Lorsque le temps n'existe plus... (PV) (TERMINÉ)

L'infirmerie. Une salle assez grande dans l'ensemble qui comportait plusieurs chambres individuelles ainsi qu'une salle composée de plusieurs lits de camp. Dans le fond de cette salle se trouvait un bureau qui servait aussi de chambre à l'infirmière responsable de cet endroit, une jeune femme tout juste sortie de l'académie prénommée Alexia. La jeune femme aux longs cheveux de couleur neige et à la peau presque aussi pâle avait été nommée à ce poste il y avait déjà quelques jours de cela, pour remplacer l'ancienne infirmière qui était retournée en ville pour ouvrir sa propre boutique. Bien qu'elle aies son diplôme de l'académie et sache parfaitement exécuter les sortilèges de soin, elle aurait tout de même aimé avoir une consoeur pour l'aider dans cette lourde tâche. Il fallait dire qu'il ne s'agissait pas d'un travail des plus simples. Les élèves de l'académie étaient tous de futur mage et donc des bombes à retardement sur deux pattes. Il se blessait très souvent et puisque les professeurs étaient tous très occupés, il incombait à la jeune renarde de soigner leurs maux de son mieux.

Aujourd'hui cependant, c'était plus calme. Il était déjà 10 heures du matin et personne n'était venu réclamer son aide. Ainsi, la jeune renarde avait repris sa forme animale et était confortablement lové dans l'un des lits de l'infirmerie, profitant de ce repos inattendu pour récupérer les quelques heures de sommeil qu'elle avait perdu en aidant une élève qui avait elle besoin de son aide cette nuit. Ce n'était pas très grave, il lui faisait plaisir d'accomplir sa mission de son mieux. De plus, elle aimait bien ses gamins turbulents. Il fallait dire qu'elle avait toujours aimé les enfants, donc ça aidait pour ce genre de poste. Elle avait la patience de leur parler et de les comprendre pour tenter de soigner leur corps, mais aussi leur esprit lorsqu'elle en avait l'occasion. Ce n'était pas son travail, mais beaucoup n'avaient personne d'autre vers qui se tourner, alors...

Cependant, alors qu'elle sombrait lentement dans le sommeil, elle entendit la porte de l'infirmerie s'ouvrir. Elle n'ouvrit qu'un œil avant de reprendre sa forme humaine et d'aller à la rencontre de celui ou celle qui réclamait ses services. Portant sa magnifique robe bleue, traînant quelque peu au sol, elle repeigna rapidement ses cheveux et sourit en tournant le coin. Cependant, son sourire se changea en une expression de surprise lorsqu'elle vit que la personne en question était un professeur de l'académie. Elle fouilla rapidement dans sa mémoire, pour essayer de ce souvenir de la personne qu'elle avait en face d'elle. Lu...Luthien! Oui, professeur d'invocation. Il était normal qu'elle ne s'en soit pas souvenue immédiatement. Après tout, elle n'avait été qu'à deux cours d'invocation dans sa vie et s'était bien vite rendu compte que ce n'était pas pour elle.

Professeur Nylhaathria, bonjour. Je suis surprise de... vous voir ici. Que puis-je faire pour vous?

Ses joues s'étaient légèrement teintées de rouge, mais son sourire n'avait pas quitté son visage. Elle était bien plus compétente qu'elle, alors pourquoi venait-elle la voir? Malgré sa curiosité et sa légère crainte face à une femme qui avait mille fois plus d’expérience qu'elle, elle gardait son sourire et la guida vers elle lit pour qu'elle puisse au moins s’asseoir.

Lùthien venait de se téléporter devant la porte de l'infirmerie. Elle entra et se dirigea en boitant vers l'armoire où étaient rangés les herbes médicinales. Sa tenue de voyage détrempée gouttait sur le sol et un bandage de fortune rougi par le sang marquait sa cuisse gauche. Elle ignora totalement la jeune fille qui lui parlait et commença à fouiller sur les étagères en marmonnant avec agitation.

- Mais quelle buse ! J'aurais dû voir venir sa sale trogne ! Muguet, c’est ça… basilic pourpre, digitale jaune, farine de lin...

L'elfe se félicita d'avoir révisé les anti-poisons correspondant aux créatures qu'elle était susceptible de croiser lors de son excursion dans les mangroves. Elle posa tous les ingrédients sur une paillasse avant de s'y appuyer, le temps d’encaisser les aiguilles lancinantes qui traversaient son côté gauche. Lùthien tourna la tête vers Alexia en réalisant que la jeune fille était la nouvelle infirmière et qu'elle venait de lui proposer son aide. Se passant des présentations, l’invocatrice expliqua sa situation d’un ton haché.

- Morsure de chipique noir... belle bête... son venin gangrène les plaies... charmant n’est-ce pas ?

Acceptant le bras qu’Alexia lui proposait, l’elfe boitilla jusqu’au lit où elle s’allongea. Sans plus de cérémonie, elle ôta le bandage, ainsi que ses bas pour révéler la plaie.

- Ah quelle rosserie ! Il avait une vaste gueule, l'enfoiré ! s’exclama-t-elle en considérant les traces laissées par les mâchoires de l’animal sur sa jambe.

Maintenant qu’elle était en lieu sûr avec quelqu’un pour la soigner, Lùthien sentait l’adrénaline redescendre. La douleur se faisait plus intense, sa conscience commençait à vaciller… elle se laissa retomber sur les oreillers mais lutta pour rester consciente. Elle n’était pas sûre que la petite nouvelle soit capable de gérer la situation.

- Il faut faire un cataplasme avec ça. Dit-elle en indiquant les bocaux qu’elle avait sortis. Il est possible que je délire…. Et… Si la plaie devient noire… appelles Saéline.

Alexia n'avait pas immédiatement comprise la raison qui avait poussé Luthien à  venir dans l'infirmerie, jusqu'à ce qu'elle remarque le bandage sanguinolent qu'elle s'était attaché maladroitement à la cuisse. Elle perdit son sourire et blanchit légèrement, ce qui était étonnant vu sa teinte naturelle, et la guide vers l'un des lits de l'infirmerie en écoutant ce qu'elle avait à dire. Empoisonné? Lorsqu'elle retira le bandage, elle ne put s'empêcher d’écarquiller les yeux devant la blessure horrible du professeur. Il se mordit les lèvres et courut chercher les nécessaires, en vitesse, fouillant rapidement toutes les armoires pour revenir à son chevet très rapidement.

Elle déposa le matériel sur une petite table qu'elle approcha et commença par étendre délicatement un onguent sur la blessure pour l'aider à cicatriser. L’onguent apaisa légèrement la femme aux oreilles pointues et permit à l'infirmière de déposer délicatement ses mains sur la blessure.  Elle se concentra pour essayer de sentir le poison qui courait dans ses veines. Elle se souvint du nom de la créature et de l'effet du poison en question. Ça devrait être suffisant.... Du moins, elle l’espérait. De toute façon, elle devait réussir. De quoi aurait-elle l'air si elle devait se rabattre en permanence sur son ancienne directrice pour l'aider...

Lentement, une douce lumière jaillit de ses doigts et commença le lent travail de régénération. Soigner une telle blessure n'était pas à la portée de n'importe qui et Alexia malgré ses talents de guérisseuse eut bien du mal à détecter tout le poison pour l'extraire de la blessure. Elle attrapa rapidement une fiole qu'elle déposa sous la blessure, laissant le liquide malodorant s'extirper du pauvre elfe et sauvant ainsi sa vie. Le travail prit de longues minutes, durant lesquelles Alexia essayait tant bien que mal de discuter avec Luthien pour la garder consciente.

Que faisiez-vous aussi loin de Targatt, dites-moi? Ce n'est pas fréquent ce genre de bestiole. Cherchiez-vous quelques choses en particulier?

En même temps de lui parler d'un ton doux et lent, elle attrapa rapidement un bandage et s'occupa de bander à nouveau la blessure de façon professionnelle. Après tout ça, elle se sentait faiblir et préférait mettre un bandage et attendre un peu avant de soigner à nouveau la blessure pour la refermer entièrement. Elle avait extirpé le poison et stoppé le saignement, c'était déjà un bon début, sa vie n'était plus en danger. Il lui sourit légèrement et lui fit boire une potion très lentement dans le but d'apaiser un peu plus la douleur qu'elle pouvait ressentir.

Alexia essuya son front en la regardant. Elle pouvait maintenant commencer à fabriquer le cataplasme demandé par Luthien. Ça stabiliserait la blessure une fois pour toutes et permettrait une meilleure guérison. Elle commença donc sa tâche sans lâcher la femme elfique du regard, s'assurant que son esprit reste en un seul morceau et qu'elle ne perde pas connaissance. Il était important qu'elle reste consciente jusqu'à ce que son état soit définitivement stable.

Pouvez-vous me parler un peu de vous? Tout ce qui vous vient à l'esprit présentement.

Au même moment, alors que le cataplasme était en préparation, la jeune infirmière en avait profité pour fermer les rideaux entourant le lit et commencer à la déshabiller petit à petit. Des vêtements sales n'étaient pas la meilleure des solutions. Elle rougit très légèrement et déposa les vêtements sales de Luthien au pied du lit avant de la recouvrir délicatement d'une couverture.

Au début, Lùthien surveillait la jeune fille, histoire de vérifier qu’elle savait ce qu’elle faisait. Mais elle se débrouillait bien, Marinn ne s’était pas trompé dans son recrutement. Progressivement, l’elfe s’abandonna au contact rassurant des mains de la guérisseuse qui rayonnaient magie régénératrice. Elle était tentée de se laisser sombrer dans l’inconscience, mais ce n’était une bonne idée. Elle savait que l’infirmière lui parlait pour l’en empêcher, elle joua donc le jeu. L’elfe répondait lentement aux questions, grimaçant de temps en temps sous le coup de la douleur.

- Je cherchais à documenter les limules sismiques. Ce sont des sortes de crabes géants qui ont un peu une forme de raie. On dit que celles qui vivent dans le plan élémentaire de la terre sont capables de provoquer des séismes, principalement pour déloger leurs proies ou creuser pour pondre. Et bien c’est vrai… et c’est bien plus puissant que ce que je pensais. Au point que je me suis tombée de mon arbre comme un fruit mûr, droit dans la gueule du chipique planqué dans l’eau boueuse. C’est entre le serpent et le crocodile, ils ne sont pas tous venimeux mais évidemment celui-là… si je n’avais pas eu le réflexe de me téléporter, il aurait sans doute essayé de me noyer… Beaucoup d’invocateurs de renom sont morts de façon stupides, mais on ne peut pas faire de découvertes sans prendre quelques risques… je suis prudente d’habitude, je n’aurais peut-être pas dû partir en expédition alors que je suis aussi préoccupée par la situation de la ville…

Lùthien regarda la fiole remplie du poison que la femme-renard avait extirpé de la plaie et songea qu’elle aurait eu bien du mal à se soigner toute seule. Grâce aux soins, elle sentait déjà une légère amélioration. Elle regarda la jeune fille occupée à panser sa blessure. Elle ne se souvenait pas de l’avoir eu en cours, mais elle se rappelait le nom que Marinn lui avait communiqué.

- Merci Alexia.

L’infirmière se contenta se sourire et lui fit boire une potion. C’était apaisant, peut-être trop, Lùthien était sensible à ce genre de substances. La douleur s’estompa et elle eut la sensation d’être enveloppée dans un nuage cotonneux, son regard se fit vague. Elle voulait s’abandonner à la torpeur mais la calme voix d’Alexia lui intimait de rester présente. Lùthien passa ses mains sur ses yeux et son visage pour se forcer à rester éveillée. L’infirmière commençait à la déshabiller, elle se laissa faire et l’aida de son mieux. Elle n’était pas pudique.
Il fallait encore parler… Alors qu’Alexia lui ôtait sa tunique, l’elfe regarda la cicatrice qui marquait son flanc et commença à raconter comme elle l’avait obtenu. Au bout d’un moment, elle réalisa qu’elle parlait quenya et que la jeune fille ne pouvait surement pas la comprendre… peu importait. L’infirmière l’aidait maintenant à finir d’ôter ses bas. Lùthien continua à parler, dans la langue d’Hésandre cette fois.

- Celle derrière mon genou droit, je la dois à un drow. A cet endroit, c’est un défaut de l’armure. Un archer, il visait bien. Sa flèche devait être spéciale aussi parce mon ailière maintenait un bouclier autour de moi…

Une couverture vint recouvrir le corps presque nu de l’elfe. Lùthien passa la main sur son avant-bras. La cicatrice était longue mais fine, diaphane, à peine visible. Elle était très ancienne. C’était le genre de blessures que l’on obtient lorsque l’on met ses bras devant soi pour se protéger de façon désespérée. L’elfe parla doucement, comme pour elle-même.

- Ça… Celle-là c’est… le souvenir de ceux qui ont arraché mon cœur.

Lùthien se sentit soudain incroyablement lasse. Elle ferma les yeux, juste un instant… et sombra malgré elle dans un sommeil agité et fiévreux. Elle semblait lutter contre des ennemis imaginaires et murmurait des ordres en elfique. Rien n’était compréhensible si ce n’est un mot - ou peut-être un nom - qu’elle avait dit distinctement : Edwin !

La jeune femme continuait ses bons traitements, dans le but de sortir l'elfe de tout danger, surtout avec ce terrible poison en elle. Heureusement, l'extraction s'était merveilleusement bien passée. Maintenant que son corps était libre du poison et entièrement dénudé pour lui permettre de ne plus sentir le poids de ses vêtements sale et taché de sang, elle commençait doucement à se laisser abandonner au sommeil. Alexia tenta bien de la garder éveillée, mais maintenant que le gros du danger était écarté elle n'en voyait plus trop l'utilité. Elle semblait si fatiguée... En même temps, cette blessure était plutôt grave et semblait l'avoir vidé de ses forces. Pourtant elle semblait se forcer à rester éveillée, répondant encore mollement à ses questions. Pour l'instant du moins. La jeune renarde écarta légèrement la table en lui souriant avec une certaine douceur et tendresse alors qu'elle s'enfonçait dans les songes.

Tu as vécu une vie mouvementée. Maintenant, repose-toi. Rien ne peut t'arriver ici.

Alors qu'elle ajustait les couvertures autour d'elle, elle entendit gratter à la porte de l'infirmerie. Elle se retourna et alla ouvrir la porte, légèrement surprise de voir un magnifique familier ressemblant à un renard de flamme entrer en glapissant. Sans pouvoir l'arrêter, elle le suivit jusqu'au lit de Luthien, alors que celui-ci grimpa sur le lit et se coucha en boule contre sa maîtresse qui sembla s'agiter légèrement. Elle caressa délicatement la fourrure du renard en gardant un oeil sur Luthien. Elle semblait dormir paisiblement, mais dans son état il fallait tout de même vérifier assez régulièrement ses signes vitaux.

Alexia se souvenant que l'infirmerie était vide, elle ne put s'empêcher de sourire légèrement avant de prendre qu'était la sienne, celle d'une magnifique renarde au pelage blanc comme la neige et aux yeux bleus. Elle grimpa d'un bon sur le lit et s'enroula sur elle même, déposant sa petite tête contre la poitrine de Luthien, écoutant son coeur battre à son rythme, s'assurant que son état ne se dégrade pas. Finalement, bercée par le son des battements de coeur, elle finit par elle même somnolente, gardant tout de même un oeil ouvert sur ce qui se déroulait autour d'elle.

Quelques heures plus tard, lorsque la jeune femme s'agita en gémissant, la petite renarde sauta au sol et reprit rapidement sa forme humaine, ne gardant par mégarde que sa queue et ses oreilles animales. Elle croisa le regard de sa patiente et lui sourit avant de s’asseoir sur la chaise qui était toujours à ses cotées.

Le poison a été complètement chassé de ton organisme et ta blessure à déjà commencer à cicatriser. Comment te sens-tu? Mieux?

La jeune renarde se leva pour aller lui chercher un verre d'eau fraîche qu'elle lui ramena rapidement, l'aidant à boire de son mieux. Après ce qu'elle venait de vivre, elle serait sans doute étourdie et nauséeuse quelques heures. Elle déposa délicatement une main sur son épaule nue en analysant une nouvelle fois magiquement son état de santé global. Après ce être assurer qu'elle allait bien, elle retourna s’asseoir près d'elle.

Tu as prononcé un nom plusieurs fois dans ton sommeil. Edwin. Un ami à toi?

Il ne s'agissait pas d'une question très discrète, mais la jeune infirmière avait la réputation de ne jamais dévoiler un secret, alors parfois elle se permettait de poser ce genre de question. De plus, c'était pratique pour mieux connaître ses patients. Les faires parlés.

Lùthien s’éveilla en sentant le contact familier de la fourrure. A moitié consciente, elle crut voir non pas un mais deux renards blottis contre elle. Elle retomba dans le sommeil, et quand elle ouvrit à nouveau les yeux, le deuxième renard avait disparu. L’elfe se frotta le visage, pensant avoir simplement rêvé, puis elle remarqua les oreilles sur la tête de la petite infirmière et les poils blancs couvrant une partie de la couverture. L’elfe ne put s’empêcher de sourire en comprenant qu’elle n’avait pas rêvé : Alexia était une métamorphe.
- Oui, je me sens beaucoup mieux.
L’elfe se redressa en prenant soin de pas bouger sa jambe qui tiraillait encore. Sa tête tournait légèrement et elle était encore fatiguée, mais elle avait l’esprit beaucoup plus clair. L’eau fraîche lui fit du bien, elle prit le verre des mains d’Alexia et le vida entièrement. Heureux de voir sa maîtresse aller mieux, Kyukon remua dans le lit et s’approcha pour léchouiller joyeusement le visage de l’elfe, qui manqua de se renverser de l’eau dessus. Ayant rendu le verre à Alexia, Lùthien enlaça son familier qui était maintenant à moitié sur sa poitrine.
- Oui, je vais mieux mon beau, tu n’as plus à t’inquiéter.
La question de l’infirmière prit un peu l’elfe au dépourvu.
- Oh… j’ai dû rêver de lui… cela m’arrive parfois…
Quelques réminiscences de rêves lui vinrent à l’esprit : elle enseignait l’invocation à Edwin, c’était peu réaliste, il n’était pas vraiment doué pour ça, et bien trop jeune… le songe se tournait vite au cauchemar et Edwin finissait déchiqueté dans la gueule d’un chipique. Lùthien chassa ces images de son esprit et serra tendrement son familier contre elle en le caressant. Son regard se faisait vague.
- Edwin était mon fils, il est mort il y a longtemps.

L'infirmière de l'académie avait somnoler quelques heures en compagnie de Luthien et même si elle était sous sa forme animal, elle était quand même réceptive à ce que disait sa patiente dans son sommeil. Aussi, elle avait aisément remarquer que parmi toutes ses paroles, parfois incompréhensible, elle répétait souvent le même nom. Celui d'Edwin. Ne voulant pas la réveiller, elle l'avait laissé voguer paisiblement au pays des songes, gardant sa petite tête poilu contre sa poitrine, écoutant battre son coeur et vérifiant ses signes vitaux une fois de temps en temps. On ne pouvait pas dire qu'elle s'occupait mal de ses patients, bien au contraire? Ou était-ce pour une autre raison qu'elle restait ainsi blottis contre l'elfe? Il était vrai qu'elle avait rougit légèrement en voyant les formes de l'elfe, mais qui n'aurait pas rougit. Elle était belle, mais son corps témoignait des rudes combats qu'elle avait menée au cours de sa vie.

Finalement, elle s'était doucement éveillée et Alexia avait rapidement repris sa forme humaine, oubliant de retirer les quelques poils qu’elle avait laissés derrière elle. Elle oublia même de reprendre une forme humaine, ses oreilles de renarde encore visible sur sa tête, entre ses cheveux d'une blancheur immaculée. La jeune renarde sourit, heureuse de voir que le professeur d'invocation se portait beaucoup mieux qu'à son arrivée. Elle semblait encore avoir la jambe un peu raide, mais ça devrait bientôt partir. Alors qu'elle s'était levée pour préparer quelques effets et faire bouillir de l'eau sur un brûleur posé plus loin, elle lui avait parlé de ce nom qu'elle avait répété à plusieurs reprises dans son sommeil. La réponse déplut à Alexia, faisant se rabattre ses oreilles sur son crâne en signe de tristesse. Étant profondément emphatique, elle n'aimait pas savoir que les gens vivaient de telles épreuves.

Je vois... Désoler d'avoir posé la question. Si tu veux en parler, je suis là.

Elle lui sourit aimablement sans insister avant de préparer rapidement une tasse de tisane revigorante pour elle. Ainsi, Luthien avait été mère. Seulement, son enfant était mort... C'était un événement tragique. Les elfes vivaient éternellement pourtant, alors comment était-ce arrivé? Elle se souvint finalement de la conversation qu'elle avait elle avec Saeline quelques jours plus tôt. Les elfes avaient livré une guerre il y avait de nombreuses années. Peut-être était-ce lors de cet événement. Reprenant une forme totalement humaine et faisant disparaître sa longue queue ainsi que ses oreilles, elle revint rapidement vers Luthien en déposant une tasse de tisane entre ses mains. Maintenant qu'elle avait bu un peu d'eau, ce breuvage lui ferait le plus grand bien.

Elle s'assoit finalement en face d'elle, attendant de voir si l'elfe allait se confier à elle à ce sujet. Sans vraiment être curieuse, après tout qui aimait entendre ce genre d'histoire tragique, c'était aussi son travail de soulager la conscience des gens et de comprendre leur problème.

Lùthien sourit à l'infirmière, elle ne lui en voulait pas. Parler de son passé ne la gênait pas. Mais pour la famille qu'elle avait perdu, elle préférait parler de leur vie et des bons moment passés avec eux. Leurs morts était suffisamment gravée dans sa mémoire pour qu'elle n'ait pas envie se se les remémorer. Et puis la petite renarde lui semblait trop innocente pour entendre comment tout cela s'était produit.

- Tu n'as pas à être désolée. Ce genre de choses font malheureusement partie de la vie. J'avais une fille aussi, Lison. Et un mari, le compte Adalric de Fenoyl... je crois que le compté a changé de nom depuis.

L'elfe but une gorgée de tisane et sourit pensivement en songeant à son amour d'antan.

- Je n'avais même pas cent ans, c'était comme dans les contes que les humains se racontent. J'étais la magicienne qui ensorcelle le prince, il était le compte qui épouse la belle mystérieuse. Elle rit. J'étais sans doute naïve de penser pouvoir vivre en paix avec un mortel, mais je de regrette pas, ce furent de belles années. Tranquilles. Mes enfants étaient magnifiques... si tu en as un jour tu comprendra que mon jugement est totalement partial ! Si je n'avais pas gardé leurs portraits j'aurais sans doute oublié leurs visages...

L'elfe posa sa tasse de thé et invoqua un petit tableau qui se trouvait dans son demi plan. Elle le montra à Alexia. La peinture à l'huile représentait une famille de nobles d'hésandre vêtue de costumes qui n'étaient plus à la mode depuis deux siècles. Un femme aux oreilles pointues était assise dans un fauteuil, à gauche, un peu derrière elle se trouvait un homme brun d'âge mur qui lui tenait la main. De l'autre côté se tenaient une demoiselle et un damoiseau, de jeunes demi-elfes aux yeux bleus.

Alexia était sincèrement désolé d'avoir évoqué le sujet de ses enfants morts depuis longtemps. À vrai dire, elle n'en savait rien, mais elle regrettait d'avoir évoqué un sujet aussi sensible. Son sourire s'était d'ailleurs légèrement crispé. La jeune renarde était si sensible qu'elle devait faire attention à ce que les émotions des autres ne lui parviennent pas directement, ce qui était particulièrement difficile pour elle. Pour ne pas dire, impossible dans certains cas. Il n'était pas rare que les événements de la journée oppressent tellement son coeur qu'elle ne parvienne pas à trouver le sommeil. Cependant, elle faisait de son mieux pour rester professionnelle en présence de ses patients.

Dans le cas présent, elle hocha doucement la tête, ses oreilles de renarde toujours rabattues sur son crâne, dévoilant son état d'esprit du moment. Elle écouta son histoire sans l’interrompre, souriant en écho au propre sourire de l'elfe qui semblait replongé dans ses souvenirs. Ainsi elle avait une famille... Alors qu'elle avait moins d'un siècle d’existence. La jeune renarde rigola légèrement devant son commentaire. La belle magicienne qui ensorcelle un prince... Elle semblait encore avoir des sentiments pour cet homme du passé, de même que pour ses enfants. Le simple fait qu'elle en parle ainsi le prouvait.

Oui... Devenir mère est la plus belle chose qui puisse arriver.

Alors qu'elle fit apparaître un portait de famille, le sourire d'Alexia se fit plus tendre et moins crisper. Elle semblait si heureuse sur ce portait. Et ses enfants étaient magnifiques. Mais elle avait précisé les avoirs perdus... Comment? Cette question frappa Alexia de plein fouet alors que son regard s'humidifia en songeant à la douleur qu'elle avait dû ressentir. Une autre preuve que la jeune infirmière malgré sa volonté manquait cruellement d’expérience, il lui arrivait encore parfois de perdre la maîtrise de ses émotions. Elle avait pourtant lu dans tous les livres qu'elle avait pu consulter qu'elle devait garder la totale maîtrise d'elle même et élever un mur entre elle et ses patients. Leur émotion n'était pas les siennes. Ouais... Plus facile à dire qu'à faire... Surtout lorsqu'on en avait quelques choses à faire de ses patients.

Calmant tant bien que mal le léger tremblement de ses lèvres, elle prit une longue respiration en fermant les yeux comme elle l'avait apprise, toujours dans ses fameux livres. Il fallait dire que l'aide spirituelle d'une personne était un concept vague, pour ne pas dire inexistant dans cette partie du monde. Presque tous les ouvrages qu'elle possédait sur le sujet venaient de pays lointain, apporté par des voyageurs et des marchants. Elle souffla profondément pour calmer les battements de son coeur et demanda, d'une petite voix hésitante.

Ils sont... Magnifique. Puis-je savoir, comment sont-ils...

Elle n'osa pas finir sa phrase et passa nerveusement une main dans ses cheveux. Certains sujets ne la dérangeaient presque pas à vrai dire. Par contre, d'autres le mettaient dans un tel état qu'elle en perdait son professionnalisme et ses bonnes manières. Les enfants faisaient partie de ses sujets, pour une raison qu'elle préférait garder pour elle même. Apparemment, l'histoire de Luthien avait trouvé un écho dans le coeur de la jeune renarde. Cependant, elle reprit le contrôle de sa pensée, juste avant de terminer sa phrase baissa piteusement la tête avant de faire reculer légèrement sa chaise.

Pardon... C'était grossier et particulièrement insensible de ma part. Oublions ça.

Elle leva la tête vers elle et essuya du bout des doigts dans un mouvement subtil l'humidité de son regard. Son sourire reprit sa place et elle espérait sincèrement ne pas avoir été trop loin. Si jamais elle le rapportait à Marinn... Et puis, maintenant, elle devait la prendre pour une folle qui ne savait même pas faire son travail. Non... Non... Comment lui faire comprendre que c'était involontaire? Peut-être qu'elle accepterait ses excuses? Ça serait parfait dans ce cas, elle pourrait continuer cette conversation d'un ton plus léger. Si seulement cette pression pouvait quitter sa poitrine maintenant...

Lùthien renvoya le tableau à sa place dans son demi-plan. Elle avait bien remarqué que son histoire affectait la petite infirmière, elle sourit douloureusement quand Alexia esquissa sa question. Le déchirement de la famille heureuse était-il la partie la plus importante de ce conte ? L'elfe aurait pourtant répondu si la renarde n'avait pas eu l'air aussi affectée, elle ne voulait pas voir des larmes sur un visage aussi innocent. Lùthien esquissa un geste vers la jeune fille.

- Ce n'est rien Alexia... je ne crois pas une seconde que tu puisse être quelqu'un d'insensible. Répondit-elle doucement pour rassurer la renarde qui ne semblait pas loin de perdre ses moyens.

L'infirmière avait été tout ce qu'il y a de plus attentionnée jusque là et sa question n'était que le reflet des émotions qui la traversaient. Lùthien regardait la jeune fille tristement, elle ne songeait plus à ses enfants. Elle se disait qu'avec la guerre en préparation, l'infirmière allait voir son lot d'atrocités dans le futur... il était inutile d'y ajouter celles du passé.

- La vie ne prend pas toujours le chemin que l'on souhaite... et il est difficile de s'y préparer. J'espère que tu auras plus de chances que moi... Tu as une famille ?

Puisque la conversation avait pris un tour personnel, Lùthien ne voyait pas de mal à ce que la renarde parle un peu d'elle en retour. Pour Alexia, cela revenait peut-être à inverser la relation qu'elle essayait d'instaurer, mais pour Lùthien la notion de professionnalisme n'avait pas beaucoup de sens. Elle voyait sa question comme quelque chose de naturel, un moyen de changer un peu de sujet.

Alexia souffla faiblement en se maudissant d'avoir posé une question aussi insensible. Cependant, elle n'avait pas réagi ainsi par mauvaise foi, bien sûre que non! Au contraire, cette histoire trouvait un écho qui résonnait avec la puissance d'un tambour dans le coeur de la jeune renarde. Cependant, elle devait se contrôler pour ne pas flancher devant Luthien. Elle était l'une de ses patientes... Du moins jusqu'à preuve du contraire. Enfin, non. Elle était l'une de ses patientes, ce n'était pas réellement une question. Mais, elle ne semblait pas lui tenir rigueur. Cependant, la rencontre était un peu à l'eau. En même temps, pour la jeune renarde de 21 printemps, il était compliqué de vouloir rencontrer une femme qui avait mille fois plus de vécues qu'elle. Donc si en plus les émotions et le passé d'Alexia surgissaient dans son dos, elle ne s'en sortirait pas.

Heureusement, Luthien semblait comprendre sa position. Rapidement, elle la consola quelque peu en lui assurant qu'elle n'avait pas été insensible. Alexia réussit à contrôler ses légers tremblements et à se détendre légèrement. Ses paroles étaient si douces et apaisantes... Elle sourit très légèrement et hocha la tête avant de faire apparaître un verre rempli d'une eau cristalline. Sans chercher à se cacher, elle ajouta une poudre blanche qui sembla se dissoudre dans l'eau avant de boire le verre à petite gorgée. Ce n'était rien d'illégal. Simplement un calmant, qu'Alexia buvait régulièrement depuis... Depuis que cet événement était arrivé. Lorsqu'elle repensait à cette nuit, son coeur s’emballait et il lui arrivait d'être malade. Comme quoi. Même l'infirmière avait parfois besoin de sa propre médecine.

Hum? O...oui, j'ai de la famille. Enfin, ma mère est encore vivante. Elle ne s'est jamais vraiment occupée de moi, mais elle est encore vivante... Je n'ai jamais connu mon père et... non, rien. Je n'ai pas de frère et soeur. Il n'y a que moi et ma mère qui habite en Targatt.

Elle avait failli ajouter quelques choses, mais c'était retenu au dernier moment. Même si l'envie de se confier était présente, ce n'était pas le lieu pour le faire. Luthien n'était pas encore totalement remise et ce n'était pas son travail d'aider la nouvelle infirmière. De quel genre de personne aurait-elle l'air si au final c'était ses patients qui l'aidaient? Non, elle ne pouvait pas se permettre de s'ouvrir à n'importe qui. Pour l'instant, seul Saeline savait pour son histoire et c'était bien suffisant pour la jeune femme aux cheveux blancs. La jeune renarde sourit légèrement à Luthien et finit par reprendre son parchemin ainsi que sa plume dans le but d'essayer de remettre cette rencontre sur les rails.

Bon... Et bien, je crois que c'est bon pour moi. Tu devras rester encore quelques heures ici, puis je reviendrais changer le bandage et ajuster la plaie pour que tu puisses partir. Hum... Si tu as besoin de quelque chose, ou de parler, je serais dans mon bureau...

Elle avait besoin d'être un peu seule avec elle même, le temps que la poudre puisse faire son office. À l'avenir, elle devrait faire attention au sujet qu'elle aborde avec Luthien. En fait, avec n'importe qui. Dès qu'on lui parlait de certains sujets, ça la chamboulait à tel point qu'elle devenait incapable de faire correctement son travail de psychologue. C'était absurde! Une psychologue qui n'arrivait pas à contrôler ses nerfs, c'était un comble. Le problème c'est que ses émotions se lisaient sur son visage et elle était chamboulé à tel point qu'elle sentît une pression en elle qui refusait de partir.