Les ailes du souvenir (PV) (Finit)

La journée était longue et insipide, comme chaque journée avant celle-ci. Depuis quelques jours, il était plongé dans ses livres de compte pour s'assurer que les autres administrateurs ne dilapident pas l'or du gouvernement pour des broutilles. Après tout, cet or était celui des Bones. Il était normal qu'il s'assure que tout soit en place et surtout, que l'état puisse continuer de rembourser la dette contractée pour pouvoir rester en place. Cependant, il n'avait presque plus de temps à accorder à ses expériences et même à ses plaisirs de la vie, comme la lecture. Enfin... Sa vie était devenue insipide depuis quelque temps. Depuis la mort de Drake à vrai dire. Les chiffres toujours les chiffres. Sans parler de tous ceux qui voulaient l'entraîner dans cette danse sans intérêt qu'est la politique. Ridicule activité que les mortels ont trouvée pour se partager le pouvoir.

Alors qu'il était assis tranquillement dans son bureau, il soupira longuement et ce leva sous les regards interloqués des gardes qui le surveillaient en permanence. Des membres de sa milice personnelles. Le seigneur des Bones leur fit signe de le suivre et sortie de la pièce, abandonnant ce qu'il faisait pour sortir de ce palais grouillant. Une véritable fourmilière depuis la mort de Drake Leckard. Il devait sortir, ne serait-ce que quelques minutes pour pouvoir se recentrer sur la suite.

Que quatre soldats me suivent. Les autres, restez ici et protégez mon bureau. Je ne veux personne qui puisse entrer en mon absence.

Ses hommes se mirent au garde-à-vous puis l'accompagnèrent pendant sa promenade dans les rues de la cité. Il ne savait pas vraiment où il allait. Tout ce qu'il souhaitait, c'était s'éloigner de ce palais pour pouvoir reprendre ses esprits. Alors qu'il marchait dans les rues de la cité, encercler de ses hommes, il gardait la tête basse et semblait plongé dans ses pensées. L'or des Bones était encore important et continuait de s'accumuler grâce à tout ce qui se passait actuellement. Enfin, plus vite la cité serait de nouveau en état, plus vite l'or coulerait à flots.

Finalement, ses pas s’arrêtèrent devant l'académie de Targatt. Il leva la tête en soupirant longuement. L'académie... Ses années d'études étaient loin derrière lui, cependant il revenait parfois ici pour prendre un café avec Cyrion Elevorn. Les deux hommes avaient la même vision de la magie. Une vision purement scientifique, prônant l’expérience avant tout. L'homme lui avait même proposé de devenir professeur il y avait maintenant quelques années, ce que Santo avait refusé poliment. Il ne supportait pas le caractère de ses morveux qui se prenait pour de grands mages.

Après quelques secondes, il entra dans l'académie, laissant ses soldats à l'entrée sans vraiment prendre la peine de s'expliquer au protecteur qui gardait l'entrée. Après tout, il était Santo Bones. Il n'était pas le genre de personne qu'on pouvait facilement faire partir d'un endroit. Il parcourut le long couloir menant au hall de l'académie et s'arrêta devant l'une de ses statues des grands mages. Celle d'un certain, Arthur Bones. Grand mage... Il avait surtout permis à l'académie de ne pas couler à une période sombre pour elle, mais on lui avait construit une statue pour le remercier. Étrange, quand on y pense... Peut-être que lui aussi aura sa statue un jour.

Lùthien et Cyrion traversaient le hall de l'académie en direction de la bibliothèque. Les deux elfes portaient chacun des livres sous le bras et poursuivaient une discussion animée sur les théories magiques avancées. Lùthien discutait la théorie de la conservation transplanaire.

-... Si il est plus facile de révoquer que d'invoquer, c'est parce que l'objet reste quelque part rattaché à son plan. La théorie suppose donc que toute matière invoquée finit par rejoindre d'elle même son plan d'origine. Cela fait un moment que je cherche un moyen de tester cette hypothèse.
- Intéressant, mais imaginons que nous invoquions une grande quantité de matière dans notre plan, le plan d'origine serait-il déséquilibré, vidé de sa substance ou bien se superposerait-il au notre ?
- C'est une excellente question, je ne tiens pas à aller au-delà de l'expérience de pensée sur ce point ! L'hypothèse de la superposition n'explique pas la révocation mais reste séduisante...
- Oui, nous pourrions réfléchir au moyen de tester... Hum, un instant je te prie.

En apercevant son Santos, Cyrion s'interrompit et alla saluer son ami. Lùthien resta en retrait, les laissant à leur discussion privée mais Cyrion lui fit signe de les rejoindre et fit les présentations.

- Santos, je te présente Lùhien Nylaathria, une invocatrice talentueuse qui enseigne ici l'étude des créatures magique ainsi que sa discipline. Lùthien, voici Santos Bones, un excellent mage qui vit malheureusement enfermé dans une tour à compter les deniers de la couronne. Ou pour le dire avec les titres : le Grand Argentier de Targatt, et le Doyen de la famille Bones. Malheureusement, je dois vous laisser, je dois passer à la bibliothèque et je assurer les remplacements pour le cours de magie spirituelle. Je suis sûr que vous trouverez des choses intéressantes à vous dire. Lùthien, je réfléchirais à un moyen de tester la théorie dont nous parlions.

Cyrion s'en alla sans plus de cérémonie, laissant les deux mages poursuivre. Lùthien salua Santos avec respect, mais sans marquer de déférence particulière pour ses titres. Ce genre de choses avait peu de valeurs pour les elfes. Cherchant comment poursuivre la conversation, Lùthien remarqua la statue qui occupait l'attention de l'argentier peu de temps auparavant. L'elfe n'avait pas vraiment étudié l'histoire de chacune des statues et celle-ci lui était inconnue.

- Arthur Bones... un parent à vous ?

Santo continuait de fixer la statue devant lui, toujours plongé dans ses pensées sur la suite des choses en ville. Tant de projet et si peu de temps pour les placer. Il était important de pouvoir de ressourcer selon l'érudit qu'il était. Seulement, actuellement c'était quelque chose de plutôt compliquer. Enfin, heureusement il avait pu sortir de son bureau pour rapidement quelque temps pour lui. Le noble et autre administrateur allait devoir se passer de lui pour le reste de la journée. Bof... Ce n'était pas si grave. Entre le juge qui avait l'habitude de faire des aller-retour en ville depuis quelque temps ainsi que le chambellan qui était introuvable... Il n'était pas le seul à faire passer son poste au second plan. Enfin, pour Santo c'était plutôt une question de flemme absolue. Il n'aimait pas particulièrement ce travail, mais au moins il pouvait s'assurer que la fortune de la couronne était gérée de la bonne façon. Il en profitait aussi discrètement pour rembourser ce que leur devait la couronne. Ce qui était totalement légitime.

Alors qu'il songeait à toutes ses éventualités, il se retourna en voyant Cyrion approcher en compagnie d'un elfe au visage dur, mais quelque peu amical. Ce n'était pas étonnant, Santo était l'un des rares humains que l'elfe plusieurs fois centenaire appréciait. Alors il n'était pas étonnant qu'il passe du temps avec les membres de sa race présent dans l'académie. Ils étaient deux actuellement au poste de professeur. Santo connaissait déjà Saeline qui l'avait aidé par le passé sur plusieurs problèmes épineux et cet elfe devait être Luthien. La professeur d'invocation et d'étude des créatures magiques. Une discipline exigeante qu'il avait toujours appréciée. Il n'avait jamais eu l'occasion d'avoir une conversation avec l'elfe pour l'instant. Peut-être pourrait-il en profiter. Par le fait même, il pourrait sans doute se tenir informé sur ce qui se passait à l'académie.

Alors que Cyrion s'approchait, Santo le salua vaguement de la tête. Il était heureux de le revoir, mais n'allait certainement pas de laisser-aller à de puérils sentiments. De toute façon, il doutait de pouvoir les ressentir. Il se contenta donc d'incliner poliment la tête devant Luthien sans chercher à la reprendre devant sa façon de saluer un homme de son rang. Il avait depuis longtemps appris que les elfes se fichaient éperdument du rang d'une personne, surtout selon des critères humains. Il jeta un dernier regard à Cyrion avant de se retourner vers l'elfe.

Bonjour Dame Nylaathria.

Son ton de voix était neutre comme à son habitude. Il n'était pas mécontent de pouvoir parler avec une autre représentante de ce peuple sage et raffiné. Cependant, il n'avait pas l'habitude de laisser ses émotions s'exprimer. Cependant, l'ombre d'un sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'elle l’interrogea sur la statue qu'il contemplait. Un membre de sa famille? En quelques sortes oui.

Oui. L'un des patriarches de notre famille. Il n'avait pas spécialement brillé par sa puissance ou son intelligence. Cependant, il a donné une fortune à cette académie dans un moment difficile et les représentants de l'époque lui ont fait dresser une statue pour le remercier. Les humains ont cette fâcheuse manie de vouloir prouver leur supériorité de bien des façons...

Le grand argentier soupira très légèrement et se retourna en direction de l'elfe en fronçant les sourcils. Sa silhouette fine et la grâce de ses mouvements semblaient indiquer une appartenance de sang pure. Cependant, sous sa robe on pouvait deviner une silhouette musclée et quelques cicatrices semblaient se dessiner sur sa peau. Peut-être un ancien soldat du petit peuple ou une mercenaire. Les choix ne manquaient pas. Cependant, il était inutile de l’interroger pour l'instant. Il se contenta donc de reprendre la parole.

Cyrion m’a parlé de vous à quelques reprises. Si vous avez été nommé professeur, c'est que vos talents doivent être indéniables. Il y a longtemps que vous enseignez dans cette académie?

Une question simple qui avait pour but de lancer la conversation, ce qui n'était pas le fort de Santo. Cependant, en présence de membres de ce peuple il avait tendance à légèrement se relâcher.

L'elfe fut légèrement flattée quand Santos mentionna son "talent", mais elle restait malgré tout modeste. Elle connaissait nombre d'elfes qui la surpassaient largement, mais les plus puissants n'avaient en général que peu d'intérêt pour le monde des humains.

- Je suis à Targatt depuis un moment mais je travaille à l'académie depuis peu, quelques années tout au plus. Ce métier n'est pas si facile pour moi. Je maîtrise ma discipline mais j'ai encore beaucoup à apprendre sur l'art d'enseigner... Mes maîtres seraient sans doute scandalisés de voir la vitesse à laquelle je divulgue les connaissances, mais je dois m'adapter à la temporalité des mortels... Heureusement , ils apprennent vite.

Lùthien marqua une pause en regardant la statut du patriarche Bones. Oui, les humains avait bien des pratiques étranges. Les elfes ne construisait pas de statues pour remercier car la plupart du temps les protagonistes étaient encore là pour exprimer leur reconnaissance... Les mortels n'avaient pas cette chance.

- Comment avez-vous connu Cyrion ? Avez-vous étudié ici ? C'est un elfe dédié aux arts magiques, je suppose que la comptabilité n'est pas votre principal intérêt commun...

A son aura, Lùthien pouvait sentir qu'elle avait bien un mage en face d'elle, et que ce n'était pas un débutant.

- Quelle est votre spécialité magique ? Parfois je me demande si l'argent n'est pas une forme de magie : c'est une chose qui n'a aucune utilité en elle-même mais qui est tout de même l'étalon de la valeur de toute les choses... N'est-ce pas une phénomène étrange ? Demanda Lùthien avec malice.

Santo observait calmement l'elfe qui semblait intrigué à propos de cette statue, trônant dans le hall de l'académie. Pourtant cet homme n'avait clairement rien d’extraordinaire. Il n'était qu'un donateur. Il n'y avait pas de quoi lui construire une statue au côté des plus grands mages que Targatt est porté. Cependant, il n'allait certainement pas en faire un cas. Après tout, sa famille était connue pour être la plus riche de Targatt et probablement l'une des plus riches du monde. Aussi bien, en profiter comme dirait certains, même si Santo n'était pas de cet avis. L'or qu'il investissait était principalement injecté dans ses recherches sur divers projet ainsi que sur les différentes entreprises que son frère commandait. Il chassa rapidement ses pensées et se tourna vers la professeur d'invocation.

J'ai connu Cyrion alors que je n'étais qu'un élève. Il a tout de suite senti ma soif de savoir et ma différence de mes congénères humains. Nous pouvions passer des heures à débattre de divers sujet englobant les sciences physiques et métaphysique de notre monde.

Il fronça légèrement les sourcils devant sa question et son commentaire. Sa spécialité magique? Il se retint de lui faire remarquer que l'or n'avait rien à voir avec de la magie, du moins sous sa forme de valeur marchande. Du moins, elle devait le savoir après tout. Il s'agissait sans doute d'une petite pique contre lui. Cependant, il n'avait pas l'intention de répondre à cette pique. Il sortit un gant de cuir sur lequel était brodé un cercle alchimique bien différent des cercles magiques standard et sourit très légèrement.

Ma magie repose sur l'observation, l'analyse et la compréhension du monde. Une approche scientifique de ce que l'on appelle la magie. Une approche qui fait défaut à beaucoup de mages malheureusement.

Il posa sa main sur la statue de Bones et se concentra quelques instants avant d'activer le cercle sur son gant. Une décharge magique parcourut la statue qui sembla être réduite en poussière avant de prendre l’apparence de Luthien, dans la même position que la précédente statue possédait. Il recula légèrement, admirant son oeuvre encore parcourue de quelques décharges magiques résiduelles. Depuis le temps, il avait l'habitude de ce genre de magie. Sa maîtrise en était presque parfaite depuis le temps.

Notre monde repose sur plusieurs principes. Dont celui de l’échange équivalant. Pour créer quelques choses, il faut sacrifier une chose de même valeur. C'est le principe même de ma magie. Une magie difficile à comprendre pour le commun des mortels, mais peut-être, que vous, le pourriez.

Lùthien regarda autour d'elle, un peu inquiète de voir son visage affichée dans le grand hall à la place de la statue habituelle, mais il y avait peu de passage à cette heure ci. Elle sourit et recula pour regarder la statue.

- Intéressant.

Elle était agréablement impressionnée, il lui était toujours plaisant de voir de la belle magie et de découvrir l'existence d'autres manières de faire. Santos venait de démontrer une grande maîtrise technique, et il avait ignoré la remarque sur l'argent. Ce qui confirmait implicitement que la magie avait pour lui plus d'importance que le commerce. C'était ce que Lùthien voulait savoir.
Bones était donc un (tanlentueux) ancien élève de Cyrion... Pendant qu'il exposait sa vision de la magie, Lùthien se demanda un instant si Santos était encore un élève pour Cyrion... enfin, peu importait, un bon mage restait de toute façons un étudiant toute sa vie.

- Hum, cette notion d'approche scientifique est relativement nouvelle pour moi. Cyrion m'a expliqué, qu'il s'agissait d'étudier le monde de façon systématique afin d'y trouver des règles générales... Au début je ne voyais pas vraiment l'intérêt, les principes que mes maîtres m'ont enseignés reposent sur des milliers d'années d'expérience, pourquoi les remettre en cause ? Et puis Cyrion a trouvé quelques contradictions dans ces règles et je me suis mise à m'interroger, et à penser « théories et hypothèses »... Cela m'amuse mais je n'en ai pas encore tiré d'implications pratiques. Par ailleurs, vos principes d'observation, d'équivalence et de sacrifice me semblent assez familiers. Mais je ne sais pas si nous mettons le même sens derrière ces mots. Dans mon pays les maîtres expliquent peu et montrent beaucoup, ceux qui n'observent pas n'apprennent rien. On m'a aussi enseigné le respect des équilibres de la magie et du vivant. Pour de qui est du sacrifice... et bien, je suis une invocatrice, je sacrifie aux créatures que j'invoque. Mais j'imagine votre pratique est quelque peu différente ?

Le mage lui semblait un peu présomptueux de prétendre connaître les lois du monde mieux que les autres, mais Lùthien était prête à faire un effort pour essayer de comprendre ce qu'il voulait dire.

Santo était plutôt heureux de sa réalisation. Ce n'était rien d’exceptionnel pour lui, mais au final il avait réussi à reproduire de façon plutôt convaincante le visage parfait du professeur de magie d'invocation. Il se retourna lentement et hocha la tête en direction de sa consœur magique. Oui, c'était très intéressant comme magie. Certaines magies étaient plus puissantes que la transmutation, cependant aucune magie ne possédait autant de possibilités que celle-ci. Du moins, c'était ce que son maître de magie de l'époque lui avait affirmé et il devait avouer qu'il avait lui raison. Pour l'instant, il était le mage le plus diversifier de Targatt. Lorsqu'il aurait percé le secret de la transmutation humain, il pourrait même manipuler les êtres vivants humanoïdes.

Il fronça légèrement les sourcils en entendant les propos de Luthien. Oui, comme beaucoup de mages elle ne s'intéressait que très peu à la science. Aux yeux de beaucoup de personnes, la magie n'avait rien à voir avec la science, pourtant c'était faux dans un sens. La magie avait pour principale propriété de changer la réalité physique du monde. Ainsi en connaissant cette réalité et en connaissant les effets d'un sort on pouvait comprendre son agissement sur le monde.

Je ne remets pas en cause ce que vos maîtres ont appris. Je me contente d'observer notre monde en action en prenant note des règles qui le composent. Puisque vos maîtres, aussi sage soit-il, ont parfois vécu à des époques ou nous ne connaissions que peu le monde qui nous entoure.

il jeta un coup d'oeil à la statue qui avait pris l’apparence de la femme aux oreilles pointues et songea à le laisser tel qu'elle. Après tout, beaucoup ne ferait pas attention à ce petit changement puisque cette statue était l'un des moins regardés de l'académie vu son manque d'importance. Finalement, il songea au commentaire sur sa magie. Comment l'expliquer en quelques secondes... Il soupira et ajusta ses gants avant de reprendre la parole.

l'échange équivalent repose sur un principe physique qui existe depuis toujours. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. On ne crée rien à partir de rien. Par exemple, regarder cette statue. J'ai pu lui donner votre apparence, car la masse de la statue était la même, mais je n'aurais pas créé une plus grande ou encore dans une autre matière que celle utilisée. Elle est en pierre et je n'aurais donc pas pu la transformer en or par exemple.

Il fronça les sourcils et il réfléchit quelques instants avant d'ajouter.

je pourrais sans doute vous faire quelques démonstrations et vous expliquez quelques effets de notre monde si vous le souhaitez. J'ai quelques heures de libre devant moi.

Cyrion comprenait les traditions elfiques et était capable d'expliquer sa conception de la « science » sans les dénigrer totalement. Cela ne semblait pas être le cas de Santos. Lùthien se sentait quelque peu offensée qu'un humain agé d'à peine un demi-siècle se permette des jugements sur l'état des connaissances passées et actuelles.

- Vous oubliez que l'âge d'or de la magie est derrière nous et que les Archimages des temps anciens n'étaient pas moins curieux que vous de la nature du monde. Le temps peut apporter autant d'oubli que de connaissances nouvelles... Mais votre principe d'échange équivalent me semble logique. Enfin, votre magie paraît plus proche de la magie élémentaire ou de la métamorphose, qui sont assez éloignées de ma propre discipline, donc je ne suis sans doute pas la mieux placée pour en discuter. Je m'intéresse plutôt au vivant, à l'espace, au temps... Le fait est que pour moi, notre monde est loin d'être limité à ce plan, et tous les plans ne suivent pas les mêmes règles. Mais je reste curieuse de celui-ci, et une démonstration valant mieux qu'un long discours... je vous demande un instant.

Les grimoires que Lùthien portait commençaient à se faire lourd, elle se téléporta à la bibliothèque pour les déposer et réapparut quelques instants plus tard.

- Très bien, montrez moi, je suis toute ouïe.

Le ton didactique de Santos agaçait quelque peu l'elfe, mais s'il voulait jouer au professeur, elle acceptait de jouer l'élève pour l'instant. Elle ne comptait cependant pas se gêner pour remettre en question ce qui lui semblerait absurde.

Santo expliquait patiemment à cette femme les concepts derrière l'échange équivalent. Une théorie admise par beaucoup de scientifiques et que Santo avait la chance d’expérimenter à de très nombreuses reprises lors de ses expériences, notamment en chimie et dans l'étude de la physique derrière la création des objets et de la matière. Pour lui, il s'agissait d'une certitude, cependant il pouvait comprendre que certaines personnes pouvaient douter de la réalité de cette théorie. Cependant, il n'avait pas prévu que cette elfe prendrait mal ses propos. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il pouvait être insultant dans sa façon de s'exprimer, cependant ce n'était pas le but de la manœuvre, loin de la. Son visage se crispa très légèrement dans une expression que l'on pouvait assimiler à de la déception, comme s'il était désolé de ses propres.

Pardonner moi si j'ai paru insultant. Je ne remets pas en cause vos maîtres et je ne vous remets pas en cause. Je souhaitais simplement vous montrer quelques petites choses de cette science très polyvalente.

Puis, si elle le souhaitait, il lui fit signe de le suivre vers l'intérieur de l'académie. À cette heure presque tous les élèves étaient en cours ou dans leur dortoir. Le regard de Santo s'arrêta quelques instants sur les murs qui les entouraient. Il se souvenait encore de ses années d'étude dans cette académie. Il fut un élève brillant, mais solitaire. Ses professeurs chantaient ses louages et les autres élèves le fuyaient, principalement à cause de son nom ainsi que de sa manière très spéciale de traiter les informations qu'il recevait. Au final, même aujourd'hui il ne pouvait pas dire qu'il avait des amis du côté des humains. Tous ceux avec qui il daignait passer de son temps libre avaient les oreilles pointues.

Comme je vous le disais, notre monde est composé de particule qui s'assemble pour former un tout. Vous, mois, le mur, le feu... Tout cela est directement lié à ses particules. Elle se retrouve dans la nature à l'état sauvage, mais dans un sens nous sommes déjà capables de les modifier à notre bon vouloir dans certaine situation. Cependant, la transmutation repose comme je vous le disais sur l'échange équivalent, mais aussi sur des principes bien connus de l'alchimie.

Il continuait d'avancer calmement, ses deux mains croisées dans le dos alors qu'il semblait perdu dans ses pensées, un mince sourire au visage en songeant à ses expériences passées. Il avait plusieurs fois testé la chose sur des êtres vivants et malheureusement le résultat était... Déplorable.

Théoriquement, nous pourrions user de ce principe pour les êtres vivants. Refermer des blessures, soigner des maladies graves, les rajeunir voire même les ressusciter. Cependant, il existe encore une matière que nous ne pouvons pas trouver et qui nous empêche d'agir sur l'être humain. Il semblerait que la vie à proprement parler ne puisse être comptée dans l'échange équivalent, ou pas de la même façon que la matière classique et sans vie.

Le patriarche de la famille Bones s'arrêta finalement au bout d'un couloir, se retournant vers celle qui l'écoutait depuis le début.

Bien sûr, j'étudie aussi l'invocation dans une certaine mesure, même si je ne prétends pas être le meilleurs dans cette matière, disons que je sais me défendre. Et vous? J'ai ouï dire que vous étiez professeur d'invocation, mais vous devez avoir d'autre talent?

Lùthien accepta d'un signe de tête les excuses de Santos avant de le suivre. Visiblement il avait juste été un peu maladroit. L'elfe écouta la suite des explications, elle n'avait que vaguement entendu parler de l'alchimie et l'idée d'un monde fait de particules la laissait un peu perplexe. En réfléchissant elle réalisa cependant que les cadavres pouvait effectivement tomber en poussière, que la roche pouvait être réduite en sable et que le feu ne laissait que des cendres... donc l'idée avait un certain sens.

Quand le patriarche commença à parler de rajeunissement et de résurrection, l'elfe prit une mine sombre. C'était des activités qui intéressaient habituellement les mages noirs... D'un autre côté, elle comprenait l'attrait de ces possibilités pour les humains, après tout, elle même avait essayé de ramener son mari et ses enfants décédés. Mais elle avait beaucoup appris depuis.

- Comme vous, les mages blancs cherchent à soigner les corps, les mages noirs tentent de faire revivre les cadavres... Je comprends l'attrait de l'immortalité pour les hommes... Mais la vie est plus qu'un amalgames de grains de sables... C'est un courant qui ne peut pas être remonté, parce qu'il suit le cours du temps... C'est un lent équilibre où une vie prend toujours la place d'une autre vie.

L'elfe venait d'énoncer quelques principes auxquels elle croyait, mais en pratique, elle en savait un peu plus qu'elle n'en avait dit. Lors des recherches qui avaient suivies sa tentative de rituel de résurrection, Lùthien avait amélioré ses connaissances des équilibres qui régissaient la mort et la vie. L'élément manquant dont parlait Santos était probablement l'âme. L'elfe savait que les âmes des défunts restaient un temps dans le plan de la Fugue avant de rejoindre leurs dieux. Elle supposait donc qu'il était possible de rappeler une âme qui s'y trouvait encore. Mais elle pensait qu'un équilibre devait s'établir quelque part : quelqu'un d'autre devait mourir, une créature à naître serait privée d'âme, ou bien un dieu quelque part se mettrait en colère... Elle savait aussi que de nombreux démons arpentaient le plan de la Fugue et qu'ils pouvaient prendre possession du corps la place de l'âme recherchée... Tout cela rendait la résurrection immorale en plus d'être dangereuse. Pour Lùthien, ces connaissances étaient des secrets qu'elle ne préférait pas partager avec avec un « scientifique » qui serait capable d'expérimenter les idées en question.

Santos lui donna l'opportunité de changer un peu de sujet en la questionnant sur ses « talents ».

- Oui, j'enseigne l'invocation, mais ce n'est comme vous le savez qu'une application possible de la magie des portails. Je maîtrise aussi la téléportation et le voyage inter-planaire. L'exploration d'autres plans occupe pas mal de mon temps libre... Mais je commence depuis quelques temps à étudier la magie spirituelle, rien que je puisse qualifier de « talentueux » cependant... En dehors de cela... j'ai quelques notions de stratégie militaire, il fut un temps où je n'étais pas mauvaise en voltige aérienne, et j'aime gratter les cordes d'un luth de temps à autre... conclut l'elfe avec un sourire.

Les coutumes et les pensées changeaient au fil du temps. Les peuples n'avaient pas tous le même système moral, de la même façon que les royaumes et états du reste de l'Europe n'avaient pas toute la même langue. Il s'agissait d'une preuve parmi tant d'autres que les êtres humains étaient incapables de coopérer et de s'entendre entre eux. Seulement, parmi toutes ses pensées certaines restaient tabou d'un peuple à l'autre. La résurrection et plus généralement le fait de jouer avec la vie ou avec la mort. Beaucoup voyaient la vie comme quelque chose de sacrée donner par les dieux. D'ailleurs, beaucoup de peuples anciens ou récents avaient des rythmes entourant la grossesse, la naissance et la mort. Une preuve pour eux que la vie était sacrée et que les étapes de la vie devaient être respectées et entourées de mysticisme. Cependant, pour un scientifique comme Santo, il s'agissait d'une chose ridicule. La science était une explication absolue sur le monde qui les entourait. Elle avait réponse à tout et la vie était une chose explicable.

Devant ses paroles, l'homme de science devina sans problème qu'elle était l'une de ses femmes croyant que la vie était une chose sacrée. Ce n'était guère étonnant. Son ami Cyrion lui-même était en désaccord avec cette théorie. Cependant, Santo ne put s'empêcher de fouiller dans ses poches pour sortir un petit grimoire de poche de couleur bleue, les armoiries de la famille Bones gravée dans le cuir. Il ouvrit lentement le grimoire bleu avant de fouiller quelques secondes entre les pages jaunies. Ce grimoire lui-même avait quelques dizaines d'années puisqu'il servait de pense-bête à l'homme de science. Après quelques secondes de recherche, il se retourna pour regarder l'elfe et commença son exposé.

Eau 35L, carbone 20KG, ammoniaque 4L, hydroxyde de calcium 1,5KG, phosphore 800G, chlorure de sodium 250G, nitrate de potassium 100G, souffre 80G, fluor 7,5G, fer 5G, silicium 5G, et un peu des 15 autres matières chimiques... Voilà ce qui compose le corps humain. Le tout déterminé grâce aux recherches alchimiques et magiques de plusieurs dizaines de chercheurs comme moi au fil des années. D'ailleurs, la composition des elfes, nains et autres races est très semblable, voire identique.

Il ferma lentement le grimoire et le remit lentement dans sa poche, cependant il continua son exposer avant que la professeur d'invocation puisse lui répondre. Il devait s'agir d'un choc pour elle de le voir réduire l'humain et le vivant à de simple chiffre et donner. La suite était probablement pire...

Lorsqu'on n'y pense, le corps humain d'un adulte de taille moyenne est composé de matière de notre monde. D'ailleurs, tous ses ingrédients sont en vente libre et ne coûte pas bien cher. N'importe qu'elle gosse qui aurait envie, pourrait se les payer avec son argent de poche. Pourtant, malgré ses données il nous est impossible de redonner la vie à un être humain ou encore à créer un être humain artificiel. Cependant lorsqu'on y pense, la vie n'a rien d'extraordinaire. Beaucoup vivent dans l'injustice. Celle de voir des gens que leur son cher, mourir devant leurs yeux.

Il lui tourna finalement le dos, croisant ses bras dans son dos en regardant par la fenêtre de l'académie. En contrebas, on pouvait admirer la cité ainsi que les nombreux habitants qui étaient sur la place du marché. Une véritable fourmilière. Des êtres inférieurs essayant vainement de survivre dans un monde qui leur était hostile.

Aussi horrible que ce soit à vos yeux. Lorsque l'on élimine le caractère sacré de la vie pour ne retenir que le côté scientifique de notre monde, beaucoup de possibilités s'offrent à nous.

Maintenant, le coup de grâce. Comme chaque fois qu'il conversait avec une autre personne, le pouvoir de Santo s'activait pour lire en douceur les pensées de son interlocuteur. Ou plutôt de son interlocutrice en l’occurrence. Il vit beaucoup de sentiment défilé, mais aussi une pensée pour les siens, apparemment morte d'une façon qu'elle préférait refouler au plus profond de son esprit. Santo continua de regarder au loin dans la cité, ajoutant finalement.

Vous avez probablement des personnes que vous souhaiteriez revoir... N'est-ce pas? Même les elfes ont des morts dans leur famille. Vous avez raison de dire que les sorciers cherchent aussi à ressusciter les morts, mais à leur différence mon seul but est de faire avancer la science. Pas de créer une armée de goule sans âme.... Enfin, inutile d'en parler plus en détail. Tout ceci n'est encore qu'à l'étape des hypothèses.

Puis, vint la partie plus tranquille de leur conversation. Hum hum? Donc une ancienne soldate qui avait quelques expériences en voltige et qui savait jouer d'un instrument.... Intéressant. Elle savait donc déjà comment voyager d'un univers à l'autre. Lui-même avait un certain faible pour l'invocation, mais n'avait jamais réussi à entrer dans ce genre de portail. Il fallait dire que le scientifique préférait de loin chercher les solutions à ses problèmes scientifiques qu'à se transporter sur des plans élémentaires. Enfin, tout ceci n'était qu'un détail.

Stratégie milliaire? Vous étiez donc soldat, fut un temps? Puis-je savoir pour qu'elle raison vous avez troqué vos armez pour la plume de l'enseignement?

Lùthien fronça les sourcils en entendant la liste des éléments censés composer un corps. En fait, la plupart de ces mots ne lui disaient pas grand-chose. Elle ouvrit la bouche pour demander des précisions mais le mage continuait son monologue. Ainsi il cherchait à fabriquer des humains comme on fabrique un gâteau en mélangeant les bons ingrédients. L’elfe restait effectivement interloquée par de tels propos… Ce n’était pas qu’elle trouvait ces idées hérétiques, elle les trouvait juste erronées, ou du moins incomplètes…. Elle ne s’énerva pas pour autant, et expliqua calmement son point de vue.

- Si la vie n’était pas extraordinaire, vous n’auriez pas de mal à la reproduire, n’est-ce pas ? Vous vous limitez à une conception mécanique du vivant, c’est pour cela que vous ne comprenez pas… Tout ce qui est vivant naît, et grandit, et meurt, c’est une loi de la nature… La justice n’a rien à voir là-dedans. Certaines choses sont sacrées pour une raison, et ce ne sont pas que de vagues superstitions… peut-être que vous le découvrirez un jour…

Lorsque Santos lui parla de ses morts, Lùthien se contenta d’afficher un sourire triste … Ainsi il essayait de la convaincre par les sentiments ? L’elfe songea que ce n’était pas une démarche très scientifique… Elle se tourna vers le patriarche qui regardait la ville. Il semblait à la fois las et hautain. Lùthien avait déjà vu ce regard chez certains elfes qui, après quelques siècles, se lassait et devenaient déjà aigris. L’elfe, elle, voyait dans la cité des mages des milliers d’histoires qui se croisaient en des motifs infinis qui continuait de la fasciner, même après toutes ces années. Elle répondit avec bienveillance, malgré l’indiscrétion de la question de Bones.

- J’ai fait certains deuils il y a longtemps, il y en a d’autres que je porte encore. Il y a autant d’élèves dans cette académie que de personnes que j’aimerais revoir… Mais il y en a bien autant que je préfère savoir morts… Chacun d’entre eux est là où il doit être. Quant à savoir pourquoi je ne suis plus militaire, et bien la guerre s’est terminée, je suis rentrée chez moi retourner à mes études. J’ai repris les armes quand Aldaril m’a demandé de rejoindre le protectorat. Au bout de quelques dizaines d’année je commençais à me lasser un peu… alors j’ai accepté ce poste de professeur. Vu ce qui s’est passé ensuite, ne regrette pas mon choix.

Lùthien songea qu’elle aurait probablement été exclue du protectorat lors de la purge effectuée après la prise de pouvoir de Drake, qu’elle aurait déserté ou bien qu’elle aurait fini hors-la loi après avoir refusé d’obéir aux ordres lors du massacre des éthersites… Rien de très réjouissant.

Santo continuait d'observer la vie en contrebas. On ne pouvait nier qu'il était misérable de vivre dans les conditions de ses pauvres gueux. Lui même étant né avec une cuillère en argent entre les doigts, il ne comprenait pas comment le peuple pouvait se laisser manipuler ainsi par une élève bien plus forte et intelligente qu'elle. Enfin, ils n'avaient pas réellement le choix. Cependant, ils continuaient à nourrir de l'espoir. Même après ce que Drake leur avait fait subir il continuait d'avancer dans la vie, comme si demain allaient leur apporter de bonnes nouvelles. Non, définitivement il ne ressentait aucune compassion et aucune sympathie pour eux. Ils n'étaient que des pions pour les puissants, se laissant vainement transporter par un destin qui semblait lui aussi n'avoir aucune considération pour eux. En bref, ils n'étaient rien. Ils vivaient dans l'ignorance et allaient mourir dans cette même ignorance qui les caractérisait. Alors qu'il songeait à tout cela, il hocha lentement la tête au commentaire de l'elfe sur ses choses sacrées. Cette... Vie.

La science trouvera. Elle trouve toujours tout. Ce n'est qu'une question de temps.

Il pourrait débattre plus longtemps sur ce sujet, mais il avait bien compris la position de cette femme sur la question. Sans aller jusqu'à dire qu'elle était farouchement opposée, elle semblait croire au caractère sacré de la vie. Tss... La vie n'avait rien de sacré. Il était bien placé pour le savoir. Cependant, beaucoup pensaient comme elle. Elle avait porté la vie et elle devait se dire que c'était quelques choses de fantastiques. Tout en ce monde était quantifiable. Du moins, c'était l'avis de Santo. Il manquait seulement un élément dans la formule pour correctement la réussir. Peut-être l'âme. Il suffirait alors de pouvoir quantifier cette chose pour procéder à l'échange équivalent.

Finalement, il valait sans doute mieux changer de sujet. Pas que Santo soit contre ce genre de débat, mais il ce doutait qu'elle ne garderait pas longtemps son calme dans ce genre de situation. Enfin, plutôt il ne souhaitait pas la pousser à bout immédiatement. Ça serait une perte de temps. De plus, si son ami l’appréciait à ce point, elle devait avoir des talents ou encore une intelligence poussée. Il avait toujours douté de la prétendue intelligence des positifs, trop prompt à laisser leur sentiment prendre le dessus. Cependant, forcé de constater que c'était le cas de toutes les races sans exception. Même les elfes pouvaient laisser leur sentiment les emporter. C'était malheureux. S'il n'y avait plus de sentimentaliste chez les êtres vivants, beaucoup de problèmes seraient réglés.

Dans ce cas, l'académie a gagné un professeur bienveillant doté d'une grande expérience. Il est vrai que notre ancien roi avait une manière bien à lui de diriger. Au final, sa mort n'est probablement pas une mauvaise chose. Espérons simplement que le trône ne choisisse pas une personne pire que lui. Et que nous survivions au démon qui ce masse aux portes...

Oui, Santo n'avait jamais apprécié Drake. Ce n'était pas contre lui, mais il était si... humain. À vouloir prendre le pouvoir et gonfler ses propres forces, ils avaient fini par se détruire en laissant le trône vide. Bien sûr qu'un roi ne pouvait se mettre constamment sa population à dos. C'était quelques choses de logique. Les tyrans sont tous destinés à se faire tuer tôt ou tard.

Lùthien hocha la tête face à la foi que Santos montrait en la science. Qui sait, peut-être peut être que cette science apporterait bien quelque chose. L'elfe avait l'esprit ouvert mais les théories du patriarche étaient bien trop différentes de sa conception du monde. Elle nota dans un coin de sa tête de lire quelques ouvrages sur l'alchimie pour essayer de mieux comprendre ce la conception de Santos .  Au moins, l'argentier ne semblait pas en total désaccord avec elle sur le plan politique.  Lùthien n'était pas du genre à souhaiter la mort des gens, mais elle acceptait cette solution en dernier recours.


- Drake n'était certainement pas le souverain le plus sage qu'il m'ait été donné de voir en effet... je ne sais pas si ces démons étaient ses alliés, ses ennemis, ou une diversion pour consolider sa position, cela n'a plus d'importance maintenant. Concernant la succession, je ne suis pas très savante en politique, mais je pencherais pour une personne capable de construire un équilibre entre les différentes familles de Targatt.

Parmi les candidatures dont elle avait connaissance, de Nogaret  lui semblait une bonne option, un peu de légalisme ne ferait pas de mal à la cité, enfin, si les lois étaient justes.

- Nous avons besoin d'un minimum d'unité et d'un gouvernement qui saura rester stable quand la bataille s'ouvrira. Si j'étais un démon j'attaquerais pendant que personne ne détient le pouvoir du trône, j'espère qu'ils ne sont pas aussi malins...  A ce propos, en tant que membre du gouvernement, avez-vous des informations sur notre situation militaire ? Je me questionne sur les mesures que nous devrions prendre à l'Académie, et pour l'instant  nous sommes plutôt dans le noir...

Lùthien songea que les démons pouvaient attaquer de bien des façons. Etaient-ils déjà à l'œuvre, infiltrant la population en rependant leur corruption ? Ou bien préparaient-ils une attaque massive en bataille rangée ? Les défenses à prévoir variaient d'un scénario à l'autre...

Santo c'était finalement retourner vers l'elfe avec qui, il discutait depuis plusieurs longues minutes. Il était surprenant qu'elle ne se soit pas déjà éclipsée. Le visage austère du grand argentier ainsi que son attitude hautaine n'était pas particulièrement agréable à vivre. Cependant, les rares personnes qui le côtoyaient régulièrement savaient qu'il n'agissait pas ainsi pour être désagréable ou pour être insultant. Il était ainsi, tout simplement. Il n'avait jamais été porté sur le contact humain et depuis le temps, il en était venu à se demander s'il était capable de ressentir les sentiments purement humains. D'aussi loin que son esprit pouvait le guider, jamais il n'avait ressenti les sentiments que sont l'amour, l'amitié ou la fraternité. Même son frère n'était au final qu'un outil entre ses mains. Un pion qu'il avait placé à la tête des marchés vu son talent de négociateur. Cependant, même lui était étroitement surveillé, comme tous les membres de la famille Bones. Enfin... La vérité était probablement plus simple. N'ayant jamais connu de sentiment positif au cours de sa vie, il lui était impossible de comprendre ce que certains humains pouvaient vivre. Ainsi il était devenu aigri et ne vivait plus que pour ses travaux. La seule façon qu'il est trouvé de se sentir vivant.

Cependant, malgré son attitude générale, elle ne s'était pas sauvée comme beaucoup. Il ne cacha pas sa légère surprise lorsqu'elle relança la conversation. Le vieil homme ajusta légèrement ses gants et toussa légèrement en s'approchant un peu d'elle, jetant un vague coup d'oeil à deux élèves qui passait un peu plus loin en parlant entre eux, sans doute en direction de leur dortoir pour une raison qui leur était propre. La prochaine génération... Il ne semblait pas très glorieux dans son ensemble. Lui même ne vivrait pas éternellement et malheureusement, dans sa propre famille les enfants n'étaient pas très fiables. Lui-même, n'ayant pas d'enfant, il devrait sans doute se rabattre sur les enfants de son frère. Ce n'était pas une très bonne nouvelle... Enfin. Il sortit de ses pensées et haussa légèrement les épaules devant la réponse du professeur.

Le trône fera son choix selon les candidats qui lui ont été donnés. De ce que je puis en dire, ceux choisit par le conseille nommé pour la succession ne sont pas très... Glorieux. Espérons que j'ai tort, mais ce n'est pas arrivé très souvent.

Non, pas très souvent. Cain était un gamin sans expérience. Marinn était dans le même genre, mais son coté paladin serait une nuisance pour ses futurs projets. Saeline était un bon choix, seulement elle était trop douce et gentille à son gout. Edouard aurait pu être un bon choix, seulement il n'appréciait pas son alignement politique. Avantager la petite noblesse et la bourgeoisie. Il serait donc dans une certaine position de faiblesse. Une faiblesse toute relative aux vues de sa richesse et de sa main mise sur la ville. Finalement, Lomac était un criminel notoire qui tournait autour de sa nièce. Il soupira légèrement. Non, pas très glorieux...

En ce qui concerne l'académie, je vous conseille de rester sur vos gardes. Si le vent politique vous fauche au passage, nul ne peut prévoir ce qui se passera. Cependant, vous avez la chance d'être un pivot de la cité. Même le roi ne pourra pas bêtement ignorer vos revendications si vous refusez de le suivre bien gentiment. Militairement, nos forces sont puissantes, peut-être assez fortes pour vaincre l'invasion. Peut-être...

Pour la première fois, un léger sourire franchit ses lèvres. Un sourire qui s'effaça bien rapidement. Au final, que les démons gagnent ou non, il pourrait sans problème tirer son épingle du jeu. Pour des raisons que lui seul connaissait, les démons ne seraient sans doute pas très intéresser à prendre sa vie, bien au contraire.

Ce qui est sûr, c'est qu'en cas de défaite de l'armée, les démons déferleront dans la cité. Des milliers d'innocents mourraient et je doute que nous puissions les repousser. Si c'est le cas, nous devrons peut-être abandonner la cité...  

Il laissa tomber ses mots, sans rien ajouter. Il verrait bien ce qu'elle pensait de cela, mais il doutait qu'elle veuille abandonner cette cité et son académie.

Saéline aurait pu faire une bonne candidate pour le trône, mais elle avait l'intention de se désister et la commission traînait des pieds pour examiner les nouvelles candidatures au nom du peuple. Peut-être étais-ce une manœuvre politique. Pour ce qui était de l'Académie, Lùthien était à peu près certaine que le nouveau roi n'aurait pas assez d'influence pour obliger les professeurs à faire quoique ce soit. Mais c'était peut-être un mauvais signe.

- Si le roi n'est pas à la hauteur ce sera au gouvernement de prendre ses responsabilités. Vous y compris n'est-ce pas ?

Un sourire s'esquissa sur les lèvres de Santos lorsqu'il évoqua la défaite de l'armée, Lùthien crut rêver. La situation avait presque l'air de l'amuser.

- J'espère que l'armée gagnera la bataille. Mais si ce n'est pas le cas, Targatt a encore quelques lignes de défenses possibles avant d'en arriver à l'évacuation...

Lùthien avait déjà vu des cités tomber pas le passé, des cités humaines principalement. En général évacuer une ville de non-mages s'avérait compliqué, mais c'était parfois la seule solution. Pour Targatt cela pourrait peut être s'avérer plus simple, les plans de la cité était en forme de cercle... cela pouvait servir. Avec une puissance suffisante il serait en théorie de déplacer la ville entière, de la rendre invisible, de téléporter les habitants ailleurs, de former un bouclier ou bien même emprisonner les démons entre les murs si jamais ils parvenaient à y pénétrer... Les possibilités étaient nombreuses et Targatt n'était pas encore tombée.

Lùthien s'appuya contre le mur en croisant les bras. Elle commençait à se demander si le Grand Argentier se souciait vraiment de la cité qu'il administrait.

- Vous semblez baisser les bras assez vite sur le sort de Targatt... et cela n'a pas l'air de vous inquiéter...

Certaines personnes ne pouvaient malheureusement pas comprendre les motivations derrière les projets et les pensées de Santo. Beaucoup le prenaient pour un fou, mais la vérité était tout autre. Il voyait le monde de manière logique. Purement et simplement. Il ne laissait jamais ses émotions prendre le dessus et analysait toujours froidement une situation. Entre autres pour éviter de finir comme à plèbe, incapable de prendre la moindre décision. Aussi, il ne fut pas surpris du commentaire de l'elfe en ce qui concernait ton attitude. Lui? Baisser les bras? Pas du tout. Il voyait simplement le monde de manière logique.

En théorie, le roi est le seul chef à bord. Cependant, dans certains cas il arrive que l'administration d'une cité doive reprendre certaines tâches au roi pour s'assurer du bon fonctionnement.

Finalement, elle lui demanda s'il baissa les bras? Baisser les bras? Bien sûr que non. Simplement, ce n'était pas son rôle de s'inquiéter. Officiellement, son seul rôle était de contrôler les économies de la couronne. Rien de plus. Aussi, il ne cherchait pas à s'embêter avec des détails. Il se contentait de faire son travail, laissant le soin au soldat de s'inquiéter pour le sort de la ville. De toute façon au besoin il partirait avec ses recherches. Voilà tout.

Vous avez raison, je ne suis pas inquiet. La peur et l'inquiétude nuisent au jugement. La seule solution pour juger d'une situation dans son ensemble, c'est de rester calme en toute circonstance. Sur ce, si vous voulez bien m'excuser je dois y aller. Ce fut une conversation... Agréable.

Oui, agréable et très instructive. Il avait profité de cette conversation pour lire dans l'esprit de cet elfe sans vergogne, sans même attirer son attention. Certes, il n'avait capté que ses pensées immédiates, mais ce fut suffisant pour l'instant. Sans plus de façon, il se retourna et quitta les lieux, dans le but de retourner à ses travaux et à sa solitude.

Pour Lùthien, il y avait une différence entre rester calme et rester indifférent. Santos lui semblait totalement indifférent, mais ce n'était peut-être qu'une impression. En tout cas l'elfe avait effectivement du mal à comprendre ce qu'il se passait dans la tête de l'alchimiste. Cela ne l'avait pas empêchée de trouver la discussion stimulante. Après tout parler avec des personnes qui ont exactement le même avis que soi fini rapidement pas être ennuyeux. Elle salua donc cordialement l'argentier.

- Au revoir Sieur Bones, ce fut un plaisir...

Elle ne put tout de même s'empêcher de froncer les sourcils en le regardant s'éloigner. Il était membre du gouvernement et il ne savait même pas vraiment quelles étaient les chances de succès de l'armée. Certes il n'était qu'argentier, mais tout de même... Cela pouvait être un signe que le gouvernement n'était pas vraiment prêt à une éventuelle attaque. Pour pallier à un siège ou une évacuation, même l'argentier devait être au courant pour prévoir les ressources nécessaires... Lùthien ne trouvait pas dans cette discussion de bonnes raisons de rester calme. Mais pour l'instant elle n'y pouvait pas grand chose. Résignée, elle retourna à ses cours.