveau d’énergie avant de chercher la petite cloche d’argent qu’elle avait l’habitude de trouver autour de son logis. Fouillant avec un geste râgeur, il lui fallut quelques instants pour se souvenir, comme chaque matin, qu’elle ne se trouvait plus au Manoir. Les murs de bois avaient laissés place à l’enceinte de pierre du château de Tagartt. Elle ne disposait plus ici de serviteurs, ni de délicieux volontaires pour absorber l’alcool qu’elle souhaitait ingurgiter afin de pouvoir y goûter leur sang… Ici elle ne se trouvait qu’un membre du personnel parmis tant d’autre qui devait faire avec et s’occuper seul de lui-même.

Emergeant du lit en laissant les draps de soie noire courir le long de sa peau blâfarde pour la révéler dans son plus simple appareil, elle entreprit rapidement de s’habiller d’une longue robe d’un pourpre profond serrée à la taille par le corset dont elle eut toutes les peines du monde à s’équiper seule avant de compléter l’ensemble d’une petite paire de chaussures noires à boucle unique dont le talon ne manquerait pas de prévenir de son arrivée quelques temps avant celle-ci grâce à l’écho de ces couloirs de pierre et d’un lourd manteau sombre dont elle s’envollepa pour simuler le froids censé l’étreindre comme tout autre mortel à cette période de l’année.

Prenant le temps de déboucher la carafe enchantée, que lui avait offert le sinistre Raphaël lors de son départ du manoir, elle s’offrit le temps d’une coupe d’hémoglobine colorant ses lèvres d’un écarlate des plus délicieux avant de se rendre vers son bureau. Elle n’arrivait pas à comprendre cette volonté étrange qui l’avait elle-même un jour animée de profiter d’une journée pour agir. La nuit se faisait tellement plus adéquate à l’étude de la magie, aux confidences dérobées et autres activités follement plus amusantes que le travail auquel chacun semblait vouloir s’astreindre…

Mais ses réflexions tournèrent court au moment dépasser l’angle du mur la séparant encore de son bureau et par extension de sa salle de classe lorsqu’elle y découvrit un jeune homme l’attendant. Vêtu de sombre, il patientait à côté de la classe depuis quelques minutes déjà visiblement d’après son comportement.

Son regard attira un instant les yeux de la femme avant de descendre vers la perception de sa veine jugulaire battant sous sa peau juvénile, rappelant à Contessina qu’elle n’avait pu se nourrir de personne depuis un long moment. Réfrénant ses envies comme des décennies lui avaient appris à le faire, elle se composa un visage mêlant l’ironie au désintérêt, cherchant à percevoir si le jeune homme se trouvait orgueilleux.

Si j’avais su que je trouverais un chien à ma porte dès le lever, j’en aurais peut-être retardé l’heure. Que voulez-vous ?

Contessina retint un sourire en découvrant la réaction du jeune homme. Elle lui rendit au contraire un air indifférent, faisant peu de cas de son trait d’esprit.

Il aurait fallu avoir plus de charme que vous n’en exposait pour réduire la distance élève-professeur entre nous… jeune homme.

Elle appuya légèrement les deux dernier mots, souhaitant en faire l’image d’une pique rabaissante avant d’avancer vers lui, accentuant l’ampleur de ses mouvements. Elle avait saisi ses regards répétés sur sa personne et elle connaissait parfaitement l’effet qu’elle pouvait provoquer chez les hommes qui la côtoyait qu’ils soient âgés ou jeunes, or elle comptait bien là-dessus pour finir de déséquilibrer son futur étudiant.

Je vais néanmoins vous faire profiter de ma première leçon à titre magnanime en attendant l’ouverture officielle de la saison d’enseignement. Je n’offre pas un cours, je le donne. Le choix des mots et surtout leur respect est particulièrement important dans ma discipline, un synonyme dans un rituel pouvant amener de terribles effets secondaires.

Passant à côté de lui tout en laissant le revers de son manteau le frôler discrètement, elle se dirigea vers la porte et l’ouvrit en un tour de main à l’aide d’une lourde clef de fer qui disparut aussitôt dans une poche du-dit manteau. Prenant un instant, elle posa une main dessus et tourna son visage vers Cain en lui adressant un sourire narquois un rien enjôleur.

Mais après tout, c’est mon travail à présent d’empêcher de jeunes idiots de se tuer en essayant de préparer un envoûtement… Suivez-moi de près et ne touchez à rien si ce n’est la chaise que je vous désignerais.

Sans plus d’égard pour son futur élève, elle simula un effort physique pour pousser la lourde porte avant de pénétrer dans les ténèbres accueillantes de la salle de classe qu’elle avait sélectionnée. Proche des caves, elle avait réussi à en occulter les grandes fenêtres en ogives à l’aide de sortilège d’imperméabilité. Ses sens aiguisés lui permettaient de se déplacer avec aise entre les pupitres malgré l’obscurité profonde, mais le jeune homme aurait peut-être plus de difficulté.

Progressant avec adresse jusqu’à son bureau, elle y récupéra une longue allumette qu’elle craqua pour enflammer la chandelle mauve séjournant sur le meuble, procurant enfin un phare de lumière dans les ténèbres. La chandelle pour autant n’était pas la seule de la pièce, chacune disposait à distance égale des autres pour prodiguer une source de lumière, mais pas suffisant pour briser totalement l’obscurité de la salle. Faisant lentement le tour de celle-ci pour les allumer chacune à leur tour, elle attendait que le jeune homme ouvre la bouche de lui-même pour lui présenter les raisons de sa présence alors que l’ôdeur enîvrante des bougies emplissait la pièce.

Comment ne pas s’amuser du comportement du jeune homme pour quelqu’un qui disposait de l’éternité ? Sa fougue symptomatique de son âge et sa manière de ne pas reculer le moment décisif  en aurait presque étaient rafraîchissantes. Il allait droit au but, aux connaissances qu’il était venu chercher et ne s’attardait que guère sur les environs. Cela dénotait d’une personnalité obstinée, mais elle doutait d’en sortir un politicien un jour.

C’est un art complexe et précis en effet, mais avant tout il est subtile. Il faut comprendre que la magie noire est comme la caresse, délicate. Employez-y trop de force et vous obtiendrait l’effet inverse, tandis que pas assez signifie produire des efforts pour rien.

Terminant d’allumer les chandelles de la pièce, elle savoura avec ravîssement les premières bouffées des vapeurs narcotiques qu’elles dégageaient, évoluant vers le sol en milles volutes de la couleur de la lavande. Bientôt le sol se trouverait tapissé de cette brume et la scène de théâtre du cours serait prête.

L’enseignante se tourna finalement vers l’élève, hôchant du chef en découvrant qu’il avait pris place dans les premiers rangs autour de son bureau. La pièce en elle-même était formée d’une étendue rectangulaire exiguë dans laquelle quatre rangs de cinq bureaux faisaient face à celui, plus imposant, du professeur. Les chandelles, hormis celle trônant sur le bureau professoral, prenaient place devant les grandes fenêtres occultées. Enfin, un escalier de pierre menait vers une petite pièce en surplomb condamnée par une lourde porte de bois.

Progressant en silence entre les bureaux, Contessina prenait garde à simuler une respiration de sa part pour maintenir l’illusion de son humanité auprès de la population de l’académie, pour finalement venir siéger derrière son bureau.

Concernant votre seconde question je vais vous demander de prendre acte si jamais d’autres du même acabit devaient surgir de votre bouche avant d’avoir quitté cette salle de classe. Si vous êtes venus, j’espère que vous le fîtes armé de questions précises. S’il ne s’agit que de découvrir les bases de la magie noire, alors je vous ordonnerais de revenir la semaine prochaine pour suivre le même que je „donnerais“ aux premières année. Je n’ai pas vocation à me répéter et ne m’expliquerais donc pas en avance. Cela étant dit… Avez-vous des questions précises sur l’art noble exigeant de la magie noire ?

Elle parlait sans afficher d’exaspération ou l’urgence qu’elle avait détecter dans les propos de son élève, posant le feu glacé de ses prunelles pâles sur lui, elle ne prit pas la peine de le détailler comme il l’avait fait avec elle, ni même d’employer les pouvoirs de sa nature vampirique, les chandelles et leurs vapeurs narcotiques ne tarderaient pas à placer les élèves dans des dispositions calmes et influençables qui ne manquerait pas de les rendre réceptifs aux propos du professeur.

Le professeur sembla apprécier les réponses de son élèves, autorisant pour la première fois depuis son entrée dans la salle sa bouche à adopter la forme et la mimique d’un sourire amusé. Elle aurait presque pu sentir les tréfonds ténébreux de l’âme de Cain bouger alors qu’il lui faisait les révélations de ses motivations. Elle lui apprendrait la magie, à défaire ses ennemis et prendre la revanche qu’il cherchait. Cette revanche seule qui pouvait pousser une âme si jeune dans de telles extrémités et volontés.

Se levant doucement, elle fit le tour du bureau avant de quitter la petite estrade qui le plaçait en surplomb du reste de la salle, à pas lents cadencés par le léger bruit de tissu dégagé par sa robe à chacun de ses mouvements en avant, elle vint se placer derrière son élève pour finalement poser une main délicate sur son épaule gauche.

Je ressens une volonté de fer en vous à faut de l’astuce pour l’utiliser. Peut-être ferez-vous un bon élève après tout…

Sa voix se faisait traînante alors qu’elle baissait le ton pour n’être audible plus que par son jeune interlocuteur. Amusée de sa franchise, elle prenait les devants avant qu’il ne soit telle la flamme qu’il semblait maîtriser, ardent et incontrôlable, elle devrait lui apprendre à nourrir cette sombre rancoeur, mais surtout la mettre à son service sans qu’il ne s’en aperçoive où il serait un jour une gêne dans ses plans.

Je ne prétends pas comprendre cette rancoeur qui semble vous habiter et vous ne trouverez pas en moi une âme compatissante qui cherchera à calmer les troubles de votre esprit. Mais je peut au contraire vous apprendre à vous nourrir de ce sentiment, de cette force cachée que beaucoup vous demanderont d’abandonner…

Le lâchant, elle reprit enfin sa marche dans la salle de classe, non pas vers le bureau étrangement, mais vers la porte de la salle. Traversant la pièce sans hâte, elle vint ouvrir la lourde porte de bois et la tenir ouverte d’un bras tendue, invitant le jeune homme à sortir de l’autre.

Mais vous manquez encore pour l’instant des bases qui donneraient à un cours particulier un véritable intérêt. Revenez la semaine prochaine avec les premières années et je vous enseignerais le premier pas vers votre but.

Un sourire charmeur vint illuminé les lèvres du professeur alors qu’elle entendait le jeune homme refuser son injonction. L’adolescent ne semblait pas vouloir se contraindre à l’autorité d’autrui, comme un chien fou et arrogant, il attendait du monde qu’il se plie à ses désirs sans autre forme de procès et sans que lui-même n’ait visiblement à sacrifier et surtout pas sa fierté.

Pour Astrid Bones ou Helmael, suivant le nom par lequel on souhaitait appelé cette entité bicentenaire, le jeune homme semblait promettre de belles qualités pour le clan de son sire. L’orgueil était un défaut qu’Antoine cherchait chez nombre de ses infants car il était pour lui une laisse invisible qui lui permettait de faire jouer les jeunes selon sa propre partition. Mais pour Contessina Altius, professeur de magie noire issue des régions baltiques, cela ne pouvait être tolérer.

Semblant prendre une longue inspiration, l’enseignante prit sur elle de ne pas user de ses pouvoirs, d’après ses souvenirs la forteresse était bardée de sortilèges de surveillance et si elle en avait déjà trop dit pour attiser l’intérêt et l’attention de son futur élève, elle n’aggraverait pas son cas en se soumettant de manière aussi idiote à un usage irraisonné de ses pouvoirs. Il faudrait donc qu’elle s’en remette à ses capacités orales pour convaincre ce jeune homme de suivre ses dires et si la raison n’y parvenait pas… La persuasion y parviendrait sans doute.

Jeune homme…

Commença t-elle alors que son ton caressant semblait reprendre son accent russe naturel.

L’enseignement est une affaire de patience et d’humilité. Si c’est bien de puissance et de savoir dont il est question ici, sachez que le chemin jusqu’à leur obtention est longue et ardue. Difficile et douloureuse. Je peux voir dans vos yeux que la douleur ne vous est pas inconnue. Je ne chercherais pas à la soigner car elle sera l’énergie principale de votre magie. En revanche…

Ayant rompu la distance entre la porte et le premier rang auquel siégeait toujours son jeune réfractaire, elle le toisait à présent de haut d’un regard tout sauf amical, contrairement à ce que son ton pouvait laisser entendre.

La régente m’a donné autorité dans ma salle de classe. Et je serais tout à fait prête à accroître cette réserve de souffrance si vous osez me désobéir une fois encore entre ces murs… Je vous donne une chance, une dernière chance pour quitter cette salle de classe et revenir pour le cours des premières années. Sinon vous assisterez bien à l’un de mes cours, mais en tant que cobaye pour les troisième année. Faîtes votre choix…

Le coeur mental et simulé de l’institutrice manqua un battement alors que le jeune homme s’approchait, tentant de dissimuler pour le monde et pour lui-même ce qui venait d’étreindre son coeur l’espace d’un instant. Hélas, il n’avait pas face à lui l’une des brebis, un herbivore, un constructeur. La fille d’Antoine contracta un instant son corps pour l’empêcher de bouger, son instinct lui hurlant mille instructions qui toutes l’auraient menées à terme à la mort ou à la découverte de sa véritable identité.

Elle voulait jouer à chat, lâché cette petite souris dans le château et lui courir après en l’asticotant avant de finalement lui porter le coup fatal une fois ennuyée ou sa proie épuisée…

Ses désirs et instincts de prédateur faillirent prendre le dessus l’espace d’un instant. Son nez n’enregistrait plus d’informations ou au contraire en enregistrait trop à présent aiguisé pour ques a conscience puisse tout traiter en même temps. Elle avait été idiote, elle avait laisser son orgueil prendre le dessus et un soupçon de son être véritable transparaître devant le jeune homme, aussi brave qu’il fut et elle devait lui reconnaître une force de caractère certaine pour avoir ainsi osé approcher, sa réaction était des plus naturelles, instinctive, ancrée en lui depuis une époque lointaine, bien avant sa néance, une époque où l’être humain servait encore proie à d’autres espèce.

Ce sentiment faillit coûter beaucoup aux deux seules personnes présentes de la salle et Contessina doutait de pouvoir réussir à dissimuler son trouble parfaitement. Préférant coller au plus près de la vérité pour écarter les soupçons, elle décida que son masque facial, cet ensemble de muscles morts et froids afficheraient en effet un trouble, passager, l’oeil brillant, le sourire léger.

Je vois que le petit chiot ne sait pas qu’aboyer, mais aussi tenir sans en mouiller ses guêtres. Il se pourrait que vous ayiez plus d’intérêt au final que celui d’un simple idiot en quête de pouvoir.

Elle lui sourit d’un air conquérant, mêlant charme et danger, une sombre invitation à la déperdition tout en appréciant le cheminement mental qu’elle pouvait supposer dans son jeune regard. Il s’inclina finalement, son orgueil vaincu face à la puissance de sa propre raison. Elle ne doutait pas que de son point de vue, il perçoive cela comme une défaite et un abandon, mais insconsciemment, il venait d’apprendre deux leçons qui lui seraient indispensables dans la poursuite de son enseignement des arts noirs. Savoir quand tenir et quand laisser tomber, mais également que toujours son esprit devait prévaloir sur son coeur, c’était bien la plus grosse différence qui séparait la magie noire de sa soeur lumineuse.

Glissant d’authorité son bras dans celui de son élève, elle le raccompagna à la porte tout en contrôlant cette soif rouge qui couvait dans sa gorge, profitant de ces élans meurtriers pour entretenir le soeur qui lui donnait un semblant de vie pour ceux qui se trouvaient à son contact.

Ma classe débutera la semaine prochaine, au matin du jour de la lune. Ne soyez pas en retard et surtout, apportez des questions précises si vous souhaitez avoir des réponses du même acabit… Au revoir jeune homme.

Et c’est finalement souriante et aussi lumineuse que pouvait être cette petite parcelle de nuit dans le monde des vivants qu’elle referma la porte, supposant que sa petite énigme ne le bloquerait pas longtemps. Après tout „Lune Dies“ n’était-il pas le début de chaque semaine ?