Chapitre 3
Alors que l’après-midi était bien avancée, Lucien titubait presque à force d’effort pour tenter de rattraper la barge de Grodnír. Il en finit même par s’assoir sur une souche d’arbre mort qui gisait sur le bord de la route. Les nains avaient énormément de forces dans les bras naturellement, sinon ils ne parviendraient guère à creuser aussi profondément la roche des montagnes où ils élisent domicile. Dès lors, ils étaient capable de donner suffisamment de puissance à leur mouvement de godille pour faire avancer la barge plus vite que ne le ferait des humains normaux ou batelier de profession. Il fallait en plus de cette force ajouter le courant du Sermandor qui avait dû aider les nains et ainsi, ils devaient déjà être loin. Pour Lucien qui s’adossait contre un chêne, se tenant un flanc pour lutter contre le point de côté qui le transperçait, c’était particulièrement gênant. Non seulement les nains n’allaient certainement pas s’arrêter pour la nuit et naviguer au moins jusqu’à Aarstven, la ville bâtie sur la jonction entre le Rheinen et le Sermandor. Or la ville, à pied, était au moins encore à une bonne demie-journée de marche et dans son état, Lucien ne pouvait pas vraiment espérer y parvenir aussi vite. Il n’était que libraire, pas messager ou percepteur des impôts. Dans les deux cas d’ailleurs, ils avaient des chevaux.
Là encore, Lucien n’en avait pas. Si cela avait été le cas, il l’aurait directement pris chez lui. Or le jeune libraire n’en avait pas l’utilité. Il ne sortait presque jamais de son village et quand c’était le cas, il empruntait les fréquentes barges qui sillonnaient le Sermandor. D’une part il s’agissait du moyen de transport le plus économique qu’il était possible de trouver ici, en Osna et d’autre part, il était beaucoup plus sûr car les voleurs et les bandits n’avaient pas les moyens de stopper les barges. Le dernier en date ayant essayé avait dû être secouru par le batelier qu’il avait essayé d’extorquer. La chaîne que le brigand avait tendue pour immobiliser la péniche s’était rompue et bêtement, les voleurs s’étaient imaginés avoir assez de force pour la retenir. Ils ont finis traînés derrière la barge sur plusieurs centaines de mètre. Dans ces conditions, Lucien n’avait aucun cheval a sa disposition et il lui restait tant de distance à parcourir. Il pouvait aussi faire le pari de retourner à Vorst aan Sermandor pour louer une monture au relais de poste et refaire le trajet en une courte période. Cependant, là encore, c’était faire le pari que Grodnír n’avait pas déjà quitté Aastven quand il arriverait.
Alors que Lucien était toujours assis sur sa souche d’arbre, le coffret négligemment emballé sur ses genoux et reprenant son souffle quand il vit quelqu’un marcher sur la route. Grand et son visage caché par une immense capuche qui se prolongeait en un long manteau, seul l’arc et le carquois de l’individu dépassaient en plus de quelques mèches de cheveux d’un blanc pur et uniforme. Certainement un nordique se dit Lucien. Toutefois, alors que l’individu passait devant lui en le saluant en langue commune, le jeune libraire se rendit compte qu’il n’avait pas la voix si caractéristique des peuples humains du nord. Elle était douce et surtout, féminine. Une femme ? Non, une elfe ? C’était intéressant et surprenant à la fois. Osna était une principauté très calme mais bordée par des royaumes bien plus brutaux ce qui rendait les voyageurs elfes bien moins fréquents. En croiser un était donc une sorte d’honneur pour le jeune libraire qui n’avait jamais vraiment eu l’occasion d’en voir de près autrement que dans les livres. S’il s’agissait bien d’une elfe, alors c’était assez normale qu’elle ne cherche pas à se mettre en avant. Après tout, cela ne faisait que quelques siècles que les grands dragons avaient disparus et les velléités à l’égard du petit peuple, dont les différentes races d’elfes sont les principaux ambassadeurs, n’avaient pas disparues. Lucien s’intérroggeait donc sur la raison pour laquelle une elfe viendrait en Osna avant de se rendre compte qu’elle était sur la même route que lui et surtout en sens inverse ! Peut-être avait-elle vu la barge de Grodnír ! Lucien alors tourna la tête et tout en se levant, interpela l’inconnue qui lui donnait maintenant le dos :
« - Ahem, excusez-moi ? L’inconnue s’arrêta et le haut de son visage toujours caché par l’ombre de sa capuche, elle se tourna vers le jeune humain. Oui… hm… bonjour. Je voulais vous demander si vous aviez croisé, en remontant cette route, une barge avec des nains dessus ?
- De nains ? L’elfe répondit avec un ton peu impliqué ce que Lucien pouvait comprendre. La rivalité entre nains et elfes était connue et il était presque normal qu’une elfe n’ait pas remarqué une bande de joyeux lurons comme celle de Grodnír.
- Oui, des nains sur une barge. Ils descendaient le Sermandor en direction d’Aarstven et je dois leur remettre quelque chose. Donc je voulais savoir si vous les aviez vus. Ils doivent être une dizaine et l’un d’entre eux à une grosse barbe rousse et est particulièrement, fort dirons-nous.
- Non. Répondit l’elfe d’un ton sec avant de reprendre sa route et laisser Lucien.
- Vous êtes sûre ? Je ne veux pas vous importuner, mais c’est très important parce que je ne veux pas des ennuis qu’ils vont me causer.
- Non je ne les ai pas vu l’humain et je n’ai pas envie d’avoir vos ennuis non plus alors laissez-moi tranquille.
- D’accord. D’accord… » finit par dire Lucien en tapotant de sa main libre le coffret emballé sous son autre bras.
Il devait donc se résoudre à retourner à Vorst aan Sermandor pour trouver une monture. Malheureusement, il devrait le faire en marchant non loin de l’elfe qui n’avait pas été trop commode avec lui. Cela pouvait se comprendre. Ils ne se connaissaient pas et il venait de la harceler de questions à propos d’une race qu’elle ne devait guère apprécier. En y repensant, il aurait fait pareil, exactement la même chose. Exactement comme il avait éconduit le vieillard en face de sa librairie. Le destin le mettait bien dans une situation cocasse. D’autant plus cocasse qu’en pianotant toujours sur une partie du coffret dénudé, Lucien se rendit compte que ce qu’il portait était intimement lié aux elfes et que soudainement, ici, sur la route entre Vorst aan Sermandor et Aarstven, il rencontrait une elfe.
Le destin n’était plus en train de simplement se moquer de lui, il était en train de réaliser ce qu’il espérait éviter en remettant dans les plus brefs délais ce coffret à Grodnír. Il ne manquerait plus que le ciel lui tombe sur la tête.
« Ô avant que le ciel ne vous tombe sur la tête maître libraire, je pense qu’il est possible de venir au bout de vos peines.
Venus de nulle part, ces mots figèrent aussi bien Lucien que l’elfe qui marchait devant lui. Ils auraient pu venir d’elle se dit rapidement le jeune libraire. Mais elle n’aurait alors pas saisit en un éclair son arc et armé une flèche, pointé vers le virage de la route. Là, il y eu un silence et une rafale de vent de printemps vint retirer la capuche qui couvrait jusque-là la tête de l’elfe, laissant Lucien découvrir la perfection propre à cette race antique et en même temps, voire son cœur se serrer de terreur. Car la grâce de cette elfe était dirigée par des yeux d’un rouge sang, trahissant sa nature et donnant plus de corps à la couleur de ses cheveux, à sa peau pâle et à l’épais manteau qu’elle portait malgré le flamboyant soleil.
Un vampire oui maître Faigrièvre. Je vous présente Erendíl, fille de Ilien et de Feranor, eux même fille et fils de Nanrak. Lança le vieillard qui débouchait du virage que visait l’elfe et avec à sa suite deux autres chevaux.
- Truvenor ? Comment est-ce possible ? demanda l’elfe qui baissa son arc et rangeant avec une agilité sans pareille sa flèche dans son carquois.
- Ô vous savez, le destin fait bien les choses. Et je suis mage, pas vendeur de sucrerie. Prenez donc cette monture. Et celle-ci est pour vous maître libraire. Le vieillard donna depuis le haut de son cheval les rênes des deux autres à Erendíl et à Lucien qui manqua de faire tomber le coffret dont il avait la charge.
- C’est donc de vous la lettre que j’ai reçu à Varsva ? Interrogea l’elfe qui, sans plus de manière, enfourcha le cheval que le magicien répondant au nom de Truvenor venait de lui donner.
- Une lettre ? Je n’ai pas l’habitude des lettres. Les portails, même en plein milieu d’un nid de vampire datant de la première ère, sont bien plus simples. Comment pensez-vous que je suis venue ici jeune fille ? A pied ?
A ceci, l’elfe esquissa un léger sourire qui marquait le fait qu’elle connaissait le vieillard. Ce n’était pas le cas de Lucien qui, toujours les rênes de son cheval en main. Ne comprenait guère ce qui venait de se passer et n’allait pas rester silencieux sur cette matière.
- On peut m’expliquer ce qu’il se passe ici ? Je vous croise, vous le magicien, à Vorst aan Sermandor alors que vous voulez aller dans ma librairie et maintenant je vous retrouve ici, au milieu d’une route, à discuter avec une vieille connaissance tandis que vous me donnez un cheval ?
Le mage fit se tourner son cheval en direction du jeune libraire et regarda se dernier instant avant de sortir sa pipe et la bourrée de tabac d’Hésandre, connu pour son goût bien plus fort que la plupart des autres tabacs du Monde Connu.
- En ce qui s’agit du fait de vous retrouver ici, au milieu d’une route, les chevaux, maître libraire, vont plus vites que les humains. Ainsi j’ai pu acheter ces bêtes et vous rejoindre alors que vous crachiez vos poumons. Quelqu’un d’aussi cultivé que vous devrait le savoir non ?
- Cela ne répond pas à ma question vieil homme ! Qu’est-ce qu’il se passe ? dit Lucien en reposant avec bien plus d’assurance sa question. Le mage et l’elfe se jetèrent un regard avant que le premier ne laisse s’échapper une longue bouffée de fumer et ne réponde.
- Cher maître Faigrièvre, il semblerait que le destin ait décidé de vous accorder l’aventure de toute une vie et de faire de nous vos compagnons pendant celle-ci. Cette réponse provoqua un froncement de sourcils chez l’elfe, comme si la mention du destin à plusieurs reprises par le mage la faisait réfléchir.
- Alors non ! Je vous le dis tout de suite, pas d’aventure, pas de quête ou autre chose avec moi ! C’est d’ailleurs pour cela que je m’en vais remettre ceci à Grodnír, pour être sûr que cela ne me concerne plus !
- Et quand vous aurait remis le coffret et son contenu à Grodnír, pensez-vous que les problèmes vont s’écarter de vous, comme par enchantement ?
- Si je ne l’ai plus, il n’y a plus de raison que l’on m’implique dans cette affaire vieil homme donc je m’en vais de ce pas remettre cette boîte et retourner chez moi, prendre une camomille et demain, toute cette histoire sera terminé ! Je prends ce cheval et je vous le ramène. Dit Lucien en montant de façon maldroite sur le gros cheval de trait que le magicien lui avait donné.
- L’histoire ne vous oubliera pas Lucien. Répondit alors avec un ton ferme le magicien. Vous avez vu un objet que bien des forces, qui vous dépassent, convoitent et recherchent. Pas seulement les chasseurs de trésors, les prêtre-dragons ou les elfes. Il y a des forces qui nous dépassent et qui, dans l’ombre ou la lumière, cherchent à accumuler plus de puissance. Vous êtes impliqué désormais et simplement retourner la pierre à l’envoyeur ne va pas vous faire disparaître.
Il y eut un long silence alors que Lucien essayait de bien comprendre ce qu’il venait de lui être dit. Il était maintenant un rouage dans une affaire bien plus importante ? Exactement ce qu’il avait cherché à ne pas être depuis des années ! Il était très bien chez lui, dans son cocon, à raconter des histoires et des fictions où d’autres, plus braves, plus intelligents, plus forts que lui, se retrouvaient malgré eux ou parfois de leur fait, embarqué dans des aventures aux dimensions gigantesques. Lui cherchait la tranquillité d’une vie qu’il pouvait lui-même écrire, loin des tumultes d’un monde qui ne tiendrait jamais compte de sa modeste existence.
- Ça ne sert à rien de vouloir à ce point l’impliquer Truvenor. Vous voyez bien que toutes ces histoires ne l’importe que très peu. Accompagnons le à Aarstven et après cela, avisons sans lui, nous irons plus vite ainsi, dit l’elfe en commençant à faire marcher son cheval en direction de la ville d’où elle venait.
Cette attitude était des plus surprenantes pour Lucien. De ce qu’il avait compris, elle était venue de Varsva, une ville très ancienne à l’Est, à la frontière entre les terres germaines et slaves sur la demande d’une simple lettre dont elle ne connaissait pas l’auteur. Maintenant, elle suivait les demandes de ce vieux mage sans rien dire, simplement parce que de toute évidence elle le connaissait et comme s’il s’agissait de la chose la plus normale du monde. Voilà qui était vraiment incompréhensible pour Lucien et pourtant si familier, car lui-même avait déjà pu écrire des intrigues, des nouvelles, des fictions, des balades où es personnages pouvaient avoir la même attitude. Des écrits où certains personnages ne vivaient que pour cette adrénaline, cette curiosité et ces souvenirs qu’une aventure, une quête ou un simple voyage peuvent donner. Peut-être bien que cette elfe aux dents de prédateur étaient de ces aventuriers qui vivaient pour le frisson et les souvenirs de chacun de leur voyage, de leur réussite ou de leur échec. Mais là encore, il ne n’était pas de ceux qui cherchaient à avoir pareille vie. Lui préférait de lui être celui qui les raconte, assis dans son fauteuil et face à son manuscrit vierge, une plume à la main et en pleine écriture d’histoires qu’il n’a jamais vécu et qui, pourtant, semblent si vraies qu’il aurait bien pu être là à chaque chapitre, à chaque page, à chaque paragraphe. Il fallait cependant être réaliste. Il était libraire et auteur, pas aventurier et avait bien plus de talent à lutter contre des éditeurs véreux que contre une quelconque force que ce vieil homme lui imposait de combattre.
- Puisque vous semblez tant prêt à vous impliquer, nous allons faire comme vous venez de le dire Dame Erendíl. Nous allons allez à Aarstven et là, vous continuerez avec Grodnír ! Finit par répondre Lucien en talonnant son énorme cheval pour le lancer au galop sur la route pavée d’Aarstven.
- Si c’est ce que le destin souhaite » dit à moitié dans sa barbe le vieux mage en lançant lui-même son cheval sur la route. Une dernière assertion qui ne n’échappa pas, une fois de plus, à l’elfe dont le cheval emboîta le pas.
Les trois cavaliers, élancés sur la route d’Aarstven, arrivèrent au bout de seulement quelques heures à cette ville et sans avoir pu croiser le long du fleuve la barge des nains. Comme l’avait imaginé Lucien avant tous ces rebondissements, les nains n’avaient pas chômés et avaient donné tout ce qu’ils avaient pour rejoindre la grande ville avant la nuit. Cette dernière avait d’ailleurs commencée à forcer les habitant d’Aarstven à allumer les braseros, les lanternes et les lampions permettant de garder un semblant de lumière dans cette cité principalement faîte de bois et partiellement montée sur pilotis. Car la jonction entre le Rheinen et le Sermandor n’était pas du sol sec, mais plus un mélange sournois de sol meuble et de vase ne permettant pas la construction d’édifices à même la terre. En entrant de la ville, les chantiers en cours révélaient la batterie de piliers en bois qui hérissaient le sol, parfois à moitié couvert d’une eau boueuse, nécessaires pour supporter les bâtiments toujours plus nombreux de cette cité lacustre aux affaires florissantes grâce aux nombreuses haltes des voyageurs traversant le Rheinen sur le gigantesque Pont Noir, fabriqué avec des blocs de pierres noires arrachés aux Montagnes Noires et taillés directement ici, à Aarstven, pendant la dernière ère. Il reliait la ville à la rive orientale du fleuve et plusieurs petits pont enjambaient le Sermandor pour finir la traversé. Ceci créait déjà beaucoup de passage et les bateliers qui s’arrêtaient pour ravitailler finissaient de donner un dynamisme immense à la ville, même de nuit.
Les lanternes allumées par les services municipaux ne servaient qu’à permettre d’éviter de se prendre les pieds dans un nid de poule. Ce qui permettait vraiment de se déplacer, c’était la forêt de torches que les badauds brandissaient pour voir devant eux et manifester auprès des autres leur présence. Lucien ne manqua pas, après avoir déposé leur chevaux chez un dernier non loin de la ville en échange de quelques piécettes, de se procurer eux aussi des torches. Le magicien lui se contenta d’illuminer le bout de son bâton. Quant à l’elfe, et refusa le flambeau que lui tendit, en toute galanterie, Lucien, clama que cela l’aveuglait. Le jeune libraire se rappela alors que les vampires étaient nyctalope et naturellement, la lumière, en pleine nuit, pouvait les aveugler un cours instant et par conséquente, ils se sentaient plus à leur aise quand ils n’avaient pas de grandes source de lumière près d’eux. Sans surprise donc, l’elfe préféra marcher devant le jeune homme et le magicien pour éviter d’avoir leur lumière dans les yeux tandis qu’ils cherchaient Grodnír. Lucien ne connaissait pas à la perfection le nain. Mais il connaissait très bien la ville et ses principaux points d’intérêt. Non seulement parce qu’il y venait depuis longtemps, mais aussi parce qu’il avait suffisamment de fois utilisé cette ville comme point de départ de ses nombreuses fictions pour bien la connaître. Ainsi, le jeune libraire se fraya rapidement un chemin jusqu’aux quais et pu trouver la barge des nains. Malheureusement, elle était vide et gardée par les gardes de la ville qui ne savaient pas où les nains étaient partis. Leur barge était très bien gardée d’ailleurs, par rapport aux autres bateaux sur les quais. Les nains avaient dû graisser la patte des gardes pour qu’ils soient bien plus attentifs envers leur bateau. Rien d’étonnant à cela pour des nains. Cependant, cela coupait court à l’idée initiale de Lucien qui voulait simplement remettre à bord de la barge le paquet qu’il transportait. Ce n’était certes pas très honorant comme façon de faire. Mais ça l’aurait été tout autant que le fait de l’impliquer, contre son grès, dans une affaire de l’envergure que l’entendait le magicien.
Restait donc d’attendre que les nains reviennent ou que d’aller les chercher. La nuit venant de tomber et les nains étant de gros mangeurs, Lucien pouvait affirmer qu’ils ne reviendraient pas avant le petit jour ce qui excluait définitivement l’idée de les attendre. Sauf s’il voulait mourir de froid tandis que le magicien n’aurait pas prononcé quelques parole alacabrantesques pour se réchauffer que l’elfe ne devait certainement rien sentir en raison de son vampirisme. Il fallait donc chercher les nains. La ville était grande et cela pourrait les occuper jusqu’au petit matin. Dès lors, il s’agissait de rassembler les informations à leur disposition, du moins à la disposition de Lucien, pour retrouver les nains. Le jeune libraire connaissait Grodnír depuis quelques années en raison de son passage à Vorst aan Sermandor pour acheter du vin moins cher mais tout aussi bon qu’à la capital du petit royaume. Il s’agissait donc pour lui de remonter de Rheinen vers Negranor, là où il habitait. Negranor était connue sur les rives du Rheinen pour ses richesses, comme pour toutes les grandes cités naines, mais aussi leur appétit féroce pour le vin en plus de la bière qu’il brassait eux même d’ailleurs. Une bière dont seuls les nains connaissaient la recette et que de très rare auberge servait en dehors des murs de cités naines ou des mines exploités par les nains. Cependant, avec tout le commerce de vin en direction de Negranor, il devait bien y avoir une auberge ou même une brasserie ici, à Aarstven, qui proposait de la bière naine ! Lucien se tourna vers les gardes en sans plus de manières demanda s’il y avait une brasserie qui servait de la bière naine. Les gardes se regardèrent et indiquèrent comme un seul homme, avec une sorte de dégout, qu’il y avait bien l’Auberge du Vieux Cerisier qui servait ce jus d’houblon. La bière naine était tellement amère et alcoolisée que beaucoup de personne ne l’appréciait guère comme boisson de détente. Les travailleurs l’aimaient bien parce qu’elle tenait au corps et était nourrissante. Mais sinon, elle était souvent vu comme une boisson indélicate. Les légendes racontent qu’une de ces bières, brassées dans la cité naine de Domunoria, aurait réussi à priver du goût un seigneur elfe invité par le roi nain Grunín. Légende créée de toute pièce par les détracteurs de cette bière ou réalité un peu déformée, Lucien n’avait jamais pris le temps de se pencher sur la question car les affaires de chopes n’étaient pas sa priorité. Toutefois, il était assez content d’en savoir autant sur les habitudes gustatives des nains car, alors même que lui et les ses deux comparses s’approchaient du Vieux Cerisier, ils pouvaient entendre les rires lourds, gras et raisonnant à cause des r roulés sans limite à cause des effets de l’alcool qui devaient couler à flot à l’intérieur de l’établissement.
Etat de fait qui se confirma quand Lucien ouvrit la porte de l’auberge et fut accueilli par une chope de bière qui s’écrasait sur le linteau juste au-dessus de lui, le couvrant ainsi du liquide noire et particulièrement odorant. La constatation de ce dégât collatéral provoqua le silence dans la grande salle de l’auberge et surtout l’immobilisation du nain qui était à l’origine de cette bavure. Lui et Lucien échangèrent un regard presque entendu et le nain accouru vers le fond de la salle tandis que le magicien et l’elfe entraient dans l’auberge et que le libraire acceptait volontiers le torchon que l’aubergiste lui tendait. C’est ainsi, alors que Lucien épongeait ses vêtements et que l’elfe se couvrait le visage d’une bande de tissu, certainement pour limiter l’odeur ambiante à la limite de lui faire perdre l’odorat, que Grodnír apparut avec le nain maladroit à côté de lui et de toute évidence en train de lui expliquer la situation.
« Maître Faigrièvre ! Je suis véritablement confus pour ce qui vient de vous arriver. Je suis vraiment désolé pour la maladresse de mon gars. Je vous paye un bain dans les bains de la ville. Je connais bien le propriétaire des lieux ! dit avec sa voix roucoulante le gros nain qui ne manqua pas de donner une violente tape dans le dos de Lucien.
- L’intimité d’un bain serait en effet la bienvenue Grodnír, fils de Muelnír, fils de Krachnír, se permit alors le vieux mage qui s’imposa au champ de vision du nain.
- Par la barbe d’Athrandor, mais je ne rêve pas, c’est ce vieux bougre de Bohémond ! Ça doit faire quelque chose comme cent vingt ans que l’on ne s’est pas vu ! Qu’est-ce qui vous amène ici, en plus avec maître Faigrièvre et… Grodnír se pencha légèrement, se retenant de déclencher une tornade en rotant une grimace, pour voir Erendíl qui avait replacé sa capuche au-dessus de sa tête, de toute évidence une elfe ? Elle empeste la forêt à quinze lieux au moins.
La remarque ne manqua de provoquer une altercation visuelle entre le gros nain et l’elfe vampire. Mais le vieux mage, sous le regard plein de question de Lucien, mit un terme à ces enfantillages en ramenant l’attention du nain sur lui.
- La même chose qui a amené votre libraire à se déplacer depuis son modeste village jusqu’ici. C’est-à-dire le cadeau que vous lui avez fait. »
Le nain resta silencieux et remarqua alors que Lucien portait quelque chose sous son bras. Il n’était pas stupide et pas assez alcoolisé pour ne pas comprendre ce que c’était. Tant et si bien qu’il secoua ses lèvres dans plusieurs direction avant de saisir son manteau suspendu négligemment à un bossoir et indiqua au groupe de le suivre jusqu’aux bains. Ils y furent en un rien de temps et tous les membres du groupe se séparèrent de leurs habits pour simplement passer une serviette.
Les bains étaient parfumés et une courte discussion entre le tenancier de l’établissement et Grodnír permit à qu’une partie non négligeable du lieu soit vidé. Lucien fut le premier à arriver dans la salle d’eau, une serviette autours des hanches et le coffret, toujours couvert, sous le bras. Les lieux étaient particulièrement propre, de l’encens embaumé la salle d’une fine fumée qui se mélangeait parfaitement avec la vapeur de l’eau du bassin tout en se permettant de rendre l’expérience encore plus agréable grâce à quelques fragrances pouvant rappeler la côte de la Mer d’Azur. En particulier les roses du désert que l’on trouve dans le grand désert d’Arijaä. C’était une odeur douce qui imposait presque a détente de l’esprit et du corps et incitait à rester dans les bains et profiter des services, aussi bien alimentaires qu’humain, que l’établissement pouvait fournir. Lucien allait bien en profiter. Il était encore collant de la bière que l’un des nains de Grodnír lui avait renversée dessus et toute cette histoire allait enfin prendre fin. Il pourrait rentrer chez lui demain et retourner à sa petite vie, calme et paisible. Il fut rappeler à la réalité par l’elfe qui lui posa une main sur l’épaule pour qu’il dégage l’entrée de cette partie du bain. Naturellement, l’idée de partager un bain avec une femelle elfe n’était pas venu à l’esprit de Lucien qui, sans pour autant s’offusquer outre mesure, marqua tout de même sa désapprobation à l’idée qu’homme et femme se mélange dans un contexte aussi intime. Une remarque qui fut balayé par un terrible rire de Grodnír. Le nain ne manquant pas de remettre en doute l’existence même de sexe entre les elfes tant il était impossible de faire la différence entre les mâles et les femelles. Remarque à laquelle Lucien aurait bien voulut répondre qu’à la différence des elfes, chez les nains, il était parfois vraiment difficile de faire la distinction tant les naines avaient des habitudes vestimentaires et des manières proches de celles des nains. Toutefois, il se fit arrêté juste avant de répondre par Bohémond qui avait eu la grâce de venir en peignoir et non simplement paré d’une serviette. Un choix que la bedaine de Grodnír aurait dû lui imposer si le nain n’était pas si ouvertement content d’exposer sa circonférence. Quand tous finirent par prendre place autour du bassin, les hanches plongées dans l’eau chaude et les volutes de vapeurs autours d’eux empêchant de véritablement figer les regards, ce fut Lucien qui prit la parole.
« Je ne sais pas pourquoi vous teniez à faire cela de cette façon, avec des manières grandiloquentes et un peu de mystère, mais moi je veux simplement remettre une boîte et son contenu à ce nain. Donc, c’est ce que je vais faire et vous pourrez continuer sans moi. Lança Lucien qui prit le coffret et la nappe qui l’entourait toujours et se leva dans le bain pour l’amener à Grodnír.
- Asseyez-vous donc maître Faigrièvre. Nous traiterons votre retour à une vie normale plus tard. Pour le moment, j’ai besoin de savoir comment un nain, gros, empâté et plus penché sur l’alcool et le gibier que sur combattre comme c’était le cas il y a cent vingt ans a pu mettre la main sur de telles gemmes. Le ton avec lequel Bohemond arrêta Lucien puis interrogea le gros nain imposait le respect. Depuis le moment où il l’avait croisé, Lucien n’avait entendu que sa voix gâteuse. Mais là, il entendait une voix forte, autoritaire et qui imposait à l’humain d’exécuter les ordres du magicien, ce qu’il fit sans rechigner.
- Gros ? Empâté ! Bohémond, vous dépassez les bornes, magiciens ou pas !
- Je fixe les bornes ici au vu de la situation où votre bêtise est en train de nous mener. La voix du mage n’avait plus rien d’autoritaire à ce moment-là. Elle était devenue terrifiante et personne n’osait plus parler. Sauf l’elfe qui n’avait pas bougé d’un seul centimètre, comme si elle n’était pas impressionnée par cette voix quasi-divine. Non, elle provoqua chez elle le même froncement de sourcils qu’elle avait fait auparavant, sur la route d’Aarstven. Répondez donc à la question au lieu d’essayer de justifier comment un guerrier comme vous est devenu négociant en vin.
Grodnír une fois de plus fit gigoter ses lèvres sous sa barbe dans un silence qui semblait durer une éternité avant d’enfin répondre, de toute évidence plus calme qu’au moment où il prit la première fois la parole.
- Un antiquaire avait demandé de l’aide pour creuser dans des ruines elfes non loin de Negranor. Il disait qu’il y avait une salle qu’il n’arrivait pas à ouvrir et donc a demandé l’aide des nains. J’y suis allé avec mes gars et comme à chaque fois, j’ai dit à l’antiquaire que je me payerai avec ce que je trouverai dans les fouilles. C’est une pratique courante et il a dit d’accord, pourvu que ça ne soit pas dans la chambre qui était scellée. Alors, pendant que mes gars forçaient la porte, je suis allé avec deux trois nains voir ce qui pouvait nous servir de salaire. C’est comme ça qu’on est tombé sur une autre salle scellée. On l’a ouverte et on est tombé sur une montagne de trésor en tout genre. Des tissus, des pierres, des livres, des richesses et en retrait, ce coffret tout simple en apparence et qui, à l’intérieure contient un véritable joyeux. Enfin, pour ceux qui n’ont pas l’habitude de voir des joyaux comme nous les nains. Comme je n’en voyais pas l’utilité et vu la façon dont il était caché, je suis dit que ça pouvait intéresser un collectionneur comme Lucien. D’autant qu’au vu de son isolement, si cet objet était si important, personne ne l’aurait trouvé là-bas.
Etonnamment, le mage ne fut pas énervé par l’explication alors que Lucien, lui, avec toutes les connaissances qu’il avait sur les elfes, bouillonnait. Grodnír ne pouvait-il pas se douter que cette boîte contenait quelque chose d’important par le simple fait qu’elle se trouve dans une chambre scellée dans des ruines elfes ? Il fallait être stupide pour ne pas comprendre au moins cela, avec ou sans connaissance.
- Grodnír, dites-moi vous vous souvenez de votre employeur ? demanda calmement Bohémond.
- Hm… assez grand. Un peu vieux mais plutôt bien conservé pour un humain et il ne se déplaçait qu’avec un wyvern d’Epire.
- Osgaroth… marmonna Erendíl, les bras croisée sous sa poitrine et les yeux fermée.
- C.. comment ? Osgaroth ? Celui de la légende ? Le grand prêtre dragon lui-même ? s’interloqua Lucien en regardant avec de grands yeux fixés sur l’elfe puis sur le magicien qui répondit à ses interrogations.
- La description physique n’aide pas beaucoup mais le mode de déplacement lui correspond. Les prêtre-dragons ont toujours utilisé les dragons mineurs pour se déplacer et il n’y a qu’en Albion que les humains ont commencé à dompter ces bêtes. Si ce n’est pas Osgaroth, c’est certainement un de ses sbires. Il y a combien de temps que vous avez fait ces travaux Grodnír ? demanda Bohémond tandis que l’elfe, elle, demanda à Lucien de bien vouloir lui donner le coffret, ce que le jeune libraire fit avec une certaine gêne en voyant l’elfe aussi peu habillée se pencher vers lui pour récupérer l’objet.
- Il y a deux semaines tout au plus. Pourquoi cela ?
- Parce qu’en tant que magicien, je sais que les prêtre-dragons sont sensibles à la Grande Énergie. Sur Terre, cette énergie est omniprésente, mais de façon diffuser. Les gemmes d’Aravan sont des concentrations de cette énergie et sont comme des phares dans la nuit. Si cela fait deux semaines que vous avez récupéré cette boîte et que les prêtres dragons ne vous ont toujours pas attaqué, il doit bien y avoir une raison.
- La boîte en elle-même Truvenor. C’est une boîte elfique de la Première Ère et faite en arbre lune… dit Erendíl qui ne put terminer sa phrase, Lucien la finissant pour elle.
- Un arbre mythique qui était utilisé par les Haut-Elfes et les Elvarions dans leur forge afin d’éviter la perte de puissance magique des artefacts qu’ils fabriquaient. Aujourd’hui on dirait qu’il aurait des propriétés anti-magiques. Le coffret a donc bloqué le rayonnement pendant tout ce temps et sur le site de fouille, son ouverture n’aura fait que conforter les prêtres dragons que les pierres étaient là. Cependant nous avons ouvert le coffret à plusieurs reprises à Vorst ann Sermandor et… ce fut au tour de Lucien d’être interrompu par l’un des nains de la compagnie de Grodnír. Il déboula dans les bains, arme au poing et haletant, révélant qu’il avait couru de toute ses forces entre l’auberge du Vieux Cerisier et ce jusqu’ici.
- Seigneur Grodnír, des prêtre-dragons, ici, à Aarstven, il faut partir, maintenant ! »
* * * *